Analyse Stratégique de l’Opération Toile d’Araignée (Pavutina)
Ce dossier d’actualité, réalisé par la rédaction d’European-Security, analyse en détail la planification, l’exécution, l’impact et les implications plus larges de cette opération pour la guerre moderne. A défaut de conclusion, on se contentera d’une conclusion provisoire complétée par un commentaire de fin !
— Paris le 3 juin 2025 — Avec nos correspondants à Genève, Bruxelles, Berlin et Londres — (©)
Sommaire
I. Synthèse Opérationnelle
L’opération « Toile d’Araignée » (Pavutina), menée le 1er juin 2025 par les services de renseignement ukrainiens, principalement le Service de Sécurité d’Ukraine (SBU), marque un tournant dans le conflit russo-ukrainien. Elle illustre la capacité croissante de l’Ukraine à mener des opérations de guerre asymétrique complexes et à frapper en profondeur le territoire russe. Cette opération a infligé des dommages matériels et psychologiques considérables à la Russie, remettant en question sa posture de défense aérienne et sa profondeur stratégique.
Les succès clés de l’opération incluent le ciblage réussi de multiples bases aériennes stratégiques russes, la destruction ou l’endommagement d’un nombre substantiel d’aéronefs russes de haute valeur, et l’utilisation innovante de drones FPV (First-Person View) lancés depuis l’intérieur même du territoire russe.[01]
Sur le plan stratégique, l’opération a temporairement diminué les capacités de frappe à longue portée de la Russie, a considérablement remonté le moral ukrainien, a provoqué des critiques internes en Russie à l’encontre de son appareil de sécurité, et a potentiellement influencé les négociations de paix alors en cours. Elle met également en lumière l’évolution de la guerre par drones et la vulnérabilité des moyens militaires conventionnels face à des attaques asymétriques à faible coût et à fort impact.
Ce rapport analyse en détail la planification, l’exécution, l’impact et les implications plus larges de cette opération pour la guerre moderne.
II. Contexte et Genèse de l’Opération Toile d’Araignée
A. Préconditions Stratégiques et Motivations
L’opération « Toile d’Araignée » s’est déroulée dans un contexte de négociations de paix au point mort [03] et faisait suite à ce qui a été décrit comme la plus grande attaque aérienne et de missiles russes contre l’Ukraine.[03] Parallèlement, la Russie enregistrait des gains territoriaux, ayant repris environ 5000 kilomètres carrés en Ukraine au cours de l’année écoulée, dont près de 500 kilomètres carrés dans le mois précédant l’opération.[05] L’Ukraine cherchait activement à dégrader la capacité de la Russie à lancer des barrages de missiles dévastateurs contre ses villes et ses infrastructures critiques.[06]
Ce calendrier suggère une tentative ukrainienne de reprendre l’initiative stratégique, de démontrer sa résilience et d’imposer des coûts significatifs à la Russie. Une telle démonstration de force pouvait potentiellement renforcer sa position dans les négociations ou perturber l’élan offensif russe. L’opération apparaît ainsi comme une réponse directe à l’intensification de la campagne aérienne russe. Elle peut être interprétée comme une tentative de l’Ukraine de contrer les avantages conventionnels de la Russie – gains territoriaux, arsenal de missiles plus important – par des attaques asymétriques très efficaces et à moindre coût. L’utilisation de drones FPV relativement peu coûteux pour infliger des milliards de dollars de dommages à des actifs stratégiques de grande valeur [02] illustre une stratégie visant à imposer des coûts disproportionnés à l’adversaire, une caractéristique de la guerre asymétrique. Le succès d’une telle opération peut modifier l’équilibre des forces perçu et influencer la prise de décision ennemie au-delà des pertes matérielles directes.
B. Attribution et Planification
L’opération est principalement attribuée au Service de Sécurité d’Ukraine (SBU).[09] Bien que la requête initiale mentionne les « services de renseignement militaire ukrainien », ce qui désigne typiquement la Direction Principale du Renseignement (GUR), la grande majorité des sources disponibles créditent le SBU de la planification et de l’exécution. Le GUR a confirmé la perte de certains aéronefs russes, [11] mais le SBU est constamment désigné comme l’acteur principal.
La planification de l’opération se serait étendue sur plus de 18 mois [01] et aurait été supervisée personnellement par le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le chef du SBU, Vassyl Maliouk.[06] Une planification aussi longue et à un niveau aussi élevé indique un investissement stratégique majeur et un effort de renseignement complexe. La possible implication du GUR pourrait relever de la coopération inter-agences ou de rôles spécifiques dans la collecte de renseignements ou l’évaluation des dommages. Cette longue préparation et la revendication audacieuse d’un « bureau » opérationnel du SBU à proximité d’une installation du FSB russe [06] suggèrent un niveau significatif de pénétration du renseignement et le développement d’une infrastructure clandestine en Russie. La contrebande de drones et de leurs composants, leur assemblage et le positionnement d’équipes de lancement à proximité de multiples bases aériennes militaires sécurisées nécessitent un soutien logistique et de renseignement étendu sur le terrain.[01] Cela soulève des questions sur l’étendue des réseaux ukrainiens en Russie et les vulnérabilités du contre-espionnage russe.
C. Objectifs Opérationnels
Les objectifs de l’opération « Toile d’Araignée » étaient multiples et visaient à la fois des effets militaires tangibles et un levier psychologique et stratégique important.
Les objectifs primaires comprenaient :
- La destruction ou l’endommagement de bombardiers stratégiques russes et d’aéronefs de soutien utilisés dans les frappes contre l’Ukraine.[06]
- La dégradation des capacités de frappe à longue portée de la Russie.[02]
- L’infliction de coûts économiques et militaires significatifs.[01]
- Le renforcement du moral ukrainien et l’affaiblissement de la confiance russe.[06]
- La démonstration de la capacité de l’Ukraine à frapper profondément à l’intérieur de la Russie, y compris en Sibérie.[05]
- La contrainte pour la Russie de détourner des ressources vers la sécurisation de ses bases aériennes.[03]
Au-delà des dommages matériels, la sélection de bombardiers stratégiques, symboles de la projection de puissance russe, et la pénétration profonde du territoire russe visaient un impact psychologique maximal.

