Entre ceux qui se voilent la face et ceux qui se révèlent incapables de trouver des parades efficaces, le monde de l'espionnage a encore de beaux jours devant lui. Le comble étant que la plupart des affaires ne sont même plus rendues publiques, de peur de déplaire aux pays qui « pratiquent ».
Entre ceux qui se voilent la face et ceux qui sont bien incapables de trouver des parades efficaces aux attaques dont ils sont les victimes, le monde de l'espionnage a encore de beaux jours devant lui. Les risques encourus n'étant plus comparables à ce qu'ils étaient il y a encore quelques années, souvent punis par la peine capitale, certains ne se gênent pas. Et la plupart des affaires ne sont même plus rendues publiques, de peur de déplaire aux pays qui « pratiquent » sur une vaste échelle. Pour de nombreux services occidentaux, l'heure de donner un coup de pied dans la fourmilière a sonné, serait-ce pour mettre en conformité les paroles avec les actes et continuer de prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages… Cette tribune © a été publiée dans le n°125 de la revue Défense [1] datée du 5 février 2007. Nous la reproduisons ici avec l'autorisation de son auteur, Joël-François Dumont. (*)
Depuis la fin de la guerre froide, l'impression prévaut chez certains en Europe que les traditionnelles activités d'espionnage auraient sinon disparu, du moins que « les choses se passeraient de manière plus feutrée ».
Le renseignement d'intérêt militaire (RIM) délaissé au profit du renseignement économique, mondialisation oblige? Il n'en est rien. En France, même si peu d'affaires sont rendues publiques, cela ne signifie pas pour autant qu'il ne se passe rien de tel dans l'hexagone. On comprend pourquoi même à l'intérieur des services, l'idée d'un contrôle parlementaire fait son chemin, serait ce pour démontrer leur utilité et même une compétence certaine qui leur est reconnue par de nombreux services étrangers. Le monde du Renseignement civil et militaire français est appelé dans les deux ans qui viennent, une nouvelle fois, à réformer ses structures pour mieux s'adapter aux menaces et aux exigences de notre temps. Mais réorganisation chez nous étant surtout synonyme de réduction budgétaire, l'idée de les renforcer pour les rendre plus offensifs, comme cela a été fait dans presque tous les pays du monde occidental après les attentats de septembre 2001, ne semble pas la priorité vers laquelle on pourrait s'orienter.
S'il y a un pays où le contrôle parlementaire s'exerce dans de bonnes conditions, avec plus de transparence qu'aux États-Unis, c'est bien l'Allemagne, qui assume à la fois une très forte tradition démocratique et un savoir-faire légendaire dans le renseignement : Nachrichtendienst ist Herrendienst ! La vieille maxime prussienne reste d'actualité dans un pays où le Renseignement reste avant tout "un métier de seigneur".
En tout cas, les Allemands ont l'excellente idée de publier chaque année dans chacun de leurs Länder et également au niveau fédéral, un rapport annuel de leurs services de contre-espionnage, le BfV, le Bundesamt für Verfassungsschutz, (l'Office de protection de la Constitution) qui correspond à la fois à notre DST et aux RG, à deux grandes différences près. Les moyens du BfV en hommes sont deux fois plus élevés que ceux des services français correspondants, mais contrairement à leurs collègues français, les officiers de police ou les commissaires qui dépendent des ministères régionaux ou du ministère fédéral de l'Intérieur ne peuvent procéder eux-mêmes à des arrestations, même en flagrant délit… Ils se contentent donc de surveiller, et le moment venu, de transmettre à la justice et à la police les informations qui permettront de confondre les personnes ayant commis des actes considérés comme criminels ou illégaux et de les faire condamner voire expulser.
