U.R.S.S. : A l’affût de l’innovation

La «perestroïka bat son plein à Moscou … Parmi les secteurs concernés par une «réorganisation structurelle» figurent ceux de la science et de la technologie. Boris Tolstykh, vice-président du Conseil des ministres de l’Union Soviétique et président en exercice du G.K.N.T. (Comité d’État pour la science et la technologie), vient d’exposer à l’Agence de Presse Novosti « les nouvelles tâches de cet important organisme d’État » … en annonçant le « rattachement du Comité d’État pour les inventions et les découvertes au G.K.N. T.» Désormais « ces organismes seront chargés ensemble de sélectionner et de suivre la mise en application dans l’économie nationale des inventions les plus importantes. L’expertise des brevets doit être améliorée. JI faut une information rapide des entreprises et des particuliers sur les dernières inventions soviétiques et étrangères.»

-
— Désinformation Hebdo n°72 du 21 juillet 1988 —

Enquête à Washington et à Berlin de Joël-François Dumont

A ce sujet vient de se tenir à Washington un séminaire au cours duquel il a beaucoup été question de la Chambre de Commerce cl d’Industrie de l’U.R.S.S.

Le rôle des chambres de commerce : un rôle central pour Moscou

Cette C.E.I. pas comme les autres a élaboré un « programme de diversion commerciale » qui constitue une façade pour mieux s’approprier les technologies de pointe occidentales à des fins militaires. Dans sa version originale, le rapport de la C.I.A. rend un hommage appuyé à la D.S.T. qui, en menant à son terme l’affaire Farewell, a su mettre à nu un très astucieux «montage» unique au monde, à une exception près peut-être : le modèle japonais.

-
Farewell détaille toutes les technologies occidentales volées par la VPK pour le Mig 25 – Photo MinDef russe

Depuis 1982, l’Union Soviétique s’est lancée dans un double programme de recherche et d’acquisition de hautes technologies occidentales.

La VPK : Pénétrer le patrimoine économique, scientifique et technique de l’Occident

Le premier de ces programmes a été mis en œuvre par la V .P .K., la toute puissante « commission industrielle militaire » rattachée à la présidence du conseil des ministres de l’U.R.S.S .. Cette commission, qui se trouve au cœur du système soviétique, a pour mission de coordonner la recherche et le développement de tous les systèmes d’armes. Avec un budget annuel dépassant déjà 1 milliard et demi de dollars en 1980, la V.P.K. est chargée, grâce à l’aide du K.G.B. et du G.R.U. et de quatre autres services gouvernementaux – sans oublier la « production » des pays frères en la matière – d’orienter ces efforts pour diminuer notamment la dépendance étrangère et assurer ainsi à l’Union Soviétique une suprématie certaine à moindre frais tout en « bénéficiant » des toutes dernières innovations de la technologie occidentale de pointe.

-
« Décision de la Commission du Présidium du Conseil des Ministres de l’URSS sur les questions militaro-industrielles N°211 du 9 juillet 1990…. »

En résumé, grâce aux technologies de pointe occidentales, nous avons pu améliorer très nettement la qualité de nos avions Mig-29 et Su-27, de nos missiles, de nos réacteurs RK-25 et RK-32 etc… Plusieurs milliers de documents secrets ont été transmis à la DST par Vladimir Vetrov, officier supérieur du KGB, en poste à Paris de 1965 à 1970. Il remettra également plus
 de
 400
 noms
 de
membres
 des
 services
 soviétiques
 opérant
 en
 France
 et
 à
 l’étranger. Ce qui se traduira en 1983 par l’expulsion de France de 47 membres des services de renseignement soviétiques.

Le second programme a été placé sous la responsabilité du ministère du commerce extérieur. il établit un plan de recherche et d’acquisition d’ordinateurs hauts de gamme, de micro-électronique, de systèmes de communication élaborés, de machines-outils et de robotique domaine dans lequel l’U.R.S.S. vise la parité avec l’Ouest (« le nombre des robots industriels sera multiplié par trois »).

L’innovation, priorité des priorités

Ces deux programmes donnent l’impression d’être « administrés » séparément. En fait, il n’en est rien : les deux programmes recherchent les mêmes produits. Tous les ministères concernés, y compris celui de l’informatique créé en 1986, passent des «commandes » analogues … et bien souvent les officiers du K.G.B. ou du G.R.U., chargés du dossier, travaillent pour l’un comme pour l’autre. L’innovation est devenue la priorité des priorités. « Toute entreprise, tout chercheur dans les domaines scientifique, industriel, économique et gestionnaire [perestroïka oblige) sont devenus des cibles ».

Le Département d’Etat, sur la base d’un rapport classifié de la C.I.A., vient de publier une étude très révélatrice sur le rôle joué par la chambre de commerce et d’industrie soviétique. Représentée dans 14 pays du monde- dont la France- « la C.C.l. est chargée de la pénétration du patrimoine économique, scientifique et technique occidental ».

