Le sommet extraordinaire européen sur les questions de défense et d’aide à l’Ukraine amorce un tournant historique. L’Europe entend couper le cordon et assumer son destin. Abandonnée par les USA — pour ne pas dire trahis par Donald Trump et son administration, l’Europe est condamnée à relever le défi. « Pour l’Europe, c’est maintenant ou jamais » comme l’a si bien dit le général Paloméros dans le Figaro.[1] Les vingt-sept ont adopté à l’unanimité hier un plan prévoyant de dépenser 800 milliards d’euros pour leur défense. A Londres le 3 mars, à Bruxelles le 6, les États « unis » sans l’Amérique se cherchaient un leader du Monde Libre pour remplacer Donald Trump qui a tourné la page du lien transatlantique. On se demandait combien de temps il faudrait pour que les Américains se rendent enfin compte du naufrage auquel ils s’exposent. A Wall Street, c’est la chute. Les Échos le mentionnaient lundi déjà, le Monde revient sur le sujet ce jour.

On aurait pu imaginer Trump heureux d’acter la mobilisation financière de cette Europe et bien non, parce que les Européens ont acté le fait qu’il fallait « acheter européen » pour ne plus dépendre des États-Unis. Chose que Trump n’avait pas imaginée, vécue comme une trahison, confirmant sa fine analyse devant la presse mondiale dans le bureau ovale de la mission première de l’Europe : « L’Europe a été créée pour enculer les États-Unis ». Pensant comme Mac Namara que dans le partage des tâches, les Américains fabriquaient les armes et les Européens devaient se contenter de les acheter, avec en prime depuis vingt ans l’accord préalable US pour les utiliser… Quentin Dickinson révèle qu’à Wall Street il n’y a pas que Tesla [2] pour connaître une chute vertigineuse, les plus grandes sociétés d’armement américaines sont impactées et cela ne fait que commencer. Bravo l’artiste, comme on dit chez nous, Plus con, tu meurs ! NDLR
Source : euradio — Bruxelles, le 7 mars 2025 —
Laurence Aubron : Cette semaine, vous avez examiné de près les marchés des armes et des systèmes d’armement…
Quentin Dickinson : Dans le commerce mondial des armes à destination des forces militaires, il existe de (très) longue date des règles immuables.
L’une de celles-ci, c’est que les pays exportateurs y voient une prolongation de leur politique étrangère et une affirmation de leurs valeurs : c’est vrai des fournitures iraniennes au Hezbollah comme du matériel militaire non-létal livré par l’Irlande à l’Ukraine.
De plus, les pays producteurs apportent le plus souvent aux pays acheteurs des garanties de sécurité, lesquelles restent en vigueur tout au long de la vie utile du matériel, qui peut s’étendre sur plusieurs décennies ; ces garanties comprennent – notamment – les adaptations techniques, ainsi que la mise à niveau périodique des programmes informatiques, la livraison des pièces de rechange et, le cas échéant, les munitions spécifiques. Évidemment, cette relation obligée dans la durée constitue un moyen efficace de pression géopolitique sur le gouvernement de l’État acquéreur.
Laurence Aubron : Certes, mais où voulez-vous en venir ?…
Quentin Dickinson : Tout simplement à ceci : le pays exportateur d’armes qui, depuis quatre-vingts ans, bénéficie le plus (et de très loin) des clauses de garanties de sécurité, c’est les États-Unis d’Amérique.

— Photo U.S. Air Force © Master Sgt. Donald R. Allen —
Ces garanties de sécurité constituent même le principal argument de vente de l’industrie militaire étatsunienne et en assurent la prospérité, jusqu’ici tenue pour perpétuelle.
Laurence Aubron : Pourquoi dites-vous jusqu’ici ?…
Quentin Dickinson : Parce que, depuis l’algarade de l’autre jour dans le Bureau Ovale de la Maison-Blanche, dont le Président Zelensky a été la victime, à laquelle s’est ajoutée la suspension américaine des fournitures militaires, du partage du renseignement, et de la couverture satellitaire tactique, sur lesquels l’Ukraine compte de façon cruciale, une évidence s’est imposée à tous les gouvernements de la planète : désormais, les garanties de sécurité américaines ne valent strictement plus rien.

