Arnaud Beltrame, le visage du devoir

Arnaud Beltrame est aujourd’hui l’incarnation du courage, celle des valeurs militaires où l’honneur, l’abnégation, l’obsession du succès de la mission tiennent une place centrale à côté du principe d’humanité.

Général Vincent Desportes -- Photo © Joël-François Dumont. -
Général (2s) Vincent Desportes – Photo © JFD

D’autres les partagent bien sûr, mais l’armée les cultive, en sculpte les caractères de ses soldats afin qu’ils aient la force d’aller, si la Nation le leur demande, au bout de leur engagement dussent-ils, pour cela, donner leur vie.

D’autres gendarmes, d’autres marins, d’autres aviateurs, d’autres soldats, innombrables, sont allés et vont encore, chaque jour, au bout des risques qu’implique leur devoir. D’autres demain se lèveront, quels que soient les dangers, pour que la France demeure libre de l’ennemi et de l’insécurité : c’est la condition même de l’existence de notre patrie. Certains, trop rares, marquent durablement les souvenirs. Ainsi, le général de gendarmerie Guy Delfosse qui, le 27 mars 1984, « donne un magnifique exemple d’abnégation en accomplissant jusqu’au sacrifice suprême son devoir de citoyen et de militaire de la gendarmerie » : il refuse de se plier aux injonctions de deux terroristes de la branche lyonnaise d’Action directe qui l’abattent froidement. Ou encore la section d’infanterie qui, le 27 mai 1995, baïonnette au canon, sous le feu ennemi, part à l’assaut du pont de Vrbanja sous les ordres du lieutenant Heluin et de notre actuel chef d’état-major des armées, le général François Lecointre. Parmi d’autres, ces héros sont les jalons du roman français, les incarnations du courage et de l’honneur.

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Arnaud Beltrame, porte-drapeau de sa promotion à l’EMIA de Saint-Cyr en 2001

Aujourd’hui, sans que les citoyens français en aient une claire conscience, au Sahel, au Levant, ailleurs dans le monde, des soldats français presque anonymes sont grièvement blessés et meurent dans l’exécution de leurs missions au service de la France. Noyés dans l’écume des jours, vite oubliés, leur courage et leur sacrifice disparaissent presque instantanément dans le brouhaha médiatique qui ne retient, un instant que les images des drapeaux tricolores drapant les cercueils alignés de la cour d’honneur des Invalides. Arnaud Beltrame, dont chacun se souviendra, les représente tous, ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui et ceux de demain : il a, par son courage, donné un visage à la vertu militaire, celle envers laquelle George Clémenceau rappelait que la nation avait un devoir. Arnaud Beltrame, les soldats de France te remercient : tu es désormais leur visage.

Car il s’agit bien non d’un coup de tête mais de courage, le vrai, c’est-à-dire d’une décision prise en toute connaissance du danger parce qu’elle correspond au devoir et à l’honneur. Issu de l’artillerie, major de sa promotion d’élèves-officiers à Coëtquidan puis de sa promotion à l’école des officiers de la gendarmerie, Arnaud Beltrame est un officier brillant, accompli : tout le prouve dans sa carrière. C’est un homme des chemins de crêtes et des choix difficiles : il progresse à force d’engagement et de volonté, devient chuteur opérationnel au sein de l’escadron parachutiste du GIGN, est engagé en zone de combat en Irak ce qui lui vaudra la croix de la valeur militaire …

Sa décision rapide en ces dramatiques instants du 23 mars reflète parfaitement le sens de la mission et le rapport très particulier que le militaire entretient avec la mort. Il l’accepte une fois pour toute : lorsqu’il s’engage, il donne sa vie à la nation. Point. C’est bien là la grandeur de ce métier : je donne ma vie et je ne choisis plus les missions que l’on me donnera. Je les accepte, j’irai jusqu’au bout, quel que soit leur danger, sans esprit de recul, parce que je sers. Le militaire est au service de la France, au service des Français, jusqu’au sacrifice suprême si le devoir et l’honneur l’exigent. Arnaud Beltrame est mort pour la patrie : il est un héros qui servira de guide demain aux générations de jeunes Français qui jugeront, comme lui, que la France et sa liberté sont une cause qui mérite que l’on meure pour elle.

Les Français se souviennent davantage des noms de frères Kouachi, les terroristes de Charlie Hebdo, ou de Salah Abdeslam, l’un des cerveaux de l’attentat du Bataclan que de ceux des membres des forces de police et de gendarmerie qui ont risqué leur vie lors des assauts donnés pour mettre un terme à ces barbaries. Désormais, ils sauront mettre un visage et un nom derrière tout ce courage, ce sens de l’honneur et du devoir qui assure leur sécurité : celui d’Arnaud Beltrame.

Le 1er juin 1995 à Vannes, lors de la cérémonie en l’honneur des deux marsouins morts dans l’assaut de Vrbanja le président Chirac déclare : « les marsouins Amaru et Humblot sont morts pour une certaine idée de la France, une France qui refuse de s’abandonner à la fatalité et à l’irresponsabilité. » C’est pour la même idée de la France qu’Arnaud Beltrame a donné, le 23 mars, sa vie à la France.

Général (2s) Vincent Desportes

[1] Cette tribune a été diffusée dans l’édition du journal Le Monde datée du 26.03.2018) sous le titre : « Arnaud Beltrame donne un visage à la vertu militaire ». Nous la reproduisons ici avec l’accord du général Desportes.

[2] Ancien directeur de l’École de guerre, Docteur en histoire, professeur des universités et associé à Sciences PO, auteur de nombreux ouvrages de référence.

Voir également le dossier réalisé par l’Association de Soutien à l’Armée Française (ASAF) sur le Site : www.asafrance.fr.