Emmanuel Macron à Mont-de Marsan : Nous devons avoir une guerre d’avance

Le Président Emmanuel Macron, s’est rendu sur la B.A. 118 de Mont-de-Marsan, pour présenter ses vœux aux armées et dresser les grandes orientations de la prochaine loi de programmation militaire sur la période 2024-2030. Fondée sur une logique de transformation, elle vise à faire pivoter nos armées sur quatre axes :

  • le renforcement de notre souveraineté,
  • l’anticipation de la haute intensité,
  • la défense des espaces communs,
  • le renouvellement des partenariats.

Source : Présidence de la République — 20 janvier 2023 —

Monsieur le ministre de l’Intérieur et des Outremers
Monsieur le ministre des armées
Madame la ministre déléguée, chère Geneviève Darrieussecq
Mesdames et monsieur les secrétaires d’État
Monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat
Monsieur le président de la commission de la défense de l’assemblée nationale
Mesdames et messieurs les sénateurs
Mesdames et messieurs les députés
Madame et monsieur les députés européens
Mesdames et messieurs les élus
Madame la préfète de région
Madame la préfète 
Monsieur le chef d’état-major des armées 
Monsieur le délégué général pour l’armement
Monsieur le secrétaire général pour l’administration
Messieurs les chefs d’états-majors d’armées
Monsieur le directeur général de la gendarmerie nationale
Mesdames et messieurs les officiers généraux
Mon colonel, 
Officiers, sous-officiers, officiers mariniers, soldats, marins, aviateurs et personnels civils des Forces armées, 
Mesdames et Messieurs.

Emmanuel Macron, président de la République, sur la B.A.118 de Mont-de-Marsan

L’usage désormais bien installé me conduit chaque début d’année, et malgré tous les épisodes et toutes les crises, à consacrer un temps à nos Forces armées. Je me réjouis que ce rendez-vous se tienne cette année, dans cette imposante base aérienne de Mont-de-Marsan. C’est, comme souvent dans ces exercices, l’occasion de dresser un bilan de l’année écoulée, de rendre hommage aux efforts et aux sacrifices de nos militaires avant de tracer les contours de l’année qui s’ouvre, en dégageant quelques lignes de forces du moment. 

-
Emmanuel Macron à Mont-de-Marsan — « La Nation vous fait confiance » — Capture d’écran E-S

Ces rencontres périodiques me permettent de vous dire aussi combien la Nation vous fait confiance. Combien nous sommes reconnaissants de votre abnégation, de l’engagement de celles et ceux qui vous soutiennent, de la vaillance dont font preuve nos blessés et de l’énergie de ceux qui les soignent comme de la résistance et de l’attachement de vos familles. C’est pour moi toujours aussi, l’occasion d’un moment à vos côtés, derrière le formalisme du cérémonial militaire. Mais aujourd’hui est sans doute une occasion un peu particulière car c’est aussi d’avenir que je suis venu vous parler. De l’avenir de nos armées. 

La Loi de Programmation Militaire 2019-2025 (LPM)

Il y a deux mois à Toulon, j’avais présenté la vision que portait la Revue nationale stratégique pour notre pays. À présent, je souhaite évoquer devant vous, la manière dont cette vision doit prendre corps, à travers la loi de programmation militaire, dont le projet sera soumis prochainement à la représentation nationale. Et à titre liminaire, je voudrais ici remarquer devant vous combien l’exercice qui a été conduit est exceptionnel. Exceptionnel d’abord, parce qu’il fait suite, pour la première fois depuis des décennies, à la parfaite exécution de la loi précédente et ce, grâce à l’engagement de l’ensemble des ministères et de nos parlementaires, et je les en remercie. Exceptionnelle ensuite par la profondeur du travail de réflexion qui a mobilisé bien des énergies et des intelligences et qui a été conduit par vous, toutes et tous, j’y reviendrai. 

Mais mon propos aujourd’hui s’adresse autant à vous qu’à la Nation toute entière. D’abord parce que la loi de programmation militaire traduit les efforts du pays en faveur de ses armées. Et ces efforts serot, dans les années qui viennent, à proportion des dangers, c’est-à-dire considérables, surtout parce que cet exercice de la loi de programmation comporte, dans ses instruments et dans son architecture même, l’exigence d’une mobilisation de tous. 

