Analyse, à quelques jours de la remise au Président de la République, prévue le 30 avril, du rapport de la commission Ménaouine, chargée de présenter et d'évaluer les différentes options pour la mise en œuvre du Service national universel.
Analyse, à quelques jours de la remise au Président de la République, prévue le 30 avril, du rapport de la commission Ménaouine, chargée de présenter et d'évaluer les différentes options pour la mise en œuvre du Service national universel.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur. – La communication que nous vous présentons aujourd'hui a pour objet de retracer le cheminement du projet de « service national universel », promesse de campagne du candidat Macron, et de vous livrer l'analyse que nous en faisons. Il nous a semblé nécessaire de le faire maintenant, à quelques jours de la remise au Président de la République, prévue le 30 avril, du rapport de la commission Ménaouine, chargée de présenter et d'évaluer les différentes options pour sa mise en oeuvre, et de l'avis du Conseil d'Etat sur la révision de la Constitution. En « temps utile » en quelque sorte.
A l'origine de tout cela, figure, rappelons-le, une proposition de campagne du candidat Emmanuel Macron qui se veut une réponse au contexte né des attentats de 2015. Sans en préciser le contenu, le futur Président évoque, dans son discours du 18 mars 2017, « un service national d'un mois, obligatoire et universel », qui s'adresserait à l'ensemble d'une classe d'âge (soit environ 800 000 jeunes par an), « dans les trois ans suivant le 18e anniversaire de chacun ». Ce service devant, en outre, être encadré par les armées et la gendarmerie nationale, la perspective de départ est bien celle d'un nouveau « service militaire » contre laquelle notre commission a d'ailleurs pris position dès le mois de mai 2017 dans le cadre de son rapport « 2% du PIB pour la défense » pour en dénoncer le coût très lourd, le caractère irréaliste et les objectifs mal définis. Une fois élu, le Président de la République- qui a peut-être lu le rapport de la commission ? – a précisé le projet de SNU, indiquant, dans son discours à l'hôtel de Brienne du 13 juillet 2017, que le SNU n'avait pas vocation à remplacer les dispositifs militaires ou civils existants et que sa visée était essentiellement civique : former des citoyens, accroître la résilience du pays et développer la mixité sociale. Dès lors, le projet prend une dimension interministérielle et non plus seulement militaire, impliquant, sous le pilotage du Premier ministre, au moins deux ministères. Il va connaître une évolution chaotique.
La méthode annoncée début septembre semble pourtant structurée : commande d'un rapport inter-inspections destiné à recenser les dispositifs existants et à définir des scénarios, annonce de la mise en place d'une commission chargée d'étudier le projet et de formuler des propositions, dans laquelle on s'attendait à ce que soient représentés l'ensemble des acteurs concernés (ministères, personnalités qualifiées, jeunesse, territoires…) mais aussi des membres du Parlement. Mais rien de cela ne se déroule comme prévu. Le rapport inter-inspections – en réalité un rapport d'étape – dont les orientations paraissent déranger – n'est pas rendu public et mis sous le boisseau. Il n'est même pas transmis aux députés et sénateurs qui en font la demande. La nomination de la commission est différée pendant des mois. Pendant ce temps, les ministères attendent, pour commencer à formaliser leurs réflexions, des arbitrages qui ne viennent pas. Puis, on assiste en février dernier, au moment de la publication du rapport d'information de l'Assemblée nationale, à de nouvelles déclarations présidentielles qui viennent parasiter le message des députées, lequel devient inaudible. Alors que les deux rapporteures s'apprêtent à proposer un « parcours citoyen en trois étapes », dans lequel la partie obligatoire – se substituant à la Journée Défense et Citoyenneté – serait réduite et centrée sur le collège, le Président de la République affirme qu'il entrevoit un service obligatoire d'une durée comprise entre trois et six mois. Par ailleurs, les ministres se contredisent. La cacophonie est alors à son comble.
Pour reprendre en main ce pilotage hasardeux, est mis en place un comité restreint dont beaucoup d'acteurs concernés et les parlementaires sont exclus. Placé sous la houlette d'un militaire (le général Daniel Ménaouine) et composé notamment de M. Kléber Arhoul, Mme Juliette Méadel et de M. Thierry Tuot, ce comité doit rendre ses conclusions d'ici le 30 avril. En attendant, la communication gouvernementale sur ce sujet est verrouillée et le Parlement tenu en respect.
La difficulté à appréhender ce projet tient sans doute, comme plusieurs interlocuteurs l'ont souligné, à la superposition des objectifs mis en avant et le fait qu'ils correspondent à des effets que le service militaire a pu avoir dans le passé. De fait, il est censé être une réponse au besoin d'engagement produit par les attentats et le contexte sécuritaire. Il doit permettre d'accroître la résilience et la capacité des citoyens à bien réagir en cas de crise. Il doit aussi – vaste ambition – ressouder une société en crise, fragilisée par l'individualisme, le communautarisme et la rupture d'une partie de sa jeunesse, en pratiquant un brassage social qui fait aujourd'hui de plus en plus défaut. On semble en attendre particulièrement une capacité à « remettre dans le droit chemin » des jeunes en décrochage, qui rejettent la communauté nationale et qui, étant des cibles privilégiées pour les extrémismes de tous bords, constituent une menace pour sa cohésion. Enfin, ce service devrait être aussi un « moment républicain » se prêtant à la transmission de valeurs citoyennes et au développement d'un sentiment national, auxquels on peut rattacher l'objectif d'un renforcement de l'esprit de défense et du lien armées-Nation.
