L’idéal voudrait que Liberté et Vérité ne se déclinent qu’au singulier. En temps de guerre ou lorsque l’intérêt supérieur d’une Nation est en jeu, l’information devient une arme. Il est donc naturel qu’une armée dissimule à l’ennemi ses intentions et qu’elle réserve les informations sensibles à ceux qui ont seulement « besoin d’en connaître ».
Cette chronique © a été publiée dans la revue Défense. [1] Nous la reproduisons ici avec l'autorisation de son auteur, Joël-François Dumont (*). Paris, le 16 septembre 2008.
« Il n’y a de réussite qu’à partir de la vérité ». Charles de Gaulle [2]
L’idéal voudrait que Liberté et Vérité ne se déclinent qu’au singulier. En temps de guerre ou lorsque l’intérêt supérieur d’une Nation est en jeu, l’information devient une arme. Il est donc naturel qu’une armée dissimule à l’ennemi ses intentions et qu’elle réserve les informations sensibles à ceux qui ont seulement « besoin d’en connaître ». [3] Dés lors qu’un pays expose la vie de ses soldats, ce « besoin de discrétion » s’impose à tous, avec des moyens de communication d’une efficacité redoutable (Internet, portables, SMS). Le diable se nichant souvent dans les détails, certaines « vérités » sont-elles toutes bonnes à dire et qui peut prétendre qu’elles servent « la vérité » pour autant ? De dérive en dérive, le spectacle prévaut de nos jours sur le débat et l’image sur l’idée.
Condamnons d’emblée tout usage injustifié du silence ou d’un mensonge pour camoufler une erreur humaine, une faute de commandement ou encore une décision catastrophique du politique (Bouaké). La phrase « responsable mais pas coupable », même si elle a été utilisée dans un tout autre contexte, n’a que trop servi.
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Un exemple historique
« En temps de guerre » avait coutume de dire Churchill, « la vérité, est si précieuse qu’elle doit toujours être accompagnée par un corset de mensonges ». L’Opération Jaël, [4] rebaptisée "Bodyguard" fut sans aucun doute le secret le mieux gardé de la Deuxième Guerre Mondiale et ne fut révélé en grande partie qu’en décembre 1972. La réussite du débarquement de Normandie fut au prix d’une duperie sans précédent qui dura quatre ans, au service d’une stratégie qui a été l’œuvre de Winston Churchill, avec l’aide des services britanniques et américain (MI5/MI6 et OSS). Dix personnes étaient dans le secret. Lorsque l’heure du débarquement a sonné, l’archevêque de Canterbury, mis au courant, n’a même pas eu l’autorisation de célébrer une prière pour tous ceux qui allaient se lancer dans une aventure dont le résultat devait décider du sort du monde libre. Pendant ces quatre ans, tous les moyens ont été mis en œuvre : offensives diplomatiques, économiques, même avec les pays neutres, actions psychologiques, subversives ; opérations militaires.[5] La coordination des plans opérationnels et des plans d’intoxication a été exécutée simultanément et de main de maître par des hommes qui sont presque tous restés dans la grandeur de l’anonymat. Qui connaît aujourd’hui le rôle éminent joué par les colonels Bevan ou Stanley ?
