Le maître de la manipulation

De la tromperie diplomatique à l’invention de prétendus marionnettistes, le manuel de manipulation du Kremlin semble évoluer en surface, mais ses fondamentaux restent les mêmes. Mardi 18 mars, Poutine et le président américain Donald Trump ont discuté par téléphone d’un possible cessez-le-feu de 30 jours en Ukraine. Cette proposition avait déjà reçu l’approbation de l’Ukraine lors des pourparlers entre les États-Unis et l’Ukraine à Djeddah.

Source : EUvsDiSiNFO — Bruxelles, le 20 mars 2025 —

Le Kremlin a publié un compte rendu de l’appel de mardi, qui offre un cours magistral en manipulation de l’information. Le récit manipulateur soigneusement élaboré par le Kremlin positionne de façon trompeuse Poutine comme un «artisan rationnel de la paix». Il rejette aussi une fois de plus l’offre de cessez-le-feu tout en intégrant de nombreux narratifs de propagande bien rodés au sujet de l’Ukraine.

Ce discours est parfaitement cohérent avec la stratégie utilisée par Moscou depuis trois ans, qui tente de s’approprier le narratif de la paix tout en poursuivant implacablement la guerre.

La réalité fabriquée par le Kremlin

Le discours du Kremlin illustre son approche habituelle des négociations: se montrer constructif en apparence tout en imposant des conditions préalables inacceptables. Évoquant sans cesse «les causes profondes de la crise», le Kremlin exige essentiellement qu’une grande partie de l’Europe remonte le temps pour cimenter l’impérialisme russe. Il n’accepte rien de moins qu’une capitulation de facto de l’Ukraine, un changement de sa direction politique, et le sacrifice par l’Occident de sa propre sécurité pour complaire à la Russie. D’où l’insistance du Kremlin concernant un «arrêt complet de toute aide militaire étrangère à [Kiev]». Poutine se contente de réitérer ses exigences maximalistes, maintenant enrobées dans un langage «diplomatique».

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Le maître de la manipulation — EUvsDiSiNFO

Comme nous l’avons observé à de nombreuses reprises depuis 2022, les conditions russes pour la «paix» reviennent à exiger une capitulation et un démembrement de l’Ukraine. Moscou décrit cyniquement les efforts défensifs de l’Ukraine comme «des actes terroristes barbares», créant une réalité alternative dans laquelle la Russie n’est pas l’agresseur mais un acteur raisonnable qui recherche des solutions «globales, fiables et durables», en dépit de preuves flagrantes qui démontrent le contraire. Pendant ce temps, les attaques russes se poursuivent sans relâche.

Cette manœuvre diplomatique trompeuse ne sert qu’à donner une apparence de légitimité à l’agression injustifiée de la Russie envers l’Ukraine. En parallèle, la Russie tente de briser l’unité occidentale en remettant en question l’action et la pertinence tant de l’Ukraine que de l’Union européenne et de ses États membres. Pour le Kremlin, les enjeux dépassent l’Ukraine.

La fable des deux Roumanie

La machine de désinformation du Kremlin a également pris pour cible la Roumanie, inventant un univers inversé dans lequel l’UE, telle un marionnettiste, manipulerait le système judiciaire roumain.

Des médias pro-Kremlin ont propagé avec frénésie des affirmations infondées selon lesquelles la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait personnellement orchestré les poursuites contre l’ancien candidat à la présidence Calin Georgescu, et menacé de restreindre le financement européen de la Roumanie s’il n’était pas exclu du processus électoral.

Ces théories complotistes délirantes, propagées par le service de renseignement extérieur russe (SVR), dont le manque de fiabilité est notoire, sont complètement déconnectées de la réalité. La réalité est bien plus banale: les autorités roumaines ont inculpé Georgescu de plusieurs chefs d’accusation, dont la promotion d’organisations fascistes et des infractions aux règles de financement électoral, conformément à leurs procédures légales et mettant un terme définitif à sa candidature à la présidence.