A l'arrière-plan de ces objectifs figurent, bien sûr, les vertus prêtées par la mémoire collective au service militaire, notamment sa fonction intégratrice et l'idée qu'il était un moyen privilégié de transmettre à la société certaines valeurs (la discipline, le respect de l'autorité).
Néanmoins, rappelons-le, ces valeurs sont d'abord liées, s'agissant de l'armée, à une exigence pratique d'efficacité au combat.
Par ailleurs, la fonction intégratrice du service militaire était déjà sérieusement entamée – du fait des exemptions – lorsque celui-ci a été suspendu. Ne tombons pas donc dans le piège de voir le service national comme la solution miracle à nos fractures sociales !
Enfin, si tous les objectifs affichés correspondent à des effets que le service militaire a pu produire dans le passé, il faut bien relever que le SNU n'aurait en lui-même, compte tenu de l'existence d'une armée professionnelle, aucune finalité militaire.
Il n'en reste pas moins que cette multiplicité d'objectifs et le fait qu'ils fassent écho à l'ancien service militaire sont sans doute pour beaucoup dans les errements de ces derniers mois.
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur. – Nous avons auditionné des acteurs des mondes civil et militaire, des chercheurs, et nous avons bien sûr pris connaissance du travail approfondi des députées Marianne Dubois et Émilie Guérel.
Étant donné la confusion qui règne sur ce sujet depuis un an, nous avons dû nous livrer à de nombreuses suppositions. Nos auditions tendent néanmoins à montrer que le projet prend forme, au travers de quelques constantes qui fondent presque tous les scénarios évoqués par les uns et les autres.
Ces scénarios reposent en effet sur un SNU à trois étages, c'est-à-dire prenant la forme de trois séquences successives, à des âges et selon des modalités restant à déterminer :
– Une première séquence devrait s'inscrire dans le cadre scolaire, dès le collège, et être poursuivie au lycée. Il s'agir de promouvoir l'enseignement de défense, prévu par la loi de 1997 portant réforme du service national, dont la mise en oeuvre demeure à ce jour inégale, et dont le contenu est très théorique ; chacun admet que d'importantes marges de progrès existent.
– Le deuxième étage du SNU, c'est le tronc commun obligatoire, le « rite de passage ». C'est la partie à la fois la plus symbolique et la plus problématique du projet.
La plus symbolique, bien sûr, car c'est le moment supposé du brassage social, le moment qui doit contribuer à raviver le lien national et inculquer aux jeunes le sens de l'engagement. Cette étape a vocation à devenir un moment fort de la vie de chaque citoyen, contrairement à l'actuelle journée défense citoyenneté (JDC), vécue, aux dires de beaucoup, comme une simple formalité.
Mais cette étape est aussi la plus problématique, car c'est la plus novatrice. Elle ne devrait ressembler ni à l'actuelle JDC, ni à l'ancien service national. Les options retenues pour cette séquence dimensionneront le coût et la faisabilité du projet. C'est l'étage de la fusée « SNU » qui est le plus risqué, le plus coûteux, et probablement le plus susceptible d'entraîner un « crash », s'il est mal calibré.
– La troisième séquence consisterait en une période d'engagement au service d'une cause collective, dans le cadre de dispositifs existants ou ad hoc.
Le service civique y prendrait une large part, en augmentant ses effectifs chaque année (150 000 en 2018 et une montée en puissance prévue à 250 000), quitte à raccourcir sa durée (actuellement de six mois minimum).
Les jeunes pourraient également choisir un engagement de type militaire (la réserve), ou être intégrés à des dispositifs de remédiation tels que le SMV, le SMA, l'Epide ou encore l'Ecole de la 2e chance, en prenant garde toutefois à ne pas faire exploser des dispositifs qui marchent.
De nombreux paramètres restent à déterminer toutefois, au sein de ce schéma global à trois étages.
– Un premier paramètre est relatif à l'âge des jeunes au moment de la période de regroupement. Le contexte juridique, les modalités d'encadrement, et le contenu des activités en dépendent.
– Quel sera justement le contenu des enseignements ou activités de ce tronc commun ? C'est la seconde incertitude majeure. Comment intéresser des jeunes dont les niveaux scolaires seront très disparates, qui pour beaucoup auront déjà quitté les bancs de l'école et seront peu enclins à y retourner ? Quel contenu trouver qui fasse consensus, dans la société clivée actuelle, et ne finisse pas par susciter une certaine défiance ?
Une formation au secourisme est évoquée – faut-il mettre en place un dispositif aussi complexe, aussi coûteux que le SNU, pour que tous les jeunes puissent obtenir l'équivalent d'un brevet de secourisme ou du BAFA, quel que soit l'intérêt par ailleurs de ces formations ?
Faudra-t-il, en outre, mettre à disposition des installations sportives, ou d'autres installations spécifiques, voire en construire ?
Autant de questions que le projet final devra anticiper très précisément.
De nombreux autres paramètres doivent être ajustés : la durée du tronc commun, les modalités d'encadrement, les modalités du regroupement des jeunes, avec hébergement, c'est-à-dire internat, ou non. Nous y reviendrons.
