La guerre culturelle

Sans que nous en soyons peut-être pleinement conscients, nos générations, tous âges confondus, comptent sans doute parmi les plus privilégiées de l’histoire de l’humanité. Car si la qualité de l’existence dépend de l’importance des événements dont elle est faite, nous avons vécu et nous vivons des événements exceptionnels.

par le général Paul Arnaud de Foiard (C.R) — Lavay, le 3 juin 1986 —[1]

« La liberté qui capitule ou le pouvoir qui se dégrade n’obtient point merci de ses ennemis »  (Chateaubriand)

En un quart de siècle, en effet, notre monde vient de connaître une accélération telle du rythme de l’évolution que nos conditions d’existence en ont été bouleversées. Jusqu’alors les modes de travail, de production, de déplacement, de loisir, les conditions d’organisation de la vie privée et en société, étaient liées à des circonstances sinon immuables, du moins à évolution lente sinon très lente, qui procuraient aux habitudes, à la tradition, à l’expérience des anciens, une valeur d’exemple qui s’imposait tout naturellement.

De nos jours, les progrès considérables accomplis dans le domaine des sciences de la matière, dans la maîtrise des énergies, dans les moyens de les mettre en œuvre, dans les possibilités de communiquer, en donnant à ce mot son sens le plus large, ont rendu caduques la plupart des usages du passé et imposé de très profonds bouleversements dans tous les domaines de notre existence, celui du travail et celui des loisirs, celui de l’économie et celui de la politique, celui de la formation au métier d’homme tout comme celui des valeurs existentielles et de la morale.

Nous sommes ainsi confrontés à un considérable problème d’adaptation qu’il ne faudrait avoir la prétention d’avoir parfaitement résolu. La tornade évolutive que nous venons de connaître et qui n’a pas fini de déferler nous pose des problèmes que nous maîtrisons mal. Il serait vain de le nier. Bien évidemment la défense est aussi concernée par cet état de fait général et l’objet de cette étude sur un genre d’affrontement propre à notre temps, la guerre culturelle, n’a d’autre but que d’assister notre réflexion dans l’agitation qui est le cadre naturel de notre existence.

Au début du siècle les données de la défense étaient limpides, il s’agissait d’assurer la préservation du territoire et les intérêts de la nation contre les entreprises d’un adversaire bien connu qui offrait en outre l’avantage d’être héréditaire.

Elle reposait sur les armes du pays, sur l’armée.

De nos jours, nous n’avons officiellement plus d’adversaire déclaré et tandis que nous nous affirmons attachés à notre indépendance nationale, force est de constater que le carcan des frontières a éclaté et que la survie de notre collectivité s’inscrit dans un ensemble plus vaste que celui de nos limites territoriales.

Guerre froide ou paix chaude ?

En outre, le caractère monstrueux des ravages que peuvent provoquer les armements modernes a fait de la guerre généralisée entre grandes puissances un non-sens politique ; l’emploi des armes s’en est donc trouvé sinon dévalué, du moins limité. En corollaire les menaces qui pèsent sur notre destin n’ont plus pour origine le seul poids des armes. Enfin, les notions de guerre et de paix se mêlent en de savants panachages de guerre froide et de paix chaude. La guerre culturelle trouve sa place dans ce bouleversement.

La guerre culturelle vise le contrôle des esprits

C’est un moyen de domination et de conquête par perversion de l’équilibre culturel de l’adversaire. Certes, de tous temps et plus particulièrement en Orient les affrontements humains l’accompagnèrent d’actions de dégradation du moral de l’adversaire. Mais la guerre culturelle revêt une tout autre ampleur et trouve son efficacité en dehors du choc des armes. Il s’agit d’un moyen de combat des temps modernes, qui agit sur la perception qu’ont les individus et du monde et de la société dans lesquels ils vivent, afin de créer des courants d’opinion et d’orienter les comportements individuels et collectifs vers la déstructuration interne et le rejet de cette société.

Le but de la guerre culturelle est la conquête du pouvoir politique par la prise de contrôle des esprits des citoyens. Mais encore faut-il préciser le moyen de ce genre d’affrontement : la culture.[2]

Certains, la trouvant difficile à définir prétendent qu’elle est un secret, un secret qui n’existe pas. Dans la conception française, la culture est un effort par lequel l’homme développe ses qualités intellectuelles et sensibles. La culture repose certes sur l’acquisition de connaissances, indispensables à la vie de l’esprit. Toutefois, un homme dépourvu de connaissance est réputé inculte, cet acquis ne constitue pas l’essentiel de la culture. Un homme qui ne saurait que réciter le dictionnaire ne serait en rien un homme cultivé. L’essence de la culture réside dans l’interaction des connaissances et des idées acquises, provoquant en l’esprit de chacun la naissance d’idées propres, originelles, qui sont à la base des convictions individuelles.

Le psychologue Carl Gustav Jung disait qu’il ne pouvait y avoir pour l’homme de vérité qui ne soit le produit d’une expérience intérieure originale. La qualité culturelle d’un individu dépend donc de celle de ses idées induites et c’est ainsi que l’on a pu dire que la culture était ce qui restait lorsque l’on avait tout oublié.

Cette compréhension de la culture, source des convictions et donc des motivations de chaque être met en évidence l’importance de son rôle pour ceux qui ambitionnent détenir le pouvoir de conduire le destin de leurs semblables. Certes l’action directe sur l’élaboration des processus mentaux permettant l’élaboration des idées induites, propres à chacun, demeure de portée relativement réduite, bien que ne pouvant être entièrement exclue. Par contre l’action sur l’acquisition des connaissances, l’alimentation primaire de l’esprit, offre maintes possibilités de manipulation qui constituent le moyen d’action privilégié de la guerre culturelle.

Cette forme de lutte vient de prendre une importance majeure en raison de la conjugaison de quatre facteurs.

Il s’agit d’abord de la dévaluation politique de l’utilisation des moyens militaires ; il y a ensuite le développement considérable des moyens de communication, puis, l’importance que revête de nos jours les problèmes de société, importance due à l’ampleur de l’évolution scientifique et technique précédemment évoquée ; il y a enfin la volonté hégémonique d’idéologues installés à la tête d’une des plus grandes nations du monde.

La dévaluation politique de l’utilisation des moyens militaires provient du caractère effroyable de la puissance des moyens modernes de destruction. L’ineptie politique que constituerait un conflit nucléaire relève désormais du truisme. Toutefois, les subtilités des mécanismes de la dissuasion sont tels que des zones d’ombre et de doute demeurent par lesquels tentent de s’infiltrer des arguments de déstabilisation de l’équilibre dissuasif. Ce n’est pas ici l’objet de cette réflexion.

Qu’il suffise de dire de la stratégie nucléaire qu’aussi longtemps que les risques d’immenses destructions que représentent les arsenaux nucléaires demeureront, tout conflit majeur entre grandes puissances constituera un non-sens politique et sera à ce titre exclu. Les boucliers spatiaux de défense anti-missiles ne sont pas, à terme envisageable, en mesure de supprimer cet interdit. Mais constatons surtout que l’interdiction faite à une volonté hégémonique de compter sur l’emploi de la force pour atteindre son but la contraint de rechercher d’autres voies d’actions possibles. Celles de la stratégie d’action indirecte s’imposent et dans le cadre du conflit idéologique qui secoue le monde, la guerre culturelle trouve tout naturellement un rôle d’importance majeure.

L’explosion de puissance des moyens de communication donne à la guerre culturelle la possibilité d’être un moyen d’action privilégié. Tout autant que spatiale ou nucléaire, notre époque est l’ère de la communication, si considérables sont les progrès accomplis en ce domaine et si directes en sont les conséquences sur nos conditions d’existence.

