Le Stern System 

« Mes paroles cherchaient à provoquer la haine, l’aversion et le mépris… non pas à convaincre mais à briser les rangs des opposants, non pas à corriger leurs erreurs mais à détruire les opposants, à faire disparaitre leur organisation de la terre … » (Lénine)

Le dernier cahier de Stern (n°24) publié le 3 juin 1987, consacré à la France, est un morceau choisi de désinformation de type soviétique, dont ce magazine de Hambourg semble s’être fait une spécialité.

A l’initiative de l’amiral Pierre Lacoste, président de la Fondation des études de la Défense nationale, l’Institut d’Études de la Désinformation a demandé à Joël-François Dumont,[1] de nous décrire cette « étoile » (Stern) que les spécialistes des « Mesures Actives » soviétiques observent chaque semaine avec un intérêt tout particulier… depuis maintenant plus de 20 ans!

Le Stern System : Une drôle d’étoile

Avant de rappeler des faits précis concernant ce magazine-étoile qui brille d’un éclat particulier au firmament de la « desinformatsia » soviétique, il nous faut survoler le contenu de cette « étude » consacrée à la France, reprenant de vieux clichés qui évoquent une époque et des méthodes funestes de notre histoire contemporaine.

Marcel Jullian, partagé entre le mépris et l’humour a choisi l’humour, forme supérieure de l’intelligence, pour résumer en quelques lignes les légendes des photos couleur qui s’étalent sur sept doubles pages pour illustrer un portrait inédit de la « Grande Nation » …[2]

« Littéralement, sur la rive d’en face, la nôtre, et aux yeux de notre confrère allemand, tout est à jeter. Nous nous posons en héros ou en victimes, jamais en responsables, et nous entendons bien avoir l’exclusivité d e cette distribution exemplaire » écrit Marcel Jullian, qui en déduit que « nous abritons à l’Élysée un monarque « socialiste » donneur de leçons, à Matignon un gouvernement de matamores qui pollue l’Océanie avec ses explosions nucléaires, joue au trafiquant d’armes un peu partout dans le monde et dont les seuls exportateurs à peu près sérieux sont ses agents secrets »…

« La tentation est grande de répliquer au Stern » conclut Marcel Jullian qui croyait « révolue » une telle « panoplie de vieux clichés disponible, prête à servir, comme les armes des râteliers » avant de nous convaincre de ne pas succomber à la tentation pour éviter d’entrer dans un « cercle infernal et vulgaire » et de nous dire « qu’une étoile, le Stern, est passée dans notre ciel d’orage » en suggérant de lui rendre « le service de l’avoir prise pour une étoile filante »…

Partant de cette règle d’or aux États-Unis que « les faits sont sacrés et les commentaires sont libres », il me parait indispensable de rappeler des faits précis qui ont valu à Stern le privilège rare sinon exclusif d’être condamné, avec ses journalistes-étoiles, qualifiés d’auxiliaires d’un service secret, la Stasi est-allemande.

Une étoile et une nébuleuse…

Avant de citer des exemples concrets, il faut préciser que le « logo » inimitable de Stern a valeur de symbole… Cette étoile, comme toute étoile, s’est formée à l’intérieur d’une nébuleuse. Dans le cas de Stern on se demande s’il ne s’agit pas d’une nébuleuse par réflexion…

Cette étoile à six branches, blanche sur fond rouge, a une histoire, une origine qui gagne à être rappelée : elle a servi d’emblème à la Propaganda-Standarte Kurt Eggers de la Waffen-SS, une des compagnies de propagande de la Waffen SS !

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Brassard de la PK Kurt Eggers de la Waffen-SS

La PK Kurt Eggers était une compagnie de funeste mémoire, dépendant directement de l’Oberkommando de la Wehrmacht et rattachée à la Waffen SS, portant le nom d’un écrivain nazi, mort sur le front de l’Est en 1943. Henri Nannen avait dessiné son enblême qu’il a réutilisé comme logo pour le magazine créé après-guerre.