Nous devons donc avoir une guerre d’avance

En effet, la loi de programmation constitue le chemin collectif sur lequel nous allons nous engager. C’est le geste stratégique par excellence, celui qui, fondé sur l’analyse de nos forces, de nos spécificités, des menaces et des vulnérabilités, incarne des choix qui nous obligent pour des décennies. Ce qui a présidé aux premières d’entre elles au début de notre République après d’étranges défaites et des revers inattendus, ce qui a nourri leur déploiement, leur révision, leur parti pris, c’est une idée simple : ne jamais être en retard d’une guerre, ne pas chercher à gagner intellectuellement le conflit précédent, mais permettre au pays d’être prêt pour celui qui peut venir. Nous devons donc avoir une guerre d’avance. Nous revenons là à cet impératif : cette loi de programmation militaire devra donc tirer les conclusions de ce que notre époque porte en germe, avec naturellement cette part de ruse de l’histoire qu’on ne peut prédire. Et je souhaite ici conforter l’assurance de chacun, de nos forces, de tout un peuple, que face aux métamorphoses de la guerre, la France dispose et disposera d’armées prêtes aux périls du siècle. 

Une accumulation de menace multiples dans tous les domaines

En effet, comme la Revue nationale stratégique le détaillait, les menaces sont multiples et s’agrègent plutôt qu’elles ne se succèdent. D’une part, des conflits de haute intensité en Europe, un raidissement des volontés de puissance sur fond de crise du multilatéralisme. Il n’y a plus de dividendes de la paix du fait de l’agression lancée par la Russie contre l’Ukraine. Et ce sont devant nous les frais brutaux de la violence de l’époque. En Europe, en Asie et dans l’Indopacifique, l’ordre international cède à un état de nature entre les Nations telles que nous n’en avions pas vu depuis des décennies. La Méditerranée orientale, les détroits de l’océan Indien, la mer de Chine méridionale ou les abords de Taïwan, parmi d’autres. Ce sont des lieux de régulières tensions. Nos Outremers sont, dans ce contexte, de plus en plus exposés. Et le conflit porte désormais dans tous les espaces, dans tous les domaines, y compris Internet, les réseaux sociaux et le champ impalpable de l’information. D’autre part, le surgissement de menaces nouvelles advient et lesquelles sont liées aux mutations globales, climatiques, énergétiques, technologiques, avec des risques de déstabilisation que ces bascules peuvent faire naître. Enfin persévèrent les risques à bas bruit, anciens, ceux des attaques terroristes et de la violence djihadiste qui, bien que résorbées, n’ont pas disparu. 

Ce qui caractérise notre décennie, c’est donc cette accumulation des menaces dans tous les ordres et dans toutes les géographies. Comme une forme d’anthologie des risques de guerre qui ont tenté nombre de générations avant nous. Impérialisme débridé, prolifération nucléaire, violence terroriste. Des guerres très vieilles, d’autres plus inédites, mais qui toutes s’additionnent et peuvent se nourrir l’une l’autre.

Nous ne choisirons pas les conflits que nous aurons à affronter

Ces formes de conflit prennent toutefois un nouveau visage qui oscille souvent entre la sophistication et la simplicité brutale. Sophistication avec une course technologique, du cyber au quantique, en passant demain par l’intelligence artificielle. Et brutalité presque nue, en Ukraine notamment, avec un retour de scènes que nous croyions appartenir à l’imagerie de Verdun ou de la Somme. Le réarmement mondial se fait donc aux deux bouts d’un spectre polarisé. Entre la technologie de pointe et le rudimentaire, qui peuvent malmener une armée puissante et bien équipée, mais vulnérable en haut et en bas de son champ d’action. L’un des pièges serait de s’épuiser en ne cherchant que le raffinement technologique, l’autre serait de ne pas investir ces nouveaux moyens. Ces nouveaux conflits, malgré l’excellence de notre renseignement, sont plus diffus, travaillent sourdement un ordre international déjà fragilisé. La violence du monde a en effet conservé sa part de surprise. Et de même, les opérations de demain ne seront pas la répétition grandeur nature d’exercices travaillés en chambre. 

Il nous faut donc privilégier la rapidité d’action, la montée en puissance rapide à la pureté intellectuelle d’un modèle abstrait, car nous ne choisirons pas les conflits que nous aurons à affronter. Et puis, ce qui caractérise les nouveaux conflits de notre siècle est sans doute le brouillage entre une conflictualité ouverte, explicite et une malveillance répétée, systémique, pernicieuse. La guerre ne se déclare plus, elle se mène à bas bruit, insidieusement, elle est hybride. Le ciblage d’infrastructures d’intérêt national mais civil est notre lot commun, je pense entre autres aux cyberattaques. Et puisque nos armées sont faites de femmes et d’hommes qui vivent dans une société elle-même en évolution, il nous faut en tirer toutes les conclusions et veiller à une vigilance, une mobilisation permanente et une capacité à résister dans l’intimité de notre société. 