En moins d’un demi-siècle en effet, le changement de nature des moyens de communiquer a entraîné le décloisonnement du monde dans l’espace, le temps et les esprits.

La facilité et la vitesse des déplacements, les capacités d’observation, la promptitude quasi instantanée de diffusion des nouvelles, la puissance d’impact de la communication par l’image, ont fait que le cloisonnement des sociétés qui constituait une des caractéristiques du monde d’hier est en voie de s’estomper. Désormais, l’ensemble des êtres de la planète participe de façon plus ou moins confuse à la prise de conscience de la communauté de leur destin, tandis que le poids du consensus collectif, des opinions publiques, pèse ~e plus en plus lourdement sur les décisions des dirigeants.

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Actuellement la conscience collective, produit d’une conviction générale prévalente, revêt une importance majeure. Elle ne peut plus être ignorée par les dirigeants des nations, même de celles qui négligent les règles de la démocratie libérale. Cette opinion collective tend d’une certaine façon à remplacer le droit divin dont le prince tirait son existence. Elle légitimise l’action des dirigeants et fonde leur pouvoir.

Dès lors l’importance des moyens d’information, qui orientent l’opinion, s’impose à l’évidence et leur manipulation ouvre des possibilités entièrement nouvelles. Les affrontements culturels s’imposent ainsi comme moyens d’action stratégique efficaces.

Portrait du général Arnaud de Foïard quand il commandait le 3e REI — Photo Légion étrangère

Enfin les contraintes idéologiques qui pèsent sur un monde en cours de décloisonnement vont conforter l’importance de ce type d’affrontement. En effet, l’accélération brutale des capacités industrielles, que vient de connaître le monde, a profondément transformé sa physionomie et posé un problème de société dont la solution conditionne l’orientation de notre destin. Disposant de peu de force motrice et de faibles possibilités de transports, la production industrielle stagna jusqu’au XVIIIe siècle. La machine à vapeur permit de démultiplier l’efficacité du travail. Mais il fallut attendre le milieu du XIXe siècle pour assister à la naissance d’une grande industrie avec l’arrivée du moteur à explosion, de l’électricité et de ses possibilités de transports d’énergie. Le XXe siècle fut celui de l’épanouissement de la puissance industrielle avec le développement de la précision, de la fabrication en série, de la production en masse et enfin de l’automatisation.

Ces récents et considérables progrès de l’industrie entraînèrent sur le plan social des conséquences majeures. Ils provoquèrent des concentrations massives de capitaux en sociétés anonymes, le déplacement du centre de gravité des populations vers les villes et la naissance d’une puissante classe ouvrière. Parallèlement, si le régime corporatif avait apporté une certaine protection sociale aux artisans, il n’avait cessé de s’affaiblir durant le XVIIIe siècle et la loi Le Chapelier de la Constituante en 1791 lui porta un coup fatal en interdisant toute association ou coalition qui permit aux travailleurs d’assurer la défense de leur sort. Dès lors, leurs conditions de salaire, de logement et de travail se dégradèrent et aboutirent à une situation inhumaine et scandaleuse qui portait en germe la probabilité d’une révolte.

Cette réaction trouva un puissant théoricien en la personne de Karl Marx qui déclencha un mouvement de pensée dont l’importance sur notre époque et sur notre sujet de réflexion est telle qu’il apparaît indispensable d’en rappeler très sommairement la nature.

Synthèse de trois courants de pensées issus de la philosophie allemande, du socialisme français et de l’économie politique britannique, se voulant fondamentalement objective et scientifique, la doctrine marxiste repose sur une philosophie, une conception de l’histoire et une théorie économique. Prenant pour base le matérialisme classique de Démocrite et Épicure qui ne tient pour réel que ce qui est matériel et qui à ce titre nie la réalité de l’âme et de l’esprit, la philosophie marxiste confère au matérialisme une portée dynamique. Ce dynamisme s’exprime par le mouvement dialectique de Hegel, thèse, antithèse, synthèse, d’où son nom de matérialisme dialectique. A son sens, l’évolution ne serait qu’une succession de révolutions, chacune ne créant qu’une situation provisoire, la vie de l’univers n’étant qu’un perpétuel devenir.

La conception de l’histoire ou matérialisme historique, inspirée par l’observation de la société industrielle repose sur la lutte entre classe exploitante et classe exploitée. Cette lutte approcherait de son terme, « les expropriateurs étant expropriés » et le prolétariat s’affranchissant de l’exploitation de l’homme par l’homme que lui fait subir la classe bourgeoise. Cette victoire aboutirait à une société sans classe de type collectiviste ou communiste, dont Marx ne précise pas la nature. Cette société ne connaîtrait plus de crise, l’homme libre percevant clairement la part de bien collectif qui revient à son activité.

Quant à la théorie économique, elle entend étayer le processus scientifique du matérialisme historique. Elle repose sur des conceptions du capital, de la valeur travail et de la plus-value et souligne les contradictions internes du capitalisme, telles la paupérisation croissante et inéluctable des salariés et l’antinomie entre le gigantisme des structures industrielles modernes dont la nature s’oppose à la propriété privée des moyens de production.

Sans doute, cette doctrine n’aurait-elle pas eu l’écho qui fut le sien si un événement d’importance majeure n’était intervenu : la prise du pouvoir, il n’y a pas soixante-dix ans, à la tête d’une grande nation du monde, la Russie, par des idéologues révolutionnaires acquis aux théories marxistes. Convaincus de l’efficacité scientifique du matérialisme dialectique et historique, ils entreprirent d’organiser méthodiquement avec un pragmatisme redoutable la conservation du pouvoir acquis ainsi que le développement de son inéluctable succès mondial.

Il est certes difficile de savoir si les dirigeants de l’Union Soviétique sont toujours au service de ce qu’ils tiennent pour une vérité idéologique absolue ou s’ils utilisent l’efficacité d’un système minutieusement mis au point au service de l’impérialisme russe. Mais, il est certain que l’organisation militante mise au point par les maîtres du communisme international se révèle un moyen d’action stratégique exceptionnel qui pose à l’humanité un choix culturel capital entre deux voies d’évolution sociale.

Il est important de souligner que cet affrontement culturel ne revêt pas la même importance pour les deux puissances dominantes de la vie internationale.

De leur côté les États-Unis d’Amérique confèrent à la puissance économique et industrielle une valeur prioritaire. La conduite des affaires politiques et culturelles apparaît subordonnée à la réunion des conditions permettant d’obtenir l’efficacité économique optimale : culte de la concurrence et de la libre entreprise, libération des capacités dynamiques et créatrices des individus. Le choix de l’économie comme terrain d’affrontement s’impose d’autant plus aux dirigeants des U.S.A. qu’étant la première puissance économique et industrielle du monde, ils sont animés par une conviction absolue de la prééminence de leur moyen de puissance, au point que des groupes de pression, telle la fameuse « Trilatérale », veillent à ce que l’erreur politique d’un affrontement direct dévastateur avec la puissance dominante opposée ne vienne compromettre l’inéluctable succès à terme de la stratégie économique.

Par contre, la culture constitue un moyen capital d’action stratégique pour la puissance dominante adverse : l’Union Soviétique. Il était dans l’ordre normal des choses qu’il en soit ainsi puisque la soviétisation de la Russie était le fait d’idéologues parvenus au pouvoir inspirés par une doctrine qu’ils tenaient pour infaillible. Alors même que la phase dite de « communisme de guerre » qui permit aux Bolchéviques entre 1918 et 1921 d’imposer leur pouvoir totalitaire n’était pas achevée, Lénine se fixait comme objectif d’étendre au monde le succès de la révolution russe. Dès mai 1919, il créait à Moscou, la Troisième Internationale dont l’organe exécutif, le Komintern, avait pour mission d’assurer la coordination de toutes les tendances socialistes dans le monde pour hâter la révolution universelle.