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Goebbels mit den Chefs der Propagandakompanien der drei Wehrmachtteile im Propagandaministerium in Berlin am 28. Januar 1941 Foto Bundesarchiv

Cette compagnie s’est illustrée dans les Balkans mais pas seulement. Dans la campagne de France également !

Le barbie des ondes

Dans un livre fort documenté, « L’arme qui vise l’âme »,[3] un spécialiste éminent, le Dr. Ortwin Buchbender, qui a eu accés aux archives de cette compagnie très particulière, explique la triple mission qui lui avait été assignée par le grand commandement de la Wehrmacht : influencer, disperser et amener à la désertion les combattants de la Division polonaise luttant aux côtés des forces anglo-américaines en Italie… Le Lieutenant de la Luftwaffe qui dirigeait cette opération de guerre psychologique, ce « Barbie des ondes », Henri Nannen, devait se recaser après-guerre — sans jamais avoir été poursuivi — dans la presse écrite ouest-allemande et fonder le Magazine Stern, un magazine à grand tirage, entouré de quelques vedettes au lourd passé qui devaient défrayer la chronique…

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De loin le plus gros scandale de l’après-guerre…

L’affaire des faux carnets d’Adolf Hitler, reste gravée dans toutes les mémoires, mais d’autres affaires méritent aussi d’être évoquées…

En 1967, au moment où les postes soviétiques mettent en vente un timbre pour célébrer le cinquantième anniversaire de la Tchéka et du KGB, Henri Nannen réécrit l’Histoire et « lance » les fausses mémoires de Stevlana Staline « en fuite ».

Des faux réalisés par le Département D du KGB (qui deviendra le fameux Service A du 1er Directorat Principal)…

Timbre émis pour le cinquantième anniversaire de la Tcheka et du KGB — Photo BS © Bluelake

Dans le numéro 33 de Stern, ce titre : « Mon père était un brave homme »… suivi d’un article d’Henri Nannen qui réussit l’exploit de transformer en père modèle le « petit père des peuples » qui fut pourtant le plus grand assassin de masse, ex-aequo avec Adolf Hitler…

Déjà, quelques mois plus tôt, Stern dans son numéro 15, présentait « en exclusivité » l’album de famille de Svetlana (elle n’était alors pas en « fuite », pas encore…) Comme toujours lors de la présentation de telles « exclusivités mondiales », le texte vaut la légende qui accompagne les photos. Ces photos « montrent l’autre visage, le visage d’un tendre père de famille » … C’est d’ailleurs le seul côté du Père Joseph auquel Henri Nannen, fait allusion… Un oubli, n’en doutons pas !

Les articles « sensationnels » de Stern, fruit d’un hasard systématique, précédent, accompagnent ou justifient toujours des « mesures actives » mises-en-œuvre par les services spéciaux de Berlin-Est ou de Moscou.

Autre exemple, en 1971, dans son numéro 48, Stern publie coup sur coup deux articles à sensation… Le premier est consacré à la famille Soljenitsine « une famille de mufles » (eine Familie von Flegeln)… Ce commentaire précède une interview tronquée du grand écrivain russe, qui parlera plus tard d’une interview « avec des mensonges bien calculés »…

Dans le même numéro de Stern, un reporter-étoile du « Stern­ System » découvre à Göttingen, en République Fédérale d’Allemagne un fils naturel de Chou-en-Laï… Encore une exclusivité mondiale, que l’on doit cette fois à Gerd Heidemann, le même qui découvrira une dizaine d’années plus tard les fameux « faux carnets d’Hitler ».

Le 5 avril 1970, le Sunday Telegraph révèle le « détournement de la psychiatrie en U.R.S.S. », et parle des asiles d’aliénés ou sont « traités les opposants »… Les révélations sont reprises dans la presse américaine, au début de l’année 1973, preuves à l’appui… Dans son numéro 45, six mois plus tard, Stern s’empare du sujet et consacre une étude dans laquelle il n’est nullement question d’internement arbitraire et de traitement « approprié » par les auxiliaires du KGB… Bien sûr, entre temps, l’ancien général Grigorenko, est à New-York. Interné pendant de longues années en Union Soviétique dans de tels établissements, il est la preuve vivante de ce détournement de la psychiatrie à des fins politiques.

