Pendant de longues années, l’Europe avait pris l’habitude d’écrire sa propre histoire. Il aura fallu la chute du mur de Berlin et l’effondrement du rideau de fer pour que l’Europe centrale et orientale puisse enfin mêler sa voix à ce concert démocratique. Manifestement, cette Europe dérange, elle gêne les projets de Poutine et de Trump. Différents sur le fond et la forme, ils s’accordent pour se rejoindre. Après la Russie, les USA de Donald Trump avancent leurs pions. Si l’opération Trump a échoué à mettre l’AfD au pouvoir en Allemagne, elle a quand même réussi à influer sur l’importance du vote en faveur de la CDU, faisant baisser son score, empêchant une majorité claire et la condamnant à subir les exigences du SPD. En Roumanie et au Portugal, l’opération a échoué de justesse, mais, en Pologne, dimanche dernier, elle a réussi alors que les choses étaient loin d’être gagnées. Quand on voit en embuscade les partis de Marine Le Pen et de Nigel Farage, pour ne citer que deux, on comprend qu’il est temps de trouver une réponse adaptée à ces interférences. Après le SVR, voilà le Département d’État qui y va de sa note : « Loin de renforcer ses principes démocratiques. l’Europe s’est transformée en un foyer de censure numérique, d’immigration de masse, de restrictions de la liberté religieuse et de nombreuses autres atteintes à l’autonomie démocratique.»[1] De qui se moque t’on ?
Françoise Thom, dans une analyse très pertinente,[2] s’interroge sur un « pacte Poutine-Trump », rappelant la position de Moscou concernant l’Europe qui a le mérite de la clarté. Citant Sergueï Karaganov qui décrit les objectifs russes.[3] Après les propos du vice-président J.D. Vance à Munich qui avaient scandalisé les Européens, considérés comme une ingérence inadmissible, voire hostile, succédant à la première déclaration à l’OTAN de Pete Hegseth, le secrétaire à la Défense à l’OTAN, voilà que le gouvernement américain s’est, de nouveau, directement immiscé dans des élections en Europe, cette fois Pologne. Il serait peut-être temps de siffler la récré ! (NDLR)
Source : euradio — Bruxelles, le 3 juin 2025 —
Retrouvez chaque semaine la semainière de Quentin Dickinson sur euradio. L’occasion de découvrir la diplomatie et l’actualité européenne sous un nouvel angle.
Laurence Aubron : Alors, Quentin Dickinson, qu’avez-vous retenu de ces derniers jours ?…
Quentin Dickinson : D’abord, la bonne fortune qui s’était manifestée lors de la récente présidentielle en Roumanie ne s’est pas reproduite en Pologne, où le candidat de la droite national-populiste l’a emporté sur celui du centre-droit modéré, proche du Premier ministre pro-européen, Donald Tusk.

Le très faible écart entre les deux candidats confirme la polarisation de l’électorat polonais autour de deux pôles antagonistes et de poids égal ; de même, en dépit des pouvoirs limités, mais réels, du chef de l’État, les saines et indispensables réformes voulues par le gouvernement seront systématiquement freinées par l’opposition, de façon à accroître le niveau d’insatisfaction de la population.
Et, en Europe, cette situation n’est pas limitée à la seule Pologne, qui, d’autre part, risque désormais de perdre son image de poids-lourd d’Europe centrale.
Laurence Aubron : En ce moment, Quentin Dickinson, on vous sent ému et mobilisé par le sort des milliers d’étudiants et de chercheurs européens, menacés d’expulsion du territoire américain par Donald Trump…
Quentin Dickinson : Bien entendu, il serait prématuré de prétendre connaître l’issue du bras-de-fer entre Donald Trump et, parmi bien d’autres, la prestigieuse Université Harvard…

litige qui se poursuit actuellement devant les tribunaux et qui devrait, à terme, aboutir à la Cour suprême des États-Unis.
Toutefois, il n’est pas exclu que M. Trump soit exaucé dans sa volonté de révoquer le permis de séjour des étudiants étrangers ; et, si tel devait être le cas, comme dans toute décision irréfléchie, apparaissent nombre de conséquences imprévues et gênantes.