Trop nombreuses sont les déclarations des maîtres du Kremlin qui témoignent de leur volonté d’hégémonie idéologique pour qu’il soit possible de la mettre en doute. Mais l’importance de la composante culturelle a été mise en évidence de magistrale façon par l’œuvre d’un homme, Antonio Gramsci, hélas trop peu connu, qui inspira d’abord l’action du parti communiste italien puis la stratégie d’ensemble du communisme international. La pensée de cet éminent stratège, qui est à la guerre culturelle ce que Clausewitz fût à la guerre classique, mérite d’être explicitée.

Ayant passé les onze dernières années de sa vie en prison, Antonio Gramsci mourut en 1937 à l’âge de quarante-six ans en laissant des « Cahiers » et des « Lettres de prison » qui constituent une œuvre maîtresse de la pensée contemporaine.

S’efforçant de percevoir les voies du passage au socialisme et approfondissant la notion d’idéologie, Gramsci effectue une distinction fondamentale entre la société politique, qui regroupe les institutions et l’appareil coercitif d’État, et la société civile – idée déjà chère à Hegel – fait de l’ensemble du domaine intellectuel religieux et moral, c’est-à-dire en fait le domaine culturel. L’erreur dit Gramsci est de chercher à passer au socialisme en ne s’intéressant qu’à la société politique, alors que l’essentiel réside dans la société civile. Tout État, en effet, ne dirige qu’en s’appuyant sur une idéologie implicite, c’est-à-dire sur des valeurs admises et considérées comme allant de soi. Il dispose ainsi d’une adhésion spontanée de la majorité des esprits.

Dès lors, allant à l’encontre des conceptions orthodoxes du marxisme Gramsci affirme que ce qu’il appelle l’infrastructure, c’est-à-dire les rapports économiques, est généralement façonné par la superstructure, c’est-à-dire les rapports idéologiques et culturels. Tout autant que par la propriété des moyens de production, le passage au socialisme exige donc la transformation de l’esprit des hommes afin de provoquer celle des rapports sociaux et du modèle de vie quotidienne. Lorsque, ainsi que c’est le cas dans nos nations occidentales, la société civile est forte et développée, la prise du pouvoir politique exige au préalable la prise de pouvoir idéologique et culturel.

En d’autres termes, un renversement politique ne crée pas une situation il la consacre.

Préalablement à l’insurrection politique un long travail idéologique doit s’effectuer au sein de la société civile et la voie du passage au socialisme n’est ni le putsch, ni l’affrontement direct mais la transformation des idées générales, c’est-à-dire une lente subversion des esprits. L’avenir selon Gramsci n’est plus à la guerre de mouvement, mais à la guerre de position dans les tranchées de la culture afin de rendre compatible « la mentalité de l’époque, c’est-à-dire la somme de sa raison et de sa sensibilité, avec un message politique nouveau qui substiturait à l’hégémonie bourgeoise, l’hégémonie culturelle prolétarienne ».

Les intellectuels sont lies combattants de première ligne de cette guerre culturelle et Gramsci leur donne un rôle social élargi, dépassant celui de l’État, du prince mis à sa tête, voir du parti lui-même. Par un lent travail souterrain, ils ont pour fonction de s’ériger en porte-parole des autres groupes sociaux et de conférer au prolétariat la conscience propre à assurer son homogénéité idéologique, la dictature du prolétariat devenant alors subordonnée à cet objectif majeur.

Provoquer la « persuasion permanente »

Les moyens de ce combat sont tous ceux susceptibles de provoquer la « persuasion permanente » : appel à la sensibilité populaire, renversement des valeurs courantes, création de héros socialistes, promotion du théâtre, du folklore, de la chanson populaire, expression de valeurs nouvelles dans tous les domaines, de la mode, de l’urbanisme, des spectacles, de la littérature, etc.

Les bases d’une stratégie culturelle étaient ainsi lumineusement définies. Alors que la volonté hégémonique de l’Union Soviétique cherchait des modes d’actions capables de remplacer ceux qui lui avait valu une défiance accentuée de la part des démocraties occidentales, tandis que le blocage nucléaire interdisait toute politique ne reposant que sur l’emploi de la force, cette stratégie constituait une solution d’autant plus efficace que la mutation de puissance des moyens modernes de communication en démultipliait les possibilités.

Au demeurant, cette stratégie culturelle s’inscrivait parfaitement dans les principes généraux de comportement des dirigeants de l’Union Soviétique. Ces derniers, inspirés par la doctrine marxiste-léniniste, avec la pondération naturelle des hommes d’un certain âge, ont comme priorité première d’action la conservation des avantages acquis, ce que Kroutchev traduisait par la formule « seul ce qui vous appartient est négociable ». Par contre la recherche permanente d’avantages supplémentaires ne peut s’effectuer qu’avec un contrôle rigoureux des risques, ceux susceptibles de compromettre l’acquis devant être, en règle générale, exclus.

De surcroît, cette forme de lutte offrait l’avantage stratégique considérable de bénéficier d’un rapport de vulnérabilité extrêmement favorable ; en effet, alors que les sociétés civiles libérales étaient, de par leur nature même, ouvertes à toutes les atteintes culturelles d’où qu’elles viennent, la société civile soviétique disposait de la protection de son rempart totalitaire. La guerre culturelle constituait donc pour l’expansionnisme idéologique soviétique, la voie royale permettant de tendre sans risque vers l’objectif hégémonique visé. L’observation des faits montre qu’elle est devenue un de leurs moyens essentiels d’action.

Est-il utile d’indiquer que l’organisme chargé de mener cette forme de lutte est le célèbre K.G.B. Entre autr.es fonctions, il coordonne la mise en œuvre de tous les moyens susceptibles d’ébranler les cohésions internes des sociétés libérales, de déraciner les valeurs sur lesquelles repose leur fonctionnement et d’annihiler dans l’esprit des citoyens de ces nations la volonté d’y adhérer et donc de les défendre. Relayant son action par l’intermédiaire de la diaspora des partis communistes implantés à travers le monde, l’Union Soviétique effectue ainsi un puissant travail de subversion intellectuelle fondée notamment sur une manipulation permanente de l’information destinée à transformer les idées générales acquises et d’exercer une pression persuasive imposant un nouvel équilibre culturel.

La technique utilisée relève d’une analyse poussée à la psychologie des foules, si bien révélée par Gustave Le Bon, ainsi que d’une organisation complexe et minutieuse. Les procédés mis en œuvre s’imposent à l’observation. Un premier consiste à s’attribuer le monopole des valeurs mobilisatrices de la sensibilité de l’opinion : générosité, justice, pacifisme, liberté, etc. Un autre s’attache à créer et développer, par tous les moyens d’action culturelle, un clivage manichéen entre les catégories sociales, l’une réputée bonne, celle des pauvres, de la classe ouvrière, des prolétaires exploités, l’autre réputée mauvaise, celle des puissants, des riches exploiteurs de la bourgeoisie capitaliste, afin d’entretenir la lutte des classes, moteur de la révolution permanente. Ce résultat est notamment recherché dans l’exploitation systématique des mouvements de contestation et de mécontentement, spontanés, ou créés d’autant plus aisément que la société de consommation et l’information massive qui l’inonde provoquent la manifestation d’envies et de besoins qui, à peine satisfaits, en engendrent de nouveau. Cette activité culturelle se caractérise en outre par la dévaluation de toute référence morale et de la notion de vérité. Une information ne revêt de valeur qu’en fonction de l’effet qu’elle permet de produire, la recherche d’objectivité et le mensonge n’étant que des concepts inhibants. En outre, le pragmatisme est érigé en dogme ; il impose de s’adapter en toutes circonstances à la réalité de la situation du moment, utilisant les aspects positifs et les compagnons de route quels qu’ils soient, permettant de tendre vers le but visé.

