L’arrêt climatique « historique » rendu en 2021 par la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe stipulant que « les générations futures avaient droit à la protection du climat » a certes rendu célèbre outre-Rhin Rhoda Verheyen, l’avocate spécialisée en droit de l’environnement. Mais les batailles que celle-ci a engagées dans la foulée au nom de Greenpeace contre Volkswagen, BMW ou Mercedes, ont plutôt été vécues comme des défaites cinglantes. Les tribunaux régionaux de Brunswick, Stuttgart et Munich ont certes déclaré chaque plainte « recevable sur des points essentiels, mais pas sur le fond » … La justice allemande a donc débouté les organisations écologistes. Sur le sujet, comme la coalition allemande semble naviguer à vue dans un épais brouillard, l’impression qui prévaut est que « l’avenir du secteur automobile allemand est tout, sauf clair » !
— Source Euradio [1] — 26 octobre 2023 —
Quentin Dickinson : Vous ne l’avez probablement pas remarqué, Laurence, mais mardi dernier, le Tribunal d’Arrondissement de Brunswick a rejeté l’ensemble des plaintes de plusieurs organisations écologistes contre le constructeur automobile Volskwagen ; la semaine précédente, c’est le Tribunal régional bavarois qui avait émis un jugement quasi-identique en faveur de BMW. En septembre, c’est le Tribunal régional de Stuttgart qui avait donné raison aux avocats de Mercedes-Benz.
En pleine guerre en Ukraine et au Proche-Orient, ces décisions de justice n’ont guère fait la une des journaux, même dans la presse économique et financière. Pourtant, elles sont toutes lourdes de conséquences.
Laurence Aubron : En quoi, précisément ?
Quentin Dickinson : D’abord, parce que les plaintes, qui remontent à 2021, ont été portées par des organisations telles que Greenpeace, réputée particulièrement sérieuse quant aux prolongements juridiques des causes qu’elle défend. Elle-même et ses co-plaignants tentaient en fait d’interdire aux trois grands constructeurs allemands de commercialiser des véhicules de tourisme et des utilitaires légers à moteur à essence ou au diésel au-delà de 2029. Accessoirement, les ONG et associations écologistes cherchaient à faire interdire toute nouvelle prospection ou exploitation de champs pétrolifères par le géant allemand des hydrocarbures Wintershall-Dea dès 2025.
Laurence Aubron : Mais pourquoi ces tentatives ont-elles échoué ?
Quentin Dickinson : En grande partie, et en dehors d’un raisonnement de droit constitutionnel allemand, à dire vrai assez controuvé, parce qu’elles contreviennent à la réglementation européenne, laquelle prévoit la fin des ventes de véhicules de moins de 3,5 tonnes en 2035. Obliger les constructeurs allemands à se saborder sur ce créneau du marché aurait entraîné, pendant cinq ans, une distorsion de la concurrence par rapport aux autres constructeurs européens et mondiaux. De surcroît, la décision ne se serait pas appliquée à ces marques étrangères.
Laurence Aubron : Ces décisions de justice arrivent à un moment de considérable introspection, peut-on dire, au sein des constructeurs automobiles, tant en Europe qu’en Amérique du Nord, Quentin Dickinson…
Quentin Dickinson : Vous avez raison. L’avenir du secteur automobile est tout, sauf clair.
Sous la pression des gouvernements et d’une partie de l’opinion, les constructeurs se sont jetés à corps perdu dans la résurrection de la propulsion électrique, disparue en grande partie au cours des années 1920. Mais nombre d’aléas apparaissent régulièrement ; si certains, comme la pénurie actuelle de bornes de charge, correspondent à des solutions évidentes, d’autres, telle l’instabilité physico-chimique des batteries de traction (responsable de nombreux incendies spontanés), n’ont pas pour l’heure de solution en dehors des laboratoires où se poursuivent fébrilement les recherches.
Laurence Aubron : Le tout-électrique n’est donc pas aussi simple qu’on l’imaginait ?…
Quentin Dickinson : En effet. On comprend que, confrontés à l’urgence climatique, les gouvernements entendent ne pas se disperser en proposant de multiples options concurrentes, mais on retiendra que c’est un raisonnement analogue – celui de la modernité – qui avait assuré le développement du moteur à explosion dans l’entre-deux-guerres, au détriment de la propulsion électrique.
D’ailleurs, on relèvera que les textes européens ne font mention que de véhicules à génération nulle d’émissions nocives ; on pense naturellement à l’électricité, mais des recherches avancées sont conduites en ce moment des deux côtés de l’Atlantique, notamment autour de moteurs thermiques alimentés par l’hydrogène verte ou de carburants de synthèse.
Laurence Aubron : On peut dire qu’il y a aussi des arrières-pensées géostratégiques chez les Européens ?…
Quentin Dickinson : On peut le dire, en effet, compte tenu de l’envahissement du marché européen par les voitures électriques chinoises de marques jusqu’ici inconnues, vendues clairement à perte ou à un coût que seules permettent les subventions accordées par le gouvernement chinois à ses constructeurs automobiles.
On remarquera aussi que, compte tenu des taux d’intérêts élevés et des résultats mitigés de Tesla, champion de la voiture électrique, se voit contraint d’écouler sa production à des tarifs sacrifiés.
General Motors semble changer d’idée quant à l’avenir du tout-électrique, et renonce à la création d’une co-entreprise avec Honda dans ce domaine. Au même moment, LG, le grand fabricant coréen de batteries de traction, traverse une mauvaise passe.
Les récentes décisions de justice en Allemagne apparaissent donc comme autant de repères dans une industrie en crise profonde de croissance.
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