Laurence Aubron : En quoi cela intéresse-t-il les Européens ?…
Quentin Dickinson : Peut-on vraiment penser que les dirigeants européens, enfin sortis (avec quelques exceptions) de leur confortable léthargie, vont se précipiter pour se réarmer chez Donald Trump ? C’est qu’à tout moment, celui-ci peut avoir l’idée d’interdire aux Européens de se servir de matériel américain contre la Russie.


Et des commandes européennes, il va y en avoir, et massivement : au sein de cette coalition des pays volontaires qui se dessine sous nos yeux, d’ici la fin de cette année, la Pologne aura augmenté à hauteur de 5 % de son PIB son budget consacré à la défense ; et le Royaume-Uni se hissera à 2,5 % dans les dix-huit mois.
Laurence Aubron : Les industriels européens de la défense doivent se frotter les mains, non ?…
Quentin Dickinson : Étant du genre discret, aucun d’entre eux ne vous dira jamais cela tel quel ; ce qui est certain, c’est qu’ils bénéficient désormais en quasi-exclusivité des retours d’expérience des différents équipements soumis au quotidien à l’épreuve du conflit de haute intensité en Ukraine.

Mais, pour se faire une idée complète de la situation, c’est ailleurs qu’il faut regarder.
Laurence Aubron : Où cela ?…
Quentin Dickinson : Vers les milieux financiers, peu suspects de se montrer réceptifs aux délires idéologiques, d’où qu’ils viennent. Ces milieux-là ont compris qu’il valait mieux investir dans l’industrie de défense européenne que dans l’américaine. Et là, les chiffres sont éloquents :
depuis l’investiture de Donald Trump, les plus grosses entreprises américaines de l’armement ont reculé de 4 % en moyenne en valeur boursière … pendant que leurs concurrentes européennes progressent de plus de 30 %. Mieux : le lendemain de l’incident du Bureau Ovale, les européennes prenaient encore de 12 à 17 %.
Pour enfoncer le clou, les marchés s’attendent à une réduction de la production des industriels américains, vu que Elon Musk et le Vice-président Vance annoncent une considérable réduction du budget du Pentagone.
Enfin, on peut se demander si les industriels européens vont poursuivre leur collaboration avec des sous-traitants américains.
Laurence Aubron : Conclusion ?…
Quentin Dickinson : Conclusion inévitable : on peut se demander quels marchés d’exportation importants et solvables il reste encore à l’industrie américaine de défense.

Et, pour paraphraser le récent éditorial de nos confrères du Wall Street Journal, bible des milieux financiers, on peut valablement se dire que ce ramassis de décisions irréfléchies constitue la politique industrielle de défense la plus stupide de tous les temps.[3]
Quentin Dickinson
[1] « Pour l’Europe, c’est maintenant ou jamais »: Entretien accordé par le général d’armée aérienne (2s) Jean-Paul Paloméros, ancien CEMAAE et Commandant suprême de l’OTAN pour la transformation à Laure Mandeville dans Le Figaro du 7.3.2025, ,p.7. « Reconnaissant la difficulté de la remontée en puissance militaire des Européens, le général Paloméros préconise d’utiliser une « stratégie de rupture », en tirant les leçons de l’approche asymétrique et technologique des Ukrainiens qui « ont changé l’art de la guerre ».
[2] Elon Musk a suspendu il y a trois jours STARLINK aux Ukrainiens. Musk dans un élan de générosité avait vendu 2.000 US$ à Kiev chaque terminal dont le prix normal était de 500US$… Les Polonais avaient pris en charge les abonnements. Il y a deux jours, sur le front côté russe, STARLINK était utilisé par les forces russes ! Résultat EUTELSTAT flambe à la bourse de Paris et de Londres.
[3] « Wall Street Journal knocks Trump over ‘dumbest tariff plunge’» par by Lauren Irwin in Wall Street Journal — 2025-0304 — 9:24 AM ET