Une remarquable organisation permet sur ces bases et selon un principe militaire éprouvé de procéder à la concentration des efforts idéologiques par la définition centralisée des objectifs et des arguments utilisés. Enfin, les cadres du parti reçoivent une formation efficace dans l’utilisation de la dialectique et de la maïeutique afin de leur permettre de prévaloir dans les affrontements idéologiques auxquels ils sont appelés à participer.

Il est important d’indiquer ici que le terrorisme constitue la technique complémentaire de l’action culturelle. Il permet soit d’éliminer des obstacles gênants, soit d’ébranler la sensibilité d’une opinion, créant ainsi une vulnérabilité exploitable, soit de détruire la volonté de résistance d’adversaires insensibles à l’action culturelle. Mais là n’est pas notre sujet. …

Plutôt que de chercher à démonter les mécanismes d’activités communément appelées subversives, il semble préférable d’observer certaines manifestations de faiblesse ou de vulnérabilité de nos sociétés libérales qui correspondent tellement au but que se propose d’atteindre la stratégie gramsciste qu’elles peuvent être confondues avec les effets d’une agression culturelle.

Une des plus spectaculaires est l’efficacité avec laquelle le communisme international parvient à dissimuler la nature de son action et à organiser son impunité en effaçant des esprits les impressions nuisibles à son effort de séduction. La dissimulation des agressions culturelles constitue une nécessité. Il serait en effet psychologiquement maladroit de révéler que l’objectif à atteindre est fondamentalement déstabilisateur, destructeur : ce serait susciter des réactions de défiance et de rejet, contrariant l’efficacité de l’entreprise. De surcroît, lorsque l’action culturelle se mêle de terrorisme, il est indispensable d’éviter la réprobation qui ne peut manquer de peser sur l’auteur de telles actions alors que l’objectif visé est de séduire. C’est ainsi que la section du K.G.B. chargée des assassinats politiques, car il en existe une, est passée maîtresse dans l’art de noyer l’organisation de ses meurtres, ou tentatives de meurtres, dans un labyrinthe inextricable d’exécutants, interdisant de remonter à l’initiateur.

Tout aussi remarquable est l’habile manipulation des moyens d’informations permettant de laver les régimes communistes des tares qui ne manqueraient pas de ternir leur image dans l’opinion. Ainsi la preuve irréfutable du caractère insupportable de leur façon de gouverner, que matérialise la gigantesque entreprise de claustration que sont les rideaux de fer ou de bambous, les murs de la honte et le drame humain des boat-people, est-elle magistralement dissimulée derrière un savant silence que rompt, en cas de besoin, l’accusation inconsistante, mais apparemment efficace, d’anticommunisme primaire.

De même en est-il encore pour la systématisation des transplantations de populations entières, pour les camps de concentration, pour le délabrement psychiatrique de l’esprit des opposants politiques ou pour le massacre de populations, en Afrique, en Amérique Latine, voire d’un génocide tel celui du peuple cambodgien par des déments inspirés par l’idéologie marxiste. Les exemples pourraient être multipliés.

Or, aucun ne permet d’imposer ni l’évidence du viol de la dignité humaine que représente l’implantation du totalitarisme communiste ni son rejet catégorique par l’opinion mondiale. Il faut admirer et redouter l’efficacité d’une action culturelle qui parvient à occulter une réalité aussi évidente que dramatiquement insupportable.

La jeunesse et l’éducation des enfants constituent un autre terrain d’agression culturelle sur lequel un constat aussi inquiétant peut être fait. Il ne s’agit pas d’un phénomène dont Gramsci fut l’initiateur.

Dès 1920, Maxime Gorcki et la femme de Lénine fondèrent la littérature communiste pour enfant destinée à leur imprégner l’esprit de la nécessité d’une conception collectiviste de la société.

La loi, la morale sont condamnées

Actuellement, il faut constater qu’une part importante de notre littérature enfantine est fondamentalement destructrice des valeurs de notre société.

La loi, la morale sont condamnées. Le rejet de la famille, de l’autorité, de l’ordre, la haine sociale, le sexe, le vol sont érigés en principe de vie. C’est sans doute une des actions les plus dangereuses de la subversion. Une femme, Marie-Claude de Monchaux, a souligné dans une étude « Écrit pour Nuire » l’étendue de cette action.

Procédant de la même intention, sous prétexte de séances d’animation de groupe l’esprit des enfants est déprogrammé par certains enseignants de l’éducation qu’ils ont pu recevoir de leurs parents. Dans des cours d’éducation sexuelle d’autres sont incités, parfois en très bas âge, à rejeter les principes de moralité inculqués dans leur famille. Signalons encore la vaste entreprise de déséducation et d’imprégnation d’une vision pessimiste et négative de notre société qui est poursuivie au sein de l’Éducation nationale. Sous couvert de « Projets d’action éducative » et d’activités d’éveil qui ont pris le pas sur l’acquisition des connaissances, nombre d’enseignants ne forment que des « analphabètes répugnant à l’effort, informes de caractère et d’intelligence », bref ces « imbéciles utiles » chers à Lénine.

Deux enseignantes, Isabelle Stal et Françoise Thom dénoncent cette agression culturelle avec une pertinence irréfutable dans « l’École des barbares ».[3]

Bien d’autres exemples pourraient être cités et l’Éducation nationale, dont les personnels sont souvent d’une qualité et d’un dévouement remarquables, apparaît toutefois comme un champ d’action privilégié de la guerre culturelle L’effort de pénétration dont elle a été l’objet a permis à nos agresseurs de remporter des succès dont nous pouvons mesurer l’importance aux phénomènes de rejet par la jeunesse dont notre société est victime.

Relevant pour une bonne part de l’Éducation nationale, mais échappant à son entière responsabilité, un autre domaine d’atteinte culturelle vaut d’être mentionné.

Il s’agit de la perturbation que connaît la sémantique, le sens des mots. Claude Lévy-Strauss disait que l’homme était un locuteur et que les mots qu’il employait déterminaient pour une bonne part son comportement. De son côté dans une « Lettre à un jeune homme » André Maurois lui conseillait de se méfier des mots, dont la puissance fait marcher les hommes. Or, le culte de l’exactitude du sens des mots, cette ascèse de la langue dont la rigueur confère à la pensée son aptitude ou discernement et à la compréhension, a été l’objet de bien mauvais coups.

Le bien et le mal vidés de leur contenu

Actuellement, les mots auraient tendance à n’avoir plus que le sens que l’on veut bien leur donner et la primauté accordée à la facilité de l’expression orale au détriment de la difficile précision que requiert l’écriture, n’est pas étrangère à cette perversion.

Ainsi les mots clés tels que paix, guerre, vérité, mensonge, liberté, servitude, service, amour, haine, vol, justice, dignité, etc., sont-ils employés dans des circonstances différentes voire opposées.

Plus grave encore les mots de « bien » et de « mal » ont été vidés de leur contenu, évacuant la nécessité d’un sens moral et laissant l’homme souvent désemparé en l’absence de guide de comportement.

Quelle société pourrait résister à une telle anarchie intellectuelle et morale et l’obstacle de l’incommunicabilité entre les citoyens ne pourrait-il permettre à la guerre culturelle de remporter un succès définitif par ce seul moyen.

Dans ce rapide tour d’horizon de nos lésions socio-culturelles, il n’est pas possible de passer sous silence la dégradation qui touche notre organisation familiale.