Ce qui est certain, s'agissant de l'hébergement et de l'encadrement, c'est que l'on ne pourra se satisfaire de solutions « bricolées ». Des locaux adaptés devront être trouvés. Des personnels devront être formés. Des financements devront être trouvés. Sur ce volet, soit tout est soigneusement verrouillé, soit rien n'est réellement bouclé. Cette absence de transparence sur les chiffrages ne nous paraît pas satisfaisante.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur. – Nous abordons maintenant les orientations des rapporteurs.
Nous n'allons pas définir ce que devrait être le SNU. C'est un projet à dimension sociétale qui dépasse le champ de compétence de notre commission. Mais nous voulons aujourd'hui alerter sur les conditions de la réussite et les difficultés des options en présence.
Notre première priorité c'est que le SNU n'étouffe pas les armées : Non seulement le SNU devra être soutenable financièrement – dans le contexte budgétaire que nous connaissons, notre pays a-t-il vraiment les moyens de consacrer plusieurs milliards d'euros par an à un tel projet? – mais surtout son financement ne devra pas obérer le budget des ministères concernés. Et bien sûr, nous nous soucions particulièrement de celui des armées. Celui-ci n'a pas la capacité d'absorber la charge financière que représenterait la remise en état d'infrastructures ayant cessé d'être utilisées et l'affectation de milliers de militaires à des postes d'encadrement. Lors de ses voeux aux armées, le 19 janvier 2018, le Président de la République s'est engagé à doter le SNU d'un financement ad hoc. Nous proposons de le prendre au mot et de prévoir des amendements au projet de LPM actuellement en discussion, afin de garantir que la programmation militaire 2019-2025 n'inclue pas le financement du service national universel, qui viendra en plus.
Mais au-delà de la question du coût, il faut avoir conscience du « choc exogène » que pourrait représenter pour les armées la mise en oeuvre d'un SNU s'il avait un volet militaire ambitieux (comme par exemple une durée d'un mois avec internat). Songeons que l'ensemble d'une classe d'âge (800 000 jeunes), c'est 10 fois les effectifs de l'armée de terre ! Et l'on devrait trouver un hébergement à tous ces jeunes alors qu'on a déjà tant de difficultés à loger nos soldats? Sans compter le goulet d'étranglement lié au recrutement et à la formation de personnels militaires supplémentaires pour gérer le SNU. C'est l'ensemble de notre modèle d'armée qui serait menacé.
Évidemment, les armées ont un rôle social (dont elles sont fières et qu'elles revendiquent au demeurant) dans le cadre de dispositifs qui marchent (SMV, SMA, Epide à l'origine), et dans leur essence même qui est d'être au contact de la jeunesse. Mais leur mission principale reste la défense du territoire national et des citoyens français. Cet « ADN » des armées doit absolument être préservé.
Enfin, il faut prendre en compte le risque de résurgence de l'antimilitarisme qui avait disparu depuis la professionnalisation des armées. Au lieu de rapprocher la Nation et les armées, c'est l'effet inverse qu'on obtiendrait !
Dès lors, comment s'appuyer sur l'existant pour avancer de façon réaliste? Concrètement, nous vous proposerons avec le Président Cambon une série d'amendements le 16 mai prochain en commission.
Une fois ce verrou mis en place, quelles sont les conditions de réussite et les écueils à éviter?
Un premier facteur de succès est que le dispositif emporte l'adhésion des jeunes, ce qui implique qu'il soit attractif et ne leur apparaisse pas comme subi et vain. Rien ne serait pire que des jeunes se retrouvant enfermés, sans comprendre pourquoi, avec le sentiment de perdre leur temps. Il existe un risque non négligeable de mouvement de rejet, auquel il faut être attentif, alors même qu'une contestation latente est déjà perceptible – pour diverses raisons – dans les lycées et les universités.
En outre, le dispositif retenu devra avoir l'assentiment des parents. Ceux-ci sont en droit d'attendre des garanties sérieuses en ce qui concerne l'encadrement et le contenu, notamment s'il doit concerner des mineurs et impliquer un hébergement hors du domicile familial.
Ce projet devra aussi recueillir sinon le soutien, du moins l'accord des collectivités territoriales, qui peuvent être concernées à plusieurs titres (notamment en tant que propriétaires des établissements scolaires, interlocuteurs privilégiés du milieu associatif ou encore gisements de missions d'intérêt général).
Enfin, il nous paraît particulièrement important que la mise en oeuvre du SNU s'attache à préserver l'existant, car, en la matière -nos auditions nous ont permis de le constater-, beaucoup de dispositifs existent (ils ont été cités : service civique, Garde nationale, EPIDE, SMV…). Chacun a sa spécificité et sa dynamique qu'il ne faut pas détruire. S'agissant plus particulièrement de la Garde nationale – qui pour nous est un vrai point de vigilance – elle ne saurait constituer une ressource disponible pour assurer l'encadrement d'un service de type militaire : l'objectif actuel de 85 000 réservistes a été calibré par rapport à des besoins des armées et de la police n'incluant pas le SNU ; et s'il n'est pas exclu que des réservistes participent à un tel encadrement, cela ne pourrait être que sur la base du volontariat. Il importe, en effet, de préserver la militarité de la réserve.
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur. – Ces conditions étant posées, les séquences 1 (au collège/lycée) et 3 (phase d'engagement au sein de dispositifs existants) sont celles qui posent relativement le moins de problèmes. Elles existent, d'une certaine façon, déjà. Il faut s'appuyer sur l'existant, évaluer précisément les pratiques pour étendre celles qui fonctionnent le mieux.