Ces appareils ne sont pas seulement des outils militaires ; ils incarnent la portée stratégique et la puissance d’une nation.[09] Frapper ces actifs au cœur de la Russie brise toute illusion d’invulnérabilité.[05] Les réactions des blogueurs militaires russes – panique, colère, critiques envers les dirigeants [02] – confirment ce choc psychologique, qui peut s’avérer plus significatif que la réduction immédiate des capacités de frappe, affectant le moral russe, la confiance du public et potentiellement la planification militaire.
III. Exécution et Innovations Tactiques
A. Déploiement des Drones et Méthodes de Lancement
L’opération a mobilisé 117 drones FPV.[02]

Ces drones auraient été introduits clandestinement en Russie, soit en pièces détachées soit assemblés secrètement sur place.[01] Les lancements ont été effectués à partir de remorques cachées, de camions, ou de conteneurs/cabanes en bois mobiles équipés de toits rétractables, positionnés à proximité des bases aériennes ciblées.[01] Un rapport mentionne l’assemblage de drones dans un entrepôt loué à Tcheliabinsk.[08]
Cette tactique de pré-positionnement et de lancement de drones à courte distance a permis de contourner la nécessité de drones à très longue portée. Elle a probablement contribué à déjouer les systèmes de défense aérienne à longue portée et de guerre électronique (GE) russes, assurant ainsi un effet de surprise opérationnel.[02]
L’utilisation de véhicules ou de structures civiles d’apparence anodine pour la dissimulation est une technique classique des opérations spéciales, ici adaptée à la guerre par drones. Cette méthode de contrebande et de lancement local de drones FPV a effectivement créé un scénario de « cheval de Troie, » [01] contournant les défenses périmétriques conçues pour les menaces externes et défiant la sécurité des actifs stratégiques situés loin en arrière du front. Les drones FPV, bien que de courte portée, deviennent très efficaces lorsqu’ils sont lancés depuis ces emplacements pré-positionnés et dissimulés. Cette tactique transforme l’immensité du territoire russe, auparavant un avantage défensif, en une vulnérabilité si la sécurité intérieure et le contre-espionnage ne peuvent empêcher une telle infiltration.
B. Coordination et Ciblage
Les attaques ont été coordonnées sur plusieurs bases aériennes réparties sur différents fuseaux horaires,[11] certains drones restant en vol jusqu’à quatre heures.[11] Un système de ciblage par imagerie thermique assisté par intelligence artificielle (IA) aurait été employé pour viser des composants critiques des aéronefs, tels que les réservoirs de carburant.[11] Des relais de communication cryptés ont également été utilisés.[11] Des renseignements de sources ouvertes (OSINT), comme l’imagerie satellitaire commerciale et les agrégateurs de données de transpondeurs, possiblement complétés par des reconnaissances spéciales et de l’imagerie satellitaire fournie par l’OTAN ou les États-Unis, ont vraisemblablement servi à la planification et au ciblage.[03]
La coordination multi-cibles et multi-fuseaux horaires témoigne d’un haut niveau de commandement et de contrôle. Le ciblage assisté par IA améliore la précision et l’efficacité, en particulier pour les drones FPV. Le mélange d’OSINT avec des sources de renseignement potentiellement plus classifiées souligne un processus sophistiqué de collecte et de ciblage du renseignement. L’utilisation de drones FPV relativement peu coûteux (environ 4 000 $ chacun selon une source… les Ukrainiens en produisent 4 000 par jour !)[08] pour détruire ou endommager des actifs stratégiques valant des millions, voire des milliards de dollars (un A-50 coûte environ 500 millions $),[02] représente une « démocratisation » de la capacité à obtenir des effets stratégiques. Auparavant, de tels résultats étaient l’apanage des grandes puissances militaires dotées d’armements coûteux.
Ce rapport coût-efficacité massivement en faveur de l’attaquant [04] implique que des États aux ressources plus limitées, ou même des acteurs non étatiques dotés d’une ingéniosité et d’une sécurité opérationnelle suffisantes, pourraient potentiellement reproduire de telles attaques contre des cibles de grande valeur.
C. Audace Opérationnelle et Mesures de Sécurité
Le président ukrainien Zelensky a affirmé que le « bureau » opérationnel du SBU en Russie était situé « juste à côté de l’administration du FSB dans l’une des régions ».[06] Le personnel ayant contribué à l’opération aurait été exfiltré de Russie avant les frappes.[02]
Cette affirmation concernant le bureau du SBU, si elle est exacte, constitue une démonstration d’audace remarquable et un élément de guerre psychologique, soulignant de potentielles failles du contre-espionnage russe. L’exfiltration des opérateurs témoigne d’une planification méticuleuse pour assurer la sécurité du personnel. L’utilisation probable de renseignements, potentiellement de reconnaissance spéciale, de soutien en renseignement allié, [03] et d’éventuelles opérations électromagnétiques ou cybernétiques pour « préparer les conditions » [03] met en évidence les éléments non cinétiques critiques, souvent invisibles, qui permettent de tels succès cinétiques. L’acte physique de lancement des drones n’est que l’étape finale ; l’identification des vulnérabilités, la cartographie des bases aériennes, la compréhension des routines de sécurité et la dégradation potentielle des systèmes de guerre électronique ou des radars locaux nécessitent un renseignement approfondi. Cette approche multi-domaines (renseignement, cyber, physique) est caractéristique des opérations militaires sophistiquées modernes.
IV. Actifs Ciblés et Évaluation des Dommages
A. Bases Aériennes Identifiées
De multiples sources confirment des frappes sur quatre à cinq bases aériennes principales. Le tableau ci-dessous synthétise les informations disponibles sur les bases ciblées et les effets rapportés.
