Les sanctions contre Moscou reconduites pour six mois

S’il arrive parfois aux 27 États-membres de « décider de ne pas décider », décision parfois difficile à prendre — même si on aurait tendance à croire le contraire — il leur arrive aussi de décider, ce qui suppose de longues tractations dans les coulisses de ces conseils européens que Quentin Dickinson a suivi depuis 40 ans. Cette semaine, la reconduction des sanctions contre la Russie était au menu des 27, pour éviter qu’elles ne deviennent caduques en renforçant également les mesures d’exécution et les mesures anti-contournement. En bref, « on ne lâche pas l’Ukraine, on écoute l’opposition russe, et pas touche à la Moldavie[1]

Éditorial : La semaine de Quentin Dickinson — Diffusé sur le réseau Euradio — Bruxelles, le 27 février 2023 —[*]

Laurence Aubron : Alors Quentin Dickinson, avez-vous passé une bonne semaine ?

Quentin Dickinson : Clairement, oui. Dès lundi, les affaires ont démarré sur les chapeaux de roue, avec la réunion des chefs de la diplomatie de l’UE : petit-déjeuner avec le dissident russe (et champion d’échecs) Garry Kasparov, suivi d’une rencontre avec leur homologue ukrainien, Dmitro Kuleba, enfin un échange avec le Vice-ministre moldave des Affaires étrangères.

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Bâtiment du Conseil des Ministres de ‘lUnion européenne aux couleurs de l’UE et de l’Ukraine — Photo © EU

Si le Kremlin doutait des intentions des Vingt-sept, le message est clair : on ne lâche pas l’Ukraine, on écoute l’opposition russe, et pas touche à la Moldavie.

« On ne lâche pas l’Ukraine, on écoute l’opposition russe, et pas touche à la Moldavie »

Laurence Aubron : Et on imagine qu’on a fait le point sur les sanctions ?…

Quentin Dickinson : Les ministres se sont beaucoup concertés au sujet des trucs et ficelles bricolés par le Kremlin pour contourner les sanctions européennes, notamment en faisant transiter les marchandises par les anciennes républiques soviétiques du Caucase, limitrophes de la Russie. Et l’on a aussi découvert l’existence d’un armateur, immatriculé à Dubaï, qui a discrètement racheté la flotte entière d’une entreprise d’État russe de marine marchande – 92 pétroliers, quand même – et qui font naviguer ceux-ci sous pavillon chypriote et libérien, pour échapper aux sanctions frappant les exportations d’hydrocarbures russes.

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Drapeau ukrainien devant le Parlement européen – Photo Ana Fota

Et on notera la proposition de la Commission européenne de créer un système, calqué sur l’achat groupé des vaccins anti-COVID, pour assurer la fourniture de munitions à l’Ukraine.

Laurence Aubron : C’est tout sur les sanctions ?…

Quentin Dickinson : Pas tout-à-fait. Car un nombre croissant de capitales de l’UE disent soutenir l’idée néerlandaise d’un observatoire central des sanctions, chargé de dépister en temps réel les trous dans la raquette et de proposer aux Vingt-sept des dispositions techniques et juridiques pour en contrer les effets.

Un 10e paquet de sanctions européennes contre la Russie

Enfin, les Vingt-sept sont enfin parvenus à reconduire les sanctions en cours pour une période de six mois, tout en y ajoutant des restrictions supplémentaires,[2] qui forment le dixième paquet de sanctions depuis un an, dont l’annonce coïncide délibérément avec le premier anniversaire du début de la Guerre d’Ukraine.

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Laurence Aubron au micro d’Euradio Nantes — Photo Euradio

Laurence Aubron : Mais je ne trahis rien en disant que, malgré cette guerre, le Brexit n’est jamais loin de votre radar, Quentin ?…

Enfin un accord post-Brexit entre l’UE et l’Irlande du Nord ?

Quentin Dickinson : C’est exact. Comme la semaine précédente, une intense activité diplomatique se déroule, plus ou moins publiquement, entre Londres, Bruxelles et Belfast.

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Ursula von der Loyen et Rishi Sunak à Londres — Photo © European Union

Cette semaine, Ursula von der Leyen se sera rendue en Angleterre à l’invitation de Rishi Sunak, et les ambassadeurs des vingt-sept pays-membres de l’UE devraient recevoir le détail de l’accord sur le Protocole nord-irlandais portant sur le commerce entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, laquelle est partie intégrante à la fois du Royaume-Uni et du Marché unique européen.

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Photo Dati Bendo © European Union

Deux inconnues de taille subsistent cependant : ce sont les députés de la droite conservatrice aux Communes, aiguillonnés par Boris Johnson (oui, vous avez bien entendu), qui pourraient tenter de saboter le texte lorsqu’il arrivera au parlement ; et, surtout, c’est l’attitude très fermée du principal parti protestant et unioniste en Irlande du Nord, dont la base est réputée avoir la tête particulièrement près du bonnet, mais qui, dans cette dernière ligne droite, sont ceux qui peuvent tout faire capoter.

En tout cas, si tel devait être le cas, M. Rishi Sunak, chef de gouvernement débutant, risque de voir son autorité définitivement compromise.

Laurence Aubron : Autre chose pour cette semaine ?…

Le 30e anniversaire du grand Marché unique européen

Quentin Dickinson : Assez discrètement, les ministres européens chargés de la libre-concurrence devraient serrer la vis au développement anarchique des logements touristiques gérés par des particuliers (du genre AirBnB), qui – outre les aspects d’évasion fiscale – renchérit grandement le coût de l’immobilier pour la population permanente, du fait de la spéculation sur le moindre studio disponible.
Enfin, un anniversaire que peu d’entre nous ont vu venir : c’est le trentième anniversaire du grand Marché unique européen, tellement passé dans les habitudes de chacun qu’on n’y prête plus guère attention.

Mais ce marché de 480 millions d’habitants constitue aussi la force essentielle de l’Union européenne et son poids commercial et diplomatique dans le monde, sur le mode : Si tu veux vendre chez moi, tes produits doivent se conformer à nos règles techniques, sanitaires, et sociales.

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[1] Voir : « Viktor Orban, saboteur ou maître chanteur ?» — Éditorial de Quentin Dickinson du24 février 2023 —

[2] « Afin d’accroître encore l’efficacité des sanctions européennes, le paquet présenté comprend de nouvelles inscriptions sur la liste des personnes et entités ciblées ainsi que de nouvelles sanctions commerciales et financières, notamment des interdictions d’exportation d’une valeur supérieure à 11 milliards d’euros, qui priveront l’économie russe de produits technologiques et industriels essentiels. Il renforce également les mesures d’exécution et les mesures anti-contournement, notamment une nouvelle obligation de déclaration portant sur les actifs de la Banque centrale russe.

Ces nouvelles interdictions et restrictions concernent des exportations de l’UE d’une valeur de 11,4 milliards d’euros (données de 2021). Elles viennent s’ajouter aux mesures précédentes, qui ciblaient déjà 32,5 milliards d’euros d’exportations. Avec le train de mesures adopté aujourd’hui, c’est au total près de la moitié (49 % selon les données de 2021) de ses exportations vers la Russie que l’UE soumet à sanctions — Source: Conseil des ministres de l’UE

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