« Les troupes russes ne font pas de différence entre civils et militaires, là où il y a des biens civils, tout est considéré comme une cible.»
Discours au Bundestag du président ukrainien Volodymyr Zelensky – Berlin le 18 mars 2022.
Madame la Présidente Göring-Eckardt, Cher Monsieur Scholz. Mesdames et Messieurs les députés, invités, journalistes. Peuple allemand !
Je m’adresse à vous après trois semaines d’une vaste invasion de troupes russes en Ukraine, après huit années de guerre dans l’est de notre État, dans le Donbas.
Je m’adresse à vous alors que la Russie bombarde nos villes, détruit tout ce qui existe en Ukraine. Tout : les habitations, les hôpitaux, les écoles et les églises. Avec des missiles, des bombes larguées par avions et des roquettes d’artillerie.
En l’espace de trois semaines, des milliers d’Ukrainiens ont perdu la vie. Les occupants ont tué 108 enfants. En plein cœur de l’Europe, chez nous, en 2022.
Je m’adresse à vous après de nombreuses rencontres, négociations, déclarations et demandes. Après des démarches de soutien, dont une partie arrive trop tard. Après des sanctions qui ne suffisent manifestement pas à mettre fin à cette guerre. Et après avoir vu combien de liens vos entreprises maintiennent encore avec la Russie. Avec un État qui se sert tout simplement de vous et de quelques autres pays pour financer la guerre.
Au cours de ces trois semaines de lutte pour nos vies, pour notre liberté, nous nous sommes convaincus de ce que nous avions déjà ressenti auparavant. Et ce que vous ne ressentez probablement pas encore tous.
Mais il semble que vous soyez à nouveau derrière un mur. Oui, pas derrière le mur de Berlin, mais un mur au milieu de l’Europe, un mur entre la liberté et l’absence de liberté. Et ce mur se renforce à chaque bombe qui tombe sur notre pays, sur l’Ukraine, à chaque décision qui n’est pas prise pour le bien de la paix, que vous négligez de prendre alors qu’elle pourrait être utile.
Quand cela s’est-il produit ?
Chers hommes politiques, Cher peuple allemand, pourquoi est-ce possible ?
Lorsque nous vous avons dit que les gazoducs Nord Stream étaient une arme et une préparation à une grande guerre, nous avons entendu comme réponse que ce n’était que de l’économie. De l’économie. De l’économie. Mais c’était le ciment d’un nouveau mur.
Lorsque nous vous avons demandé ce que l’Ukraine devait faire pour devenir membre de l’OTAN, pour être en sécurité, pour obtenir des garanties de sécurité, nous avons entendu comme réponse : une telle décision n’est pas sur la table pour le moment et ne le sera pas dans un avenir proche. De même qu’il n’y a pas de chaise à cette table pour nous.
De même, vous repoussez maintenant la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Franchement, pour certains, c’est de la politique, mais en réalité, ce sont des pierres. Des pierres pour un nouveau mur.
Lorsque nous avons demandé des sanctions préventives, nous nous sommes adressés à l’Europe, nous nous sommes adressés à de nombreux pays, nous nous sommes adressés à vous – nous avons demandé de telles sanctions pour que l’agresseur sente que vous représentez une force. Mais nous avons vu des atermoiements. Nous avons senti une résistance. Nous avons compris que vous vouliez continuer à faire de l’économie. De l’économie. De l’économie.
Et maintenant, les voies commerciales entre vous et l’État qui a de nouveau apporté une guerre brutale en Europe sont les barbelés au-dessus de ce mur. Au-dessus de ce nouveau mur qui sépare l’Europe.
Et vous ne voyez pas ce qu’il y a derrière ce mur, il est entre nous, entre les gens en Europe. Et c’est pourquoi vous ne ressentez pas tout ce que nous vivons aujourd’hui.
Je vous parle au nom des Ukrainiens, je vous parle au nom des habitants de Marioupol, les habitants pacifiques d’une ville qui est bloquée et rasée par les troupes russes. Ils y détruisent tout, tout simplement. Tout et tous ceux qui s’y trouvent. Des centaines de milliers de personnes sont sous le feu 24 heures sur 24. Sans nourriture, jour et nuit sans eau, sans électricité et jour et nuit sans communications. Et ce depuis des semaines.
Les troupes russes ne font pas de différence entre civils et militaires, là où il y a des biens civils, tout est considéré comme une cible.
Le théâtre dans lequel des centaines de personnes avaient cherché refuge et qui a été bombardé hier, une maternité, un hôpital pour enfants, des quartiers résidentiels sans installations militaires – ils détruisent tout. 24 heures sur 24. Et ils ne laissent pas entrer les transports humanitaires dans notre ville bloquée. Depuis cinq jours, les troupes russes ne cessent pas leurs tirs, uniquement pour empêcher le sauvetage de notre population.
Vous pouvez voir tout cela en vous élevant au-dessus de ce mur.
Si vous vous souvenez de ce qu’a signifié pour vous le pont aérien de Berlin, qui a pu être mis en place parce que l’espace aérien était sûr. Ils n’ont pas été tués depuis l’espace aérien, comme c’est le cas aujourd’hui dans notre pays, où nous ne pouvons même pas mettre en place un pont aérien ! Seuls les missiles et les bombes russes tombent du ciel.