Tableau 1 : Résumé des Bases Aériennes Ciblées et Effets Rapportés lors de l’Opération Toile d’Araignée
Nom de la Base Aérienne | Oblast/Région | Principaux Types d’Aéronefs Stationnés/Ciblés | Revendications Ukrainiennes (Aéronefs Endommagés/Détruits) | Réponse du MdD Russe (si spécifique à la base) | Extraits Clés des Sources |
Belaïa | Irkoutsk (Sibérie) | Tu-22M3, Tu-95MS | Inclus dans le total de plus de 40 ; cible la plus éloignée (plus de 4000 km) | Attaque confirmée par le gouverneur régional [10] | 2 |
Olenia | Mourmansk | Tu-22M3, Tu-95MS, Tu-142 | Inclus dans le total de plus de 40 | Attaque rapportée par médias russes, défenses actives [10] | 2 |
Ivanovo Severny | Ivanovo | A-50, Il-76 | Inclus dans le total de plus de 40 ; 1 A-50 détruit | Attaques « repoussées »[06] | 2 |
Diaguilevo | Riazan | Tu-95MS, Tu-22M3 | Inclus dans le total de plus de 40 | Attaques « repoussées »[06] | 2 |
Voskressensk | Moscou | (Non spécifié) | Inclus dans le total de plus de 40 | (Non spécifié) | 10 |

La sélection de cibles sur de vastes distances, y compris loin en Sibérie et dans la région arctique, visait à démontrer la portée des capacités ukrainiennes et à exploiter les failles de sécurité perçues dans l’arrière-pays russe. La frappe réussie sur la base aérienne de Belaïa en Sibérie,[05] à plus de 4000 km de l’Ukraine, démontre une capacité à projeter une menace bien au-delà des zones anticipées. Cela force la Russie à réévaluer l’ensemble de sa posture de défense aérienne nationale et à potentiellement surexploiter ses ressources, car la distance n’est plus un sanctuaire si les attaquants peuvent infiltrer et lancer localement.02]
B. Types d’Aéronefs et Nombre Affecté
Les revendications ukrainiennes font état de plus de 40 à 41 aéronefs détruits ou endommagés,[01] ce qui représenterait 34 % des porteurs de missiles de croisière stratégiques ou de la flotte de bombardiers russes.[02]

Les types spécifiques incluent les bombardiers stratégiques Tu-95MS ‘Bear’, Tu-22M3 ‘Backfire’, et Tu-160 ‘Blackjack’, ainsi que les avions AEW&C (Airborne Early Warning and Control) A-50 ‘Mainstay’, des avions de transport Il-76 ‘Candid’, et potentiellement des avions de lutte anti-sous-marine Tu-142.[01] Certaines sources ukrainiennes ont confirmé un seuil inférieur d’au moins 13 bombardiers stratégiques (Tu-95MS, Tu-22M3) détruits ou endommagés.[07]

La Russie a reconnu la destruction de « plusieurs aéronefs » mais a nié toute perte humaine.[10] Bien qu’il soit difficile de vérifier les chiffres exacts de manière indépendante, la cohérence des affirmations ukrainiennes à travers de multiples canaux officiels et médiatiques, étayée par certaines preuves visuelles, [01] suggère des pertes significatives pour l’armée de l’air russe.


Le ciblage des A-50 est particulièrement critique en raison de leur rôle de multiplicateurs de force et de leur nombre limité.[02] La destruction ou l’endommagement répété de ces appareils [02] est un élément clé, car ils sont vitaux pour les opérations aériennes russes, la coordination des cibles et la détection des défenses aériennes. Leur perte dégrade considérablement la connaissance de la situation et le commandement et contrôle aérien russes.




L’accent mis sur des types d’aéronefs que la Russie ne produit plus ou peine à remplacer (cellule de Tu-95, Tu-22M3, A-50) [02] suggère une stratégie ukrainienne visant une dégradation à long terme des capacités stratégiques russes, et non une simple attrition temporaire. Cela indique une compréhension sophistiquée des limitations militaro-industrielles russes et un choix délibéré de maximiser l’impact stratégique durable.
C. Impact Financier Estimé
Les estimations ukrainiennes des dommages financiers varient de 2 milliards de dollars [08] à 7 milliards de dollars.[01]
Cette évaluation élevée reflète la nature stratégique et le coût ou la difficulté de remplacement des aéronefs ciblés, en particulier des types comme l’A-50 et les bombardiers stratégiques, que la Russie pourrait avoir du mal à remplacer rapidement, voire pas du tout, en raison des sanctions et de la désindustrialisation dans certains secteurs depuis 1991.[02]
D. Dommages Rapportés aux Actifs Navals/Nucléaires (Severomorsk)
Certaines chaînes Telegram russes ont publié une vidéo d’une explosion qui se serait produite à Severomorsk dans une base de sous-marins nucléaires russes.[10] Une source [11] mentionne notamment des dommages dans la base de sous-marins nucléaires, lesquels pourraient menacer la dissuasion nucléaire maritime russe précisant que « les dommages subis par la base navale de Severomorsk menaceraient la viabilité du volet maritime de la capacité de seconde frappe ». Ces informations sont en train d’être vérifiées. Le maire de Severomorsk a démenti toute menace, mais le contraire eut été étonnant…[10]

Cet aspect est moins étayé que les frappes sur les bases aériennes. Les affirmations de la source [11] sont fortes mais manquent de corroboration généralisée dans d’autres documents liant directement « Toile d’Araignée » à des dommages confirmés à Severomorsk. Si cela s’avérait exact, cela représenterait une escalade significative et un impact sur la dissuasion nucléaire stratégique russe. La prudence est de mise en raison du démenti et du manque de corroboration.