– La séquence 1 nécessite de redynamiser l'enseignement de défense, au travers du protocole interministériel enseignement-défense de 2016.
Cette première phase est indispensable pour préparer les étapes suivantes du SNU, afin que tout ne commence pas à 16 ou à 18 ans – ce serait trop tard.
Redynamiser l'enseignement de défense n'est toutefois pas évident.
Les mondes de l'éducation et de la défense sont peu perméables, même si les choses ont évolué. Les professeurs restent maîtres du traitement de programmes qui ne laissent que peu de marges pour des sorties ou des interventions extérieures.
On ne reviendra évidemment pas à l'école d'avant 1914 ! Il faut prendre garde à ne pas susciter la défiance du monde enseignant et des familles, par rapport à un contenu qui pourrait être interprété par certains comme trop idéologique.
La réforme du lycée, récemment présentée, nous semble aller dans le bon sens, en mettant l'accent sur l'enseignement moral et civique, qui sera l'objet d'une épreuve spécifique commune dans le nouveau baccalauréat.
– La séquence 3 peut également s'appuyer sur les nombreuses modalités d'engagement existantes. Cela nécessitera une mobilisation de toute la société, pour trouver des places pour tous les jeunes. Est-ce bien réaliste ? Quelques points d'attention doivent être mentionnés, sur cette séquence :
Le principe du volontariat nous semble essentiel. Dans toutes nos auditions – qu'il s'agisse du service civique, du SMV, de l'Epide ou encore de la réserve – le volontariat est apparu comme un facteur de succès des dispositifs. Aucun de ces dispositifs, exigeants en termes de disponibilité, d'engagement, ne se conçoit sans une réelle motivation.
Il faudra également rechercher une vraie universalité, c'est-à-dire accepter le plus de jeunes possibles, quel que soit, le cas échéant, leur handicap, car l'objectif doit être de montrer que chacun peut être utile à la société et y a sa place. Rejeter certains jeunes, qui seraient volontaires, aurait un effet désastreux.
Enfin, il conviendra d'éviter au maximum les inégalités d'accès à certaines missions particulièrement valorisantes, ou les facilités d'exemption ; en clair, de ne pas retomber dans les travers de l'ancien service national.
La séquence 2 est de loin la plus problématique.
Évidemment, un temps de brassage social avec internat, aurait des effets positifs. Toutes nos auditions militent pour éviter une simple « JDC améliorée », étendue à quelques jours, hypothèse coûteuse et inutile. La plupart de nos interlocuteurs ont reconnu l'intérêt d'une expérience vécue en commun.
Le contenu de cette période de regroupement devrait être plus lisible que celui de la JDC, plus solennel, pour devenir un vrai temps fort sollicitant la participation active des jeunes, à défaut de quoi chacun passera ce moment sur son téléphone portable, ce qui réduirait à néant l'expérience du brassage.
Si ce temps de regroupement nous paraît nécessaire pour parvenir aux objectifs recherchés, des questions difficiles à résoudre se posent toutefois.
S'agissant de la durée de cette séquence 2 : si elle est trop courte, le dispositif ne parviendra pas à ses finalités ; mais si elle est trop longue, elle posera des problèmes matériels et nécessitera probablement d'indemniser les jeunes à un âge où ils peuvent être déjà actifs ou ont des études à poursuivre. Une durée supérieure à une ou deux semaines est nécessaire pour que le dispositif fonctionne (un mois pourrait être un compromis, mais complexe à gérer).
S'agissant de l'hébergement : l'internat, nous l'avons dit, paraît indispensable pour parvenir à l'objectif de brassage social. Toutefois, cette option est non seulement très complexe à mettre en oeuvre mais elle pose aussi des questions juridiques.
L'article 34 de la constitution dispose en effet que « la loi fixe les règles concernant les sujétions imposées par la Défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens ». Le SNU est-il problématique du point de vue des libertés ? Le Premier ministre a indiqué avoir saisi le Conseil d'État sur le point de savoir s'il était nécessaire de réviser la Constitution pour mettre en place le SNU. Nous attendrons bien sûr la réponse du Conseil d'État sur ce point. Mais s'il s'agit de savoir si le SNU a un objectif de défense nationale au sens de l'article 34 de la Constitution, à notre sens la réponse à cette question est non.
Nous avons évoqué les finalités multiples du SNU : brassage social, engagement, etc… aucun de ces objectifs ne relève de la défense nationale.
Dire que le SNU relève de la défense remettrait, du reste, gravement en cause la loi de programmation militaire, et la revue stratégique qui l'a précédée, qui ne couvrent pas – et ne doivent pas couvrir – le SNU.
Quant à l'hypothèse d'une période de regroupement avant 18 ans, elle paraît problématique. Les jeunes ne sont alors pas pleinement « citoyens » au sens de l'article 34 de la constitution. Ils sont placés sous l'autorité parentale. Le rapport des députées rappelle à juste titre que ce n'est pas la scolarisation des jeunes qui est obligatoire mais leur instruction, éventuellement à domicile. Le Conseil constitutionnel défend par ailleurs de manière constante la liberté d'aller et venir.