Enfin, n’oublions jamais que notre Nation est un archipel. Et si la sécurité du territoire métropolitain est là assurée par vous toutes et tous, nos Outremers ne doivent jamais quitter notre regard et notre présence. Et la marche du monde met nombre de ces territoires, en particulier dans le Pacifique et l’océan Indien, aux premières loges des possibles confrontations de demain. 

Il nous faut prévoir et anticiper, nous préparer au monde qui vient

De ce tableau des périls, il est logique d’en déduire les risques et d’en décliner des pistes d’action. Il nous faut prévoir et anticiper, se préparer au monde qui vient, même si les habitudes, les équipements connus, les schémas doivent parfois en être bousculés. Intégrer l’ère du drone, investir dans le quantique, ne pas croire seulement en l’intelligence même si elle reste et restera essentielle. Mais la compléter, la décupler par l’intelligence artificielle. Enfin, conforter une Nation d’âme vive pour disposer de toute la force morale nécessaire. 

La loi de programmation militaire 2019-2025 avait une vocation claire : réparer nos armées, leur redonner le souffle, les moyens, sortir de la logique de pénurie et retrouver des leviers d’action. Grâce à votre travail collectif et la vigilance de vos chefs, cette entreprise progresse et grâce aussi au fait que tous ces engagements ont été respectés à l’euro. Mais ce travail doit se poursuivre. J’ai pu me rendre compte au gré de mes nombreux déplacements dans les forces de la différence que ce travail de fond a pu faire et créer, concrètement et moralement aussi. 

Il nous faut réparer (295 milliards d’euros) et transformer nos armées : un effort budgétaire de 413 milliards

Cet effort de remontée de nos armées, le nouveau projet de loi de programmation militaire entend le poursuivre et l’amplifier. Et au fond, après avoir réparé les armées, nous allons les transformer. Il faut gagner le temps qui nous sépare du conflit de demain. Oui, la Nation se doit de transformer ses armées en conservant naturellement ses invariants stratégiques, en s’appuyant sur l’excellence de ses militaires et leur dévouement. Mais il nous faut aussi, en tant que Nation, nous transformer nous-mêmes, être prêts à des guerres plus brutales, plus nombreuses et ambiguës à la fois, comme je viens de l’évoquer. 

C’est cette haute ambition que porte la loi de programmation militaire. Pour y répondre, il faut de grands moyens. Alors que la loi de programmation militaire 2019-2024 représentait un effort de 295 milliards d’euros, je peux vous le dire à présent, je solliciterai de la représentation nationale, que nous puissions consacrer, sur la période 2024-2030, un effort budgétaire de 400 milliards d’euros, ce qui permettra de couvrir un total de 413 milliards d’euros de besoins militaires afin de renouveler ainsi ce précieux outil militaire qui sert notre liberté, notre sécurité, notre prospérité et notre place dans le monde. 

Au total, ces deux lois de programmation militaire auront donc conduit à un doublement des budgets de nos armées. Je le dis avec gravité, ce sont des moyens considérables qui amplifient un effort de défense dont la dynamique est sans précédent depuis cinq décennies. Ces ressources exceptionnelles dictent évidemment une grande exigence. C’est le prix de la sécurité de nos enfants, c’est le montant de notre rang à tenir, de nos valeurs à défendre, d’un long récit, de gloire et de liberté dont il nous faut écrire les prochains chapitres. Nous devons franchir cette étape essentielle afin de bâtir nos armées de demain, même si ce n’est qu’une étape. 

Car ces 413 milliards ne permettent pas de dessiner à eux seuls le nouveau visage de nos armées pour le siècle qui commence. Mais ils amorcent un investissement inédit, un changement profond qui sera ensuite irréversible. Nous ne devons pas faire pour autant pareil avec plus, nous devons faire mieux et différemment. Car le monde ne nous attend pas, car les rivalités aiguisent les appétits et les stratégies, car nous devons tenir notre rang.  

Nos défis pour demain, c’est d’abord de continuer à défendre des intérêts qui ne varient pas, c’est-à-dire la défense du territoire national et en particulier de nos Outre-mer, de nos concitoyens ; c’est la sûreté de notre voisinage proche, de la Méditerranée aux Balkans, du Proche et Moyen-Orient jusqu’à l’Afrique, et la lutte contre le dérèglement climatique, toujours et encore bien entendu. 