Le 25 avril 1973, « ZDF-Magazin », magazine d’actualité de la Deuxième Chaine de Télévision allemande « démonte » un nouveau « scoop » de Stern, dont la dernière découverte fortuite est la preuve que le président de la République Fédérale d’Allemagne, Heinrich Luebke, a « conçu les plans des baraques dans les camps de concentration nazis »… La preuve est venue de Berlin-Est, la signature de Luebke sur le coin d’un plan… L’auteur de ce nouveau « scoop » est encore Henri Nannen, bientôt relayé par la « presse » est­allemande officielle…

Les numéros de Stern se suivent et se ressemblent. Heinrich Nannen en fait une affaire personnelle… En s’adressant aux lecteurs de Stern, il écrit qu’Heinrich Luebke mérite peut-être « de la compassion, mais du respect, sûrement pas » et c’est signé « très cordialement, Henri Nannen ». Dans l’édition suivante, Nannen conjure « démissionnez Monsieur Luebke »… Une semaine plus tard, c’est l’appel au meurtre classique… après un appel désespéré « Démettez-vous tout de suite, saisissez cette chance de servir enfin votre pays ». Un transfuge tchèque, Ladislav Bittmann raconte comment l’opération a été « montée » par les services du Ministère de la Sécurité d’État de Berlin-Est… Les Allemands, stupéfaits, découvrent que cette campagne a été entièrement fabriquée. Le Président Luebke a été sali, traité « d’homme de main de la Gestapo », de « valet des Konzern », de « maçon de 1’enfer », avec, comme seule preuve, une imitation de sa signature au bas d’un plan d’architecture et un examen graphologique pratiqué à Berlin-Est par les service du général Markus Wolf, le célèbre Mischa…

Le 9 juillet 1975, Gerd Loewenthal, producteur de ZDF-Magazin, bête noire de la Stasi, interviewe John Barron pour le lancement d’un livre qui devient une référence et un classique consacré au KGB.[4] John Barron accuse, preuves à l’appui, Stern de se faire le relais du service de désinformation du KGB en citant pour exemple l’affaire Johnson.

En 1965, le Sergent Robert Lee Johnson de l’armée de Terre des États-Unis est arrêté pour « espionnage au profit de l’Union Soviétique » pour avoir remis des documents secrets à des agents du KGB. Après la libération de Johnson, le KGB décide de profiter de l’occasion… C’est ainsi que dans son numéro 6, Stern publie le 1er février 1970 des « plans secrets américains » qui annoncent « des bombes atomiques sur Kiel »…

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La Lubyanka, siège de la Tchéka et du KGB à Moscou — Photo BS © Marco-Rubino

L’auteur de cet article sensationnel avait mystérieusement découvert des preuves irréfutables… « Un inconnu de grande taille » lui avait « remis des négatifs de film, qui dans la chambre noire montraient » divers documents « extraits d’un manuel de bord d’un bombardier américain et d’autres documents secrets », ceux-là même que le Sergent Johnson avait remis au KGB cinq ans plus tôt, un hasard. Le reporter-étoile de Stern annonçait ainsi que la ville de Kiel et bien d’autres « y compris dans des pays neutres devait faire l’objet d’un bombardement nucléaire en cas de guerre ». Ces faux documents montrant des plans américains visant à faire sauter l’Europe ont été publiés après les audiences au Congrès de la Commission Permanente Spéciale de la Chambre sur le Renseignement en Juillet 1982.[5]

Les conséquences d’une telle révélation ont été très dommageables car elles ont entraîné, les campagnes « pacifiques » reprenant en R.F.A. de plus belle, une vague d’anti-américanisme… La guerre du Vietnam touchait à sa fin… Pour le KGB, ce fut une aubaine qui devait inciter le MFS de Berlin-Est à renouveler l’opération…

Le 20 septembre 1981 Volkstimme (la voix du peuple), organe du Parti Communiste autrichien publie, sous la signature de Julius Mader, un « illégal » des services est-allemands, auteur de « Qui est qui à la CIA » publié en 1968, un « document secret » : une carte d’état-major en référence 77706/10-70 (en vente libre!) avec des croix indiquant les objectifs américains en cas de guerre… Des bombes nucléaires devaient être lâchées sur Vienne, Linz, Graz, l’oléoduc Vienne-Linz et trente-sept autres cibles !

