Dans sa dernière chronique sur euradio, Quentin Dickinson évoque le « grand dessein » de Donald Trump et de sa fine équipe présidentielle en croisade pour un prix Nobel dans une catégorie qui reste à déterminer. Donald fait l’unanimité. Que ce soit après ses courtes déclarations à la Maison-Blanche aux « influenceurs » qui ont remplacé la presse accréditée — autres temps autres mœurs — entre deux signatures de décrets présidentiels, ou à bord d’Air Force One devant un micro anonyme, Donald fait le buzz. Le Canard Enchaîné qui jadis consacrait une chronique hebdomadaire au général de Gaulle, « La Cour », serait bien inspiré de lui en consacrer une…

En moins d’un mois la plupart des dirigeants du monde s’accordent à reconnaître que Trump dynamite chaque jour davantage son propre pays et le reste du monde. Donnons lui encore deux mois pour qu’au bout de ses cent jours on puisse faire un premier bilan de ses « grands desseins » pour compléter le seul bilan chiffré jusqu’ici avec précision par le contribuable américain depuis le 21 janvier, date de sa prise de fonction et diffusé hier soir sur LCI. NDLR

Source — Éditorial européen de Quentin Dickinson (diffusé le vendredi sur Euradio,[*] « la radio européenne de nos territoires » — Diffusé le 20 février 2025 —
Laurent Pététin : Cette semaine, Quentin Dickinson, vous scrutez comme le monde entier tout ce que peut dire l’actuel Président des États-Unis…
Quentin Dickinson : Pour l’instant, nous ne savons pas si les tonitruantes déclarations de Donald Trump sont le produit de sa propension à exister, grâce à une succession ininterrompue de provocations verbales et administratives, ou alors l’expression peu diplomatique d’une orientation nouvelle de l’idéal géopolitique américain.
Laurent Pététin : Aucune certitude, donc ?…
Quentin Dickinson : Au moment où nous parlons, une seule chose paraît certaine : c’est que l’occupant de la Maison-Blanche réussit à merveille à capter, sans désemparer, l’attention de ses compatriotes et du monde.

Cependant, pour la suite, j’hésite entre deux hypothèses : ou bien, tout ce hourvari ne cache absolument rien, ou bien il constitue les trompettes thébaines annonçant l’avènement d’un Grand Dessein, frustré au cours du premier mandat de M. Trump, mais affiné pendant les quatre années de sa (très relative) traversée du désert.
Et, si cette seconde hypothèse s’avère être la bonne, rien ne dit qu’elle soit couronnée de succès.
Laurent Pététin : Mais qu’est-ce qui vous permet d’être si catégorique ?…
Quentin Dickinson : Simplement, parce que les Grands Desseins, portés par un petit nombre de dirigeants à la tête d’un État, et sans tenir compte des intérêts de leur population ni de ceux des pays voisins, ont la fâcheuse habitude de tourner à la catastrophe.
Laurent Pététin : Vous pensez à quels exemples ?…
Quentin Dickinson : Tenez : commençons par la Russie. En 1905, l’Empereur a pour Grand Dessein d’annexer totalement et définitivement la Mandchourie ; il déclare donc la guerre au Japon pour parvenir à ses fins. Mal lui en prend : sa flotte est envoyée par le fond devant Tsushima par une escadre japonaise, [1] et le voilà contraint à une paix désastreuse.

On peut aussi évoquer le Grand Dessein de Staline que fut la collectivisation de l’agriculture, pour laquelle les paysans furent soumis à l’autorité de commissaires politiques délégués dans les campagnes, pour qui l’idéologie communiste, née dans les villes, tenait lieu d’engrais. Disettes et famines s’ensuivirent tout naturellement.