La rupture de notre équilibre familial

L’importance de cette cellule de base de toute société, au sein de laquelle s’élabore un consensus culturel déterminant de la nature même de cette société vaut que nous soulignons la gravité du problème auquel nous sommes actuellement confrontés.

La rupture de notre équilibre familial est relativement récente puisqu’elle ne se manifesta de façon sensible qu’entre les années 1960-1970. Jusqu’à cette époque, le mariage constituait un lien tenu pour nécessaire, l’enfant était l’élément capital du foyer, le rôle de l’homme et de la femme trouvait son équilibre dans une complémentarité généralement admise. En corollaire la natalité et l’équilibre démographiques posaient peu de problèmes. Or, au cours des dix années qui viennent de s’écouler le nombre des mariages a chuté de 32 %, le nombre de couples ayant choisi de vivre en concubinage s’est accru de 75 %, les enfants naturels ont augmenté de 60 % et le nombre de divorces a doublé. Actuellement, sur 400 000 jeunes en âge de se marier, 200 000 choisiront de rester célibataires ou de vivre en union libre et 200 000 divorceront, un couple sur trois le fera avant cinq ans de mariage. Bientôt, il y aura davantage d’enfants de divorcés ou de concubins que d’enfants légitimes. Lorsque l’on sait le déséquilibre qui frappe un enfant privé de l’ambiance affective de la cellule familiale et les conséquences qui en résultent ordinairement, on mesure l’importance du drame que nous vivons.

Il serait possible d’estimer qu’une telle situation constitue un choix de société, avec ses avantages et ses inconvénients car tout n’était pas parfait dans les relations entre couple ni dans les solutions apportées à ce que les psychologues appellent les problèmes de libido.

Toutefois, la conséquence dominante de la désaffection de la stabilité familiale est la chute du taux de natalité. Nous avons atteint la côte d’alarme du taux de 1,8 alors que celui de remplacement des générations est de 2,4.

En outre, notre population sombre dans la vieillesse, car bientôt 75% de son ensemble aura plus de vingt-cinq ans. De surcroît, selon les démographes spécialistes de la question, aucune amélioration de cette situation n’est â attendre avant une dizaine d’années. Puissent-ils commettre une erreur d’appréciation, car alors, au delà d’un phénomène de déstabilisation force serait de constater que notre nation serait physiquement en train de mourir. Comment, à moins d’être non pas malthusien, mais suicidaire, peut-on tenir pour normal un tel état de fait.

Quelles peuvent en être les cause ? D’après le professeur Roussel, sociologue et conseiller technique à l’Institut national de démographie, il est la suite logique d’une évolution psychologique. La seule légitimité qu’accepte la jeunesse actuelle est d’être reconnue, de se trouver soi-même, de se « réaliser», « d’assumer son vécu », selon une terminologie aussi répandue qu’imprécise. Dès lors, le mariage et la famille ne représentent plus rien. L’avenir, c’est-à-dire l’enfant, est délibérément ignoré. Seule compte la satisfaction du moment présent. « Les institutions, dit encore le professeur Roussel, sont partout en perte de vitesse et il est normal que le mariage suive le même chemin. Le mal est profond et la dévalorisation du mariage va de paire avec celle des diplômes, la perte du sens civique, l’indifférence, la religion ou même le mépris du code de la route. Les jeunes acceptent de moins en moins les contraintes et refusent les valeurs qui étaient reconnues comme légitimes jusqu’à présent, les jugeant dérisoires et dépassées.

C’est le but même que se propose d’atteindre la guerre culturelle.

Car il est certain que l’importance de cette forteresse culturelle qu’est la famille ne pouvait avoir échappé aux stratèges de cette forme de guerre. Mais les toxines sécrétées par les mœurs des sociétés de consommation, jointes à celles du libéralisme politique produisaient des effets conduisant au but recherché. La nécessité d’une pression agressive s’estompait ainsi il n’y avait qu’à laisser se développer et au besoin à assister le processus d’autodestruction. Ce d’autant que sociologues et psychologues ont un avis convergent : « le symétrique d’une destruction trop forte de la société et d’un désarroi culturel trop profond, c’est Ia violence ». Il n’y avait donc qu’à laisser faire, les conditions de l’implosion sociale recherchée se trouvaient réunies.

Ainsi donc, quelques observations portant sur des domaines ponctuels : organisation de l’impunité de crimes flagrants contre l’humanité, perversion de la sémantique, de l’esprit des enfants et de la jeunesse, destruction de la famille, montrent de quelle efficacité peut être l’action culturelle. Toutefois, des résultats aussi importants ne peuvent être atteints uniquement de l’extérieur ; des relais démultipliant à l’intérieur de la société les actions subversives sont nécessaires.

A ce titre, la pénétration et l’imprégnation des thèses culturelles marxistes de trois milieux clés dans le développement des activités culturelles, leur participation plus ou moins volontaire à leur diffusion, retient l’attention. Il s’agit des milieux intellectuels, des médias et des ֤Églises.

Primauté de la volonté ou suprématie de l’intelligence

L’importance de la séduction exercée par les thèses marxistes sur les milieux intellectuels constitue un phénomène complexe. Qu’il suffise d’en dire, très sommairement, qu’il est dans la nature de ceux qui cultivent les activités intellectuelles d’affirmer la primauté de l’intelligence sur la volonté. Ces derniers, soumis par nature à la théorie intellectuelle du jugement, proposée par Spinoza, ont leur conviction entraînée par l’idée claire satisfaisant l’entendement. Ils s’opposent en cela aux tenants du volontarisme, théorie relevant de la partie matérielle de la philosophie cartésienne, qui tient la volonté pour déterminante du jugement car elle peut se renouveler indéfiniment alors que l’entendement est fini. Le développement des sciences et des techniques, la croissance fulgurante de l’entreprise industrielle entraînèrent l’adhésion naturelle des volontaristes. De son côté l’œuvre de Marx, qui apportait en idées claires reposant sur une solide infrastructure philosophique la condamnation du libre développement de la société industrielle et proposait des perspectives d’avenir intellectuellement séduisantes d’humanisme et de générosité, rallia tout aussi naturellement les intellectuels. Il semble donc que la mutation scientifique et technique de la fin du XIXe siècle provoqua un durcissement de l’affrontement sur les causes de la motivation profonde de l’homme entre les partisans de la primauté de la volonté et ceux de la suprématie de l’intelligence.

Les intellectuels, s’engageant massivement contre l’orientation volontariste prise par la société, hantés par les erreurs humaines commises à l’aube de l’ère industrielle, démultipliant leur action au sein de l’Education nationale et de l’Université, chez les hommes d’art et de lettres, parmi les médias, usant de la puissance croissante des moyens d’information, firent éclore et enracinèrent dans les esprits un immense complexe de culpabilité. Ils firent peser un sentiment de réprobation pour ne pas dire de honte sur tous ceux qui étaient censés représenter l’exploitation de l’homme par l’homme : les riches, les patrons, les détenteurs d’une part d’autorité, les aristocrates, en un mot sur tous ceux qu’il était convenu d’appeler l’élite. Ce vaste mouvement conduisit certaines victimes de ces atteintes culturelles à se déconsidérer à leurs propres yeux, à dissimuler leur identité de patrons ou d’aristocrates, à chercher à se faire pardonner leur naissance. Il conduisit toutes les classes de la société et non pas uniquement celles acquises aux thèses marxistes à accabler dans une haine anti-bourgeoise « le nanti », l’épargnant assimilé au rentier, à abonder dans la mise au pilori de l’homme possédant, sans considérer que ce n’était souvent que le juste prix de son travail et de son ingéniosité. La législation fiscale mise en place par tous les gouvernements successifs en porte témoignage, qui fait qu’actuellement 30 % de l’impôt est acquitté par 1 % de la population tandis que 40 % en est dispensé. Et la saine conception sociale qui conduit à demander aux favorisés de la fortune les moyens permettant de secourir les nécessiteux a conduit à accréditer l’idée fausse qu’il fallait appauvrir les riches afin d’enrichir les pauvres. De surcroît, cette vague de culpabilisation incita une part importante de la jeunesse à ne plus se reconnaître dans la société à laquelle elle appartenait, à refuser « d’adhérer au système ». Quel étonnant succès culturel si conforme à ce que voulait Gramsci, surtout si l’on considère que ce résultat décapitait la société de sa partie dynamique et créatrice de richesse.