V. Discours Officiels et Désinformation
A. Revendications Ukrainiennes et Déclarations Présidentielles

Le président Zelensky a salué l’opération comme un « résultat absolument brillant », « un événement pour les livres d’histoire », réalisé « uniquement par l’Ukraine ».[05] Il a souligné l’utilisation de 117 drones, l’atteinte de 34 % des porteurs de missiles de croisière stratégiques, et l’existence d’un « bureau » du SBU près d’une installation du FSB.[02] Le chef du SBU, Vasyl Maliouk, a juré de « détruire l’ennemi partout ».[06] Le SBU a revendiqué 7 milliards de dollars de dommages.[02]

La communication ukrainienne s’est concentrée sur le succès, la capacité indigène, l’audace et l’impact significatif, visant clairement les audiences nationales et internationales pour remonter le moral et projeter la force. Les déclarations publiques relativement détaillées du président Zelensky sur la planification, l’exécution et le succès de l’opération [06] peuvent être interprétées comme un effort de communication stratégique visant à maximiser l’impact psychologique sur la Russie, à renforcer la confiance internationale dans les capacités ukrainiennes et à contrer de manière proactive la désinformation russe.
B. Réponses Officielles Russes
Le ministère russe de la Défense (MdD) a initialement déclaré que « toutes les attaques terroristes » contre les aérodromes militaires des régions d’Ivanovo, de Riazan et de l’Amour avaient été « repoussées ».[06] Par la suite, les autorités ont reconnu que « plusieurs aéronefs » avaient été détruits, mais sans faire de victimes humaines.[10] Moscou a qualifié l’opération d’« attaque terroriste ».[04] Les médias d’État russes ont amplifié les affirmations selon lesquelles les frappes justifiaient une réponse nucléaire car elles visaient le potentiel nucléaire stratégique.[02]
La réponse russe a évolué d’un déni initial ou d’une minimisation à une reconnaissance partielle mêlée d’accusations de « terrorisme » et de signalisation nucléaire. Cela reflète une tentative de contrôler le narratif, de minimiser les dommages perçus et de dissuader de futures attaques ou le soutien occidental à celles-ci. La qualification de l’opération d’« attaque terroriste » [04] par la Russie sert de multiples objectifs : délégitimer les actions de l’Ukraine, rallier le soutien intérieur et potentiellement créer un prétexte pour des réponses escalatoires, y compris l’invocation de la doctrine nucléaire.[02] Étiqueter des frappes sur des bases aériennes militaires comme du « terrorisme » tente de déplacer le narratif d’une action militaire légitime vers une activité criminelle, ce qui peut être utilisé en interne pour justifier des mesures plus sévères ou en externe pour décourager le soutien international au droit de l’Ukraine à l’autodéfense.
Tableau 2 : Comparaison des Revendications Officielles (Ukraine vs. Russie)
Aspect de l’Opération | Revendication Ukrainienne (Extrait de Source) | Revendication/Réponse Russe (Extrait de Source) | Évaluation de l’Analyste sur la Divergence |
Nombre d’aéronefs affectés | Plus de 40-41 détruits/endommagés 1 ; 34% des porteurs de missiles de croisière stratégiques [02] | « Plusieurs aéronefs » détruits [10] | Divergence significative ; les revendications ukrainiennes sont plus spécifiques et élevées, probablement pour maximiser l’impact. La Russie minimise probablement les pertes. |
Dommages financiers | 7 milliards de dollars [01] | Non spécifié par les sources disponibles | L’Ukraine met en avant un coût élevé pour souligner le succès. La Russie évite de quantifier publiquement l’impact. |
Succès des frappes | « Résultat absolument brillant » [05] | « Toutes les attaques terroristes… repoussées » (initialement) [06] | Contradiction directe. Les preuves visuelles partielles 1 et la reconnaissance ultérieure de pertes par la Russie contredisent le déni initial. |
Nature de l’opération | Opération militaire légitime, « brillante »[05] | « Attaque terroriste » [04] | Différence de cadrage typique en temps de guerre. L’Ukraine revendique une action militaire, la Russie la criminalise. |
Pertes humaines | Non mentionné comme un objectif ; focus sur le matériel | Aucune perte humaine [10] | Possiblement exact des deux côtés si les frappes étaient précises sur les aéronefs parqués et non sur le personnel. |
VI. Impact Stratégique et Implications
A. Sur les Capacités Militaires Russes
L’opération a temporairement contraint la capacité de la Russie à mener des frappes à longue portée par drones et missiles.[02] Les estimations des pertes varient, allant de 10-15 % de l’aviation stratégique et des forces nucléaires navales [11] à 20 % de sa flotte aérienne totale,[09] ou 34 % de ses porteurs de missiles de croisière stratégiques.[02] La Russie éprouvera des difficultés à remplacer les aéronefs perdus, en particulier les A-50 et les anciens types de bombardiers (Tu-95, Tu-22M3) qui ne sont plus produits depuis 1991.[02] Cela a contraint la Russie à envisager une redistribution de ses systèmes de défense aérienne pour couvrir un territoire beaucoup plus vaste [03] et a eu un impact sur sa doctrine de Dissuasion Mutuelle Assurée (MAD) et sa capacité de seconde frappe.[11]
L’opération a donc infligé un coup tangible, bien que peut-être temporaire, à la capacité de frappe stratégique de la Russie. La perte d’actifs irremplaçables ou difficiles à remplacer a des implications à plus long terme. Au-delà du remplacement des aéronefs, la Russie subira une pression immense pour moderniser la sécurité physique, les défenses aériennes et les mesures de contre-espionnage sur des dizaines, voire des centaines de sites stratégiques auparavant considérés comme « sûrs ». Cela détournera d’importantes ressources financières, matérielles et humaines des opérations offensives ou d’autres priorités.[03] La mise en œuvre de telles mesures sur le vaste territoire russe et ses nombreux sites militaires est une entreprise colossale, créant une ponction de ressources significative et durable.
