Longo Maï et mai 68 : Un jeu douteux

Vous connaissez sûrement le monopoly et d’autres jeux de société (la formule prend tout son sens en l’occurrence). Un fabricant vient de se dire que le 20e anniversaire de Mai 68 était une occasion à ne pas rater puisqu’il lance sur le marché un jeu baptisé Mai 68, qui est censé vous faire revivre les dix premiers jours des événements. Si vous êtes contestataire, il vous faut dépaver une vingtaine de cases du Quartier Latin en employant tous les moyens, des barricades aux fameux enragés en passant par les cocktails Molotov. Évidemment, même si leur forme est voisine, les dés remplacent les pavés. Ce n’est pas la seule exploitation à laquelle cette célébration vient de donner lieu…

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— Édition du 2 juin 1988 —

par Joël-François Dumont in Désinformation Hebdo — Paris, le 2 juin 1988 —

Nous avons déjà évoqué dans notre lettre les remous provoqués par la déprogrammation de l’émission Génération sur la 5. Aujourd’hui, même si l’élude publiée le 21 mai par Le Figaro Magazine montre que les préoccupations politiques n’étaient généralement pas le lot du gros des manifestants, la légende prend le pas sur l’analyse en idéalisant celle période et en laissant dans l’ombre quelques points fondamentaux, en particulier l’engagement réel des meneurs que l’on retrouve très souvent, vingt ans après, dans les allées du pouvoir, voire à certains leviers de commande.

Dans la floraison d’articles suscités par l’événement, la revue Géo que nous avions déjà épinglée la semaine dernière, à propos de sa vision énamourée du Vietnam, s’est surpassée en publiant un reportage d’une rare flagornerie de Nicole Bernheim sur la communauté Longo Maï, une association qui est loin de refléter en profondeur l’image bucolique et sympathique que l’on tente de lui donner.

En mai 1988, cette « chienlit » que dénonçait le Général de Gaulle il y a tout juste 20 ans, s’est emparée du pouvoir en France et de ses principaux leviers. Ceci est un fait indubitable. Certains militants de cette « génération soixante-huitarde » sont rentrés au bercail, allant parfois jusqu’à occuper de hautes responsabilités dans l’appareil politique… conservateur.

Mettant à profit les nouveaux réseaux de soutien logistique créés en mai 1968, une minorité d’autonomes a franchi le pas pour rejoindre ceux qui s’étaient lancés dans le terrorisme. Une « mouvance » devait permettre aux noyaux durs de trouver une aide dans divers domaines, comme la preuve en a été apportée dans l’établissement des « fiches » d’objectifs notamment. Le drame a voulu que les deux dernières catégories, au nom d’une éphémère « solidarité prolétarienne », pour le moins ambiguë, aient cru bon de se retrouver le 10 mai 1981, avec le succès que l’on sait..

La seule certitude qui continue d’inquiéter nos principaux alliés est la réactivation de certains réseaux de type Curie!. Trois d’entre eux étendent leurs ramifications au-delà même des frontières de la Communauté Economique Européenne. Les deux principaux sont reliés entre eux… par ordinateur. Certains de ces noyaux se sont regroupés en « communautés », comme ce fût le cas en Allemagne Fédérale, sur le « modèle berlinois ».

Les très nombreux sympathisants que celle mouvance a su attirer en ont profité au cours des 15 dernières années pour tisser une véritable toile d’araignée à travers l’Europe, avec des complicités dans l’appareil d’État, dans la Justice et dans la Police, sans oublier dans la Presse.

A plusieurs reprises Désinformation Hebdo [1] & [2] s’est fait l’écho de ces craintes, partagées par les responsables des principaux services de Renseignement occidentaux.

Au cours d’un séminaire qui s’est tenu en Belgique à la fin de l’année 1985, consacré au terrorisme et aux réseaux européens de soutien logistique, plusieurs experts avaient estimé que l’attitude des autorités françaises était pour le moins équivoque. Entre les paroles rassurantes et les actes, il y avait place pour le doute…

A cette occasion. le délégué britannique devait de façon magistrale démêler l’écheveau des ramifications internationales du Comité Européen pour la Défense des Réfugiés et des Immigrés. Créé â Bâle, le 1 octobre 1982, le CEDRI avait pour objectif déclaré l’établissement d’un « bureau international de recherche et de documentation pour recenser en Europe les immigrés et les réfugiés, empêcher les expulsions et les extraditions, lutter cotre la bureaucratie, faire des précédents en justice et apporter toute aide aux groupes luttant contre le racisme »… Le CEDRI se proposait de prendre « des contacts permanents avec des gouvernements européens et des organisations internationales, d’envoyer des délégations internationales pour enquêter, pour mettre en œuvre des camps de réfugiés, et de constituer le cas échéant des groupes de solidarité pour les cas urgents », de monter enfin « des coopératives pour accueillir des réfugiés ».

Le président en titre du CEDRI n’était autre que François Bouchardeau, fils d’Huguette, qui fut ministre de l’Environnement du gouvernement Fabius, En fait le véritable « patron, était Roland Perrot, dit Rémi, nom de guerre qu’il utilisa au milieu des années 50…

Militant d’extrême-gauche, Rémi connut son heure de gloire en publiant « RAS », à propos de la guerre d’Algérie.

