Le port spatial de Kourou est une réussite à l’échelle du monde. Mais une telle réussite ne va pas sans des exigences très strictes en matière de sécurité. Clef de cette réussite des FAG en Guyane, notamment, une coopération interarmées et des services permanente.
Cette chronique © a été publiée dans la revue Défense.[1] Nous la reproduisons ici avec l'autorisation de son auteur, Joël-François Dumont.(*) Paris, le 15 novembre 2008.
L’aventure spatiale imposée par le général de Gaulle célèbre en 2008 ses 40 ans. Les 25 et 26 novembre à la Haye, les gouvernements européens vont tenter lors du « conseil de l’ESA »,[2] de relancer une Europe spatiale qui en a bien besoin. Côté français, l’espace redevient une priorité affichée en matière de défense et de renseignement. Après le discours fondateur du président de la République à Kourou,[3] la publication du "Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale",[4] le dépôt le 29 octobre du projet de LPM 2009-2014 par Hervé Morin, ministre de la défense, confirme certains projets.
La fusée Ariane 5 arrive sur son aire de lancement à H-7
Depuis des années, les lancements d’Ariane 5 se succèdent sans faute. Autant d’exploits et de succès qui se traduisent désormais à la télévision par quelques secondes furtives comme si l’Espace était déjà conquis. A force, cela produit des effets négatifs. A la fois sur les responsables politiques tentés de ne pas réinvestir dans un secteur certes coûteux, mais qui rapporte beaucoup, « puisque tout va bien ». Mais aussi sur le public pour qui cette banalisation fait que personne ne peut imaginer en métropole le côté prioritaire de tels investissements. Faut-il attendre que l’Europe perde la courte avance qu’elle possède encore pour se voir rattrapée d’ici quelques années par des pays émergents, de plus en plus nombreux à accéder à la dimension spatiale, pour comprendre les enjeux, faute de les avoir expliqués ?
Deux Fennec armés survolent les abords de la zone de lancement prêts à intervenir
Le port spatial de Kourou est une réussite à l’échelle du monde. Mais une réussite aussi exceptionnelle ne va pas sans des exigences très strictes en matière de sécurité. A l’intérieur du site d’abord, où il faut imaginer ce que représente « la manipulation de matériaux sensibles pyrotechniques, de propergols solides et liquides » pour les moteurs d’Ariane assemblés sur place. Pour l’IGA Joël Barre, ancien responsable du programme Hélios, qui dirige aujourd’hui le CSG : « ce sont des choses qu’il faut manipuler avec précaution en respectant les consignes de sécurité qui s’y appliquent. Pour cela il faut du territoire, de la distance. Nous avons une superficie de l’ordre de 700 km². Cela peut paraître grand, mais ce n’est jamais que le dixième de ce que les Russes utilisent à Baïkonour au Kazakhstan. » [5] Deuxième exigence, à l’extérieur cette fois pour sécuriser le site, il faut protéger plus que la Guyane. Une mission que les FAG mènent à bien depuis 40 ans en relevant des défis quotidiens. Clef de cette réussite des FAG en Guyane, « une coopération interarmées permanente » [6] bien pensée et étendue au secteur civil de l’administration du département, sans oublier nos services de renseignement dont la vigilance s’exerce de loin comme de près sur la région.
Le CCM "Calypso radar" de Kourou
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Le CCM "Calypso radar" de Kourou
Depuis 1989, un centre de contrôle militaire, responsable des opérations aériennes de théâtre, a été installé sur le CSG. Articulé autour d'un radar Centaure, le CCM assure une surveillance permanente, "H24" de l'espace aérien pour l'établissement de la situation aérienne générale et le contrôle de la circulation aérienne militaire. La sûreté et la défense aérienne du CSG s’entendent à l'intérieur d'une zone aérienne interdite SOP 3 qui s'étend au-delà des 900 km² du site et jusqu'à 6.500 mètres d'altitude. L’ensemble du dispositif déployé forme une bulle de protection au-dessus du CSG. L’objectif étant de détecter et d’identifier tout déplacement aérien quelque soit son altitude dans un rayon de 40 km centré sur le lanceur Ariane 5.
