Accélérer la modernisation des forces et consolider notre base industrielle de défense

Nous sommes satisfaits de cette LPM. Les programmes en cours ont été confirmés, voire accélérés. Nous allons développer la coopération européenne. La préparation de l’avenir fait l’objet d’un effort financier accru. Tout cela permettra la consolidation et le renforcement de l’autonomie stratégique de la France.

Projet de loi de programmation militaire 2019-2025 – Audition de M. Joël Barre, délégué général à la direction générale de l’armement

M. Christian Cambon, président. – Monsieur le délégué général, nous nous réjouissons de vous recevoir à l’occasion de l’examen de la LPM. Vous avez pris vos fonctions en août dernier, après un parcours brillant notamment dans le domaine aérospatial et celui du nucléaire, et vous avez été d’emblée saisi de la préparation de la LPM : la DGA va être naturellement très mobilisée pour son succès.

D’abord, par l’importance portée à l’acquisition de nouveaux matériels. Nous vous entendrons avec intérêt sur le rythme d’acquisition, puisque l’étalement dans le temps risque de susciter des espoirs déçus. Puis, par l’importance portée à l’innovation : la LPM prévoit de porter à 1 milliard d’euros par an les crédits des études amont. Vous nous direz quel sera le rôle de la DGA dans ce cadre. Enfin, par l’importance de la coopération avec nos partenaires, qui est peut-être le pari le plus audacieux de cette LPM. Vous avez reçu la semaine dernière votre homologue britannique. Nous serions très intéressés de recueillir votre sentiment sur l’état de notre coopération avec les Britanniques, sous le double effet du Brexit et d’éventuelles coupes budgétaires parfois évoquées outre-Manche, car le Royaume-Uni est le seul pays européen à disposer comme nous d’une armée complète. Quelles sont, selon vous, les perspectives de coopération avec l’Allemagne ? Beaucoup d’entre nous s’interrogent sur le risque de difficultés politiques au moment de l’exportation des matériels.

La ministre vous a chargé à votre nomination de l’important chantier de la réforme et de la modernisation de la DGA : il sera intéressant que vous nous fassiez le point sur ce sujet.

Nous comprenons bien qu’il a fallu faire des choix dans cette LPM, mais ne pensez-vous pas qu’il y a une lacune en ce qui concerne les hélicoptères ? Le CEMAT nous en a parlé, tout comme le rapporteur de la commission des finances. Comment avance le dossier de l’ASN4G, successeur de l’ASMPA ? Où en sommes-nous sur les plans techniques et financiers et en termes de calendrier ? À partir de 2020, il est prévu de rénover l’ensemble de notre arsenal nucléaire.

M. Joël Barre, délégué général pour l’armement. – Merci de votre accueil. Dans cette LPM 2019-2025, je peux vous donner les caractéristiques majeures du programme 144, qui finance les études amont, et du programme 146, qui porte sur l’équipement des forces, et dont nous partageons la responsabilité avec l’état-major des armées.

Ingénieur général Joël Barre, Délégué général pour l’armement

Le programme 144 enregistrera une hausse significative des crédits consacrés à l’innovation, puisque ceux-ci, qui s’élèvent en moyenne à 730 millions d’euros par an, devront atteindre un milliard d’euros en 2022, et seront maintenus à ce niveau ensuite. Pour quoi faire ? D’abord, pour investir dans la maturation des technologies nécessaires aux systèmes d’armes du futur – par exemple, l’ASN4G, que vous avez cité. Puis, pour nous ouvrir à l’innovation civile, afin de capter les nouvelles technologies qui y surgissent en matière de numérique, de robotique, d’intelligence artificielle ou de traitement des données. Pour introduire ces innovations dans nos matériels, nous devons réaliser des démonstrateurs technologiques.

La ministre a annoncé la création d’une agence d’innovation de la Défense, sur laquelle nous travaillons. Il s’agit de fédérer les initiatives de la DGA et celles des armées et du SGA, et de redynamiser les outils d’expérimentation existants, comme le DGA Lab, créé en 2016 pour rapprocher les innovations militaires et civiles de leurs utilisateurs au sein des forces armées, qui sera élargi à tout le ministère.