Chez les Britanniques, la défense des intérêts du Royaume et la morale sont deux choses bien distinctes qui peuvent parfois se croiser, mais l’une ne conditionne pas nécessairement l’autre. Honni soit bien sûr qui mal y pense. Déjà en 1809, dans le manuel du soldat, Sir Garnet Walseley écrivait: « on nous apprend à considérer comme un déshonneur de réussir par le mensonge… Et bien nous continuerons inlassablement à répéter que l’honnêteté est la meilleure des politiques, que la vérité finit toujours par gagner. Ces jolis petits sentiments sont parfaits pour les enfants, mais un homme qui en fait sa ligne de conduite, ferait mieux de remettre son épée au fourreau pour toujours ». « Les Britanniques sont Intelligence-minded. Leur culture du renseignement est ancienne. Elle touche toute l’élite politico-militaire qui a toujours parfaitement su intégrer les techniques de renseignement, de ‘tromperie stratégique’ (Strategic Deception) et de protection de l’information dans sa stratégie. » [6] La communication opérationnelle pose un problème aux Français. En Afghanistan, ils sont presque les seuls à ne pas avoir de psyops. [7] Leurs « capacités d’information » sont « atrophiées. Si le niveau stratégique est désormais pris en compte et consulté sur les questions de perception médiatique des crises, notre capacité d’intervention au niveau du système global d’information est faible à la fois par tradition et par choix du mode opératoire. Au niveau stratégique, le mode opératoire choisi est souvent le mode passif, ce qui place la France en situation de relatif désavantage auprès de ses alliés qui eux passent en mode actif. Les efforts pour attirer l’attention des médias au niveau opératif-tactique ne peuvent pas combler le déficit créé par le niveau stratégique. » [8]
« Foch avait raison, et les Américains l’ont bien compris : ‘rien n’est plus difficile à manœuvrer qu’une coalition’. Alors si nous y entrons, veillons à ce que nos valeurs, comme nos intérêts, y soient premiers dans ses décisions. » [9] A l’OTAN, la chose la plus mal partagée entre les militaires des 26 nations est le renseignement. Mieux vaut compter sur sa propre chaîne en la matière, sur les pros et les Alliés avec qui on a des atomes crochus pour qui le terme de réciprocité a un sens. « Sur 26 contingents, près de la moitié font de la figuration à côté de la jeune Armée Nationale afghane. Certains sont tellement mal équipés qu’ils font pitié à voir. Un exemple : les Roumains ne sont plus assurés dés lors qu’ils quittent leur campement, alors, ils ne le quittent plus, même pour aller à Kaboul. » Comme le dit un diplomate qui connaît bien cette région : « la guerre, ce n’est pas les Jeux Olympiques : on est là pour gagner, pas pour participer. En Afghanistan, il faut penser à Sun Tzu et à Trinquier et pas au baron de Coubertin. »
Joël-François Dumont
(*) Auditeur à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) et rédacteur en chef adjoint de la revue Défense.
[1] Numéro 135 daté de septembre-octobre 2008 de Défense, revue bimestrielle de l'Union des Associations des Auditeurs de l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN).Abonnements: BP 41-00445 Armées.
[2] Charles de Gaulle in Mémoires de guerre (Tome III).
[3] Le 28 août 2008, dix jours après l’embuscade meurtrière tendue contre une section de la 4ème compagnie du 8ème R.P.I.Ma en Afghanistan, le général de corps d’armée Benoît Puga, sous-chef opérations de l’Etat-major des armées est intervenu lors du point de presse hebdomadaire du ministère de la Défense. L'ancien commandant des forces spéciales en Afghanistan, aujourd'hui directeur du renseignement militaire (DRM) aime bien rappeler que la révélation de certains détails qui n'apportent pas grand' chose à des lecteurs français font très souvent le jeu de l'ennemi. La bonne vieille règle de ceux qui ont « besoin d’en connaître » est donc toujours d'actualité… Voir Afghanistan : Retour à la guerre classique ?
[4] Plan d’une très grande complexité comprenant pas moins de 36 subdivisions.
[5] Opérations Cockade et Overthrow (1942), Tindall, Waham et Starkey (1943), Quicksilver, Glimmer, Taxable, Titanic, Gaff (1944) et tant d’autres.
[6] Entretien avec le général François Mermet, ancien DGSE.
[7] Voir l’éditorial de Richard Labévière.
[8] Pascale Combelles-Siegel in « La communication opérationnelle et les opérations multinationales : comparaison des doctrines et pratiques (US, FR et GB) » ; FRS, Paris, décembre 2002.
[9] Cité par l’amiral Guy Labouérie : OTAN, Afghanistan !… Vers où ? Vers quoi ?
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