Les médias pour ce qui les concerne, jouent à l’évidence un rôle capital dans le conflit culturel en cours. La puissance des moyens dont ils disposent leur ·permet d’avoir un impact considérable par l’écrit, la parole et l’image, dans un monde de plus en plus décloisonné.

Très consciente du pouvoir dont elle dispose cette noblesse des temps modernes s’est mise, en nos pays de démocratie libérale, au service d’une conception de leur rôle emprunt d’une réelle dignité, visant à préserver la liberté et l’objectivité de l’information. Or, il s’avère que cette ambition soit quelque peu illusoire. En effet, l’influence des médias sur la formation de l’opinion est telle que tout gouvernement a toujours cherché à se l’attacher, soit de façon directe dans les pays totalitaires en l’asservissant, soit indirectement en créant des monopoles d’Etat et en maîtrisant les ressources financières nécessaires pour disposer des énormes moyens dont ils ont besoin. D’autre part, l’objectivité absolue semble être un critère idéal. En effet, la masse pléthorique d’informations que draine les moyens modernes de communication démultiplie les possibilités de perception des faits et accroit ainsi les facilités de manipulation dont ils peuvent être l’objet. De surcroît, les hommes ayant en charge l’information étant des hommes comme les autres, leur comportement est soumis à l’orientation de leur intime conviction, de leur jugement ; la convergence vers une compréhension unique des faits par l’ensemble des informateurs ne peut donc être que circonstancielle.

Il est en effet difficilement contestable que la tentation est permanente et quasiment irrésistible pour tous les hommes de médias de n’utiliser dans la présentation des faits qui sont portés à leur connaissance, de préférence ceux qui coïncident avec leur intime conviction. Leur objectivité se réduit dès lors à privilégier leur propre perception de la réalité. Mais comme ils ne peuvent tout dire de tout il est difficile de les accabler pour un oubli. A moins que la nature des oublis ne soit systématique. La carence d’objectivité devient alors une partialité qui se nomme « désinformation » et l’informateur est un combattant engagé dans la guerre culturelle utilisant le moyen d’action par excellence de cette forme de lutte : la manipulation de l’acquisition des connaissances.

Les hommes de presse délivrent donc une information qui ne peut être que subjective. Mais comme cette catégorie socio-professionnelle regroupe des esprits plus intellectuels que volontaristes et cartésiens, ils ont eux aussi subi l’impact du profond courant intellectuel que nous venons d’évoquer et ils en démultiplient les effets. Et c’est ainsi que plus ou moins consciemment ils participent à l’organisation de l’impunité morale des agressions collectivistes, que le mythe du mauvais riche pèse d’un poids certain sur leur vision de la société et que les relations qui sont faites des remous et affrontements internationaux cède souvent à la tendance culturelle prédominante. Ainsi le camp favorable à l’est n’a-t-il que des martyrs victimes de la barbarie occidentale qui, de son côté, n’a que les morts qu’elle mérite et dont on parle le moins possible. L’équilibre général des reportages des grands drames que vit le monde, en Éthiopie, au Liban, en Afrique du Sud, en Angola, au Viêtnam et au Cambodge, en Amérique Centrale, en Argentine, au Chili et à Cuba, sans parler des immenses souffrances inconnues qu’endure le Tiers monde, en témoigne d’abondance.

Enfin, les églises ont une part indéniable dans tout ce qui concerne la vie de l’esprit. Une des erreurs majeures du marxisme réside à l’évidence dans la négation de la réalité de la vie spirituelle. Les premières manifestations connues de l’histoire de l’humanité, la danse et les peintures rupestres, furent probablement inspirées par le besoin de sacré. Depuis, partout et de tous temps dans le monde, des manifestations de la nécessité de dépasser les limites de l’intelligence et de la raison ont marqué l’existence des hommes, traduisant la réalité des aspirations spirituelles dans la nature humaine. Que le matérialisme dialectique ait trouvé en elles un obstacle à son expansion et qu’il se soit donc attaché à les éliminer apparaît dans l’ordre normal des choses. Mais il est difficile de comprendre que les clercs des religions se soient laissés convaincre de l’opportunité de relayer la cause qui voulait les perdre et leur refusait la liberté de penser et de prier.

Pourtant, les exemples sont nombreux du soutien apporté par les églises au combat engagé par le collectivisme contre la société libérale. Certes, Lénine avait annoncé son intention de détruire l’église de l’intérieur mais les résultats de son effort d’infiltration ont sans doute dépassé ses espérances.

Il semblerait que par une sorte de renouvellement du péché originel, certains clercs aient cédé à la tentation de se soumettre à la séduction de l’intelligence ; comme si cette voie menait plus sûrement à Dieu. Certes, l’Évangile ne fait pas la part belle aux riches, il n’a pourtant pas fondé les relations entre hommes sur la lutte des classes. De surcroît, faire de Jésus un rebelle ennemi du système capitaliste et engager les prêtres dans le combat révolutionnaire armé, ainsi que c’est le cas en Amérique Latine, pose le dramatique problème de la théologie de la libération. Seule la pression des circonstances locales, une générosité et une charité exacerbées ainsi qu’un intense sentiment de révolte au contact de l’injustice, occultant tout sens critique, ont pu mener à cette situation.

En notre pays, relativement peu nombreux sont les membres du clergé manifestant leur adhésion au marxisme. Plus nombreux par contre sont ceux qui, plus ou moins consciemment, apportent leur soutien aux activités culturelles de déstabilisation des sociétés libérales, par exemple en cédant aux excès de libéralisation des mœurs, en se laissant abuser par les vastes campagnes de faux pacifisme ou en succombant aux arguments malins visant à affaiblir la sécurité nucléaire. Grâce au ciel, l’Épiscopat français n’a pas suivi celui des États-Unis dans ce dangereux piège. Quoi qu’il en soit, il faut constater que dans la guerre culturelle en cours les églises ont semblé hésiter dans le choix du bon camp, pesant d’un poids certain sur l’opinion de leurs fidèles et provoquant des réactions extrêmes d’intégrisme et de progressisme, aussi nuisibles l’une que l’autre à la cause libérale.

Actuellement sous la tutelle d’un pasteur très averti de la nature du choix proposé à l’humanité, l’Église catholique semble s’orienter vers une attitude différente.

Il serait possible de poursuivre l’observation des effets de la guerre culturelle, ainsi que celle des relais d’action qu’elle utilise. D’autres terrains d’affrontement, telles les armées ou la magistrature auraient pu donner lieu à des développements intéressants ; de même des axes d’efforts ponctuels tels la coexistence pacifique, l’immigration, ou l’utilisation des particularismes provinciaux auraient pu être évoqués.

Il eut été possible et peut-être souhaitable de prendre davantage en considération les problèmes que pose le Tiers monde, ce d’autant que Lénine attacha une importance particulière à l’adaptation d’une stratégie conçue pour des pays industriellement développés au cas des pays sous-développés. Mais ces derniers n’ayant pas une société civile, une superstructure idéologique, suffisamment développée, pour utiliser la terminologie de Gramsci, la prise de contrôle des esprits s’effectue avec des méthodes plus brutales, à base de violence et de terrorisme.

