Les récents attentats à la bombe sont autant d’illustrations supplémentaires de la dangerosité que représente la dérive d’une certaine jeunesse musulmane ou convertie, qui passe « de son propre chef » à l’action au nom du jihad.
par Jean-François Clair (*) — Paris, le 15 avril 2013 —
Les attentats à la bombe commis lors du marathon de Boston le 15 Avril 2013 par deux individus d’origine Tchétchène (3 morts et 183 blessés), puis le meurtre sur la voie publique d’un soldat le 23 mai près de Londres par deux islamistes d’origine africaine, et deux jours plus tard la tentative d’assassinat perpétrée à Nanterre d’un militaire du dispositif « Vigie Pirate » par un islamiste, sont autant d’illustrations supplémentaires de la dangerosité que représente la dérive d’une certaine jeunesse musulmane ou convertie, qui passe « de son propre chef » à l’action au nom du jihad. Paris, le 15 avril 2013.
Ces affaires rappellent le cas Mohamed Merah. En France, ce jeune activiste a tué, par armes à feu, sept personnes (3 militaires et quatre civils dans l’enceinte d’une école juive), au cours de trois attaques en mars 2012 à Toulouse et Montauban. Ce phénomène de terroristes auto recrutés et non affiliés à une organisation n’est pas nouveau. Notre pays fait face à ce problème depuis le début des années quatre-vingt-dix, après l’interruption du processus électoral en Algérie qui a débouché sur l’apparition de maquis et une multiplication d’actions violentes dans l’ensemble du pays.
Dès cette période, il fallait s’attendre à des débordements contre nos ressortissants, ainsi que sur le territoire national. Dès sa création par d’anciens « Afghans » les GIA (Groupes islamiques armés), dont les fondateurs avaient, pour certains combattu en Afghanistan, ont annoncé la couleur. Ils ont tué deux géomètres français en septembre 1993 et enlevé, un mois plus tard, trois diplomates également français, heureusement libérés peu après mais porteur d’une lettre donnant un mois aux étrangers pour quitter le pays. Ce seront 47 compatriotes en tout qui seront tués en Algérie pendant toute la période.
Les services de renseignement intérieur (DST et RGX) sont dès le début attentifs à tous développements d’activités militantes des islamistes algériens sur notre sol où le FIS crée une association : la FAF (Fraternité Algérienne en France). Dans un premier temps, aucune activité opérationnelle n’est détectée. Apres les premières actions des GIA, précédemment évoquées, nos autorités décident d’interpeler tous les individus connus pour leur activisme. Rien de concret n’est découvert, mais la FAF est dissoute et plusieurs personnes mis en résidence surveillée puis expulsées. Nous avions veillé par ailleurs à ce qu’aucun leader ne puisse entrer en France.
C’est alors que nous allons découvrir dès l’année suivante des petits groupes auto constitués, comme cette équipe de jeunes des banlieues d’origine marocaine dont quelques-uns ont été arrêtés dans ce pays après avoir tué deux touristes espagnols à Marrakech. C’est en tout plus d’une vingtaine d’individus qui seront ainsi arrêtés et dont on découvrira que plusieurs s’étaient rendus, à leurs frais, en Afghanistan pour s’entraîner. Nous démantelions au cours de la même année 1994, un groupe de tunisiens qui avait déjà acquis des armes et qui voulaient lancer des actions dans leur pays d’origine pour faire, selon leurs propres déclarations de l’époque, « comme les algériens… »
L’année 1994 marque aussi la découverte et le démantèlement de plusieurs équipes informelles de jeunes de la banlieue de Paris dont des délinquants de droit commun. Ces derniers s’étaient spécialisés dans le recueil et l’envoi d’armes et autres matériels aux maquis algériens. D’autres cas ont été découverts début 1995, mais aucun n’est parti combattre en Algérie.
Citons encore le groupe dit de Roubaix d’origines diverses, cimenté par la période passée au sein du bataillon arabe durant la guerre de Bosnie. Après les accords de Dayton (1995), il est revenu avec armes et bagages et est passé à l’action, d’abord en commettant des holdups d’être neutralisé en 1996, alors qu’il s’apprêtait à faire sauter une bombe devant un Hôtel de police du Nord de la France.
Lorsque les GIA ont décidé de porter leur action sur notre sol – où ils ont, effectivement commis plusieurs attentats « aveugles » dans des lieux publics durant l’été 1995 -, ils ont envoyé en France deux cadres. Ces derniers ont utilisé des jeunes volontaires préalablement approchés comme Khaled Khelkal, mort au cours d’une opération de police. Le groupe a été démantelé le 1 novembre 1995 et pendant les jours suivants.
Autre exemple : celui de Djamel Beghal, un banlieusard du sud de Paris, qui avec des amis de son quartier est allé s’entrainer en Afghanistan avant d’être interpellé à Dubaï en 2001. Le groupe projetait un attentat antiaméricain à Paris. Citons encore le cas d’Ahmed Ressam interpellé à la frontière du Canada en 2000 avec des produits entrant dans la composition d’explosifs. Il s’était entraîné en Afghanistan et s’apprêtait à frapper à l’aéroport international de Los Angeles.
Ce phénomène n’a cessé de se développer au cours de la décennie 2000, avec de nombreuses actions évitées et de nombreuses personnes interpellées et condamnés. Nous avons à faire à des gens de plus en plus agressifs et réactifs et on voit, désormais, l’apparition d’individus agissant isolément. C’est le cas, par exemple, de Kamel Bouchentouf, découvert ces dernières années. Ce dernier a préparé et était prêt à placer une bombe sur un objectif en France. Il a pu être détecté après avoir établi un contact par internet avec AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique).