Et en voici une : une jeune étudiante européenne serait promptement expulsée du territoire étatsunien.
Donald Trump en guerre contre le système qui l’a rejeté, une sorte d’humiliation — Photo © E-S/AI
Il s’agit d’Élisabeth de Saxe-Cobourg-et-Gotha, Duchesse de Brabant et Princesse héritière de Belgique. Reconduire à la frontière dans un fourgon des services de police la future Reine des Belges, voilà une éventualité que M. Trump aurait du mal à banaliser.

Âgée de vingt-trois ans, ladite Princesse est déjà titulaire d’une maîtrise d’Histoire et de Sciences politiques, obtenue à l’Université d’Oxford ; elle vient de terminer sa première année d’études de Politiques publiques à Harvard. Accessoirement, elle a passé trois ans à l’École royale militaire à Bruxelles, dont elle est sortie, brevetée sous-lieutenant de la Force terrestre belge.
Il est exclu que le Palais de Bruxelles quémande de M. Trump – ni n’accepte – une dérogation pour la Princesse Élisabeth, afin qu’elle puisse terminer sa seconde année à Harvard, alors que ses autres camarades non-américains ne le pourraient pas – l’équipe Trump ne le comprendrait sans doute pas, mais cela ne fait aucunement partie des usages royaux.
Photo Ian Jones (Wikipedia)
Mais, répétons-le : ceci n’est pour l’heure que pure hypothèse.
Laurence Aubron : Et, pour terminer, vous voulez nous donner des nouvelles d’un chantre du Brexit, ce roi de la polémique populiste un peu oublié chez nous, mais qui fait toujours la une des journaux et n’est absent d’aucun plateau de télévision en Angleterre…

Et où l’on reparle en effet de Nigel Farage, qui, bien avant Donald Trump, maîtrisait déjà l’art de faire parler de lui à tout moment, et souvent pour des raisons farfelues n’ayant que peu de rapport avec le débat politique.
Dernière initiative en date : sur ses fonds personnels considérables, M. Farage s’est porté acquéreur d’un bateau de pêche. Et chacun, Outre-Manche, tente de savoir ce qu’il compte en faire. Les avis divergent : pour les uns, il ira provoquer les gardes-pêche dans les eaux françaises, ou alors gêner les manœuvres de chalutiers des pays de l’UE qui pêchent dans les eaux britanniques. Autre hypothèse : il arraisonnerait les embarcations de migrants clandestins, navigant dans le Pas-de-Calais, et les contraindrait à rebrousser chemin vers la France.
Faites votre choix.
Et le reste n’est que politique.
Quentin Dickinson
[1] Ce constat cinglant est tiré d’une note publiée sur le site du département d’État le 27 mai par le « Bureau de la démocratie, des droits de l’homme er du travail ». L’élite européenne censure, persécute et triche, selon les Etats-Unis. Trois mots qui inquiètent la Maison-Blanche qui ne reconnait plus ses alliés, trop globalistes et trop libéraux comme l’écrit L’Opinion. On se souvient du tollé après discours à Munich en février du vice-président américain J.D. Vance dénonçant « l’éloignement de l’Europe de certaines des valeurs les plus fondamentales, des valeurs partagées avec les États-Unis d’Amérique.» Sans parler des arguments d’un déclin démocratique en Europe, des chrétiens arrêtés au Royaume-Uni, de la disqualification d’un candidat d’extrême-droite en Roumanie, ou de l’ostracisation de I’AfD en Allemagne, ou encore des règles européennes de modération de contenus en ligne….