Ce sont ensuite l’adaptation aux exigences contemporaines d’une dissuasion nucléaire robuste et crédible, la défense de nos intérêts dans tous les lieux d’expression des nouvelles formes de conflictualité, de non-respect du droit, là où se développent, parfois insidieusement, de nouvelles façons de remettre en cause un avenir pour chacun, qui soit libre, sûr, durable. 

C’est penser autrement nos partenariats, nos alliances, tout en demeurant un leader en Europe et un allié fiable à l’OTAN. C’est mieux capitaliser sur la relation exceptionnelle bâtie avec des pays comme la Grèce, l’Égypte, les Émirats arabes unis ou l’Inde. 

C’est continuer à approfondir des partenariats structurants, comme ceux que nous avons avec l’Allemagne, et j’aurai l’occasion dimanche avec le Chancelier Scholz pour notre traditionnel Conseil franco-allemand de défense et de sécurité de le décliner à nouveau ainsi qu’avec le Royaume-Uni ; nous tiendrons avec le Premier ministre Sunak notre sommet bilatéral dans quelques semaines ; avec l’Italie ou l’Espagne, avec qui nous venons de signer un traité de coopération et d’amitié renouvelant le cadre de nos relations de défense qui datait des années 80. 

Enfin, c’est assurer, si les circonstances l’imposaient, que la France serait capable de construire et de commander une coalition de premier rang, avec ses partenaires, pour défendre les intérêts de l’Europe ou de ses alliés. C’est une responsabilité qu’elle seule en Europe continentale serait capable d’assumer et nous devons en avoir les moyens. C’est pourquoi, sur ma demande, le CEMA m’a proposé une évolution de notre modèle d’armée qui privilégie la cohérence sur la masse, la réactivité sans sacrifier l’endurance. 

Cela signifie, en premier lieu, de consolider notre cœur de souveraineté, là où le modèle de la précédente loi de programmation militaire mettait plutôt l’accent sur la capacité expéditionnaire et la lutte contre le terrorisme. C’est donc d’abord renforcer notre dissuasion en nous donnant tous les moyens d’assurer sa robustesse, sa fiabilité, sa modernisation dans des conditions particulières et évolutives du monde d’aujourd’hui. La dissuasion est un élément qui fait de la France un pays différent en Europe. Nous mesurons à nouveau, en analysant la guerre en Ukraine, son importance vitale. Elle mérite les efforts considérables que nous lui consacrons, au plan technologique et par l’exigence qu’elle suppose, elle tire vers le haut toutes nos armées. Au moment où la dissuasion peut-être n’a jamais paru si nécessaire, il nous faut la défendre avec force et cela signifie aussi mieux la faire comprendre à ceux qu’elle interroge. 
Le cœur de souveraineté, c’est aussi le renforcement des postures permanentes. Cela suppose des capacités accrues de renseignement qui nous permettent d’anticiper les crises ou les menaces. J’ai constamment insisté sur la nécessité pour la France d’avoir un renseignement en propre, permettant notre autonomie de décisions et d’actions. C’est ce qui nous a permis, entre autres, ces dernières années, l’opération Hamilton en 2018. Cette loi de programmation militaire à venir, augmentera massivement les crédits de renseignement de près de 60 % au total, avec, entre autres le doublement du budget de la DRM et de la DRSD, capacité accrue aussi de surveillance, avec des drones notamment, et des moyens d’action dans nos espaces de souveraineté, des moyens d’intervention en particulier dans nos DROM et COM, ou des capacités apportant une première réaction locale doivent pouvoir être complétées par la projection de renforts conséquents. 

C’est entretenir l’appui mutuel entre les armées et les forces de sécurité intérieure et forces de sécurité civile pour toujours mieux répondre aux crises, sanitaires ou climatiques, par exemple. Mais la souveraineté, c’est aussi la capacité de résistance, notre résilience et d’abord la résilience cyber. Je souhaite que nous puissions doubler notre capacité de traitement des attaques cyber majeures. Face aussi à toutes les menaces qui peuvent toucher notre société et la déstabilisation que celles-ci pourraient engendrer, la résilience plus générale de notre société, ses forces morales déjà évoquées, la capacité de mobilisation de notre nation face à l’inattendu, comme elle a su le faire durant la pandémie, est essentielle. Je souhaite pour cela doubler à terme la réserve opérationnelle qui permettra de renforcer notre armée d’active et la montée en puissance d’unités nouvelles de réservistes comme des unités territoriales et des flottilles côtières. À cet égard aussi, le Service National Universel nous permettra de disposer d’une jeunesse parée à tous les périls et j’aurai l’occasion d’y revenir dans les semaines à venir. 