Le programme 146, lui, verra une hausse significative de la ressource par rapport aux LPM précédentes, pour un total de 59 milliards d’euros sur la période couverte, dont 37 milliards d’euros entre 2019 et 2023. C’est une augmentation de 30 % par rapport aux annuités de la LPM actuelle. Grâce à cet effort budgétaire significatif, nous pourrons livrer les matériels commandés, dont certains avaient dû faire l’objet, lors de la précédente LPM, de renégociations faute de crédits de paiement, mais aussi accélérer la livraison d’autres matériels et lancer des programmes nouveaux.

L’accélération de la modernisation des forces doit s’appuyer sur le retour d’expérience des OPEX en cours, notamment au sein de l’armée de terre, pour laquelle nous accélérerons la livraison des véhicules du segment médian du programme Scorpion, des fusils d’assaut et des missiles antichars.

Pour la marine, l’effort portera notamment sur la sauvegarde maritime, avec une accélération des livraisons de patrouilleurs, et le renforcement de nos capacités en matière de bâtiments logistiques ravitailleurs. Notre flotte de frégates sera complétée par la livraison des trois dernières frégates multi-missions et des deux premières frégates de taille intermédiaire. Le remplacement des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de la classe Rubis se fera progressivement avec l’arrivée des premiers Barracuda – le premier, le Suffren, doit être livré en 2020.

Pour l’armée de l’air, la livraison des avions ravitailleurs MRTT sera accélérée de telle sorte que douze des quinze avions dorénavant prévus seront livrés avant 2025. Le standard F-4 du Rafale sera lancé en développement dès 2018, afin de disposer d’un avion plus polyvalent, avec une interopérabilité renforcée, notamment grâce aux communications par satellite.

Pour accroître les capacités de renseignement, le nombre d’avions légers de surveillance et de renseignement sera augmenté, avec six exemplaires supplémentaires commandés. Le renseignement spatial verra la mise en service des satellites d’écoute électronique Ceres, des trois satellites d’imagerie spatiale Musis et la commande de leurs successeurs.

En matière de guerre électronique, le premier système de capacité universelle de guerre électronique (CUGE) sera livré en 2025. La montée en puissance des capacités de drones se concrétisera par la mise en service de deux systèmes de drones MALE Reaper et des premiers drones tactiques de l’armée de terre, complétées par le premier système de drones MALE européen.

Concernant les systèmes d’information et de communication, deux satellites de télécommunications de nouvelle génération Syracuse 4 seront livrés sur la période, et un troisième sera commandé. La modernisation des équipements de positionnement et de navigation par satellite sera lancée, avec le développement d’une capacité autonome de géolocalisation capable d’utiliser les signaux GPS et Galileo, baptisée Omega.

Concernant la dissuasion, enfin, le renouvellement des missiles de nos deux composantes passe par le développement de l’ASN4G et l’adaptation incrémentale des capacités du M51. La réalisation des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de troisième génération sera engagée au début des années 2020, à l’issue des études préliminaires.

Une cinquantaine de nouveaux programmes seront lancés sur la période 2019-2025. Certains concernent les hélicoptères : nous lancerons le standard 3 du Tigre et le programme d’hélicoptères interarmées léger sera lancé en réalisation en 2022. Nous aurons aussi un système de guerre des mines à base de drones, dont l’étude a été engagée avec les Britanniques ; nous développerons un nouveau missile antichar, ainsi que de nouveaux missiles antinavires. Nous participons au programme MALE européen de drones, et avons un programme de drones maritimes embarqués sur frégates. Dans le domaine spatial, nous préparons les satellites successeurs de Musis et Ceres, et renforçons les actions de surveillance de l’espace.

De plus, la LPM verra le lancement des stades amont de programmes structurants pour les années 2030 : les études se poursuivront sur le char du futur ainsi que sur le système de combat aérien du futur, qui devra faire l’objet de décisions majeures à l’occasion de l’actualisation de la LPM prévue en 2021 ; les études des composants majeurs du successeur du porte-avions Charles de Gaulle seront lancées avant 2025.