B. Impact Psychologique
En Russie, l’opération a provoqué un choc généralisé, de la panique, de la colère et des critiques parmi les blogueurs militaires et les commentateurs. Ces critiques visaient les dirigeants militaires et les services de sécurité (FSB) pour leur incompétence et leur incapacité à protéger les actifs stratégiques.[02] Des appels à des représailles et à l’élimination du SBU ont été lancés.[12] Certains commentateurs russes ont même reconnu la supériorité du renseignement ukrainien,[12] et la confiance russe a été ébranlée.[06] Les critiques intenses des blogueurs militaires [02] pourraient exacerber les tensions existantes au sein des structures de pouvoir et de l’appareil de sécurité russes. Des échecs répétés et embarrassants en matière de sécurité peuvent éroder la confiance dans le leadership et, dans un système autoritaire, conduire à des jeux de blâme, à des luttes intestines entre factions (par exemple, MdD contre FSB) et à des tentatives des dirigeants de détourner les responsabilités.
En Ukraine, l’opération a entraîné un important regain de moral,[06] étant comparée à d’autres succès majeurs comme le naufrage du croiseur Moskva.[13] L’impact psychologique en Russie semble profond, érodant potentiellement la confiance dans le commandement militaire et la capacité de l’État à assurer la sécurité. Pour l’Ukraine, c’est une victoire de propagande significative et un stimulant pour le moral.
C. Influence sur la Dynamique du Conflit et les Négociations de Paix
L’opération s’est produite la veille d’un cycle de pourparlers de paix à Istanbul.6 La Russie aurait menacé d’annuler les pourparlers en réponse à l’opération.[16] Ces pourparlers n’ont guère progressé au-delà des échanges de prisonniers et de dépouilles.[04] L’Ukraine visait à façonner et à renforcer son levier de négociation.[19]
Bien qu’une causalité directe soit difficile à prouver, une opération d’une telle envergure a probablement compliqué l’atmosphère des pourparlers. L’Ukraine pourrait l’avoir conçue comme une démonstration de force pour améliorer sa position de négociation, tandis que la Russie pourrait l’avoir utilisée comme prétexte à l’intransigeance ou pour proférer des menaces. Le manque de progrès dans les pourparlers [18] était probablement dû à des désaccords plus fondamentaux, mais l’opération a ajouté une couche de tension supplémentaire. Chaque frappe profonde réussie par l’Ukraine en territoire russe, en particulier contre des actifs stratégiques, normalise progressivement de telles actions et teste les « lignes rouges » russes. Bien que la Russie profère des menaces,[02] sa réponse réelle (au-delà de la rhétorique) façonnera les perceptions de ces lignes rouges. Cela pourrait encourager l’Ukraine à poursuivre ou à étendre de telles opérations, modifiant progressivement les limites acceptées du conflit.
VII. Réactions Internationales et Contexte Géopolitique
A. Déclarations des Acteurs Internationaux Clés
Aux États-Unis, un haut responsable de la défense a noté que l’attaque représentait un niveau de sophistication inédit.[04] Le lieutenant-général à la retraite Mark Hertling a salué la mission, déclarant que l’Ukraine « a certainement de nombreux atouts dans sa manche ».[04] La Maison Blanche n’aurait pas été prévenue à l’avance.[08]
Dans l’Union Européenne, l’ambassadrice à Kiev, Katarína Mathernová, a déclaré que l’Ukraine « a ses propres cartes à jouer dans la guerre ».[16] La Première ministre du Danemark, Mette Frederiksen, a affirmé que l’attaque montrait que Kiev « se défend avec succès » et a le « droit de se défendre, ce qui inclut parfois de repousser l’adversaire ».[16]
Les réactions occidentales, bien que prudentes de la part des canaux gouvernementaux officiels concernant l’approbation directe des frappes sur le sol russe, ont généralement reconnu l’ingéniosité de l’Ukraine et son droit à l’autodéfense. L’absence de notification préalable aux États-Unis, si elle est avérée, souligne l’autonomie opérationnelle ukrainienne.
Ces réactions généralement modérées ou indirectement favorables, malgré l’ampleur et la profondeur de l’opération, pourraient signaler une tolérance occidentale croissante – voire un encouragement discret – à des actions ukrainiennes plus affirmées contre des cibles militaires à l’intérieur de la Russie, tant qu’elles n’impliquent pas directement des armes occidentales à longue portée d’une manière qui franchirait les lignes rouges déclarées.
B. Question de la Notification Préalable aux Alliés
Les sources divergent sur le fait que l’Ukraine ait informé ou non l’administration américaine à l’avance.[10] Plusieurs rapports indiquent que la Maison Blanche n’a pas été prévenue.[08] Des responsables ukrainiens ont affirmé que l’opération avait été menée « indépendamment ».[08]
C’est un point sensible. L’affirmation par l’Ukraine de son indépendance opérationnelle est compréhensible. Les États-Unis et d’autres alliés pourraient préférer une notification préalable pour la déconfliction ou pour gérer les risques d’escalade, mais peuvent aussi accepter tacitement l’autonomie ukrainienne pour de telles actions si elles s’alignent sur des objectifs stratégiques plus larges d’affaiblissement de l’effort de guerre russe. L’affirmation de l’Ukraine d’avoir mené l’opération « indépendamment » sans notifier ses alliés,[08] et la confirmation par les États-Unis de l’absence d’avertissement préalable,[15] servent à protéger les alliés des accusations russes directes de complicité et renforcent l’agence de l’Ukraine. Cela rappelle aussi subtilement aux alliés la capacité de l’Ukraine à agir unilatéralement si nécessaire.
VIII. Évolution de la Guerre Asymétrique et Considérations Futures
A. Leçons pour la Doctrine de la Guerre par Drones et les Opérations Spéciales
L’opération a été décrite comme une « nouvelle ère dans la guerre par drones »,[01] un « knockdown » pour l’ennemi, et ce à quoi « ressembleront les guerres du futur ».[19] Elle souligne l’utilité persistante des forces spéciales combinées aux nouvelles technologies [03] et démontre comment de petites forces de raid peuvent obtenir des résultats disproportionnés (« supériorité relative »).[03] L’utilisation de drones dotés d’IA et la mise en place clandestine ont été des éléments clés.[14]
Cette opération fournit une étude de cas convaincante de la fusion des principes des opérations spéciales (infiltration, surprise, ciblage précis des vulnérabilités) avec la technologie moderne des drones (FPV à faible coût, IA, potentiel d’essaim). Elle souligne le passage à des formes d’attaque plus distribuées, moins attribuables et très adaptables.