La guerre américano-britannique du printemps 2003 en Irak a mobilisé de très nombreux individus prêts à mourir sur les fronts de ce nouveau conflit ouvert. Plusieurs dizaines de Français ont été concernés, dont quelques-uns furent tués sur zone. Le phénomène nouveau réside dans le développement de l’addiction à Internet de nombreux jeunes islamistes qui s’auto recrutent par ce canal, quand ce n’est pas en détention sous l’influence d’autres prisonniers.
Le procès, actuellement en cours devant le TGI de Paris, d’un groupe informel interpellé en 2011 de jeunes de la banlieue parisienne est emblématique. Il s’était constitué autour d’un recruteur, notamment par le canal de réseaux sociaux sur Internet. Il s’était donné pour but d’envoyer des volontaires s’entraîner dans les zones tribales du Pakistan. L’intention donne une image très exacte de la psychologie et des motivations des personnes concernées ainsi que des méthodes et filières empruntées.
Cependant, la fabrication d’engin se banalise de plus en plus. Il n’est plus nécessaire de se rendre sur zone sur apprendre, puis que tous est sur la toile… D’ailleurs la revue – « Jihadiste/Inspire » -, particulièrement bien faite, à partir du Yémen, conseille depuis 2012 aux volontaires d’éviter désormais de se rendre dans la zone Afghano-pakistanaise pour ne pas être repérés. Le chef actuel d’Al-Qaïda, l’Egyptien Ayman al-Zawahiri a, dans un récent appel, encouragé au « jihad individuel ».
A ce type de profils s’ajoutent des individus isolés capables d’attaquer des ressortissants français (et plus largement occidentaux) visitant ou résidant dans des Etat musulmans. Cela s’est déjà produit au Maroc, en Arabie saoudite et dans plusieurs pays d’Afrique. D’autres facteurs de développement jihadiste émanent de la situation qui prévaut dans ces régions depuis le déclenchement des « révoltes » arabes. La disparition des appareils d’État (Libye) a de graves répercussions dans les pays voisins comme au Mali. L’arrivée au pouvoir des frères musulmans qui tolèrent et laissent se développer les franges extrémistes (Egypte, Tunisie), sans parler de la guerre civile en Syrie sont autant de facteurs préoccupants.
Le nombre de volontaires étrangers qui se rendent en Syrie augmente sans cesse avec la prolongation du conflit. Selon des déclarations récentes du ministre français de l’Intérieur, plus de 120 nationaux se trouveraient sur zone dont certains ont lancé des appels « propagandistes » via Internet. Plusieurs y ont déjà perdu la vie. D’autres ont été interpellés à leur retour, tandis que certains ont été empêchés de s’y rendre. Exemple : la récente interpellation de plusieurs individus qui venaient de commettre un vol à main armé dans un restaurant Quick pour financer leur voyage à destination de la rébellion syrienne. Aujourd’hui, quelques deux cents individus sont ainsi répertoriés.
Par rapport aux précédentes filières à destination de l’Afghanistan, de la Bosnie, de la Tchétchénie, d’Irak ou des zones tribales du Pakistan, on enregistre un changement de dimension avec le conflit syrien. La menace permanente de voir des activistes rentrer en France pour commettre de nouveaux attentats est bien réelle et doit être prise en compte sérieusement.
Que faire ?
Comme on ne peut pas surveiller tout le monde et tout le temps, il faut donc s’organiser au mieux, le renseignement n’étant pas une « science exacte »… Dès lors, il s’agit d’optimiser le recueil de renseignement de terrain à la fois au plan national et au plan international. Au plan national : il convient de répéter qu’il faut impérativement donner des moyens suffisants aux services concernés.
Annoncée en juin dernier par les autorités, la décision de transformer le service de Renseignement Intérieur (DCRI) en Direction générale (DGSI) avec la possibilité désormais d’opérer ses propres recrutements, donc de prendre des spécialistes qui viendront compléter utilement les effectifs policiers va dans le bon sens. Les effectifs seront augmentés dans les années qui viennent de plus de 400 personnes, alors que le Livre Blanc de 2008 n’avait renforcé que le service extérieur (DGSE).
Mais, pour être efficace, le dispositif doit aussi reposer sur un bon système de recueil de renseignement au plus près du terrain. La Sous-direction de l’information générale de la sécurité publique de la police nationale (SDIG) – crée en 2008 avec les personnels des ex-RGX n’ayant pas rejoint la DCRI -, devait remplir cette mission. Mal défini, cet objectif n’a pas encore été atteint. Voilà 9 mois, une expérience a été mise en place pour tirer les leçons de l’affaire Merah. Des personnels de la DCRI ont été détachés à l’échelon central de la SDIG et aux principaux échelons territoriaux pour assurer une meilleure liaison. Il est nécessaire que cette expérience débouche sur un dispositif fixe et pérenne.
Mais il faudrait aller plus loin. En juin 2013, les autorités ont décidé, simultanément de créer une DGSI et de transformer la SDIG en SCRT (Service Central de Renseignement Territorial). Dépendant toujours de la Sécurité publique, le chef sera un second directeur adjoint.
La mise en place de ce dispositif aurait besoin, à notre avis, d’un véritable investissement de la part de la police territoriale, afin de trouver une bonne formule pour y inclure la gendarmerie, et bien sûr un minimum de moyens. Au plan international, on avait (depuis les attentats du 11 septembre 2001), et graduellement, obtenu une bonne mobilisation y compris des services des pays arabo-musulmans.
Jean-François Clair
(*) Inspecteur général honoraire de la police nationale. Ancien directeur adjoint de la Direction de la Surveillance du territoire (DST). Président de l’ADARI (Association des anciens du renseignement intérieur). Auditeur de l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN).
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