Enfin se pose la question de l'encadrement : nous ne souhaitons pas que les armées soient sollicitées ; elles n'en ont pas les moyens, ce n'est pas leur mission. Mais à qui faire alors appel, soit pour encadrer, soit pour former des encadrants ? Faut-il constituer une « seconde armée », en faisant appel peut-être à des réservistes, y compris d'anciens militaires, recrutés à cet effet, et spécialement dédiés au SNU ? On parle aussi d'un encadrement par des jeunes issus des grandes écoles civiles ou militaires.
En posant ces questions, nous ne souhaitons pas dire que « c'est impossible » ; ça ne l'est pas, rien ne l'est avec de la volonté et des moyens. Mais nous souhaitons souligner :
– Tout d'abord, que ce projet mérite un vrai débat, et qu'il est maintenant plus que temps de lancer ce débat autrement que dans le huis clos des commissions ministérielles et des conseillers gouvernementaux ;
– Ensuite, que la ligne de crête de la réussite est étroite, avec de nombreux écueils financiers, juridiques, sociétaux… qui nécessiteront une grande vigilance.
– Enfin, nous souhaitons protéger nos armées, déjà à l'étiage, sur-sollicitées, car notre a pays a besoin qu'elles puissent se consacrer à 100 % à leurs missions. C'est ce que nous vous proposerons de faire dans la LPM.
La question de la montée en puissance me paraît très importante. L'idée d'une expérimentation est incontournable, peut-être d'abord pendant un an, puis pendant cinq à dix ans, avec un retour d'expérience annuel.
En conclusion, à ces conditions, il n'est pas exclu que le projet de SNU puisse déboucher sur quelque-chose de positif. Nous souhaitons que ce soit le cas mais nous avons un devoir de vigilance.
M. Christian Cambon, président. – Je remercie les deux rapporteurs pour leur travail. Comme nous en avions convenu ensemble, l'approche est différente de celle de la commission de la défense de l'Assemblée nationale qui a choisi de construire son propre projet de SNU, y compris en s'intéressant à des domaines ne relevant pas de sa compétence, mais de celle d'autres commissions (affaires culturelles concernant l'Education nationale par exemple), ce que nous n'avons pas souhaité faire. La communication du Sénat, qui intervient avant la publication du rapport du comité Ménaouine, s'apparente à une méthode, les rapporteurs présentant les écueils à éviter et les conditions à respecter : l'adhésion des jeunes (qui auront du mal à renoncer à leur environnement numérique), les modalités d'encadrement, la question de l'hébergement et surtout la nécessité de préserver la loi de programmation militaire et le budget qui lui est consacré. Car même si l'on répartit sur dix mois l'accueil de 700 000 jeunes, ce sont quand même 70 000 qui seraient à prendre en charge chaque mois.
Enfin, un aspect particulièrement important pour le Sénat est l'implication des collectivités territoriales, dont on voit mal comment elles pourraient ne pas être engagées dans le dispositif. Or, elles sont déjà à bout de souffle, écrasées par les charges. Si aucune compensation n'est prévue pour elles, cela ne manquera pas de poser des difficultés.
Pour conclure, nous avons élaboré une méthodologie originale et nous espérons qu'elle aidera le gouvernement dans sa réflexion. Je dois dire que nous avons été très marqués par le fait que les parlementaires n'aient pas été conviés à participer au comité d'experts, malgré l'engagement formel qu'avait pris la ministre des armées devant notre commission. Les membres du Parlement ont pourtant une grande expérience des questions relatives à la jeunesse.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Bravo aux rapporteurs. En ce qui me concerne, je suis atterrée. Certes, l'idée est belle et généreuse, mais c'est une réponse un peu facile à une situation sociale difficile. La question essentielle, qui avait d'ailleurs été soulevée par nos collègues Jean-Pierre Raffarin et Daniel Reiner dans leur rapport de l'année dernière, est celle du coût, qui sera faramineux. Lorsqu'on nous promet que le SNU n'impactera pas le budget de la défense et la LPM, on se moque de nous. C'est aberrant. Nous n'avons pas les moyens techniques, financiers et juridiques de mener à bien ce projet. Je me souviens qu'au moment de la suspension du service militaire – j'étais alors à l'IHEDN et défavorable à l'abandon de la conscription -, tous les officiers généraux que je côtoyais et qui, eux, souhaitaient la mise en place d'une armée professionnelle, faisaient valoir que si la réforme était adoptée, il ne faudrait pas ensuite chercher à rétablir le service militaire d'une manière ou d'une autre car on n'en aurait pas les moyens. Il y a un décalage considérable entre les annonces, les promesses, les ambitions et la réalité. J'en veux pour preuve la Journée de défense et citoyenneté, un dispositif qui devrait être amélioré au lieu de créer un SNU ex nihilo. S'agissant des Français de l'Etranger, alors même que ce rendez-vous (réduit au minimum, soit une demi-journée) était une occasion privilégiée de faire passer des messages sur la France et ses valeurs à nos compatriotes à l'étranger qui sont, dans certains pays, très exposés à l'influence djihadiste, le ministère des affaires étrangères l'a supprimé au motif de faire des économies. Pourtant, cela ne coûtait rien. Ce genre d'usine à gaz m'exaspère !