Le pivot vers la haute intensité

La transformation en second lieu, c’est être capable de passer d’un modèle fait pour assurer des opérations dans des milieux ou notre liberté d’action était forte, à une capacité d’évolution dans des environnements contestés, face à des adversaires aguerris, technologiquement redoutables sur tout le spectre de la conflictualité. C’est ce que j’appelle le pivot vers la haute intensité. Nous devons être capables d’agir plus vite, d’être plus réactifs : en renforçant l’échelon en national d’urgence et disposer ainsi de moyens nécessaires pour une intervention sous court préavis même loin de la métropole. Et pour cela, tout en augmentant ces capacités et cette réactivité, d’augmenter aussi nos capacités à durer et résister à des efforts et des effets d’usure. Il faut pour cela rehausser résolument la préparation opérationnelle, renforcer la disponibilité des matériels, adapter nos stades d’alerte à l’intensité de la menace, penser et construire en conséquence nos stocks de munitions, notre logistique, notre soutien. Nous y parviendrons d’autant mieux que nous serons capables de gérer les crises autrement en maîtrisant l’empreinte et la durée de nos opérations lointaines. Et à cet égard aussi, en renforçant nos forces spéciales et en leur apportant l’équipement qu’elles méritent, c’est-à-dire le meilleur, le plus adapté et évidemment, celui qui tire toutes les conséquences des technologies les plus avancées. Mais face à des adversaires plus forts, nous devrons agir plus fort aussi pour obtenir rapidement des effets militaires décisifs. Cela implique de durcir notre outil. Nous passerons ainsi au tout Rafale et maintiendrons cet avion d’exception au meilleur niveau mondial, nous poursuivrons résolument la modernisation de nos forces terrestres par une numérisation accélérée du champ de bataille et une contribution particulière dans les nouveaux combats cybers, nous augmenterons la puissance et la protection de nos frégates et bien sûr, nous développerons le porte-avions de nouvelle génération, nous devrons également innover en développant des munitions guidées à distance, en élargissant l’usage des drones par un doublement à cet égard de nos investissements. En investissant le quantique, l’intelligence artificielle qui aideront aussi à assurer notre cybersécurité et amélioreront nos moyens de renseignement. Si l’on durcit l’outil, et je viens ici simplement de donner quelques exemples. Le ministre des Armées aura l’occasion, dans les jours prochains et les semaines à venir de détailler tout cela. 

Il faudra durcir aussi les soutiens opérationnels. Les éléments d’environnement de nos forces. Il nous faudra notamment améliorer l’équilibre entre équipement, maintenance, munition, activité opérationnelle et cohérence logistique, affermir nos services de soutien qui ont dans le passé parfois trop servi de variable d’ajustement, renforcer nos services de santé. Cela nécessitera un vaste effort de consolidation qui a été pleinement intégré au format prévu et au contrat qui sont ainsi déclinés. 

Nous nous mettrons en mesure aussi de combiner les effets militaires grâce à la numérisation du champ de bataille, et je pense notamment aux capacités de combat collaboratif, comme le système terrestre SCORPION et demain entre autres le Système de Combat Aérien du Futur, le SCAF que nous lançons avec l’Allemagne et l’Espagne. Nous renforcerons nos capacités dans des domaines à forte valeur ajoutée opérationnelles, la défense solaire car même avec la dissuasion, notre territoire national n’est pas à l’abri de frappes isolées, du fait par exemple de perturbateurs, en particulier non étatiques. C’est pourquoi nous augmenterons nos capacités dans toutes les couches de la défense aérienne d’au moins 50 %, y compris évidemment dans la lutte anti-drone. La frappe de longue portée, la suppression des défenses aériennes adverses et bien sûr la lutte anti-sous-marine feront partie de ces priorités et de ce renforcement.

Le troisième pivot de la transformation concerne les espaces communs

Ce n’est pas forcément par le choc et par le feu que nous serons testés ou contestés demain. Nos adversaires pourront vouloir utiliser toute la gamme des actions ambiguës, directes et indirectes, des ingérences, des actions non revendiquées, peut-être aussi du fait accompli, de l’intimidation, des manœuvres malveillantes faites pour entraver, contraindre, piéger, aveugler peut-être, sans toujours confronter. Il faut être en mesure de répondre à cette pluralité d’actions aux marges des territoires, aux marges du droit. Et donc il nous faudra anticiper par la détection des signaux faibles, en adoptant une approche décloisonnée et proactive, de l’influence à l’action directe par un effort dans les champs militaires, mais aussi informationnel, numérique, culturel, économique et industriel. Un effort dont les armées portent une part importante sans en détenir le monopole. 