« Recherché par toutes les polices de France pour l’aide qu’il fournissait aux déserteurs, il dut se réfugier en Autriche. C’est là qu’il devait fonder avec Willy Stelzhammer, la 6e section du parti communiste. A l’automne 1969, le groupe prit le nom de Spartakus et se mit à organiser la jeunesse combattante ». Stelzhammer, « initiateur » à Vienne d’un comité de soldats, finit par déserter, mais fut gracié en 1977 par le Chancelier Bruno Kreisky, dont le fils Peter était l’un des piliers de Spartakus… « Entre temps Spartakus devait fusionner avec une autre organisation communiste, Hydra, pour donner naissance en 1972 à Longo Maï… C’est ainsi qu’à la demande de l’antenne autrichienne de Longo Mai les services du Chancelier Kreisky devaient accorder le statut de réfugié politique à 5 000 Chiliens ». On comprend pourquoi l’Autriche ne put bénéficier de la faveur accordée à la Suisse lorsque la France décida de rétablir des visas d’entrée aux frontières.

Ce rappel nous paraît nécessaire car. à la lecture de Géo, cet aspect des choses est gommé. « Vingt ans après 1968, une communauté issue des idées qui enflammèrent alors la France persiste et prospère en Haute-Provence » … « Les Longo-Maiens [sic] récusent le terme de communauté avec « la connotation d’idéologie confuse et de promiscuité sexuelle qu’il avait à la fin des années soixante. Ils préféraient parler de coopérative agricole[3]

Le budget actuel de Longo Maï dépasse les 80 millions de francs. « La communauté qui se targue de favoriser le retour à la terre et l’éclatement du couple pour utiliser le sexe comme arme révolutionnaire a diversifié depuis quelques années ses activités par le biais de coopératives ouvrières dont une école de cinéma dans les Causses ainsi qu ‘une entreprise dc confection et de travaux publics ».[1] écrivions-nous déjà dans notre lettre.

Il convient d’ajouter selon Géo un « hameau de tourisme populaire «  situé « à Pierrerue, (à quinze kilomètres de Limans), avec l’hôtel du Mouton noir ; le petit hôtel avec jardin, les Quatre Reines (Forcalquier), ou les coopérateurs peuvent loger leurs hôyes : le centre d’opérations financières de Bâle, avec imprimerie et ordinateur ; la petite imprimerie de Forcalquier pour publier diverses brochures, les bulletins de liaison du CEDRI et la lettre hebdomadaire du « grand-pére des Chênaies », des commentaires sur l’actualité rédigés au vitriol par Rémy, Ie vétéran de Longo Maï : le groupe d’art dramatique Comedia Mundi; qui se produit lors des fêtes des coopératives et dans les villages ; une école de pilotage, dotée de trois appareils sur le terrain rustique de Vino, près de Manosque »[3] sans parler de « coopératves » à l’étranger !

Géo passe sous silence le « Centre de documentation rebelle » et la revue « Cavales ». Dirigé par un employé de l’AFP, Frédéric Chapaz, le CDR a pour trésorier Christine, dite Kinette, la fille d’Henri Malberg, notable du PCF. Nicole Bernheim ne précise pas à quoi peuvent servir les trois avions, à compter les moutons peut-être ? Pas plus que le lecteur de Géo ne saura qui sont ces « invités » venus du monde entier…

Outre l’ancien chancelier Kreisky, l’ethnologue actliviste de Kanakie, Jean Guiart ; le Vice-Président de l’Internationale Socialiste, le Suisse Jean Ziegler, auteur d’une préface pour un livre de la LCR, sans compter tous les représentants invités es·qualité pour représenter des mouvements terroristes : le M19 colombien, le FDR·FMLN du Salvador, l’ANC… Pas un mot non plus sur la visite effectuée par un officier du KGR, Alexander Sabov, alias Sacka, le 3 août 1986, trois jours avant un « entretien »  avec le défunt président Sankara à Ouagadougou… Un « journaliste » soviétique de la Literaturnaia Gazeta familier de Longo Mai. qui de 1977 à 1987 s’est révélé être ami infatiguable ! Lors de son départ, il a tenu à recevoir à l’Ambassade d’URSS ses amis Roland Perrot, Mathieu et Nicolas Furet, François Bouchardeau, Évangéline Burrolet. Wilhelm Stelzhammer et Andoch Bonin.

Minute devait publier une photo â l’issue de cette petite sauterie diplomatique.[4] Quant au genéral-major du KGB, Youri Iziournov, pas le moindre mot sur ses deux visites à Longo Maï…[1] & #[2]

En lisant Géo, on ne saura pas davantage que les Longo-Maïens sont généreux : 80 millions de centimes pour les révolutionnaires du Nicaragua, et 20 millions pour le Grand Comté de Londres, virés sur le compte numéro 50030130 de la Cooperative Bank Ltd… Le but de cet amical virement était « d’encourager l’immigration de nations du Tiers-monde dans les zones de chômage élevé en Occident, de plus, comme le Costa Rica ou le Nicaragua de créer des groupes de réception pour protéger ces immigrants de la police et de l’État à leur arrivée ; de leur fournir une assistance légale immédiate pour garantir les immigrants clandestins de l’expulsion ; pour leur fournir, enfin, un forum politique er médiatique international pour monter des campagnes contre les gouvernements  occidentaux »…

On comprend mieux à qui servent tous les avocats, les prêtres et les journalistes qui participent chaque année aux congrès du CEDRI… La conclusion de Nicole Bernheim se termine quand même en point d’interrogation … Les enfants longo-maïens suivront-ils « l’œuvre de leurs ainés » … « Cette nouvelle génération représente la grande inconnue de Longo Mai » … Aux innocents…

[1] Désinformation Hebdo n°8 du 16.04.1987.

[2] Désinformation Hebdo n°34 du 29.10.1987.

[3] Géo, mai 1988.

[4] Minute, du 22.1.1987.

Photo de couverture : Logo de Longo Maï

Articles repris de Désinformation Hebdo :