Cette nouvelle « révélation » devait entraîner une campagne anti-américaine de grande ampleur, car ces « informations » avaient été reprises en chœur par le Patriot aux Indes, le Diaro de Lisboa au Portugal, en Grèce, en France et dans d’autres pays, grâce à toute cette nébuleuse de réflexion, pour employer un terme d’astronomie…

Avant de rappeler les plus gros « scoops » de Stern, mentionnons encore les fameuses « lettres de Tchécoslovaquie » visant à salir Jiry Starek, un ancien diplomate.

Pas un mot dans Stern du saccage à Wiesbaden de l’appartement d’un confrère de la ZDF, Vladimir Vessely, d’origine tchèque, passé à l’Ouest en 1968 après dix ans de prison dans un cachot humide. Le film de cette action avait été diffusé à la télévision tchèque avec cet avertissement sinistre : « voilà ce qui arrive aux traîtres et aux agents de la CIA ». Affaire pourtant qui avait créé un incident diplomatique entre la RFA et la Tchécoslovaquie.

La diffamation : un moyen comme un autre à la fois pour affaiblir un concurrent sérieux, Quick et éliminer le directeur de sa rédaction, Van Nouhuis. Stern dans son numéro 44 (1975) n’hésite pas et titre : « un agent double à la solde du MFS et du BND »… Cet « adversaire de la détente est dangereux »… Contrairement à Stern, Quick n’hésite pas et ose même publier les portraits d’agents soviétiques démasqués en RFA. Qui sont les auteurs de cette accusation? Gerd Heidemann et Thomas Walde.

Dans le numéro 30 de Stern (1980), même scénario Inge Goliath, secrétaire d’un parlementaire très en vue à la CDU, le Dr. Werner Marx, à la veille d’être arrêtée pour espionnage au profit de l’Allemagne de l’Est se réfugie à l’Est et reçoit chez elle deux journalistes de Stern, Gerd Heidemann et Thomas Walde qui enquêtent, à Berlin-Est, sur « une taupe activement recherchée »… à l’Ouest. Cette taupe, c’est bien sûr le Dr. Werner Marx !

Mystère, quand tu nous tiens…

Après tous ces rappels qui permettent de mieux situer certains personnages du Stern-System hambourgeois et le style incomparable de cet hebdomadaire, que certains comparent à Paris- Match (avec son tirage d’1,5 million d’exemplaires), il est essentiel de citer l’apothéose incontestable de Stern en 1983 : la fameuse affaire des « faux carnets d’Adolf Hitler »… Pour Le Monde du 20 Mai 1983, « ce fut un psycho-polar qui ne se révéla que par la suite être une plaisanterie »… A l’origine de cette « plaisanterie », selon Henri Nannen, « deux spécialistes d’histoire contemporaine », Gerd Heidemann et Thomas Walde à qui l’on a dû ce « scoop du siècle » — racheté à prix d’or par Paris-Match —, une exclusivité pour la France en quelque sorte. Un scoop qui devait coûter la bagatelle de 9 millions de Mark à Stern et dont 7 ont « mystérieusement » disparu. Le bilan total devait s’élever à plus de 20 millions de Mark, 60 millions de Francs, tel qu’il fut chiffré par Mark Woessner, président du conseil d’administration du Groupe Ouest-Allemand Bertelsmann dont la filiale Gruen & Jahr édite Stern. Les faux venaient de Berlin-Est…