Pour cela, nous renforcerons notre capacité à surveiller et à réagir, mais aussi à prendre l’initiative, à passer de clairs messages stratégiques dans l’espace exoatmosphérique, dans l’espace numérique et dans les espaces maritimes. Nous poursuivrons ainsi la montée en puissance de nos capacités spatiales, en nous appuyant bien davantage sur les services du New Space, surveillance, communication, protection, dorénavant encore davantage, seront les missions clés que nous développerons pour faire de la France une puissance spatiale. Nous développerons encore nos moyens d’action dans l’espace digital, en nous donnant des moyens d’attirer les talents civils comme militaires, en nous tenant à la pointe de l’innovation dans ce champ, l’un des plus importants pour l’avenir. 

Dans l’espace maritime enfin, il nous faut disposer des capacités navales à la hauteur des atouts maritimes de notre pays. La France possède la deuxième zone économique exclusive du monde grâce à nos Outre-mer. C’est un immense atout, c’est aussi une immense responsabilité, y compris à l’échelle des enjeux environnementaux, climatiques, de la protection de certaines infrastructures et de nos territoires. Je souhaite aussi que nous puissions acquérir une capacité de maîtrise des fonds marins jusqu’à une profondeur de 6 000 mètres pour des raisons militaires, mais aussi au titre de la protection de nos infrastructures sous-marines critiques. Je souhaite également que nos forces armées soient davantage et mieux présentes dans nos Outre-mer et que ces derniers figurent une constellation stratégique à la fois tête de pont relais et point de veille de nos intérêts dans le monde. Je présenterai prochainement le déploiement concret et opérationnel de cette stratégie ultramarine. Enfin, connectant tout cela, nous devrons refondre le commandement interarmées des opérations, notamment pour mieux lutter contre les stratégies hybrides. 

Le dernier pivot de la transformation que je souhaite évoquer devant vous concerne le partenariat international. Ces partenariats ne peuvent s’envisager d’abord que dans le cadre de notre Europe. Notre sécurité dépend de celle de nos voisins, de nos partenaires avec qui nous partageons des valeurs et des intérêts. 

Une certaine idée du monde

Ce qui nous lie, ce ne sont pas seulement des traités, mais aussi une certaine idée du monde, à la fois pour défendre le territoire du continent et pour porter ailleurs ce qui nous meut à 27. Il faudra accentuer l’interopérabilité et bien sûr la culture stratégique commune. 

-
Emmanuel Macron — « Ce qui nous lie … une certaine idée du monde » — Capture d’écran E-S

Ces dernières années, nous avons immensément progressé dans ce domaine : de la constitution d’un Fonds européen de défense aux coopérations structurées, à l’initiative européenne d’intervention, jusqu’à des opérations inédites comme Takuba, y compris aussi à travers des partenariats bilatéraux ô combien révolutionnaires comme CaMo avec la Belgique. C’est cela qu’il nous faudra poursuivre. Notre pays sera en mesure d’assurer toutes ses responsabilités en Europe et au-delà. Si demain tel grand partenaire doit regarder ailleurs, nous devrons être en mesure d’agir avec les Européens à l’intérieur de l’OTAN ou en dehors de l’Alliance et, si nécessaire, d’assurer les capacités de commandement qui permettront de mener ensemble une opération d’ampleur. Pour nous, cela impliquera de pouvoir déployer une capacité interarmées représentant jusqu’à 20 000 hommes. Cela vous donne la mesure des défis et de l’ambition qui est la nôtre. 

Ce sont aussi nos autres partenariats que nous devrons renouveler. Je parlerai d’ailleurs prochainement de ce qui nous lie à l’Afrique. Mais nous ferons vivre et densifier les partenaires exceptionnels que nous avons déjà conduits et que j’ai cités tout à l’heure en exemple. Avec eux, je l’espère, d’autres viendront, comme entre autres l’Indonésie, et il faudra explorer comment développer de nouvelles coopérations capacitaires, de nouvelles interdépendances, de nouvelles formes d’entraînement et d’action communes. C’est un atout extraordinaire que je souhaite développer. Il a tout son sens pour des pays qui, comme le nôtre, ne souhaitent pas à l’avenir être prisonniers de grandes rivalités entre tiers. 

Vous l’aurez compris, c’est donc un programme entier de transformation, qui est ici proposé. Ainsi, cette loi de programmation militaire va permettre à la France de devenir un pays plus solide encore sur la défense de sa souveraineté, plus capable d’agir dans les espaces communs, appuyé sur des partenariats historiques mais aussi renouvelés, et ayant la capacité d’entraîner ses alliés si besoin, dans une opération de grande envergure et d’exercer son influence. En somme, un pays plus souverain, entreprenant, agile et apte à prendre l’initiative. 