L’opération « Toile d’Araignée » démontre que la capacité de mener un sabotage de niveau stratégique contre les actifs militaires d’une grande puissance n’est plus l’apanage exclusif de concurrents pairs dotés d’une puissance de frappe aérienne ou de missiles avancée. Elle peut être atteinte grâce à des utilisations innovantes de technologies relativement accessibles et à des opérations clandestines bien exécutées, abaissant potentiellement le seuil d’entrée pour la perturbation stratégique.
B. Implications pour les Stratégies de Défense des Bases Aériennes à l’Échelle Mondiale
L’opération contraint la Russie à renforcer la sécurité autour de ses bases aériennes [03] et souligne la nécessité de repenser la défense des bases aériennes à l’ère des drones, compte tenu de leur taille, de leur caractère fixe et de leur dépendance au spectre électromagnétique.[03] Un besoin de défense en profondeur, d’abris durcis, de leurres, de brouilleurs mobiles et de systèmes C-UAS (Counter-Unmanned Aircraft Systems) se fait sentir,#[03] car « chaque ligne de vol sur la planète [est] une zone de destruction potentielle ».[03]

Le succès des essaims de drones lancés de l’intérieur contre des bases aériennes stratégiques est un signal d’alarme pour les armées du monde entier. Les défenses périmétriques traditionnelles axées sur les menaces externes, à haute altitude ou à longue portée sont insuffisantes. Un nouveau paradigme pour la sécurité des bases aériennes est nécessaire, mettant l’accent sur la lutte contre l’infiltration, la défense rapprochée contre les drones et le durcissement des actifs. Le succès de l’aspect infiltration de « Toile d’Araignée » souligne que la future défense des bases aériennes (et des infrastructures critiques) ne peut pas reposer uniquement sur des mesures anti-drones technologiques. Elle doit intégrer un contre-espionnage robuste pour empêcher le pré-positionnement des menaces et une sécurité axée sur l’humain pour détecter les menaces internes ou les activités ennemies clandestines à proximité des sites sensibles.
C. Potentiel d’Escalade et Impact sur la Pensée en Matière de Dissuasion Nucléaire
Les blogueurs militaires et les médias russes ont appelé à des réponses nucléaires, invoquant des frappes sur le potentiel nucléaire stratégique.[02] L’opération frappe la doctrine russe de Dissuasion Mutuelle Assurée (MAD).[11] La mission comporte un risque d’escalade significatif ; il est nécessaire de mener des jeux de guerre sur l’« échelle d’escalade » et de comprendre comment des attaques non conventionnelles contre des installations nucléaires pourraient modifier le conflit.[03] On observe une évolution des normes contre le ciblage d’actifs à capacité nucléaire.[03]
Bien qu’une escalade nucléaire directe reste peu probable sur la base de ce seul événement,[02] le ciblage de bombardiers à double capacité et potentiellement d’actifs navals liés à la triade nucléaire [11] touche délibérément aux doctrines nucléaires déclarées de la Russie. Cela soulève des préoccupations quant à une escalade involontaire si de telles attaques deviennent plus fréquentes ou touchent des sites de commandement/contrôle ou de stockage nucléaires encore plus sensibles. L’opération « Toile d’Araignée » illustre la fusion du savoir-faire traditionnel des opérations spéciales (infiltration clandestine, soutien logistique clandestin, surprise) avec la technologie de pointe des drones. Les conflits futurs verront probablement une intégration plus poussée, créant des menaces hybrides difficiles à catégoriser et à contrer avec les doctrines conventionnelles.
IX. Conclusion
L’opération « Toile d’Araignée » du 1er juin 2025 constitue une démonstration magistrale de l’adaptation et de l’innovation ukrainiennes face à un adversaire conventionnellement supérieur.

En exploitant des tactiques asymétriques, notamment l’infiltration clandestine et l’utilisation coordonnée de drones FPV lancés depuis le territoire russe, le SBU a réussi à infliger des pertes matérielles et psychologiques significatives à la Russie, touchant son aviation stratégique au cœur de son dispositif.
Sur le plan militaire immédiat, l’opération a temporairement entravé les capacités rus-ses de projection de force à longue portée et a mis en évidence des vulnérabilités critiques dans la défense de ses bases aériennes les plus reculées. La perte d’aéro-nefs coûteux et difficiles à remplacer, tels que les bombardiers stratégiques et les avions AEW&C A-50, aura des répercussions durables sur l’ordre de bataille russe.
Le général Vasyl Maljuk, chef du SBU — Photo © Ssu.gov.uav
Stratégiquement, « Toile d’Araignée » a eu un effet multiple.
Elle a renforcé le moral ukrainien à un moment crucial.
En semant le doute et en provoquant des récriminations au sein de l’appareil sécuri-taire et de l’opinion publique russe.
Elle a également servi de levier potentiel dans le contexte des négociations de paix, bien que son impact direct sur celles-ci reste sujet à débat.
La poste marche… Combat proven : la preuve par X

Plus largement, cette opération a envoyé un message clair quant à la détermination de l’Ukraine et à sa capacité à porter le conflit sur le territoire russe de manière inattendue et dommageable.
Elle a renforcé le moral ukrainien à un moment crucial, tout en semant le doute et en provoquant des récriminations au sein de l’appareil sécuritaire et de l’opinion publique russe. Elle a également servi de levier potentiel dans le contexte des négociations de paix, bien que son impact direct sur celles-ci reste sujet à débat. Plus largement, cette opération a envoyé un message clair quant à la détermination de l’Ukraine et à sa capacité à porter le conflit sur le territoire russe de manière inattendue et dommageable.
Les réactions internationales, bien que mesurées, ont implicitement reconnu le droit de l’Ukraine à se défendre et l’ingéniosité de ses forces. L’absence de notification préalable aux alliés, si confirmée, souligne une volonté d’autonomie opérationnelle ukrainienne.