Comme on pouvait s’y attendre, la désinformation pro-Kremlin a présenté ce processus juridique simple comme une «tyrannie de l’UE», présentant la Roumanie comme une victime sans défense face au «despotisme de Bruxelles». Ce récit fabriqué de toutes pièces s’inscrit dans la stratégie plus large de Moscou qui vise à saper la confiance envers les institutions démocratiques tout en présentant les candidats pro-Kremlin comme les «victimes populaires» d’une persécution occidentale.

Ne manquez pas le dernier rapport sur les menaces FIMI

Le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) a publié hier son troisième rapport sur les opérations de manipulation de l’information et d’ingérence menées depuis l’étranger (FIMI), dévoilant davantage de détails sur l’implacable machine de désinformation russe.

Pour ceux qui observent les actions du Kremlin, il n’est pas surprenant que son principal objectif consiste à saper le soutien à l’Ukraine, au même titre que son ingérence systématique dans les élections européennes durant toute l’année 2024.

Le rapport indique que la Russie et la Chine perfectionnent leurs stratégies de manipulation, avec Pékin qui étend sa présence médiatique au niveau mondial tout en cachant son implication en faisant appel à des intermédiaires. Bien qu’ils opèrent séparément, leurs récits se recoupent, en particulier lorsqu’ils accusent l’OTAN d’«escalade».

Les deux déploient de plus en plus d’outils d’IA et de réseaux sophistiqués de tromperie qui opèrent à la manière d’icebergs – des canaux étatiques visibles en surface, de vastes réseaux clandestins en profondeur. Pour plus d’informations sur ces menaces en évolution rapide, consultez le rapport complet sur le site du SEAE.

Ne vous laissez pas abuser.

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Le maître de la manipulation 1

Ce qui a également attiré notre attention cette semaine:

Les propagandistes du Kremlin ont propagé des accusations fausses et alarmantes prétendant que l’OTAN préparerait des «attaques terroristes» ou des «frappes» contre des cibles telles que des navires, des pipelines et d’autres infrastructures en mer Baltique et ailleurs. Cette accusation sans fondement est un exemple de la tactique persistante de la Russie consistant à prêter des intentions malveillantes aux autres tout en détournant l’attention de ses propres actions déstabilisatrices. En réalité, l’OTAN a initié son opération Baltic Sentry en réaction à des incidents suspects qui ont causé des dommages à des infrastructures sous-marines essentielles en mer Baltique. Cette rhétorique éculée sur la prétendue agressivité de l’OTAN sert de prétexte pour justifier les manœuvres provocatrices et escalatoires de la Russie, alors que les faits et la réalité ne cessent de montrer la fausseté de ce discours.

Sputnik, une composante étatique de l’appareil de propagande du Kremlin, a diffusé un nouveau récit dangereux prétendant que l’Allemagne force des réfugiés afghans à combattre pour l’Ukraine en menaçant d’expulsion 2300 migrants. Présentée sans aucune preuve, cette histoire inventée vise à instiller la peur et l’anxiété au sein des communautés de migrants en Allemagne. Elle a aussi pour but de détourner l’attention de la pratique bien documentée de la Russie consistant à recruter des ressortissants étrangers comme des travailleurs migrants et des étudiants de pays tels que le Bangladeshle Népall’Inde et plusieurs nations africaines pour alimenter la guerre qu’elle mène en Ukraine. En plus de cibler les communautés migrantes en Allemagne, cette stratégie de projection – accuser les autres de ce que la Russie fait elle-même – est devenue un élément central de l’arsenal de désinformation du Kremlin.

Des médias favorables au Kremlin ont propagé une affirmation délirante selon laquelle les puissances occidentales conspirent pour éliminer le président Zelensky car celui-ci «en saurait trop». Cette sinistre théorie du complot, agrémentée de scénarios d’empoisonnement et de mystérieuses «disparitions», cherche à discréditer le gouvernement démocratiquement élu de l’Ukraine et à créer un fossé entre l’Ukraine et ses soutiens internationaux. Ces inventions témoignent des efforts constants de Moscou pour salir et délégitimer le président Zelensky, dont le leadership symbolise la résistance ukrainienne depuis l’invasion à grande échelle de la Russie en février 2022.