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Konrad Kujau, faussaire, auteur des 82 carnets d’Hitler dans sa galerie de Stuttgart — Photo DR

Le 22 juillet 1983, Le Figaro publia cette information qui donne à réfléchir : Konrad Kujau, l’auteur des faux-carnets, manipulé par les services du MFS avait « été payé mensuellement pendant deux ans et demi par la Banque du Commerce de l’Europe du Nord », la banque soviétique de Paris. Un salaire venant de Moscou, reversé par la B.C.E.N. à la « Bank für Gemeinwirtschaft », la banque des syndicats de Frankfort… Information confirmée par le directeur de cette banque trouvant cela « normal » puisque « la Bank für Gemeinwirtschaft » était « la banque correspondante en RFA de la B.C.E.N. » Le premier numéro spécial qui a connu une promotion exceptionnelle dans le monde entier s’est vendu à 2.300.000 exemplaires, le second et le dernier un peu moins, avant que la supercherie ne soit découverte.

La « plaisanterie », toutefois, ne fut pas du goût de tout le monde et une fois de plus, la justice ouest-allemande s’en mêla. La rédaction qui dans ces années d’austérité s’était vu supprimer le jus d’orange gratuit, toujours discrète jusqu’ici, s’est intéressée au « problème », le Conseil d’Administration, s’est ému, la justice s’est montrée clémente… Néanmoins Stern dut se séparer de ses plus beaux fleurons et de son fondateur, Henri Nannen, de Peter Koch, Felix Schmitt, Gerd Schulte-Hillen, avec toutefois la modique somme d’1 million de Mark au titre de la « prime de reconversion » (sic)… Gerd Heidemann et Thomas Walde ont été remerciés… Du 28 janvier 1981 au 29 avril 1983, 9,34 millions de Mark ont été détournés, mais les responsables sont encore sur place aujourd’hui, malgré l’arrivée de Peter Scholl-Latour, venu de Paris où il était correspondant de la ZDF.

Dommage à l’époque que notre confrère de la Deuxième Chaîne de Télévision allemande, la ZDF, Gerd Loewenthal, dans son émission « récapitulative » du 18 Mai 1983 ait été le seul à rappeler que le procureur fédéral d’Allemagne et tous les services compétents (BfV, BND, BKA, Chancellerie fédérale) avaient reçu de ses services une notification de sept pages, en date du 8 décembre 1980, à la suite d’une audition de Gerd Heidemann et de Thomas Walde pour une affaire précédente, enregistrée sous le n°4 BJs 42/79…

Cette notification « établissait formellement que deux officiers du MFS, le Ministère de la Sécurité d’État, portant les noms de Buchner et Zaber, leur avaient proposé le 27 Août 1980 à l’Hôtel Palast de Berlin-Est une interview exclusive du Général Wolf, l’accès aux Archives de Potsdam avec tous les documents sur la période nazie, enfin, une aide dans la fabrication des carnets d’Hitler (Mithilfe bei der Beschaffung von Hitler Tagebücher) »… Fin de citation

Près de trois ans plus tard, Konrad Kujau alias « Fischer », ancien membre des Jeunesses communistes de RDA sera finalement confondu et passera aux aveux. Cet ancien « collectionneur et marchand de souvenirs nazis » s’est reconverti dans la peinture, les copies de tableaux pour être plus précis.

Avant d’en finir avec cette énumération, indispensable toutefois pour situer Stern, il me faut rappeler la récente mise-en-cause d’André Fraçois-Poncet, ancien Ambassadeur de France en Allemagne et père de Jean François-Poncet, sans preuve, sans doute pour relancer le procès Barbie.

Quels que soient les crimes d’une génération de nazis, les allemands ne sont pas tous des Barbie, et les français ne voient plus en eux des ennemis héréditaires, n’en déplaise au Kremlin qui non seulement a développé mais affiné au cours des ans les méthodes de Goebbels et de la Propagandastaffel au point d’avoir récupéré certains de ses responsables et même leurs enfants…

Il serait quand même dommage de ne pas jeter un regard attentif sur ce dernier « grand reportage » signé par le correspondant-étoile à Paris de Stern, Claus Lutterbeck. Que dit-il et que ne dit-il pas ?