[2] « Vers un pacte Poutine-Trump ? » — (2025-0429) — Qui eut crû que la doxa du Kremlin était capable d’être « souple »? Comme quoi tout peut arriver ! Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’URSS considérait les États-Unis comme leur plus grand adversaire idéologique. Les USA étaient « l’adversaire principal ». La direction poutinienne considérait même que la guerre en Ukraine était en réalité celle entre les États-Unis et la Russie et que les Européens n’étaient que des vassaux des USA. Avec Trump, la donne a changé. C’est l’Europe qui est désormais accusée d’être « fasciste », face à l’alliance des forces de la « paix » : la Russie et les États-Unis. Françoise Thom livre une analyse scrupuleuse de cette nouvelle doctrine russe, à partir d’un document récemment publié le 16 avril dernier par le Service du renseignement extérieur russe, le SVR. Un document qui marque un tournant dans la doctrine russe.
[3] Voir : Briser l’échine de l’Europe : quelle devrait être la politique de la Russie envers l’Occident ? : « Après la trêve, il faudra progresser vers une solution commune aux problèmes de l’humanité, avec nos amis de la majorité mondiale . Et même avec les Américains, s’ils retrouvent la raison. Parallèlement, il est urgent d’éloigner temporairement l’Europe de la résolution des problèmes mondiaux » … « Elle redevient la principale menace pour elle-même et pour le monde. La paix sur le sous-continent ne pourra être instaurée que lorsque l’Europe sera à nouveau brisée, comme ce fut le cas après nos victoires sur Napoléon et Hitler, et qu’un changement de génération des élites actuelles aura lieu.»
[4] Karol Nawrocki, 42 ans, candidat indépendant à cette élection présidentielle polonaise de 2025, a remporté la victoire à l’issue d’un second tour marqué par une participation historique pour une élection présidentielle polonaise (71,6 % des inscrits). Soutenu par le parti national-conservateur « Droit et justice » (PiS), Nawrocki a été élu le 1er juin, président de la République de Pologne, succédant à Andrzej Duda élu en 2020 et « souvent perçu comme le candidat des élites ». Nawrocki a réaffirmé son alignement avec la ligne du président Duda, critique de la « politique anti-américaine de l’Union européenne ».
Les débuts de campagne de Nawrocki ont été pour le moins « difficiles ». Incontestablement, Nawrocki souffre « d’un manque d’expérience politique et fait l’objet de scandales, notamment en raison de relations avec des supporteurs de football ultras, de membres de groupes criminels et d’un militant néonazi. Les sondages le donnent un temps distancé de vingt points par Rafał Trzaskowski, voire même en passe d’être éliminé dès le premier tour par le candidat d’extrême droite Sławomir Mentzen.» Nawrocki s’affichera également aux côtés du candidat d’extrême droite à la présidentielle en Roumanie, George Simion.
Lors du premier tour, Karol Nawrocki réalise un score plus élevé qu’attendu, avec 29,5 % des voix, moins de deux points derrière Trzaskowski. Dans l’entre-deux-tours, comme son adversaire, il participe à un entretien avec l’ultra-nationaliste Sławomir Mentzen (14,8 %), lors duquel il s’engage à s’opposer à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et à ne pas impliquer l’armée polonaise dans la guerre russo-ukrainienne.
Connu pour être un fervent soutien de Donald Trump, deux semaines avant le premier tour, Nawrocki a été reçu à la Maison-Blanche par Donald Trump qui lui aurait dit : « Vous allez gagner ». A l’approche du second tour, la ministre américaine de la Sécurité intérieure, Kristi Noem, assistant à un meeting électoral en Pologne, avait apporté « officiellement » son soutien au candidat conservateur disant : « Il faut qu’il soit le prochain président ».
Alors qu’au soir du premier tour, les sondages sortis des urnes donnent Rafał Trzaskowski gagnant d’une courte tête, finalement Karol Nawrocki l’emportera avec 50,9% des suffrages exprimés.
Pour mémoire, le challenger de Nawrocki, Rafał Trzaskowski, 53 ans, est membre de la Plate-forme civique (libéral). Maire de Varsovie, député, ancien ministre dans le deuxième gouvernement Tusk jusqu’en 2014, il a été activement soutenu par le gouvernement Tusk « dans un contexte de blocage institutionnel avec le président Duda, qui a souvent usé de son droit de veto.» Sources : Journaux européens et Wikipedia.