M. Gilbert Bouchet. – Je remercie les deux rapporteurs. En ce qui me concerne, j'ai fait mon service militaire et j'en garde un excellent souvenir, notamment du fait du brassage des populations. Quand Jacques Chirac a annoncé la fin de la conscription, je n'étais pas d'accord. Mais maintenant, il me paraît impossible de revenir en arrière, les casernes ont été vendues, il n'y a plus de logement disponible. La question de l'encadrement se pose aussi. Où va-t-on prendre l'argent pour cela ? On s'est félicité lors de nos récents débats sur la LPM de la progression des moyens alloués à la défense. Il ne faudrait pas que ce projet de SNU vienne annuler cette évolution positive.
M. Christian Cambon, président. – Précisons, pour être objectifs, qu'il ne s'agirait pas du rétablissement d'un service militaire, comme on a pu le craindre au départ, mais d'un service national.
Mme Isabelle Raimond-Pavero. – Merci pour la qualité de vos interventions. Nous avons compris que les armées se préparaient et que l'enjeu était maintenant de positionner le curseur sur un certain nombre de sujets. Les moyens financiers et humains qui devraient être consacrés à ce projet posent toutefois question. 15 000 à 20 000 personnes seraient nécessaires pour encadrer les 600 000 à 800 000 jeunes concernés chaque année. Le budget minimal à y consacrer serait de 5 milliards d'euros pour l'investissement et entre 2,5 et 3 milliards d'euros par an pour le fonctionnement. Quels seront les ministères concernés par le projet ? Au-delà de la question de la capacité des armées à absorber seules un tel choc, je crains qu'il n'écorne aussi l'image aujourd'hui très attrayante dont elles bénéficient auprès de la jeunesse si le dispositif envisagé prend un caractère obligatoire.
Mme Sylvie Goy-Chavent. – Il a été peu question dans vos interventions de la « sélection fine » des appelés et des enjeux de sécurité liés à l'utilisation de sites militaires et à l'encadrement par des militaires. Comment assurer leur protection ? Je soulève ce point en tant que rapporteur de la commission d'enquête sur l'évolution de la menace terroriste. L'enfer étant pavé de bonnes intentions, ne ferait-on pas mieux de consacrer nos ressources budgétaires à la LMP et à l'Education nationale si l'on veut aider nos jeunes ? Je voudrais également poser cette question au nom de mon collègue Olivier Cadic qui a dû s'absenter : « Les Français de l'étranger seront-ils concernés par le SNU ? Si tel n'est pas le cas, il faudra prendre en considération la possibilité que certains jeunes s'expatrient pour y échapper ».
M. Alain Cazabonne. – Je voudrais vous faire part de l'expérience intéressante que Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'Etat auprès de la ministre des armées, a menée récemment dans mon département. A Bordeaux, elle s'est prêtée pendant deux heures à un échange sur le SNU avec une soixantaine de jeunes pour recueillir leur avis. Concernant la durée, les jeunes se montraient d'accord pour une durée d'une semaine, mais complétement opposés à une durée longue, faisant valoir les contraintes des études, de l'entrée dans l'emploi ou encore la nécessité de travailler l'été. Beaucoup d'idées intéressantes ont été évoquées, notamment celle d'un service de deux fois quinze jours réparti sur une durée de deux ans. Mais deux points sont revenus constamment : d'une part, le service national doit être court, d'autre part, il doit être utile, qu'il s'agisse de participer à un projet bénéfique à la société ou d'apprendre des rudiments en matière de secourisme ou de sécurité.
Mme Hélène Conway-Mouret. – Pour ma part, je suis inquiète du flou qui entoure ce projet et j'ai l'impression que ce qui va être proposé dans quelques jours par le comité d'experts reflétera la volonté présidentielle. Je félicite les rapporteurs pour la qualité de leur travail. Je suis d'accord avec l'idée de déposer des amendements dans le projet de LPM pour protéger le budget de la défense. Notre commission étant aussi celle des affaires étrangères, je m'inquiète cependant de savoir quels ministères vont faire les frais de ce projet, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères étant malheureusement souvent la variable d'ajustement. Par ailleurs, il ne faudrait pas que les jeunes Français de l'étranger soient exclus du SNU. Or, on leur a déjà supprimé une demi-journée de JDC. Merci, en tous cas, pour cette présentation réaliste, qui montre bien les obstacles restant à lever. C'est très bien de vouloir faire ce que l'on a dit, mais ce n'est pas obligatoire dans tous les cas de figure.
M. Gilbert-Luc Devinaz. – Votre travail confirme les interrogations que soulève le projet de SNU, qu'il s'agisse de la durée, du caractère obligatoire ou non, de l'encadrement, notamment si des mineurs sont concernés, de l'hébergement … Une indemnité sera-t-elle prévue pour les jeunes ? Devront-ils porter une tenue particulière ? Quels ministères seront concernés ? Quelle sera la gouvernance du projet et quel sera son contenu ? Il faudra éviter que ce SNU retombe dans les travers du service militaire, dont beaucoup étaient dispensés, et qui parfois faisait perdre leur esprit de défense à ceux qui l'accomplissaient. Ce qui me paraît intéressant dans ce projet est, dans le contexte sécuritaire actuel, qu'il contribue à développer la résilience de la population, en la formant et en la sensibilisant aux situations de crise. Cela ne nécessite pas forcément un projet lourd impliquant de l'hébergement, le volontariat étant, à mon sens, l'un des facteurs conditionnant la réussite.