Enfin, « Toile d’Araignée » s’inscrit comme un jalon dans l’évolution de la guerre moderne. Elle illustre la puissance croissante des systèmes sans pilote, même peu coûteux, lorsqu’ils sont employés avec une planification et une exécution relevant des opérations spéciales. Elle contraint toutes les puissances militaires à reconsidérer fondamenta-lement leurs doctrines de défense d’infrastructures critiques face à des menaces internes et technologiquement agiles. Si les risques d’escalade, notamment par le ciblage d’actifs liés à la dissuasion nucléaire, ne peuvent être ignorés, l’opération démontre avant tout que l’asymétrie et l’innovation technologique peuvent profondément remodeler les équilibres de puissance dans les conflits contemporains.
La capacité de reproduire de telles opérations, et la réponse défensive qu’elles exigent, façonneront indubitablement les stratégies militaires et les doctrines de sécurité pour les années à venir.
European-Security
X. Commentaire : L’Ukraine désormais dans la cour des grands
Au-delà de la stupéfaction, l’état de sidération de la Russie montre que celle-ci a été sonnée par ce coup magistral porté par le service action ukrainien., On n’a pas fini de mesurer l’onde de choc de cette « Opération Toile d’araignée ».
L’attaque a été menée un dimanche (le 1er juin), la veille d’une négociation en Turquie censée ne rien apporter, sinon l’échange des corps de milliers de combattant des deux côtés et la promesse de se retrouver un jour prochain derrière une tapis vert.
La livraison d’image, avec un léger différé pour des raisons évidentes, a complété cet effet de sidération, de quoi remettre les idées en place. Une excellente occasion, sinon la meilleure, pour nous rendre compte que nous ne sommes pas préparés à la guerre qui pourrait avoir lieu dans deux ou trois ans. Et qu’il est temps d’ouvrir les yeux sur la nature et les objectifs du régime de Vladimir Poutine.
Vu qu’il faut au-moins dix ans pour bien se préparer, comprenons qu’il il est temps de trouver un chef d’orchestre qui sera capable en deux-trois ans de faire le nécessaire.
Dans les Échos, Olivier Buquen rapporte le coup de génie de Churchill: « En mai 1940, alors que la France est envahie et que l’armée britannique est en déroute, Winston Churchill fait un pari audacieux : il nomme un industriel et magnat de la presse, son ami Lord Beaverbrook, à la tête d’un nouveau ministère de la Production aéronautique. La mission est simple : produire des avions, vite, en masse et à tout prix. Le résultat est spectaculaire : dès août 1940 (!), l’Angleterre peut aligner plus d’avions qu’elle n’en perd au combat. La bataille d’Angleterre est gagnée, non seulement dans les airs, mais aussi dans les usines.»[23]
Un premier bilan
Il est beaucoup trop tôt pour tirer les conséquences, toutes les conséquences, de cette action exemplaire à plus d’un titre. Mais déjà, en quatre jours, on peut faire un premier bilan impressionnant avant de dresser un nouvel inventaire des forces russes dans deux mois qui tienne mieux compte de la réalité.
Coup de chapeau aux Ukrainiens qui, sans marine, ont coulé le navire amiral russe dans la mer noire, le Moskwa, qui, sans aviation, viennent de priver la Russie de près de 40% de ses moyens aériens stratégiques.
Au passage, on notera comme l’a fait le général Michel Yakovlev, sur LCI, que les attaques ont été orientées de manière à « interdire toute cannibalisation » pour compléter les besoins en pièces détachées récupérables. De quoi prouver que le recrutement dans les services ukrainiens ne se fait pas sur Internet !
Cerise sur le gâteau, comme les Britanniques, les stratèges Ukrainiens ont su faire preuve d’humour, dimanche, en épargnant les leurres mélangés aux bombardiers en état de vol pour ne pas frapper des pièces de musée, ces avions factices ou sans moteur que les Russes déplacent sur leurs bases stratégiques la nuit pour donner l’impression lors des contrôles quotidiens par satellite que leurs moyens sont plus importants que ce qu’ils sont dans la réalité…
Dans six mois, on devrait pouvoir mesurer les changements qui auront été opérés après cette action exemplaire, action qui prouve une fois de plus que lorsque le savoir-faire et le courage politique s’allient, tout espoir, même le plus fou est permis.
Impossible n’est pas ukrainien
On peut néanmoins, sans se tromper, comme l’a très bien fait ce jour Jean-Dominique Merchet dans L’Opinion :
« Sous nos yeux, l’Ukraine change la façon de faire la guerre. Les coups portés dimanche contre l’aviation stratégique russe, puis mardi contre le pont de Crimée resteront dans les annales militaires. Non seulement l’Ukraine prouve sa maîtrise technologique dans les drones aériens et navals, mais elle démontre sa capacité à monter des opérations spéciales. Elle joue désormais dans la cour des plus grands, celles des Britanniques de la Seconde Guerre mondiale ou des Israéliens, capables de faire exploser les bipeurs des cadres du Hezbollah.
Si on ignore le nombre exact d’appareils russes détruits ou endommagés et les dégâts occasionnés au pont, l’effet psychologique – et donc politique – de ces attaques est sans commune mesure avec leurs conséquences matérielles.[24] Dans son éditorial, Jean-Dominique Merchet conclut : « Reste la leçon que nous, Occidentaux, devons en tirer. Avant cette guerre, nos états-majors n’avaient pris en compte ni l’importance de la masse, ni la révolution militaire des petits drones d’observation et d’attaque. De même, n’avaient-ils pas imaginé des camions civils servant de bases d’attaques contre des sites stratégiques ou que la marine russe puisse être mise à mal par une Ukraine dépourvue de bateaux. Malgré la hausse des budgets, nous en sommes toujours à ce que de Gaulle appelait « l’armée de nos habitudes ». La guerre d’Ukraine aurait dû sonner l’heure des révisions radicales. Nous en sommes malheureusement bien loin.»