L’Afrique, l’Amérique Latine, nos départements et territoires d’outre-mer en offrent maints exemples. Mais cette étude ne vise qu’à donner un aperçu de l’action invisible et silencieuse, du ravage de termites, qui sapait la cohésion de notre corps social, sans prétendre tout dire d’une telle entreprise.

Toutefois l’analyse des circonstances dans lesquelles nous nous efforçons de trouver la voie de notre· destin serait bien incomplète si nous n’évoquions un de ses facteurs essentiels. Il ne faudrait, en effet, pas commettre l’erreur d’imputer toutes les causes de nos carences sociales à la guerre culturelle. Rappelons-nous en effet une description des maux dont peut souffrir une société libérale : « Quand un peuple dévoré par la soif de la liberté, se trouve avoir des dirigeants qui lui donnent autant qu’il en veut jusqu’à l’enivrer, il arrive alors que, si les gouvernants résistent aux requêtes toujours plus exigeantes, on les traite de tyrans et il arrive aussi que ceux qui se montrent disciplinés vis-à-vis des supérieurs sont qualifiés de valets. Le père, saisi de crainte, finit par traiter son fils comme un égal et n’est plus respecté, le maitre n’ose plus réprimander les élèves et ceux-ci se moquent de lui, les jeunes prétendent à la même considération que les vieux et ceux-ci pour ne point sembler trop sévères, leur donnent raison. Au nom de la liberté il n’y a plus de respect pour personne. Au milieu d’une telle licence naît et se développe une mauvaise herbe : « la tyrannie ». Il s’agit d’une citation du livre VIII de la République de Platon. L’actualité d’une telle description aurait pu donner à penser qu’elle nous concernait aujourd’hui même et que la guerre culturelle pouvait en être la cause. Mais les ravages du K.G.B. n’avaient pas encore commencé de se manifester au IVe siècle av. J.-C. et il peut en cette circonstance être lavé de tout soupçon. Par contre, cela montre à l’évidence que nous devons chercher ailleurs, c’est-à-dire en nous-mêmes, les raisons de maintes de nos déficiences et vulnérabilités.

Nos sociétés occidentales se trouvent en effet confrontées à des problèmes d’adaptation à de nouvelles conditions de vie créées par les considérables progrès scientifiques et techniques qui viennent de s’accomplir. Les facilités d’existence qui en ont résulté, joint au culte du libéralisme pratiqué par nos sociétés, ont sécrété des toxines sociales qui peuvent donner à penser que nous courons, en nous-mêmes et par nous-mêmes, des risques graves mal contrôlés. En d’autres termes, le mystérieux K.G.B. n’est pas le grand maître du destin capable de créer les circonstances de nos existences ; il ne peut et ne fait qu’exploiter celles qui lui sont offertes.

En d’autres termes, dans de nombreux cas, l’adversaire culturel auquel nous sommes confrontés tire partie de nos vulnérabilités, donnant l’impulsion convenable pour nous laisser ensuite entretenir nous-mêmes le processus de notre autodestruction.

En outre, si la volonté hégémonique des Soviétiques a choisi comme point de départ de son combat la doctrine marxiste-léniniste, l’évolution naturelle des organisations sociales pose actuellement à l’humanité dans son ensemble un choix de société opposant deux conceptions fondamentalement opposées et qui, pour l’essentiel, peut être présenté ainsi.

Il s’agit d’une part de faire reposer l’organisation de la société sur un état centralisateur, véritable cerveau collectif, disposant d’un pouvoir absolu. Tous les domaines d’activité sont organisés,  encadrés, surveillés, contrôlés, l’économie et l’industrie étant soumises pour leur part à une planification rigoureuse opposée au libre jeu du marché de l’offre et de la demande. Dans cette conception, l’individu dont l’âme et l’esprit ne correspondent à aucune réalité objective, ne prend de valeur qu’en tant que moyen de production collective, son rôle et sa place étant définis par la formule de Marx et Engels : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ». Sous le contrôle d’une administration pléthorique, irresponsable et dépourvue d’initiative, l’humanité est ainsi vouée à suivre collectivement les normes scientifiques du matérialisme dialectique vers une idéale et imprécise société sans classe. Cette voie est celle de l’asservissement de l’homme à une double dictature : celle d’une idéologie sacralisée en vérité intangible et celle de la bureaucratie.

L’autre voie prend pour base le critère de l’humain : l’esprit, qui habite chaque individu et fait de chaque homme un être unique, la qualité de cet esprit constituant le facteur essentiel de progrès de l’espèce. Il en découle la nécessité de subordonner l’organisation de la société à la dignité de la personne humaine et au respect de la liberté individuelle. Ce choix de société prône la libération des capacités d’ingéniosité et de créativité individuelles permettant de réunir les conditions optimales de développement économique et industriel sur lequel l’État fonde sa puissance. L’individu, libre d’épanouir sa personnalité dans les élans affectifs et spirituels dont il est riche et sans lesquels l’humain cesse d’exister, trouve la motivation et la récompense de ses efforts dans le droit au profit et à la propriété individuelle. N’ayant pas d’intention hégémonique et ne prétendant pas imposer de règles doctrinales rigoureuses et scientifiques, le nom même de cette voie demeure imprécis, le terme de libéralisme pouvant, par opposition au communisme, permettre de la désigner.

Il est hors de doute que tout individu ouvert à la conscience du choix offert et libre de s’exprimer, ne saurait hésiter. La liberté d’être soi-même est, de tous les biens, le plus précieux au cœur de l’homme. La voie libérale est bien la seule compatible avec la dignité humaine. Hélas, le choix n’est pas si simple car si, paradoxalement, les partisans du collectivisme disposent de la proposition la moins séduisante, ils ont su magistralement la mettre en valeur, s’attirant par l’influence qu’ils sont parvenus à gagner sur les esprits, en s’attribuant le monopole des valeurs humaines de séduction, un nombre considérable de fidèles, anesthésiés par les toxines d’une action culturelle prodigieusement maligne.

De surcroît, négligeant cette forme de lutte, le camp dit « libéral » n’a su proposer aucun message culturel significatif. Abondant dans un individualisme desséchant, désertant l’action culturelle qu’il semble tenir pour du dilettantisme, il consacre l’ensemble de ses efforts à poursuivre la montée en puissance d’une société industrielle dont les valeurs humaines donnent lieu à de profondes réactions de contestation.

Tout se passe comme si les tenants de la liberté individuelle, envoûtés par  l’importance des succès qu’ils ont remportés dans le domaine de la matière, n’avaient pas estimé nécessaire de l’équilibrer par un effort évolutif analogue dans le domaine de la « superstructure » culturelle et morale.

Parvenue à ce point, la poursuite de cette étude devrait conduire, en bonne logique, à analyser les causes des carences de l’individu bénéficiant des avantages de la liberté et des bienfaits de la société de consommation, avant d’aborder le problème de l’entreprise industrielle, qui est au cœur de la société libérale, pour enfin mettre en question la finalité et les modes de gouvernement libéral. Mais un tel développement dépasserait le cadre de ces réflexions. Leur objet n’est pas en effet de concevoir une stratégie de conduite de la guerre culturelle mais de souligner et son existence et son importance, tout en évoquant sa nature.

Le centre de gravité des menaces qui pèsent sur notre destin s’est déplacé

Cependant, pour conclure, il peut sembler opportun de les situer par rapport à ce qui les a motivés : la défense. …

Il apparaît actuellement indispensable de prendre en considération le fait que le centre de gravité des menaces qui pèsent sur notre destin s’est déplacé et que par voie de conséquence l’essentiel de notre effort de défense doit suivre ce mouvement.