La coopération européenne sera recherchée plus systématiquement que dans le passé. C’est un objectif politique, pour aller vers une Europe de la Défense ; c’est un atout opérationnel, qui garantit l’interopérabilité ; c’est aussi une nécessité économique, puisque cela permet un partage des coûts de développement et fait baisser le coût unitaire par accroissement des effets de série, tout en mutualisant les coûts d’exploitation et de soutien. C’est enfin un moyen d’encourager la consolidation industrielle à l’échelle européenne.

Avec le Royaume-Uni, nous discutons des technologies de combat aérien du futur. Avec l’Allemagne, notre feuille de route est de mettre en oeuvre les accords qui résultent du sommet franco-allemand de juillet 2017. Dans le domaine naval, la coopération est active avec l’Italie, avec le projet Poséidon de rapprochement entre Naval Group et Fincantieri, qui doit se concrétiser en 2018 pour donner naissance à un leader européen. Désormais, le fonds européen de Défense nous donne des opportunités de financement supplémentaires, pour la recherche comme pour le développement industriel.

Tout cela nous met à même de consolider notre base industrielle de défense, qui représente 200 000 emplois, 4 000 entreprises, dont une dizaine de grands groupes et environ 500 PME identifiées et suivies par la DGA comme stratégiques. L’exportation représente environ 30 % du chiffre d’affaires de l’industrie de défense. Il nous appartient de la soutenir, ce qui nous demande de plus en plus d’activité car les clients demandent un accompagnement renforcé de la part de la DGA. La LPM 2019-2025 prévoit une remontée de nos effectifs, après dix années de baisse liées à la mise en oeuvre de la RGPP et de la LPM 2014-2019. Cela nous permettra d’investir dans des domaines nouveaux comme la cyberdéfense, ou l’intelligence artificielle et de renforcer notre capacité d’innovation ou le soutien à l’export.

Un chantier de transformation de la DGA est en préparation, en partenariat avec l’état-major des armées. Les premières orientations sont les suivantes :il nous faut préparer les programmes dans une approche capacitaire plus globale, notamment aux stades amont, pour renforcer leur cohérence d’ensemble et sortir de ce qu’on pourrait qualifier aujourd’hui de« logique de silos » ; mieux prendre en compte l’innovation planifiée et l’innovation d’opportunité ; être plus efficaces dans notre processus d’acquisition, et notamment généraliser l’approche incrémentale.

En conclusion, nous sommes satisfaits de cette LPM. Les programmes en cours ont été confirmés, voire accélérés. Nous allons développer la coopération européenne. La préparation de l’avenir fait l’objet d’un effort financier accru. Tout cela permettra la consolidation et le renforcement de l’autonomie stratégique de la France.

M. Cédric Perrin, co-rapporteur pour avis du programme 146 « Equipement des forces ». – Au fil des auditions et des visites auprès des entreprises de défense, tous nous interpellent sur le rôle de la DGA et sur le rapport que chaque entité entretient avec elle. Nous formons donc le voeu que la réforme souhaitée par la ministre soit rapidement mise en œuvre. La défense a terriblement besoin de la DGA, mais d’une DGA renouvelée. L’héritage est certes lourd, et la tâche, importante. Nous savons combien vous avez à cœur de réussir, et nous aurons à cœur de vous y aider. Accroître l’efficacité, oui ; mais il faut aussi changer le logiciel, car l’innovation vient désormais davantage du monde civil. Il y a de nombreux points de blocage : vous avez déjà commencé à modifier l’organigramme, et cela bouscule des habitudes. Il va falloir accélérer et simplifier le processus d’acquisition, vu la vitesse galopante de l’innovation, qui devient de surcroît rapidement obsolète. Bref, il va vous falloir démonter la citadelle !