Une mise à jour stratégique

Cette mise à jour stratégique doit nous permettre d’accorder les idées et les budgets aux périls et aux menaces. C’est au terme de cet effort seulement que la France pourra pleinement, et avec confiance, assurer le libre exercice de sa vocation et de son héritage. Cette haute ambition s’accompagne donc d’une exigence qui ne l’est pas moins, exigence dans le cadrage de ces moyens d’abord. Il n’y a dans ce projet ni luxe, ni aise, ni confort. Il n’y a que le nécessaire. À l’heure où chaque euro du contribuable français doit être épargné, il a fallu trouver le meilleur compromis entre une défense à la hauteur de nos ambitions et le principe essentiel de sobriété. Je crois que nous y sommes parvenus. 

Cela n’est pas allé sans travail pour les armées, je le sais et j’ai pu le mesurer. Il y a eu des choix à faire forcément, des cibles à adapter, des modernisations à échelonner. Il y a surtout des attentes importantes. Elles s’adressent aux armées, à la DGA, qui devront s’organiser pour raccourcir les cycles d’acquisition, accélérer l’expression du besoin, réduire drastiquement les contraintes normatives, développer l’innovation d’usage, celle des vrais utilisateurs et je sais combien vous y êtes attachés ici, toutes et tous, comme une fois encore nos amis ukrainiens d’ailleurs nous donnent un si bel exemple. Nous pouvons faire beaucoup plus vite, beaucoup mieux, parfois à moindre coût, si nous savons ensemble rapprocher celles et ceux qui utilisent et qui innovent.

Ces attentes portent aussi, bien sûr, vers les industriels de défense qui jouent un rôle si important, et je souhaite les en remercier ce matin, car ils sont une composante clé de notre souveraineté. Et je le dis clairement, aux efforts de l’État, de toute la Nation, doit répondre une exigence d’efficacité et de disponibilité. Il faudra apprendre collectivement à assumer une mutation perpétuelle. Faire autrement, raccourcir drastiquement les cycles de production, ne pas céder à la sur-sophistication comme dans d’autres secteurs technologiques, adapter plus vite nos équipements, nos cycles de production aux besoins de nos partenaires, aux exigences d’un conflit. Et ce, dans la durée. 

Une économie de guerre, voilà notre horizon collectif

Je souhaite également diminuer les coûts d’acquisition et de maintien en condition opérationnelle par un effort combiné État-industrie. J’ai parlé en juillet dernier d’une économie de guerre. Voilà notre horizon collectif. Mais une économie de guerre sous tendue par un tel investissement de la Nation, ce n’est pas en quelque sorte l’urgence perpétuelle qui nous ferait dépenser mal, c’est bâtir les conditions d’une souveraineté durable où l’on dépense mieux car l’expression des besoins est plus claire, l’engagement d’adaptabilité, plus constant, les coûts, mieux maîtrisés. Nous donnons de la visibilité au-delà même d’une décennie. 

Face à cela, il faut de la sincérité et de l’exigence. La deuxième exigence, après celle que je viens d’évoquer à l’instant sur les moyens, c’est de continuer d’investir résolument dans notre richesse humaine : nos soldats, marins et aviateurs, personnels civils et militaires de la défense, pour assurer le développement et le maintien des compétences, avec comme priorité absolue la fidélisation qui est un sujet ô combien majeur. Ce n’est pas qu’une question de rémunération ou de pension, même si j’y suis vigilant. 

La fidélisation passe aussi par le sens donné à l’activité de chaque jour, par la disponibilité des matériels, la variété des missions, la cohésion au sein des unités. Et je salue l’investissement des chefs d’état-major d’armée qui apportent la plus grande attention à ces conditions essentielles au moral dans nos unités. La fidélisation repose aussi sur les efforts consacrés à atténuer les contraintes imposées à vos proches, et je compte beaucoup sur le second temps du plan famille, tout comme demeure essentiel pour moi enfin, le plan blessé, comme je l’ai dit avec force le 13 juillet dernier devant beaucoup d’entre vous et je remercie le ministre et la secrétaire d’Etat d’y veiller. 

Dernière exigence, enfin, évidemment, c’est celle de l’exécution. Notre plus grand risque face à un monde si incertain, était de ne pas nous donner les moyens de notre ambition. Ce risque, vous le voyez, est écarté. Mais nous devons maintenant, de manière concrète, créer les conditions pour avoir les moyens de nos ambitions, jusqu’aux munitions, aux pièces de rechange, aux éléments les plus concrets, en entraînement comme en opération, pour chacune et chacun d’entre nous. L’exécution sera le cœur des prochains mois et de notre obsession. 