Chaque année la publication de ces rapports [2] fait l'objet de très nombreuses reprises dans la presse, car ces rapports sont considérés depuis une trentaine d'années comme des documents de référence. Au-delà du politique, les citoyens sont informés des risques et des menaces qui pèsent sur la démocratie allemande: terrorisme, espionnage, menées subversives, mouvements extrémistes allemands ou étrangers, sectes. Sans entrer dans le détail, un bilan rigoureux permet de se faire une idée précise des évolutions.
Il faut reconnaître que même depuis l'effondrement de l'Union soviétique, les services russes arrivent toujours en tête des préoccupations du BfV en matière d'espionnage. Il est vrai que l'Allemagne demeure la cible politique prioritaire en Europe pour Moscou, ce qui explique que plusieurs centaines d'agents se retrouvent dans l'Ambassade de Berlin (l'ancienne ambassade de Berlin-Est), mais aussi dans les Consulats ou dans diverses missions sans parler de certains journalistes ou hommes d'affaires dont les activités réelles ne sont pas celles que l'ont pourrait imaginer.
Arrivent en second les services de très nombreux pays, des dictatures pour la plupart, dont l'objectif principal est davantage de surveiller leurs opposants installés en Allemagne, voire d'en éliminer certains. Enfin, la Chine bat des records dans le domaine de l'espionnage économique pour rattraper son retard dans toutes les technologies de pointe. Le bilan 2005: 29 affaires auront été instruites, 4 personnes arrêtées dont un Allemand, ce qui est sans doute très peu par rapport à la réalité d'une menace qui n'a cessé au fil des ans d'exister. On découvre également que les Chinois déclencheraient des attaques massives sur Internet depuis la Chine contre certaines sociétés allemandes, les Chinois ne reculant devant rien pour rattraper leur retard technologique et s'affirmer comme une puissance mondiale avec laquelle il faudra compter demain.
De grands groupes français ou européens en France – comme EADS – font également l'objet de menaces précises. Si certains ont su s'organiser en la matière pour limiter les risques au maximum, d'autres, ont choisi au contraire de ne rien faire en sélectionnant pour certains postes sensibles des personnes que la DST refuse d'habiliter pour les fonctions qu'elles occupent. Combien de temps ce cirque va-t-il encore durer ? That is the question ! Pour les professionnels, l'heure de donner un coup de pied dans la fourmilière a sonné, serait-ce pour mettre en conformité les paroles et les actes et éviter de prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages.
En France, la plupart des grands groupes français ou européens en France – comme EADS – sont également l'objet de menaces ciblées identiques. Mais si la plupart d’entre eux ont su s'organiser en la matière pour limiter les risques au maximum, d'autres ont, curieusement, sélectionné pour certains postes « sensibles » des personnes que la DST a toujours refusé d'habiliter pour les fonctions qu'elles occupaient… Pour ne citer ici qu’un seul exemple, pourquoi avoir confié à un officier de réserve de l’US Air Force le poste de « chef d’Etat major des Centres de Recherches » du groupe EADS [3] et avoir décidé de lui laisser superviser à Suresnes l’audit réalisé sur l’A-400 M ? C’est d’autant plus difficile à admettre quand on sait que ce type de fonctions ultrasensibles est soumis à un contrôle très strict, et que l’on ne peut ignorer qu’aucun étranger n’est autorisé à travailler aux Etats-Unis chez Boeing, dés lors qu’il s’agit d’un avion militaire, à fortiori pour un poste réputé aussi « sensible ». On comprend les réserves exprimées à ce sujet par le président Chirac à la Chancelière allemande, Madame Merkel, lors d’un récent sommet franco-allemand.
Joël-François Dumont
(*) Auditeur à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) et rédacteur en chef adjoint de la revue Défense.
[1] Défense est la revue bimestrielle de l'Union des Associations des Auditeurs de l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN). Abonnements: BP 41-00445 Armées. Téléphone: 01.44.42.31.47 . Fax: 01.45.51.54.65.
[2] Version anglaise du rapport annuel 2005 du BfV.
[3] Voir "le top des taupes" d'Uriel da Costa, publié dans l'hebdomadaire satirique Bakchich.
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