Je note que rien n’est prévu dans le budget des armées pour l’exploitation du renseignement de masse, que nous collectons par des capteurs de plus en plus nombreux. Les investissements sur les différents programmes, notamment Soria, seront arbitrés chaque année. Contrairement aux préconisations du rapport Villani, les financements ne vont pas aux armées. Compte tenu de la menace, c’est étonnant ! La DRM essaie de rectifier le tir. L’anticipation stratégique doit absolument être renforcée. Dans un univers dominé par des entreprises étrangères et caractérisé par des mutations technologiques rapides, c’est un enjeu de souveraineté. Le DRM a rappelé récemment qu’il doit faire face à un tsunami de données. Comment la DGA peut-elle nous garantir que nos capacités en la matière seront portées à niveau ? Outre le programme Artémis, qui en est à sa phase 1, la LPM prévoit-elle des financements pour le programme Soria ? Cela mettrait les actes en adéquation avec les déclarations.

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteure pour avis du programme 146 « Equipement des forces ». – Les industriels souhaitent une révision profonde du processus d’acquisition des équipements. Cette révision est-elle envisagée ? Le volet européen de cette LPM est important. Or nos partenaires traditionnels sont dépendants des États-Unis. Les Espagnols ont pris un retard important et les Allemands sont en concurrence avec les industriels français, avec un soutien de leur État, qui a dégagé des crédits notamment pour leur marine : 1,5 milliard d’euros. Quelle est, au juste, notre ambition européenne ? Avec qui allons-nous réellement travailler ?

M. Jean-Marie Bockel, co-rapporteur pour avis du programme 178 « Préparation et emploi des forces ». – On annonce la création de 400 emplois pour le soutien à l’exportation. Ces emplois bénéficieront-ils tous à la DGA ? Quelle proportion reviendra aux armées ? Une nouvelle contractualisation est prévue pour le soutien à l’exportation. Quel sera le rôle de la DGA ? Comment le Parlement sera-t-il informé ?

M. Christian Cambon, président. – Certains industriels contestent la nécessité de créer ces emplois. Ils affirment que ce sont eux qui soutiennent l’exportation, pas les armées ni la DGA… Vous nous donnerez votre point de vue sur la question ?

M. Gilbert Roger, co-rapporteur pour avis du programme 212 « Soutien de la politique de défense ». – Vous avez parlé des drones, mais pas de leur armement, alors que la ministre a fait un accueil favorable à cette proposition de notre rapport. Pour l’instant, nous sommes contraints d’armer les drones avec du matériel américain. Le drone européen reste une chimère… Toutes les armées comportent en leur sein des compétences. Pourquoi ne pas créer des incubateurs qui permettraient de faire émerger des projets de manière décentralisée, avec une plus grande réactivité ?

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial de la commission des finances. – La dimension européenne est une nécessité, mais ne risque-t-elle pas de retarder les projets ?

M. Yannick Vaugrenard. – La coopération européenne est un des axes majeurs de la LPM, et vous avez souligné sa nécessité. Elle implique une plus grande intégration industrielle. Comment, dès lors, protègera-t-on nos technologies sensibles ? Peut-on imaginer une coopération, voire un financement européen, pour le remplacement du Charles de Gaulle ?

M. Michel Boutant, co-rapporteur pour avis du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». – Le général commandant la DRM a attiré notre attention sur le système d’information des armées. Dans certaines Opex, nous sommes dépendants des États-Unis. D’où Soria, qui accuse un retard de deux ans, ce qui risque de poser de réels problèmes, y compris pour Ceres et Musis. La masse de données désormais disponibles dépasse nos capacités d’exploitation et d’analyse.

Les industries de défense ne pourraient-elles pas jouer un rôle dans la réindustrialisation de notre pays, notamment par l’application civile des technologies qu’elles ont développées ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. – Quelle est la feuille de route sur la captation des données ? Comment sécuriser les relations avec le monde civil en ce domaine ?

M. Alain Cazabonne. – Les forces spéciales ont des difficultés à s’équiper rapidement en raison de la lourdeur des procédures. J’avais saisi la ministre de ce problème, et elle m’a indiqué avoir pris la décision d’exonérer, en cas d’urgence, de certaines contraintes administratives. Est-ce arrivé jusqu’à la DGA ?

M. Philippe Paul. – Vous avez prévu de recruter 50 spécialistes de l’intelligence artificielle, notamment en prévision de notre coopération avec l’Allemagne. Il semble que les rémunérations proposées soient peu attractives. Un budget annuel de 100 millions d’euros est prévu pour cette coopération. Les Allemands ont prévu davantage, et sont déjà prêts. Les avions Tornado allemands actuels sont hors d’âge, et les Allemands se rapprochent des États-Unis pour acheter des F-35.

