Le Kremlin a de nombreuses étiquettes pour désigner ses ennemis réels et inventés. Il traite certains d’entre eux de nazis. Il en qualifie d’autres de sombres «élites mondiales». Parfois, il s’en prend aux bureaucrates de Bruxelles. Souvent, les experts de la désinformation pro-Kremlin frappent en dessous de la ceinture dans le but de diaboliser leurs adversaires. Le Kremlin ne s’en cache pas. Si vous ne soutenez pas la vision qu’a Poutine pour son pays, alors vous êtes très probablement un défenseur décadent et fier de l’être de la communauté LGBTIQ+. Et LGBTIQ+ est presque toujours synonyme de dégradation morale dans la vision déformée du monde qu’a le Kremlin.
Source — EUvsDiSiNFO — 23 october 2023 —
Sommaire
Affubler de tous les vices les membres de la communauté GBTIQ+ pour des raisons politiques est tout à fait caractéristique de la désinformation du Kremlin. Poutine s’est longtemps posé en défenseur des «valeurs traditionnelles» dans le monde. Il lui est aussi déjà arrivé d’assimiler, avec une ignorance effrayante, l’homosexualité à la pédophilie. En outre, l’instrumentalisation des minorités ou des groupes marginalisés est une tactique couramment utilisée par le Kremlin. À titre d’exemple, selon le contexte et les objectifs visés, il est arrivé que les propagandistes du Kremlin critiquent violemment les migrants ou accusent d’autres de le faire.
Les médias et experts pro-Kremlin utilisent la peur, la haine et l’ignorance de différentes façons pour encourager la prolifération de stéréotypes négatifs sur la communauté LGBTIQ+. Nous étudions ci-dessous trois des cas les plus remarquables. Vous êtes prévenu: certains exemples sont assez extrêmes.
Accuser l’Occident de soutenir «les intentions de la communauté LGBTIQ+»
La désinformation anti-LGBTIQ+ affirme principalement que l’Occident essaie de détruire tout ce qui est bon, normal et moral en soutenant activement «les intentions de la communauté LGBTIQ+». Parmi les «méchants occidentaux» qui encouragent ce prétendu programme ou cette «idéologie (de genre/LGBTIQ+)», figurent des responsables de l’UE, des institutions européennes, la culture occidentale, les Nations Unies, McDonald’s, George Soros, les féministes et Barbie, entre autres.
Pourtant, les commentateurs pro-Kremlin ne donnent jamais de définition claire de ce qu’est ce programme ou cette idéologie. Le plus souvent, l’évocation de ces «intentions » n’est rien d’autre qu’une tentative d’associer cette communauté avec la pédophilie. Ils restent volontairement dans le flou. L’utilisation de termes vagues incite les lecteurs animés de préjugés à s’imaginer les choses les plus horribles.
L’idée sous-jacente est qu’en cherchant à protéger la communauté LGBTIQ+ de la persécution, l’UE porte atteinte d’une manière ou d’une autre aux «valeurs traditionnelles» sur lesquelles l’UE est censée être fondée. Certains organes pro-Kremlin prétendent que l’UE veut «détruire le christianisme», assimilant tout effort visant à lutter contre l’islamophobie, le racisme, l’homophobie et l’antisémitisme à une politique antichrétienne, une affirmation qui ne manquerait pas d’offenser de nombreux chrétiens. Parfois même, ils assimilent la communauté LGBTIQ+ à la criminalité et à la consommation de drogues.
Par ailleurs, les organes pro-Kremlin ont souvent présenté les pays non occidentaux, en particulier ceux d’Afrique, comme étant engagés dans une lutte héroïque pour éviter d’être contaminés par le mouvement «arc-en-ciel» occidental. Pour le Kremlin, soutenir l’égalité des droits de la communauté LGBTIQ+ est, en quelque sorte, l’expression du néocolonialisme de l’Europe gay («Gayropa»), une forme de colonisation par un Occident moralement corrompu.
Cette accusation de «néocolonialisme» se présente souvent sous la forme d’accusations selon lesquelles les pays occidentaux voudraient voir l’Afrique «copier» l’Occident en ce qui concerne les «droits des homosexuels», une interprétation grossière et erronée du concept de base selon lequel les droits LGBTIQ+ sont une question de droits de l’homme. Les médias de désinformation pro-Kremlin sont également plus que prêts à amplifier toute voix aux accents homophobes s’exprimant sous couvert de vouloir protéger les «valeurs traditionnelles». Ils sont également prompts à porter des accusations infondées et à diffuser des théories du complot visant les entités occidentales, notamment OTAN.
Profiter de la «guerre culturelle»
Certains médias pro-Kremlin diabolisent également ouvertement les personnes LGBTIQ+ en les accusant d’être des menaces pour les sociétés traditionnelles, leurs valeurs religieuses et leurs enfants, entre autres. D’autres, en particulier ceux qui jouissent d’une certaine reconnaissance internationale comme le célèbre média de propagande RT, ont tendance à éviter de relayer franchement ce discours, peut-être par crainte de s’aliéner un public plus averti.
