La douleur n

La douleur n'étouffe pas la
palpitation de la fierté
Homélie prononcée par Monseigneur
Luc Ravel, évêque aux armées,[1]
en l'église saint Louis des Invalides, « cathédrale des soldats ». Paris, le 25
Juillet 2011. Source :
Diocèse aux Armées.

C'est du cœur que partent nos paroles. Laissons notre cœur
marquer d'abord nos paroles avec les sentiments qui l'habitent.
Parmi ces sentiments, il y a bien sûr une peine immense :
comment ne pas être profondément et personnellement atteint par la disparition
de 7 jeunes hommes et derrière eux 63 autres, fleurons de notre nation, fils de
nos familles, camarades de nos unités ?
Mais dans cette peine se glissent d'autres sentiments. Car la
tristesse n'arrive pas seule quand nous sommes en face de ces cercueils
recouverts de notre drapeau. La douleur n'étouffe pas la palpitation de la
fierté : une sobre mais grande fierté nous habite parce que ces hommes là ne
sont pas décédés par accident ou de maladie. Ils sont morts pour la France.
Notre admiration pour leur courage se transforme en fierté
d'appartenir à ce peuple, à ce grand corps aux mille visages dont les membres
sont capables de donner leur vie pour ceux qu'ils aiment.
Nous avons raison d'être fiers quand notre équipe nationale
triomphe sur les stades. Mais nos joueurs n'y risquent que leur réputation. Ici,
nos soldats jettent leur vie devant nous.
C'est là leur noblesse de soldat, c'est là notre grandeur de
français.
Cette noblesse du soldat nous invite à redire ce que signifie
être militaire :
- Être militaire, ce n'est pas d'abord être disponible ou même porter les
armes.
- Être militaire, c'est avant tout ne plus s'appartenir, ni même appartenir
à sa propre famille : j'ai conscience de la dureté de ces propos en présence
de nos familles éprouvées par le deuil.
- Être militaire, c'est appartenir à la Nation. Exister et agir pour elle.
Vivre et mourir pour elle. Et ceci nous renvoie à notre histoire.
En 1919, une énorme question c'était posée : devions-nous
enterrer nos morts ensemble dans des cimetières nationaux ou rendre aux familles
les corps identifiés ? La polémique fit rage. Le père Doncœur militait avec
d'autres pour que restent ensemble ceux qui avaient péri ensemble.
Dans un texte intitulé « Champ d'honneur », il écrivait cet
émouvant appel aux mères et aux veuves :
« Il est mort au champ d'honneur,
Vous l'enlevez du champ d'honneur
Vous lui ravissez sa gloire
Et vous vous décevez. »[2]
En 1920, la France va finalement rassembler ses morts dans
d'immenses mausolées dignes de l'héroïsme de ces fils. Nous ne sommes plus en
1920, mais nous restons de ces hommes fixés sur l'éternel militaire : vivants ou
morts, nous appartenons à notre Patrie plus qu'à nos proches. Être soldat ne
relève pas de la sphère privée même si à la base il y a un choix personnel.
Alors que certains s'interrogent sur l'opportunité d'aller mourir pour les
Afghans voire pour rien nous répondons inlassablement : c'est pour la France que
nous mourons. Ici ou au bout du monde : ce n'est pas la première fois que nos
soldats meurent pour la France ailleurs qu'en France.
- C'est un oiseau qui vient de France
Puis-je justement illustrer ce propos avec une chanson créée
en 1885 et intitulée : « C'est un oiseau qui vient de France » ? Ce chant
raconte l'histoire d'un oiseau qui « dans une bourgade lointaine, vint montrer
son aile d'ébène. » Le voyant virevolter au-dessus d'un territoire ennemi et
dangereux, l'enfant, le vieillard puis la fillette, tous trois aux cœurs
palpitant d'espérance, s'écrient successivement : « sentinelles, ne tirez pas.
C'est un oiseau qui vient de France. » Ils ne seront pas entendus ainsi que le
dit le dernier couplet :
« Il venait de la plaine en fleur
Et tous les yeux suivaient sa trace,
Car il portait nos trois couleurs,
Qui flottaient gaiement dans l'espace.
Mais un soldat fit feu,
Un long cri part et l'hirondelle,
Tout à coup refermant son aile,
Tombe expirante du ciel bleu. »
Et le refrain conclut :
« Il faut au cœur une espérance,
Rayon divin qui ne meurt pas,
Mais l'oiseau qui chantait là-bas,
Ne verra plus le ciel de France. »
L'espérance est à portée de main : sachons la cueillir au
bord de notre route. Elle porte en elle la certitude de la vie qui traverse,
transperce et exténue la mort. L'Espérance chrétienne, nous l'avons dans
l'exacte mesure où nous sentons en nous une vie que rien ne peut arrêter, pas
même la mort. Et cette espérance ne trompe pas car le Christ est ressuscité
d'entre les morts.
Alors pour tous ceux qui ne verront plus le ciel de France,
tenons ferme la force de l'espérance.
Amen.

[1] Le 7 octobre
2009, Benoît XVI a nommé Mgr Patrick Le Gal, évêque aux armées, évêque
auxiliaire de Lyon. Pour le remplacer au diocèse aux armées, le pape a choisi
Luc Ravel, 52 ans, de la congrégation des chanoines réguliers de Saint-Victor.
Fils de militaire, diplômé de l'École polytechnique et l'École nationale
supérieure des pétroles et moteurs, Luc Ravel a poursuivi des études
philosophiques et théologiques à l'abbaye Saint-Pierre de Champagne et à
l'Université de Poitiers. Sources :
Diocèse aux Armées et
La Croix.
[2] "Paul
Doncœur, Aumônier militaire", aux éditions de la Loupe, page 179. Lire
également
Pensées sur un champ de bataille
Voir également :
|