Le LCL François Lavigne, commandant le CCM de Kourou
Commandé par le LCL François Lavigne également « Haute Autorité de Défense Aérienne en Guyane », ce centre est au cœur du dispositif, dans une zone où, même en dehors des lancements, la posture de protection est toujours de mise. [7]
Une CDA devant son écran au CCM de Kourou
Devant leurs écrans de détection, un contrôleur de Défense Aérienne et un opérateur de Surveillance Aérienne veillent 24 heures sur 24
Ce dispositif s’appuie également sur l’artillerie sol-air du 3ème REI et sur trois hélicoptères Fennec armés, autant de moyens adaptés à « une menace lente ». Tous les moyens sont coordonnés et contrôlés à partir du CCM où sont installés plusieurs radars : Centaure en permanence, Aladin occasionnellement pendant les maintenances et NC1 pendant les plans de protection du CSG.
Interception MASA. Deuxième étape : contact visuel
Toute l'année, des missions MASA [8] sont assurées au profit du CSG pour parer à tout acte de malveillance venu du ciel. Mesures pouvant aller de la simple reconnaissance jusqu’au tir de destruction. Outre les tireurs d'élite embarqués, les Fennec peuvent être armés de canons de 20 mm et équipés d'une caméra thermique.
Tireur d'élite embarqué à bord d'un fennec en patrouille aux abords de l'aire de lancement
L’escadron d’hélicoptères Outre-mer 68 (EHOM) effectue des entraînements et des missions de sûreté aérienne au bénéfice du centre spatial. Il existe en métropole cinq centres de détection et de contrôle, Kourou étant le seul CCM basé Outre-mer. Rattaché à la B.A. 367, il emploie 40 personnes, hommes et femmes dont 15 sont détachées. Depuis 2003, cette capacité d'observation est devenue nocturne, les équipages de l'EHOM étant aptes aux interceptions de nuit sous JVN (jumelles de vision nocturne). La protection aérienne du CSG devant permettre de faire face à tous types de menaces, aussi bien « terroriste, médiatique ou simplement revendicatrice ».
Ariane est sur son pas de tir. Les armées veillent…
Selon le LCL Lavigne, « tout est prévu pour intercepter un appareil en basse altitude, le dérouter, voire le neutraliser si nécessaire, et ce dans un minimum de temps.». Le CCM dispose d'un certain nombre de moyens de visualisation, de transmissions et de détection, et sa capacité de détection sera doublée avec l’arrivée vers 2011/2012 d’un radar de haute technologie de défense aérienne au mont Vénus.
Joël-François Dumont
(*) Auditeur à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) et rédacteur en chef adjoint de la revue Défense.
[1] Numéro 136 daté de novembre-décembre 2008 de Défense, revue bimestrielle de l'Union des Associations des Auditeurs de l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN).Abonnements: BP 41-00445 Armées.
[2] Voir Les ministres européens donnent un nouvel élan à l'Espace, atout clé de l'Europe face aux défis mondiaux.
[3] L’Union européenne doit continuer à s’affirmer comme une puissance spatiale à part entière (Discours du président Sarkozy à Kourou le 11.2.2008)
[4] Télécharger le Livre blanc : Volume 1: (partie 1) (partie 2) – Volume 2 : les débats.
[5] Voir Le Centre Spatial Guyanais : 40 ans de succès : Entretien avec l'IGA Joël Barre, directeur général du CSG.
[6] Voir Quand les Armées veillent sur Ariane et Les Forces Armées en Guyane. Entretien avec le général de brigade aérienne Philippe Carpentier, COMSUP en Guyane.
[7] Voir également La protection du centre spatial de Kourou par les Forces armées en Guyane et Entretien avec le LCL François Lavigne, commandant le CCM de Kourou.
[8] MASA : Mesures Actives de Sûreté Aérienne.
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