Keep your secrets secret
L’Ukraine a frappé cette fois-ci dans cinq régions où elle n’avait jamais frappé, jusqu’à six mille kilomètres de ses frontières avec la fédération de Russie. Elle a su garder le secret absolu pendant seize mois. Là encore on retrouve une filiation avec les modèles britannique et israélien. La communication stratégique fait partie de la guerre, tout comme le secret. Les politiques qui font des petites phrases à longueur de journée pour ne rien dire, les chefs d’État qui parlent de tout souvent pour ne rien dire, sans parler des tweets qui ressemblent à ces flatulences joyeuses que les ânes corses libèrent par intermittence entre deux corvées… Peut-on imaginer le général de Gaulle tweeter ? Quand il parlait au pays, c’est qu’il avait quelque chose à dire. Autres temps, autres mœurs, assurément !
Remerciements
Enfin, qu’il me soit permis ici de remercier en particulier Françoise Thom pour son regard d’historienne et pour sa vigilance dans la durée sur ce monde russe que nous nous obstinons à ignorer de voir tel qu’il est. « Maudit soit le Whisful thinking à la française » aurait dit Michel Anfrol ! Merci à Quentin Dickinson pour sa connaissance du monde politique et de notre histoire européenne contemporaine. Merci à Eric H. Biass pour sa maitrise du secteur de l’armement et des questions stratégiques, et last but not least, merci à l’amiral Christian Girard (2s) pour son regard et pour ses analyses stratégiques sur la guerre en Ukraine.
Joël-François Dumont
Voir également:
- « Operation Pavutina: Strategische Analyse » — (2025-0603) —
- « Operation Spider Web: Strategic Analysis » — (2025-0603) —
- « Opération Toile d’Araignée : Analyse Stratégique » — (2025-0603) —
Notes :
- [01] « Ukraine’s Operation Spider’s Web: Russia Suffers ‘Trojan Horse’ Moment in Massive Attack », June 2, 2025,
- [02] « Russian Offensive Campaign Assessment », June 1, 2025 | Institute …, June 2, 2025,
- [03] « Russian Offensive Campaign Assessment », June 1, 2025 | Institute …, June 2, 2025,
- [04] « Why Ukraine’s Surprise Attack Is Being Called ‘Russia’s Pearl Harbor’ » — Yahoo, June 2, 2025,
- [05] « Opération Toile d’araignée » : Kiev humilie Moscou – C dans l’air – 02.06.2025 – YouTube, June 2, 2025,
- [06] « What to know about Ukraine’s attack targeting Russian warplanes » …, June 2, 2025,
- [07] « Ukraine’s June 1 operation set to weaken Russia’s attacks,» June 2, 2025,
- [08] « Op Spider Web: Ukraine’s Boldest Drone Strike: A Deep Dive into » …, June 2, 2025,
- [09] « Ukraine’s Spider’s Web operation may have been far bigger – Espreso. Global », June 2, 2025,
- [10] « Opération Toile d’araignée » — Wikipédia, June 2, 2025,
- [11] « How Ukraine’s Drone Strike Shattered Russia’s Nuclear Arsenal » on June 1, 2025 – Jason Jay Smart (Substack) – Diplomatizzando, June 2, 2025,
- [12] « ‘Kremlin Was Brought to Its Knees’: Russians React to Ukraine’s » …, June 2, 2025,
- [13] « ‘Closer to victory’ – Operation Spiderweb gives much-needed » …, June 2, 2025,
- [14] « Operation Spider’s Web: How Ukraine targeted Russian airfield over 4000 km away with armed » -bombers/articleshow/121563683.cms
- [15] Ukraine and Russia working on new prisoner exchange, Zelensky says after Istanbul peace talks » – BBC News, June 2, 2025,
- [16] « Moscow threatens to call off talks in Istanbul in response to »…, June 2, 2025,
- [17] « Zelenskyy speaks at summit in Vilnius about results of Operation Spider’s Web carried out by Ukraine’s Security Service » – Yahoo, June 2, 2025,
- [18] « Ukraine and Russia agree to swap dead and wounded troops but report no progress toward ending war » – AP News, June 2, 2025,
- [19] « National Security News and Commentary », June 2, 2025,
- [20] « Ukraine, Russia conclude talks in Istanbul, a 1,200-for-1,200 prisoner exchange is in the works, Zelensky says » – The Kyiv Independent, June 2, 2025,
- [21] « Danish PM says Ukraine seems successful in defending itself » – Yahoo, June 2, 2025,
- [22] Le projet Sky Victory : Les Ukrainiens ont une fois de plus été des précurseurs en mettant au point un drone kamikaze FPV révolutionnaire, le « GROMILO », pratiquement invisible aux systèmes de guerre électronique (EW). Cette innovation révolutionne la manière dont les frappes de précision sont menées, tout en réduisant considérablement les risques pour les opérateurs. Pour éviter les interceptions, le système de communication choisi est la fibre optique. L’utilisation de cette nouvelle génération de drones est incontestablement une avancée opérationnelle. 10.000 drones seraient construits chaque mois… Pour des raisons évidentes, la manipulation de ces systèmes est beaucoup plus délicate. La formation des pilotes est aussi plus complexe pour maîtriser cette technologie. La planification des cartes et des itinéraires a du être adaptée, le choix des trajectoires de vol affiné pour garantir une communication ininterrompue. On imagine le respect des procédures pour éviter les enchevêtrements avec des bobines des bobines de 2 kg qui couvrent une étendue de 20 km ! Source : UAWire « Ukraine’s revolutionary ‘GROMILO’ drones: harnessing fiber-optic technology to transform warfare, January 22, 2025 ».
- [23] « Quand l’Ukraine nous donne des leçons militaires » in L’Opinion du 5 juin 2025.
- [24] « Réarmement : « Reprenons la méthode Churchill et Beaverbrook de 1940 ! » : La guerre n’est plus une simple hypothèse. La France doit passer de la théorie à la pratique, de l’illusion de la paix à l’économie de guerre, en imitant le sursaut économique provoqué par Winston Churchill et Lord Beaverbrook en 1940.» in Les Échos du 21 mai 2025.