M. Christian Cambon, président. – L’Assemblée nationale a voté un article additionnel qui vous prescrit de communiquer au Parlement une masse considérable de documents avec des seuils très bas : ainsi par exemple pour toute opération d’infrastructure dépassant les 15 millions d’euros. Je me demande si la variation actualisée du référentiel (VAR), qui déconstruit à mi-année les crédits votés par le Parlement, ne serait pas plus utile à notre contrôle. Qu’en pensez-vous ?

M. Joël Barre. -Sur la réforme de la DGA, je peux vous assurer que la direction de la DGA et l’ensemble de ses personnels sont très motivés pour entreprendre le parcours de transformation évoqué, et qui est nécessaire. Je souhaite tout de même souligner la qualité de la DGA que j’ai retrouvée en août 2017. En matière de maîtrise d’ouvrage des programmes d’armements comme de maîtrise d’oeuvre d’ensemble sur un certain nombre de programmes comme la dissuasion, le programme Scorpion, ou le Rafale, elle n’a pas à rougir de ses performances. Son coût d’intervention, rapporté aux 12 milliards d’euros qu’elle gère chaque année, est d’environ 8 % : soit environ 1 milliard d’euros, dont 750 millions d’euros de masse salariale et 250 millions d’euros de crédits d’investissements et de fonctionnement. De plus, ce milliard d’euros, en plus des prestations de type régalien, des travaux d’expertise et d’essai qui sont conduits par la DGA mais qui sont de toute façon nécessaires à la mise au point des équipements. Sans ces dernières, il reste 300 ou 400 millions d’euros, soit 3 % à 4 %. Dans le spatial dont je viens, les coûts d’intervention de certaines agences françaises et européennes atteignent 15 % ou 20 %. À l’OTAN, des agences facturent des prestations régaliennes à hauteur de 5 %, qui montent à 15 % s’il y a des prestations techniques d’essai et d’expertise. Pour autant, nous ne sommes certes pas parfaits, nous devons nous améliorer, et nous l’avons engagé. Nous sommes entièrement motivés pour le faire.

M. Christian Cambon, président. – Pensez aux lunettes de haute montagne !

M. Joël Barre. – Je connais cet exemple, mais cela ne relève aucunement de la DGA ! Quelle serait notre valeur ajoutée ? Par ailleurs, certes, les contraintes légales et réglementaires contraignent à une mise en compétition européenne. C’est un fait.

M. Cédric Perrin, co-rapporteur pour avis. – C’est de la sur-transposition.

M. Joël Barre. – Nous avons effectivement identifié certaines sur-transpositions que nous proposons de corriger. Mais nous ne pouvons pas déroger aux règles de compétition européennes.

M. Cédric Perrin, co-rapporteur pour avis. – Tout dépend de la manière dont on rédige les marchés. Les Allemands n’achètent pas de Peugeot, et nous achetons du Ford…

M. Joël Barre. – L’actuelle ordonnance des marchés publics et ses décrets d’application seront refondus dans le futur code de la commande publique début 2019. Quant aux industriels, ils se plaignent de la lourdeur des processus, mais les principales difficultés que nous avons rencontrées dernièrement sont de leur responsabilité. On ne peut pas accuser le processus d’acquisition d’être à l’origine des difficultés rencontrées sur les programmes tels que l’A-400M ou le Barracuda. Attention à ce discours qui consiste à faire porter à la puissance publique leurs responsabilités. Mon avis serait d’ailleurs plutôt qu’il faut durcir les règles contractuelles, au risque de déplaire à nos industriels. De la souplesse, oui, mais ceux-ci doivent assumer leurs responsabilités. Pour l’exportation, avant la question du soutien à l’exportation, la première question à se poser est de savoir comment la puissance publique, qui a financé la recherche et le développement, s’y retrouve. C’est le client lui-même qui demande l’accompagnement de la DGA. Par exemple, les Belges sont prêts à acheter des véhicules médians de type Scorpion, à condition que le contrat soit passé par la DGA ; cette tendance s’amplifie.