Ils s’attachent plutôt à profiter des problèmes dits de «guerre culturelle» et à les accentuer, notamment en diabolisant et en ostracisant les personnes transgenres en les faisant passer pour une menace pour les enfants et les genres masculin/féminin.
Une autre ligne d’attaque consiste à affirmer que la reconnaissance des personnes transgenres et de l’«idéologie de genre/LGBTIQ+» conduira à la destruction de la famille. Un organe pro-Kremlin s’adressant au public italien a, par exemple, affirmé que les mentions «parent n°1» et «parent n°2» ont remplacé les pères et mères dans le but de détruire la famille traditionnelle. Il se contente de répéter comme un perroquet un discours de désinformation sur la communauté LGBTIQ+ qu’a tenu Poutine lui-même il y a quelques mois.
Les questions ayant trait à la «guerre culturelle» sont également reprises par les médias pro-Kremlin qui ciblent les publics nationaux, souvent de manière beaucoup plus grossière. La règle veut que plus on se rapproche du Kremlin, plus la haine anti-LGBTIQ+ soit ouverte. On peut citer l’exemple d’«Arguments and Facts» (Аргументы и факты), un tabloïd contrôlé par le gouvernement russe, qui prétendait qu’au Canada les enfants sont obligés de changer de sexe et de se faire «couper tout ce qui pend». Un langage aussi grossier fait d’une pierre deux coups. Il diabolise la communauté LGBTIQ+ et contribue à mettre en évidence la «perversion» sauvage de l’Occident.
Présenter la Russie comme le bastion des traditions et de l’hétérosexualité
Les commentateurs pro-Kremlin manquent rarement une occasion de présenter la Russie et Poutine comme les défenseurs de la morale traditionnelle. Les médias contrôlés par l’État russe ont largement couvert la signature par Poutine d’un projet de loi interdisant les opérations de changement de sexe et louent régulièrement l’État russe pour avoir assaini la société russe et l’avoir tenue à l’abri des «intentions de la communauté LGBTIQ+».
Les médias pro-Kremlin aiment également véhiculer l’image d’une Russie érigée en protectrice des «valeurs traditionnelles» en affirmant que les Occidentaux ne supportent plus la marée LGBTIQ+ qui submerge l’Occident et s’installent en Russie pour y échapper. Certains font même l’amalgame entre LGBTIQ+ et totalitarisme et affirment que la Russie lutte désormais contre le «totalitarisme mondial» exprimé à travers des politiques favorables aux personnes LGBTIQ+.
Du combat moral à la guerre réelle
Les commentateurs favorables au Kremlin considèrent de plus en plus ce combat moral comme un aspect d’une guerre réelle: l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. Dans cette vision sombre et paranoïaque du monde, nazis et personnes LGBTIQ+ ne font qu’un, comme lorsque la propagande biélorusse qualifiait les opposants au régime de «racaille homo-fasciste». Allant encore plus loin, certains médias pro-Kremlin ont déclaré que la guerre oppose ceux qui soutiennent fièrement la masculinité (comprendre «les Russes») et ceux qui veulent qu’une masse non genrée et dépravée de personnes LGBTIQ+ dirige le monde (comprendre «l’Ukraine et ses alliés»).
Les médias pro-Kremlin qui s’en prennent à l’Ukraine se moquent inlassablement d’un soldat ukrainien transgenre, le rabaissant sur les médias sociaux en le qualifiant d’«erreur de la nature sodomite» et de «symbole de l’Ukraine». Les colporteurs de désinformation affirment également que 50 000 personnes LGBTIQ+ combattent dans les rangs de l’armée ukrainienne, ce qui témoignerait de «la déchéance de la société ukrainienne».
Ces insultes n’ont rien à voir avec la réalité. Elles sont en réalité le reflet des «valeurs» du Kremlin lui-même et d’une pensée complotiste qui projette les pires délits imaginables sur ses opposants. En découle une prison de l’esprit dont les barreaux sont plus solides car érigés par les prisonniers eux-mêmes.
Pour mieux comprendre les discours tenus par le Kremlin et les autres acteurs malveillants contre la communauté LGBTIQ+, lisez notre rapport récent: Activités de manipulation de l’information et d’ingérence menées depuis l’étranger (FIMI) et ciblant les personnes LGBTIQ+: analyse informée pour protéger les droits de l’homme et la diversité. (en anglais). Ce rapport est le premier en son genre à aborder la question des activités FIMI ciblant exclusivement les personnes LGBTIQ+. Il présente des cas spécifiques rencontrés dans le monde entier. L’objectif est d’aider la communauté des défenseurs à comprendre la nature des activités de manipulation de l’information et d’ingérence menées depuis l’étranger, ainsi que les tactiques, techniques et procédures utilisées pour cibler la communauté LGBTIQ+ afin d’y apporter une réponse adéquate.
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