Circonscrit hier aux limites d’un territoire national étroitement sanctuarisé, il avait pour objet la sauvegarde et du sol et des intérêts matériels des citoyens de ce territoire. Il s’inscrit désormais dans un ensemble beaucoup plus vaste, européen d’abord, puis plus au large, atlantiste certes, mais sans doute tout autant méditerranéen, pour s’élargir encore dans le cadre d’une extension mondiale rendue nécessaire par le décloisonnement de notre planète. En outre si cet effort de défense reposait hier sur un rapport de forces militaires, faisant des années te moyen quasi exclusif de la défense, il doit désormais tenir compte de la dévaluation de l’emploi de la force, imposée par les excès dévastateurs des armements modernes inaptes à réaliser un projet politique constructif.

De nouvelles formes de menaces

Certes des menaces militaires sont encore latentes et le demeureront, mais elles resteront périphériques et d’intensité très limitée par rapport aux embrasements guerriers d’hier. Cependant d’autres menaces se révèlent, à dominante économique, idéologique, sociologique, dans lesquelles les formes guerrières traditionnelles sont relayées par des violences internes revêtant la forme du terrorisme et de la guerre civile, qui comptent parmi les plus atroces des affrontements humains.

Ces nouvelles formes de menaces contemporaines visent à conquérir leur objectif non plus par un assaut extérieur, mais par une déstructuration interne.

Se développant à l’échelle mondiale cet universel problème de défense oppose dans un affrontement croisé, selon l’axe est-ouest les partisans d’une idéologie collectiviste aux tenants de la primauté de la liberté individuelle tandis que selon l’axe nord-sud il doit inéluctablement apporter une solution au redoutable déséquilibre entre la richesse des uns et l’excès de pauvreté des autres.

La guerre culturelle constitue un des moyens d’action principaux de cette lutte planétaire. Déjouant les conceptions stratégiques traditionnelles, à dominante idéologique avant d’être économiques et militaires, débordant les cloisonnements nationaux, tout aussi internes qu’externes, une nouvelle forme d’affrontements internationaux s’est installée au cours des dernières années sans que notre conception ni notre organisation générale de défense en paraisse profondément affectée. A ce titre un ministère de la Défense nationale qui persisterait à n’être que celui des forces armées ne paraîtrait plus en mesure de remplir la fonction qui devrait être la sienne.

C’est ainsi qu’il semble nécessaire que la conception de notre politique de défense prenne en compte l’affrontement permanent, global et universel que nous vivons.

Désormais, la défense ne peut plus se concevoir ni en termes exclusivement militaires, ni en vue d’un affrontement particulier, le choix des armes, ni pour un temps donné, celui de la guerre. Elle recouvre la plupart des activités humaines et s’exerce en tous temps ; au sens propre du terme elle est devenue globale et permanente et l’épée n’apparaît plus être l’axe du monde.

Dans l’affrontement permanent que nous vivons les partisans du collectivisme ont su forger un outil de combat efficace et acquérir la maîtrise de son utilisation. Ne disposant que d’un argument culturel dévalué ils ont su avec une admirable virtuosité, imposer leurs idées, faire valoir la justesse de leur cause et imposer la supériorité d’une organisation sociale aliénante. Ils ont su s’adjuger l’apanage des grandes valeurs humaines de justice, de paix et de solidarité. Ils sont parvenus à culpabiliser leur adversaire tandis qu’ils évitaient d’être mis au banc de l’humanité pour les crimes dont ils se sont rendus et se rendent coupables à son encontre.

De leur côté les sociétés libérales, bien qu’au service de la meilleure cause, ne sont pas parvenues à s’imposer sur le plan culturel.

Subordonnant l’importance des valeurs de l’esprit aux impératifs matériels du développement économique et industriel, assimilant la liberté au refus de toute contrainte, elles ont offert aux assauts de leur adversaire des faiblesses de comportement et des carences sociales qui lui ont permis de prévaloir. Force est de constater qu’actuellement le courant culturel dominant est encore celui des thèses collectivistes.

Sans qu’il puisse être question d’élaborer une conception de stratégie culturelle il semble cependant que, plutôt que de s’enfermer dans un attitude défensive ou de combattre le projet collectiviste dont le caractère inhumain porte en lui-même les germes de son autodestruction, la guerre culturelle des partisans de la liberté individuelle doit avoir pour objectif prioritaire de mûrir et proposer un projet motivant de société libérale. La difficulté considérable que représente une telle entreprise tient d’abord à ce qu’elle doit se développer à l’écart des avidités du carriérisme politique, si répandu au sein des sociétés libérales. Elle doit encore équilibrer ses intentions matérialistes, économiques et sociales, avec le culte des valeurs nécessaires à l’épanouissement concomitant de l’individu et de la société.

Nous n’avons pas le choix, il est in dispensable qu’un tel projet voit le jour, que le libéralisme se présente comme le renouveau d’humanisme qu’il doit être. Sans cette donnée de base, la défense de notre civilisation apparaît illusoire.

Car il faut être bien conscient qu’actuellement le libéralisme se meurt de sa vacuité idéologique. Faute d’avoir su reconnaître que la liberté ne peut résider que dans le libre choix des contraintes permettant l’épanouissement d’un authentique humanisme, la liberté que nous vivons abatardit la noblesse de cette essence de la dignité humaine en une anarchie incontrôlée de satisfaction de  besoins.

Un peu de bon sens populaire !

Le combat à mener ne peut être une guerre éclair, si grande est l’inertie des idées et si profondes sont les racines des habitudes. Ainsi que le disait Gramsci, ce ne peut être qu’une guerre de position dont le succès ne peut être escompté qu’à terme. Mais il faut l’engager si nous ne voulons pas que notre civilisation ne meurt du déséquilibre entre sa prospérité matérielle et la pauvreté de ses valeurs de l’esprit. L’entrée en guerre réside en une prise de conscience et une responsabilisation. Elle concerne certes en premier chef les spécialistes de l’activité intellectuelle. qui ont en ce combat: un rôle central à jouer. Mais elle concerne aussi chacun d’entre nous. Car si la valeur du libéralisme repose sur la promotion de l’importance de chaque individu, il appartient à chacun de lui donner son plein sens en se tenant pour personnellement responsable et de son propre sort et de celui de tous. A ce titre la guerre culturelle réside d’abord dans l’effort de réflexion de chaque citoyen et dans sa conception personnelle de sa façon de vivre.

Et si grande est la puissance sociologique du respect de la dignité de chaque être humain que nous pouvons demeurer confiants en l’avenir, notre espérance étant fondée sur ce que l’on appelle « le bon sens populaire », sur lequel repose en fait l’avenir de la démocratie libérale.

Le Lavay, juin 1986

Général Paul Arnaud de Foiard (C.R)

[1] Cette étude a été écrite par le général Arnaud de Foïard à la fois pour le Bulletin trimestriel (n°110) de l’Association des Amis de l’École Supérieure de Guerre, en fidélité à ce haut lieu de l’enseignement militaire qu’il a dirigé et pour l’Institut d’études de la désinformation dont il soutenait le combat.

[2] Comment ne pas rapprocher cette analyse de celle du général Jean Delaunay, ancien chef d’état-major de l’armée de Terre : « Tant que ne sera pas levée la véritable contradiction qui règne chez nous entre la bonne préparation de nos forces armées et l’impréparation, voire le sabotage, de nos forces morales, il manquera tout un pan dons notre système de défense, une défense qui relève aujourd’hui davantage des idées et des attitudes psychologiques que des milliards et des kilotonnes.» !

[3] Voir d’Isabelle Stal et Françoise « L’École des barbares » publié chez Julliard (1985).

Articles repris de Désinformation Hebdo :