D’abord le gros titre : « le rêve de la grande puissance » et un sous-titre éloquent: « la France décline la solution Zéro vers laquelle tendent Moscou et Washington. Au lieu de désarmer, le gouvernement de Paris développe encore son armement atomique, pense à la fabrication d’armes chimiques et à la construction de la bombe à neutrons. En Afrique, au Proche Orient et dans le Pacifique-Sud, la « grande nation » (sic) se mêle de tout, avec de l’argent, des armes , des soldats et des agents secrets. » Fin de citation ! 

Le style Bertha       

Quel réquisitoire ! Le style Bertha. Une observation peut-être : cet article doit être écrit depuis longtemps et ne semble pas tenir compte du « revirement » français sur les propositions de Gorbatchov…

Les photos ont toutes été sélectionnées parmi des photos d’agence, minutieusement, pour montrer « l’arrogance française »…  Minable procédé… Sur trois pages de texte Stern étale sa dénonciation de la « grande nation »… La force de frappe française étant « le moyen de jouer un rôle exceptionnel sur la scène internationale » qui, mime si elle coûte très cher, garantit la grandeur, « ce mélange tellement important pour les Français, d’indépendance, de superbe et de fierté »… Cela ne s’invente pas !

Ce qu’oublie d’expliquer Claus Lutterbeek, c’est que les Français ne connaissent pas de crise d’identité comme leurs voisins allemands. Il pose quand même une vraie question. « Est-ce que les fusées françaises doivent aussi protéger l’ami et le partenaire qu’est la République Fédérale, ou seulement le sanctuaire national pour utiliser la terminologie militaire désignant le sol de France ? La question, où la défense de la France commence t’elle, sur le Rhin ou sur l’Elbe, n’est toujours pas résolue »…

Voilà enfin une critique fondée. D’autres toutes aussi fondées pourraient être nombreuses.

Soldats sur le front invisible

Voyons quelques griefs que l’on aurait tort à Paris de mésestimer. En Janvier 1986, le gouvernement français aurait dans un premier temps sous-estimé la volonté du Président Reagan, qui veut achever son deuxième mandat « en beauté » et parvenir à un accord de désarmement à tout prix. A Reykjavik, même des aveugles auraient vu clair, mais n’était-il pas déjà trop tard ? Depuis la dernière réunion de l’OTAN à Stavanger, les risques se précisent de voir la République Fédérale devenir la première victime de ce marchandage de dupes, et la France, la seconde dans la même foulée. La prochaine étape soviétique consistera à faire en sorte avec tous ses moyens de propagande, ses « idiots utiles » si nombreux à l’Ouest, d’empêcher tout remplacement de moyens nucléaires par des moyens conventionnels. Dans ce concert, André Giraud est seul à dire que « la menace à notre porte »[6] rappelant, fort opportunément, que « toutes les têtes nucléaires soviétiques, sans exception, peuvent tomber sur l’Europe de l’Ouest. Toutes les fusées de l’Est sont des euromissiles et justement » ajoute le Ministre de la Défense qui précise : « on parle actuellement de supprimer la totalité des euro­missiles situés à l’Ouest. Il restera encore un nombre de l’ordre de 15.000 têtes nucléaires soviétiques capables de tomber toutes en Europe de l’Ouest »… Il ne faut pas en conclusion que le désarmement « qui est une bonne chose en devienne une mauvaise »… Espérons en effet que Gorbatchov ne réussira pas la où Brejnev et Tchernienko ont échoué, à désintégrer l’OTAN et à désarmer les États-Unis. En 1972, Brejnev inaugurant la « détente » aimait répéter « la détente ne signifie en aucun cas le ralentissement du combat idéologique ». « La détente », comme l’a écrit John Sarron.[7] « C’est la diminution du conflit visible mais l’augmentation simultanée du conflit secret ». Jusqu’à la victoire complète et finale du communisme à l’échelle mondiale, les soviétiques sont « voués à la guerre pour la paix »…