Toujours en Union soviétique, son successeur, Nikita Khroutchev, lança en 1954 son Grand Dessein à lui, baptisé les Terres vierges, consistant à fertiliser 42 millions d’hectares en Sibérie et au Kazakhstan – ce qui fut fait. Toutefois, faute de moyens de transport à la taille des récoltes, celles-ci pourrissaient régulièrement sur pied.
Parmi d’autres objectifs, le pari était d’égaler en l’espace de deux ans la production de viande bovine des États-Unis. A la chute de l’URSS en 1991, ce but n’était toujours pas atteint.
« Un bon travail… le pain nait, grandit, pousse » — Archives soviétiques —
Laurent Pététin : Mais il n’y a pas que les potentats russes à connaître semblables déconvenues de taille, tout-de-même ?…
Quentin Dickinson : Non, il y a aussi fort, peut-être même davantage, chez le grand voisin chinois. A lui seul, Mao Tsé-toung chérissait plutôt deux Grands Desseins qu’un seul, lui qui avait tout à la fois promis le Grand Bond en Avant en 1958, ainsi que sa suite, la Révolution culturelle à peine deux ans plus tard, et qui, l’un et l’autre, ont constitué un catalogue d’anthologie de tout ce qu’il faut faire pour couler une économie, avec son accumulation d’injustices, d’incohérences, et de misère humaine.

Laurent Pététin : Vous en avez d’autres, des exemples de ce type ?…
Quentin Dickinson : Sans aucun doute. Voyez, par exemple, l’Argentine, qui était en 1900 un pays prospère et ouvert à un avenir brillant, mais qui ne s’est toujours pas remis de la gestion autoritaire et centralisée de son économie, notamment en raison de la succession de coups d’État, fomentés par des militaires ignares en ce domaine, mais eux aussi convaincus d’être porteurs d’un Grand Dessein.
Même constat, plus récemment, au Venezuela, pays le plus riche d’Amérique latine il y a encore vingt-cinq ans, mais mis à genoux par le Grand Dessein bolivarien de MM. Chávez et Maduro, qui se traduit par une corruption institutionnalisée, et par une inflation dépassant régulièrement les 800 %.
On pourrait aussi se rappeler de Mme Liz Truss, cette éphémère Première ministre britannique, emportée avec son Grand Dessein économique en quarante-neuf jours seulement au 10, Downing Street – pour une fois, le bon sens (et la City de Londres) avaient rapidement réagi.

Enfin, que dire de ce Grand Dessein de Bill Clinton d’orienter la Chine vers une société démocrate, qu’il tenait pour une trajectoire inévitable, si Pékin s’ouvrait à l’exportation, garante d’une prospérité nouvelle ? C’était l’idée généreuse du Président des États-Unis de l’époque, qui fit admettre la Chine comme membre à part entière de l’Organisation mondiale du Commerce.
On connaît la suite : de 1999 à 2011, deux millions quatre cent mille emplois perdus dans l’industrie aux États-Unis – en raison de la concurrence chinoise.
Quentin Dickinson
[1] « 27 mai 1905 : bataille navale de Tsushima (entre le Japon et la Russie). La situation militaire de la Russie en guerre contre le Japon se dégradant en Extrême-Orient, Nicolas II décide l’envoi d’une escadre de secours (4 cuirassés à peine achevés, 11 cuirassés et croiseurs anciens ou hors d’âge, 9 destroyers). Partie de la Baltique, aux ordres de l’amiral Rojdestvenski, l’escadre parvient à l’entrée du détroit de Corée en vue de l’île de Tsushima le 27 mai 1905, après un périple de sept mois de navigation épuisante pour contourner l’Afrique puis traverser l’océan Indien et les mers de Chine. Elle est attendue par l’amiral Tōgō avec 4 cuirassés, 8 croiseurs cuirassés, 14 croiseurs et 21 torpilleurs. Le tir japonais, très précis, disloque les trois lignes russes. En quelques heures, les quatre cuirassés de tête sont mis hors de combat. Rojdestvenski, blessé, est fait prisonnier. Son remplaçant Nebogatov capitule avec les rares bâtiments rescapés le 28 mai au matin. Seuls un croiseur et deux destroyers rallieront Vladivostok. Le reste de l’escadre russe est coulé, capturé ou interné. Les Russes comptent 5 000 morts, 6 000 prisonniers et 700 blessés, contre seulement 600 hommes mis hors de combat pour les Japonais. Cette victoire japonaise eut un grand retentissement à l’époque en Asie et fit entrer le Japon dans le cercle des grandes puissances maritimes.» — Sources : Chronique culturelle (27 mai 2018) & Stéphane Gaudin in Marine & Océans —
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