Mesdames et Messieurs, je veux ici, en concluant, remercier tous ceux qui ont œuvré à ce travail, il faut le dire, monumental. Remercier évidemment le ministre des Armées, le chef d’état-major des armées, le délégué général de l’armement, l’ensemble des directrices et directeurs du ministère et toutes les équipes. Je sais les centaines d’heures passées pour questionner le modèle, mettre en cause les chiffres, interroger chaque colonne. J’ai moi-même longuement et à de multiples reprises, questionné le ministre et le CEMA et merci à chacune et chacun pour cet énorme travail, mené tambour battant. 

J’aimerais également remercier les parlementaires qui ont été impliqués dans la Revue nationale stratégique, qui ont d’ores et déjà été associés par le ministre des Armées aux travaux de réflexion en cours depuis plusieurs mois et qui, demain en commission, mèneront ce travail si précieux pour analyser, débattre et enrichir le texte. Ils pourront le faire avec d’autant plus d’acuité grâce aux initiatives des présidents de chaque commission qui faciliteront la prochaine phase d’élaboration de notre loi de programmation militaire. Le projet de loi qui sera soumis à la représentation nationale est solide. À présent, le courage s’impose, c’est un projet cohérent, robuste, qui tire les leçons du passé et nous positionne pour l’avenir. Un projet de souveraineté nationale. 

Cette souveraineté, elle ne serait ni ambitieuse, ni cohérente sans sa dimension européenne, qu’il s’agira de développer fortement s’agissant des capacités militaires, des coopérations d’armement bien sûr, mais plus généralement pour la mise en œuvre des priorités de notre boussole stratégique. Notre souveraineté, elle est aussi énergétique, technologique et industrielle, elle est économique, financière et budgétaire. C’est pourquoi elle supposera, au-delà de cette loi de programmation, une série de lois, d’actions concrètes, de mobilisation de la Nation tout entière. La mobilisation civile est inséparable de l’effort militaire. Là aussi, ce que nous vivons sur le sol européen depuis près d’un an en Ukraine nous l’enseigne. 

Enfin, elle comporte une dimension militaire, naturellement que cette loi de programmation doit permettre de forger, de consolider, de garantir. Je compte à présent sur la sagesse de la représentation nationale pour légiférer et parvenir à l’adoption d’ici à l’été d’un texte afin que les objectifs inscrits dans la future loi puissent être pris en compte dans les meilleurs délais, car nous savons qu’il nous faut avancer. 

Mais je compte aussi sur vous, soldats, marins, aviateurs, ingénieurs, techniciens, personnels militaires et civils des services, de nos directions et de nos états-majors. Cette loi de programmation militaire est certes un exercice de programmation, mais c’est aussi un art d’exécution, comme je l’évoquais. Vous en serez les bénéficiaires. C’est une responsabilité et je compte sur vous et sur vos chefs pour conduire l’effort de transformation qu’il comporte. Et je sais que je peux compter sur vous pour, toujours dans le même temps, porter haut notre drapeau et obtenir le succès des armes de la France. 

Je vous souhaite donc pour 2023, mais aussi pour les années qui suivent, la performance, l’excellence et l’audace afin de réaliser ensemble l’ambition que nous nous donnons. 

Mais ce qui la sous-tend, c’est la force d’âme que j’évoquais le 13 juillet dernier, qui est en vous, et que j’ai vu à chaque fois que j’ai pu croiser vos frères d’armes, partant ou revenant d’opérations. Elle est en vous, chaque jour, car c’est la vocation profonde de nos armées et c’est le plus important. Ceci n’est pas un chiffre, ce ne sera jamais un équipement, ni une capacité ; c’est le choix profond, existentiel qui est le vôtre, que vous avez fait en vous engageant pour servir la France dans nos armées. Ce choix, la manière dont vous le portez, vous le vivez, dont vos familles le vivent avec vous est notre plus grande force, de très loin. Et je veux vous le dire aujourd’hui aussi, c’est ma plus grande fierté. 

De cela, je vous suis infiniment reconnaissant et n’y cédez jamais rien, jamais. Nous aurons demain une armée qui ne ressemblera pas à celle d’aujourd’hui. Mais ce qui demeurera plein et entier, constant, c’est le respect que nous vous portons, c’est la reconnaissance de la Nation toute entière, c’est la confiance de la Nation. Et je veux ici aujourd’hui vous la témoigner. Je suis fier de vous et reconnaissant pour ce que vous faites. 

Vive la République ! Et vive la France !