Agents sous couverture

Un bon tiers des responsables sont des agents du K.G.B. agissant sous couverture commerciale. Ils sont chargés de superviser toutes les foires, de participer à tous les séminaires internationaux et d’obtenir légalement, voire illégalement, tout ce qui fait l’objet de commandes de la V.P.K. ou du G.K.N.T.

Sur les 140 responsables des divers secteurs, les deux tiers ont été identifiés et répertoriés comme étant des officiers du K.G.B. (80) et du G.R.U. (12). A la lecture des états de services ou des fonctions occupées, l’on observera que tous ces « contrôleurs » ont été en poste dans des capitales jugées « sensibles » où les transferts de technologie sont plus facilement organisés. ils ont tous suivi des stages spécialisés ou sont issus de l’ Académie du commerce extérieur où l’on enseigne tout dans le moindre détail. L’accueil est « particulièrement soigné » : de l’interprète à la Natacha dévouée …

Uni soit qui mal y pense

Le « complexe hôtelier Soyouz » — ce qui signifie uni — en russe (uni soit qui mal y pense !) est équipé de chambres confortables et « sonorisées ». Quand des gros contrats sont en jeu, les principes de Sun-Tzu et de Lénine sont appliqués à la lettre …

Parmi les principaux dirigeants, citons le président Yevgeni Petrovich Pitovranov, lieutenant-général (C.R.) du K.G.B. De 1953 à 1958, il a été en poste à Berlin : deux ans comme Haut-Commissaire adjoint et trois ans à l’Ambassade de Berlin-Est avant de prendre en 1962 la direction de l’École de formation du K.G.B., ou encore Marlène Khorenovich Akopov, directrice des expositions soviétiques à l’étranger (K.G.B.). Âgée de 47 ans, elle est connue pour son charme slave et son sens d’établir le contact. Elle parle un anglais excellent et aimé beaucoup Paris, qu’elle a connu en 1966…

Yevgeni Petrovich Pitrovanov — Photo © European-Security —

-


Il serait dommage d’oublier Konstantin Fedorovich Afanas’yev, Directeur-général, adjoint du V/0 Ekspocentr depuis 1981. Colonel du K.G.B., il parle bien le français ct surtout l’allemand et compte surtout de vieux amis dans les chambres de commerce de Cologne (R.F.A.) et de Vienne (Autriche) où il a été pendant 4 ans premier secrétaire à la mission commerciale soviétique … Citons encore Khachik Fedorkovich Oganessian, son prédécesseur, ancien « conseiller » du ministère soviétique de l’Intérieur auprès du M.F.S. est-allemand de 1954 à 1959 et chef du C.E. du K.G.B … Ou encore Ivan Luk’yanovich Rozhkov, d’lnformreklama, officier du G.R.U. déclaré personata non grata (1972) en Bolivie … Ou enfin Aleksandr Fedorovich Khlystov, directeur-général adjoint de V/0 Sovinlcentr depuis 1980. Agé de 54 ans il a beaucoup «travaillé>> aux Etats-Unis, au Japon et à Londres pendant 4 ans avant de se retrouver «muté» en 1974 à Moscou. Son goût immodéré pour la vodka lui aurait fait connaître une certaine disgrâce. Last but not least, citons Gennadi Nikolaievich Tapeshko, directeur d’lnterkongress depuis avril 1985. De 1977 à 1981 il était «en poste» à Bruxelles à la chambre de commerce belge-soviétique…

Une guerre commerciale à sens unique

Les conclusions que l’on peut tirer de ce dispositif font que la guerre commerciale Est-Ouest existe (à sens unique). Ce que ne dit pas cette étude de 13 pages dans sa version expurgée, c’est la qualité des liens tissés avec toutes les grandes chambres de commerce et d’industrie des pays industrialisés.

Certains personnages jouent un rôle moteur. C’est le cas du président de la C.C.l. de Cologne qui passe pour avoir été très lié au général-major Kim Philby, disparu depuis peu. On se demande bien pourquoi un certain « premier ministre de la France » a fait en sorte qu’aucune photo de lui ne soit prise avec Otto Wolf von Amerangen lors de sa visite à Cologne…

Faire du commerce ct du profit ne suffit pas à expliquer la nature de certains échanges.

Comme le remarquait récemment un expert britannique renommé, Brian Crozier, « les sommets Est-Ouest créent une certaine dynamique ». Les Doumeng (lnteragra) et autres Hammer sont au mieux avec les responsables capitalistes. On peut par exemple se demander pourquoi M. Verity, l’ancien bras-droit d’Armand Hammer est devenu ministre du commerce extérieur des États-Unis !

Comme quoi, la vérité n’est pas toujours bonne à dire !

Joël-François Dumont

Articles repris de Désinformation Hebdo :