Sur le renseignement de masse, nous avons engagé le PEA Artémis, qui améliorera nos capacités sur le long terme. Je découvre que la DRM se plaint du retard de Soria. Le prochain incrément de ce système, qui prendra en compte le traitement massif des données, a effectivement subi un décalage lors des travaux LPM. Ce décalage résulte d’un arbitrage mené avec l’accord de l’état-major des armées. Dans l’immédiat, nous disposons d’une vingtaine d’ingénieurs experts en intelligence artificielle, et comptons doubler ou tripler cet effectif dans les prochaines années. Il est vrai que nos rémunérations attirent peu en région parisienne – heureusement, ces difficultés sont moindres en province, et notamment à Bruz. Le ministère des armées consacrera 100 millions d’euros par an à l’intelligence artificielle.

Oui, il faut concilier la coopération avec nos partenaires et nos intérêts stratégiques et technologiques. Avec les Britanniques, nous avons essentiellement les programmes de missiles, construits autour d’une société commune qui est MBDA, qui avancent bien, et qui sont un exemple à généraliser. Avec les Allemands, nous coopérons, mais comme vous l’avez évoqué ils sont effectivement nos concurrents dans le domaine naval, c’est pourquoi nous coopérons avec les Italiens en la matière. Avec les Belges, j’ai évoqué une perspective significative dans le domaine terrestre. Les grands équilibres doivent être maintenus, il faut en discuter avec chacun de nos partenaires. Nous y sommes vigilants, et nous nous attelons aussi à saisir l’opportunité offerte par les crédits européens.

Concernant le dispositif de soutien à l’exportation, il y a des réflexions en cours à la fois pour renforcer notre dispositif, au sein du ministère des armées, et pour assurer de manière pérenne son financement. Il nous faut harmoniser les mécanismes au sein du ministère afin que ce soit plus systématiquement le client et/ou l’industriel exportateur qui en supporte la charge financière, ces ressources venant abonder le budget du ministère et de la DGA en particulier.

Quant aux équipements sur étagère, les forces spéciales se plaignent, mais il me semble que peu de leurs sujets d’insatisfaction concernent la DGA. Il y a donc des malentendus, je propose qu’on passe en revue les cas de manière pragmatique, afin d’identifier les améliorations possibles.

Oui, l’Allemagne devra remplacer ses Tornados. Nos interlocuteurs ne semblent pas prêts à acheter des F-35. Nous leur avons clairement dit que, s’ils le faisaient, ce serait un très mauvais signal. Nous avons donc engagé des discussions et la nouvelle administration allemande donne plutôt des signes positifs sur le sujet, ce qui ne veut pas dire que la suite de la coopération va être facile, s’agissant d’un domaine aussi complexe.

Enfin, concernant l’amendement voté par l’assemblée nationale : nous sommes à la disposition de la représentation nationale. Nous avons noté la demande des députés, il ne m’appartient pas de me prononcer sur la loi qui sera finalement votée.

M. Christian Cambon, président. – Merci. Ces questions de coopérations sont problématiques : tous nos partenaires européens achètent des armes américaines ! Il est vrai qu’à l’OTAN, on nous donne quasiment ordre d’acheter du matériel américain. Les Hollandais s’en font même les promoteurs auprès des Belges… Pourtant, l’Administration américaine pousse les Européens à se débrouiller seuls !

M. Ladislas Poniatowski. – Pourquoi ne proposons-nous pas des achats groupés ? C’est comme ça que les Américains ont pénétré le marché européen avec le F-35.

M. Joël Barre. – Pour cela, il faudrait s’entendre avec nos partenaires. Les Américains peuvent quasiment imposer un choix à certains pays qui n’ont pas l’autonomie nécessaire pour leur résister…

M. Christian Cambon, président. – Les Hollandais ont acheté sur catalogue des avions qui n’avaient jamais volé, ils ne peuvent plus en payer que 18 sur les 30 prévus… Nous veillerons à continuer nos échanges avec nos homologues européens. Merci.

La réunion est close à 12 h 10.

Mercredi 4 avril 2018