M. Ladislas Poniatowski. – Nos deux rapporteurs tiennent ensuite une conférence de presse. Présenterez-vous vos conclusions comme celles de la commission ? Allons-nous voter ? Je m'explique : votre travail comporte une partie prudente et une partie ferme. Or je désapprouve la partie prudente, car vous entrez dans le scénario de la mise en place du SNU. Vous acceptez le choix politique du Président de la République, tout en exposant les difficultés et inconvénients qui s'y rattachent. Je n'accepte pas ce choix politique : je suis hostile au SNU.
S'agissant de la partie ferme, en revanche, j'ai beaucoup apprécié votre excellent travail. Vous avez attiré l'attention sur les coûts exorbitants du projet, vous refusez qu'il se fasse au détriment de nos armées et de notre défense nationale. Vous avez rappelé aussi que les objectifs du SNU n'ont rien de militaire, ce qui est exact.
Je suis donc embarrassé, Monsieur le Président.
M. Christian Cambon, président. – Il ne s'agit pas d'un rapport de la commission, mais d'une communication des rapporteurs, effectuée en temps utiles avant les conclusions de la commission dirigée par le général Ménaouine et l'avis du Conseil d'Etat sur le projet constitutionnel. Il était important que le Sénat fasse état de ses réflexions même si -surtout si !- personne n'a encore demandé son avis au Parlement. Mais cette communication n'a pas valeur de rapport et la communication à la presse en tiendra compte.
M. Ladislas Poniatowski. – Les rapporteurs doivent tenir compte de ce qu'ils ont entendu ce matin. L'hostilité de certains d'entre nous au SNU doit transparaître. Nous parlons d'une seule voix en revanche, s'agissant des difficultés soulevées.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur. – Je n'ai pas souhaité que l'on remette de rapport aujourd'hui car je désapprouve la méthode de la présidence de la République. Le Parlement est mis à l'écart. Je pense que la commission Ménouine travaille, en réalité, en temps masqué, directement avec l'Elysée. Je souhaite que notre rapport paraisse postérieurement aux conclusions de la commission Ménaouine. Il était aujourd'hui difficile de s'engager sur des conclusions négatives, alors que les objectifs du Président de la République sont difficilement contestables et que ce projet sera, je le crois, mis en oeuvre
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur. – Nous communiquons aujourd'hui avec le sentiment que c'était le seul moment où nous pouvions avoir une expression avant que tout ne soit bouclé. Nous avions d'abord pensé attendre le rapport de la commission Ménaouine avant de publier nos propres conclusions, puis nous avons compris que tout risquait d'aller très vite. Nous n'avons pas souhaité vivre ce qu'ont vécu nos collègues députées, qui ont vu leur expression phagocytée par une expression présidentielle simultanée. Nous nous exprimerons donc aujourd'hui mais en prenant évidemment en compte nos échanges.
M. Christian Cambon, président. – Nous serons amenés à voter ultérieurement lorsque nous présenterons, au nom de la commission, un amendement prévoyant que le service national universel ne puisse être financé par la LPM. Un amendement identique, présenté à l'Assemblée nationale, n'a pas été adopté. C'est un signe d'inquiétude… nous vous présenterons donc cet amendement, ce qui nous donnera l'occasion de nous exprimer lors de l'examen de la LPM.
Cet amendement est essentiel : son adoption fermerait un certain nombre de portes et viendrait protéger le budget des armées, ce qui est au coeur de nos préoccupations.
M. Yannick Vaugrenard. – Je soutiens la méthode des rapporteurs. Vous vous placez dans l'hypothèse où il y aurait un SNU, ce qui pour moi ne pose aucun problème politique. Il me semble logique que notre commission puisse alerter sur les dangers et les risques de cette hypothèse. J'ai bien noté dans vos conclusions que ce projet pouvait avoir des aspects positifs.
Il faut rappeler les circonstances de l'annonce du Président de la République : après les attentats, dans un certain nombre d'établissements scolaires, des jeunes ont refusé la minute de silence. Toute la population française n'était pas spontanément représentée dans les manifestations qui ont suivi. Chacun a considéré alors qu'il fallait agir pour permettre aux jeunes de prendre conscience qu'ils font partie d'une nation avec des valeurs. Cette action passe par l'éducation, bien sûr, mais peut-être aussi par une forme de service national. Je n'ai pas d'opposition majeure à cette ambition, qui doit être tempérée par le réalisme, comme nos rapporteurs l'ont bien montré.
Néanmoins, il me semble qu'il faut d'abord évaluer les dispositifs existants, notamment le service civique, pour éventuellement les renforcer, puis prévoir une phase d'expérimentation et en évaluer attentivement les résultats.
M. Christian Cambon, président. – C'est toute la difficulté, en effet : au départ, tout le monde a bien conscience qu'un problème social est posé. Nous voyons bien la difficulté de faire comprendre à ces jeunes générations qu'elles sont citoyennes et qu'elles ont des responsabilités.
Mais si nous nous saisissons de ce problème en amont, c'est pour alerter le Gouvernement qui semble se précipiter, s'appuyant sur une commission dont la composition est discutable et excluant le Parlement de sa réflexion.
M. Philippe Paul. – Je suis d'accord avec Ladislas Poniatowski. Je ne vois pas l'intérêt du SNU. Nous devons veiller au message du Sénat : un certain nombre de personnes attendent maintenant le retour d'un service militaire, c'est-à-dire d'une forme de fermeté pour contrer la violence de la société et lutter contre le décrochage de certains jeunes. Là où la société, l'école et les parents ont démissionné, certains regrettent l'abandon du service militaire. Mais ce n'est pas vers un retour de ce service militaire que l'on se dirige car les armées n'en veulent pas, le coût en serait exorbitant et la faisabilité en est même incertaine. Cette annonce m'inquiète. C'est une mesure populiste.