Pour arriver à ses fins le Kremlin n’a jamais hésité à recruter et à utiliser des milliers de « soldats sur le front invisible », des Nannen, Heidemann, Walde, Pathé, Claude Julien (Le Monde Diplomatique), Jean Clémentin (Le Canard Enchaîné), Max Clos (Le Figaro) et tant d’autres, officiellement non­- voire anti-communistes, connus pourtant comme des « loups blancs » mais jamais inquiétés à de très rares exceptions.

Le 16 Décembre 1966, le code pénal soviétique s’est enrichi de l’article 190-1 pour interdire « la propagation de fausses informations portant préjudice à l’État et à la Société soviétiques »… Sans aller jusque-là, pour se protéger d’une menace cancérigène qui vise nos cerveaux et nos cœurs,[8] Français et Allemands devraient ensemble lutter contre cette désinformation qui obtient sans d’autres armes que les mots, plus de victoires qu’avec des armes nucléaires.

Dans cette guerre invisible, les Allemands de l’Est, les Tchécoslovaques sont appelés à jouer un rôle éminent pour saper par tous les moyens l’axe Paris-Bonn relayés en France par le PCF et par les organisations internationales « de façade ».

Pour montrer leur bonne foi, il serait peut-être bon que ceux qui se réclament aujourd’hui du gaullisme, même s’ils ont combattu avec acharnement le Général de son vivant, disent et redisent à la face du monde que la France favorise l’autodétermination des peuples, cessent d’en refuser le principe aux Allemands, sous le prétexte usé que la clef du problème est à Moscou. La France se doit d’adopter dans ce domaine une diplomatie offensive à l’égard de notre voisin, sous peine de le perdre et avec lui notre âme européenne.

Stern et Nannen : des relais en Allemagne de la désinformation du KGB et de la Stasi

On n’empêchera pas Stern de jouer son rôle, celui que cet hebdomadaire n’a cessé de jouer pendant vingt ans, c’est sa raison d’être. Chacun la sienne. Le correspondant-­étoile à Paris de ce magazine « pas comme les autres » n’aborde pas jamais ces questions de fond. Ses silences sont aussi éloquents que son article est ridicule…

Henri Nannen, un modèle pour la jeunesse ?

Henri Nannen, un modèle en Allemagne, mais pour qui ? La jeunesse, les jeunes journalistes ?

Comment le nom d’Henri Nannen a t-il pu, en 1979, être donné à l’école de journalistes de Hambourg ? Dans un pays où les grandes plumes ne manquent pas, un tel choix ne peut que surprendre pour ne pas dire plus.

Joël-François Dumont

[1] Journaliste de politique étrangère à France 3 et spécialiste défense, co-auteur de deux livres traitant de la guerre indirecte, diplomé de l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Université de Kiel (RFA) et Auditeur à l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale (“The peace movements in Europe and America” — Croom Helm, Londres et Sydney, Juillet 1985 & Für ein Deutschland in der Zukunft — Colloquium Verlag, Berlin, Novembre 1986.)

[2]  Le Parisien Libéré du 5 Juin 1987.

[3] “Die Waffe die auf die Seele zielt” (L’arme qui vise l’âme) — Motorbuch Verlag, Stuttgart, 1986 —

[4] « KGB » — Éditions Elsevier Séquoia, Bruxelles 1975 —

[5] Hearings before the permanent select Committee on Intelligence, House of Representatives, 97th Congress, 2nd session, July 13/14, 1982. U.S. Governement Printing Office, Washington D.C. 1982.

[6] France-Soir du 2 Juin 1987.

[7] « Enquête sur le KGB » — Librairie Arthème Fayard, 1984 —

[8] « Marianne, Gorbatchev et les idiots utiles » — Éditorial de Désinformation Hebdo n° 13 du 21 Mai 1987.

Articles repris de Désinformation Hebdo :