Autopsie du chaos

Lors de la présidence Trump I, les esprits éclairés se partageaient en deux camps : ceux qui pensaient, non sans raison, que Donald était plus ou moins déficient dans de trop nombreux domaines et ceux qui penchaient pour un personnage avide, sans scrupules et foncièrement méchant dont la seule motivation était « le fric ». En fait les deux camps avaient raison. Trump II nous montre chaque jour qu’il est capable d’être grossier et malhonnête intellectuellement — il ment presque avec autant d’aplomb que Poutine — mais aussi persévérant pour détruire les structures sur lesquelles s’appuie un État de droit pour mieux faciliter les magouilles en tous genre de ses milliardaires affidés.

Poutine trinquant avec son ami Poutine — Photo © IA/E-S
Poutine trinquant avec son ami Poutine — Photo © IA/E-S

Un des premiers objectifs de Musk a été de supprimer la commission d’enquête des marchés, l’ISC, une institution financière chargé de surveiller la régularité du marché boursier, pour ne prendre qu’un exemple. Et on a vu le résultat il y a quelques jours avec une opération de délits d’initiés comme on n’en avait jamais vu. Et plus l’on cherche, plus l’on trouve que ses équipes sont composées de Charlots, du FBI au Renseignement en passant par la défense, l’enseignement, la santé ou tout ce qui peut exister pour gérer l’intérêt national. On pourrait rependre ses ministres un à un, hormis l’actuel Secrétaire d’État faisant peut-être figure d’exception, pour s’en convaincre. Et voilà, qu’on découvre que son âme damnée, son inspirateur sur les droits de douanes est un pied nickelé d’envergure ! C’est à se demander combien de temps il faudra aux Républicains pour siffler la fin de la récré, les démocrates étant aux abonnés absents après la veste que le camp Biden s’est prise, d’autant plus mal placés pour s’opposer à une politique sur laquelle ils ne différent des Républicains que sur la forme et pas sur le fond !  

Quentin Dickinson nous fait découvrir un individu qui était passé jusqu’ici sous les radars mais qui vaut son pesant de popcorn : l’inspirateur de Donald qui a foutu « un bordel mondial », un fidèle parmi les fidèles ! NDLR

Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l’actualité européenne sur euradio.

Source : euradio — Bruxelles, le 10 avril 2025 —

Laurence Aubron : Cette semaine, Quentin Dickinson, vous êtes livré à une enquête approfondie…

L’histoire commence il y a près de dix ans. Un homme d’affaires américain, jusque-là surtout connu pour ses projets immobiliers démesurés, son émission de télévision, et son divorce aussi retentissant que coûteux, ambitionne de se présenter à l’élection présidentielle de son pays.

Cet homme – vous l’aurez reconnu – c’est Donald Trump. Il manie certes les dollars à la pelle, mais il ne s’intéresse pas vraiment à la macroéconomie. Comme, pour sa campagne, il faut bien pouvoir se prévaloir de quelques idées un peu originales dans ce domaine, il charge son gendre, Jared Kushner, de lui dégotter un conseiller économique. Après quelques contacts infructueux, celui-ci consulte le site amazon.com, note le titre de nombre d’ouvrages savants ou se voulant tels, et finit par tomber sur un texte intitulé La Chine, piège mortel pour l’Amérique, dû à un certain Peter Navarro. Avantage : celui-ci a aussi publié deux pamphlets soutenant le retour au protectionnisme à outrance pratiqué aux États-Unis pendant quelques années, vers la fin du XIXe siècle.

-

Cela sonne bien, cela complètera utilement le mirage d’un retour au bon vieux temps, qui parle à l’inconscient des électeurs inquiets du risque de leur déclassement social.

Formidable : c’est le cœur de cible du candidat Trump. Dans ses écrits, M. Navarro n’est pas homme à se rendre coupable de plagiat ; d’ailleurs, il n’hésite pas à citer régulièrement le Professeur Ron Vara, à l’entendre, un expert mondialement connu des droits de douane.

Peter Navarro 

— Photo Robert M Golightly Jr. © White House —

D’ailleurs, pendant la campagne, Ron Vara allait très régulièrement intervenir sur les réseaux sociaux pour soutenir le candidat Trump ; l’un de ses slogans préférés était ‘Donald, vas-y, chevauche les droits de douane jusqu’à la victoire !’

Laurence Aubron : Étonnant, mais tout cela tient la route, quand même, non ?…

Non, à l’examen, pas tant que cela. D’abord, ce Navarro s’avère être un obscur boursicoteur, dont les œuvres, rédigés à la va-vite, servent essentiellement à se crédibiliser auprès d’éventuels investisseurs.

D’autre part, le Professeur Ron Vara n’a jamais existé… ‘Ron Vara’, c’est tout simplement l’anagramme de son propre nom – ‘Navarro’-‘Ron Vara’…vous saisissez ?…

Laurence Aubron : Alors, la supercherie découverte, on imagine que cet individu peu recommandable a été aussitôt exclu de l’équipe de campagne de Donald Trump ?…

Erreur ! Ce serait sous-estimer la gluante et efficace servilité dont Navarro s’est montré capable à tout instant auprès d’un Trump, ravi de la présence à ses côtés d’un personnage, qui lui livre clef sur porte des arguments économiques en racontant partout qu’elles viennent de Trump lui-même.

C’est même tellement efficace que Peter Navarro est pratiquement le seul conseiller à avoir survécu depuis la campagne de la première élection de Donald Trump jusqu’à aujourd’hui. Au passage, saluons l’artiste.

Laurence Aubron : Mais c’est incroyable : dans l’entourage de Trump, personne ne cherche à contester son influence ces jours-ci ?…

Si, bien sûr, car dans un cabinet, les rivalités sont nombreuses, mais les survivants bénéficient de la magie qui entoure et explique leur longévité.

Notons simplement que l’autre jour, Elon Musk a publiquement traité Navarro d’’imbécile’ ; mais le départ de Musk étant programmé, il est probable que ce soit celui-ci qui s’attire une (éventuelle) réprimande présidentielle.

Laurence Aubron : Vous vouliez compléter cet affligeant tableau d’un autre aspect du Monde selon Trump qui a surpris quantité d’observateurs…

On était en effet nombreux à ne pas comprendre la présence de petits États ou territoires, dont certains inhabités, dans la liste brandie par Donald Trump, telles les Tablettes de la Loi, et qui énumérait les pays frappés de droits de douane.

L‘explication est aussi simple que désarmante : les petites mains de la Maison-Blanche avaient simplement pris pour base la liste des indicatifs des pays telle qu’utilisée pour les courriels : exemples : ‘fr’ pour la France, ‘be’ pour la Belgique, ‘uk’, le Royaume-Uni, ‘de’, l’Allemagne, et ainsi de suite. La liste des partenaires commerciaux habituels des États-Unis a été complétée de tout territoire situé en Asie-Pacifique et dans les deux zones polaires, tous réputés stratégiques.

Quentin Dickinson