Mme Hélène Conway-Mouret. – Votre conférence de presse est très importante. Nous sommes dans un moment politique, avec la perspective d'une réforme constitutionnelle qui remet en question le rôle du Parlement. Le travail sérieux et de qualité que vous avez réalisé témoigne de ce que peut être le rôle du Parlement. Il montre ce que nous devons faire et comment nous exerçons notre rôle de contrôle de l'exécutif.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur. – Nous ne pouvions pas nous inscrire dans une position de principe. Nous avons travaillé, avec Jean-Marie Bockel, en parfaite harmonie, procédant à de nombreuses auditions. Sur les problèmes de financement, nous n'avons pas de solution ; en tant que commission des affaires étrangères et de la défense, nous nous préoccupons de protéger le budget des armées. Pour le reste, lorsque nous avons rencontré la Secrétaire d'État, elle attendait les arbitrages présidentiels. Le Major général des armées a refusé de nous rencontrer. Il ne se sentait pas autorisé à parler. Je ne manquerai pas de dire ce que j'en pense. Nous sommes parlementaires, anciens ministres ; nous savons nous taire. Cette attitude vis-à-vis du Parlement est scandaleuse. Mais de nombreux autres interlocuteurs ont joué le jeu et parlé librement.
La phase 2 nécessitera d'importants financements. Quant à la phase 3, celle de l'engagement, différents dispositifs existent. Les jeunes peuvent s'engager s'ils le souhaitent. Nous n'avons pas besoin là du service national universel. Nous pensons que le volontariat est essentiel : si les jeunes ne sont pas volontaires sur un projet, cela ne marchera pas. Rendre cette phase 3 obligatoire serait une erreur : tous les sondages sont aujourd'hui favorables au SNU, mais les associations de jeunes sont défavorables à l'obligation. Il faut être très prudent. Par ailleurs, il ne faut pas fragmenter cette phase 3. Hormis le cas particulier de la réserve, tous nos interlocuteurs nous ont interpelés sur l'impossibilité de morceler les projets. On ne pourra pas réduire le service civique à quelques semaines : il ne fonctionnerait plus. Enfin, ces projets ne doivent pas être menés individuellement, mais à plusieurs, dans le cadre d'un brassage.
Le Gouvernement sera obligé d'amender la réforme constitutionnelle. Comment pourrait-on sinon rendre obligatoire un service national universel qui n'est pas militaire ?
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur. – Un esprit de souplesse sera nécessaire pour ne pas mettre à mal des dispositifs tels que le service civique, qui sont déjà massifs. Tous les échos que nous en avons sont positifs. Mais le service civique est fondé sur le volontariat.
La qualité des échanges que nous pouvons avoir au Sénat est reconnue. Nous savons faire preuve de discrétion. Beaucoup d'interlocuteurs se sont exprimés très librement et de façon éclairante devant nous. L'exécutif ne nous a pas demandé notre avis, mais il aurait dû le faire et nous allons le lui donner.
Sur la question du coût, il faudrait se donner vraiment le temps de l'expérimentation, sur un nombre limité de personnes, pour en tirer des enseignements et imaginer ensuite une montée en puissance très progressive, afin de trouver le temps de dégager des moyens. Trouver des financements sera plus facile une fois que le dispositif aura prouvé sa pertinence ou aura pu être ajusté. Nous devons, en tout état de cause, prendre en compte la détermination du Président de la République sur cette question et apporter notre regard pour essayer d'éviter le crash.
La question de l'impact sur la jeunesse est majeure. Nous ne devons pas passer à côté et avoir à l'esprit ce qui pourrait marcher et ce qui est susceptible d'échouer.
Le sujet du filtrage est aussi essentiel. Nous avons travaillé, dans le cadre de la délégation aux collectivités territoriales, sur la prévention de la radicalisation du point de vue des territoires. On ne peut pas ne pas avoir à l'esprit ce sujet.
La question de l'inclusion des Français de l'étranger dans le dispositif, et celle du risque de fuite vers l'étranger sont de vraies questions. Il faudra prendre ce point en considération.
S'agissant des ministères susceptibles d'être impactés, il me semble que c'est surtout le ministère de l'Education nationale qui pourrait également l'être. Nous avons d'ailleurs auditionné ses représentants.
Nos expériences respectives du service militaire ne doivent pas fausser notre jugement. Nous ne sommes plus dans le monde d'avant. Nous devons raisonner à partir du monde d'aujourd'hui. Le Président de la République doit aussi avoir ce point à l'esprit.
Si le projet n'avait aucun sens, notre travail serait plus facile… mais il touche à des sujets importants pour nos concitoyens : le brassage, la cohésion, les valeurs. C'est pourquoi un travail approfondi était nécessaire.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Vous vous êtes prononcés pour le volontariat, ce qui va complètement contre l'esprit de ce service national universel. Or si l'idée peut être intéressante pour remettre des jeunes dans le droit chemin, elle n'a aucun intérêt dans un contexte de volontariat.
M. Christian Cambon, président. – Je vous remercie de ce riche débat. Il était important que nous prenions le temps d'avoir ce débat essentiel.
La réunion est close à 12 h 15.