Je m’adresse à vous au nom des Ukrainiens âgés, de beaucoup de ceux qui ont survécu à la Seconde Guerre mondiale, qui ont pu sauver leur vie il y a 80 ans pendant l’occupation, qui ont survécu à Babyn Jar.
Babyn Jar, où le président allemand Steinmeier s’est rendu l’année dernière, à l’occasion du 80e anniversaire de la tragédie. Et c’est là que des missiles russes sont maintenant tombés. À cet endroit précis. Une famille qui se rendait au mémorial de Babyn Jar a été tuée. Tuée à nouveau, 80 ans plus tard.
Je vous lance un appel au nom de tous ceux qui ont entendu les hommes politiques dire chaque année : « Plus jamais ça ». Et qui ont maintenant vu que ces mots ne valaient rien. Car une fois de plus, en Europe, on tente d’anéantir tout un peuple, de détruire tout ce grâce à quoi nous vivons et ce pour quoi nous vivons.
Je vous en appelle au nom de notre armée, qui défend notre État et donc aussi les valeurs dont on ne cesse de parler partout en Europe, partout – y compris en Allemagne.
La liberté et l’égalité. La possibilité de vivre librement, de ne pas se soumettre à un autre État qui considère un pays étranger comme son « espace vital ». Pourquoi notre armée doit-elle défendre tout cela sans votre leadership humain ? Sans votre force ?
Pourquoi des États de l’autre côté de l’océan se révèlent-ils plus proches de nous que vous ?
Parce que c’est un mur. Un mur que certains ne remarquent pas, mais sur lequel nous nous heurtons alors que nous nous battons pour sauver notre peuple.
Mesdames et Messieurs ! Cher peuple allemand !
Je tiens à dire ici notre reconnaissance à tous ceux qui nous soutiennent. Je vous suis reconnaissant à vous, aux Allemands, qui aident sincèrement les Ukrainiens dans votre pays. Aux journalistes qui font leur travail honnêtement et qui montrent tout le mal que la Russie nous a apporté. Je suis reconnaissant aux hommes d’affaires allemands qui placent la morale et l’humanité au-dessus de la comptabilité, au-dessus de l’économie. L’économie. l’économie. Et je suis reconnaissant aux politiciens qui, malgré tout, essaient de essaient de briser ce mur, et qui choisissent entre l’argent russe et la mort d’enfants ukrainiens pour la vie, et qui soutiennent un durcissement des sanctions contre la Russie. Cela peut garantir la paix. La paix pour l’Ukraine, la paix pour l’Europe.
Qui n’hésitent pas à déconnecter la Russie de SWIFT. Qui savent qu’un embargo commercial contre la Russie est nécessaire, sur l’importation de tout ce qui sponsorise cette guerre. Qui savent que l’Ukraine sera dans l’Union européenne, car elle est déjà plus européenne que beaucoup d’autres.
Je suis reconnaissant à tous ceux qui peuvent s’élever au-dessus de n’importe quel mur et qui savent que la responsabilité du plus fort est plus grande lorsqu’il s’agit de sauver des gens.
Il est difficile pour nous de tenir bon sans l’aide du monde, sans votre aide. Il est difficile de défendre l’Ukraine, l’Europe, sans ce dont vous seriez capables, sans ce que vous pourriez faire pour ne pas avoir à regarder en arrière, même après cette guerre, après la destruction de Kharkiv… Pour la deuxième fois en 80 ans. Après la destruction de Tchernihiv, de Soumy et du Donbas. Pour la deuxième fois en 80 ans. Après la torture et le meurtre de milliers de personnes. Pour la deuxième fois en 80 ans. Quelle est donc la responsabilité historique pour laquelle on ne s’est toujours pas repenti auprès du peuple ukrainien pour ce qui s’est passé il y a 80 ans ?
Et maintenant – pour qu’une nouvelle responsabilité ne naisse pas, derrière le nouveau mur qui exigera à nouveau la repentance.
Je fais appel à vous et vous rappelle ce qui est nécessaire. C’est ce sans quoi l’Europe ne pourra pas survivre et préserver ses valeurs.
L’ancien acteur et président des États-Unis Ronald Reagan a dit un jour à Berlin : « Abattez ce mur » !
Et je veux vous le dire maintenant :
Monsieur le Chancelier Scholz ! Abattez ce mur. Donnez à l’Allemagne le leadership qu’elle mérite et dont ses descendants seront fiers.
Soutenez-nous, soutenez-nous. Soutenez la paix. Soutenez chaque Ukrainien. Arrêtez la guerre. Aidez-nous à l’arrêter.
Gloire à l’Ukraine !
- Traduit de l’allemand par European-Security – Sources : Ambassade d’Ukraine à Berlin & Deutscher Bundestag)
- Voir également : Zelinski: « Beweisen Sie, daß Sie zu uns stehen und uns nicht im Stich lassen werden » (Zelinski : « Prouvez que vous êtes avec nous et que vous n’allez pas nous laisser tomber ») : Adresse du président Zelinsky au Parlement européen le 1 mars 2022. Sources : Parlement européen, European-Security & UFE Berlin).