Échaudés par l’entreprise de déstabilisation de l’ordre international se traduisant par une multiplication des zones de conflit, les Occidentaux qui ont mis du temps à s’y résoudre sont désormais convaincus qu’il n’y a aucune limite à la malfaisance de régimes comme celui de Vladimir Poutine en Russie ou des Ayatollahs en Iran.
Autant donc se préparer au pire. Et prévoir celui-ci, comme nous le dit Quentin Dickinson. Dans son dernier éditorial européen, il fait le point sur les objectifs et les moyens militaires européens mis en œuvre, en coordination avec l’OTAN, après l’incursion de commandos terroristes du Hamas en Israël, depuis Gaza, et le massacre de civils sans défense — Un véritable pogrom, auquel Israël a répondu par des bombardements massifs notamment sur la ville de Gaza, le blocus intégral du territoire, puis son attaque terrestre pou éradiquer le Hamas, organisation terroriste réputée en 2014 par Forbes comme la plus riche du monde — Curieusement, un exercice militaire sous commandement européen vient de s’achever en Espagne où le scénario ressemble curieusement à ce qui pourrait se passer en Méditerranée orientale… [1] Après avoir prépositionné dans l’urgence des commandos spécialisés dans les prises d’otages (GSG9) à Chypre, le dispositif allié est maintenant en place au cas où… N’oublions pas pour autant que « le pire dans le pire, c’est l’attente du pire » …
— Source : Euradio [2] — 2 novembre 2023 —
Laurence Aubron : Cette semaine, Quentin Dickinson, vous nous dévoilez un aspect méconnu de l’action des Européens dans la crise au Proche-Orient…
C’est incontestablement un signe, discret mais révélateur, de ce que les états-majors militaires européens et américain tiennent pour vraisemblable. Depuis le 7 octobre, nuit des massacres commis en Israël par les terroristes du Hamas, l’inquiétude n’a cessé de croître quant à la sécurité des ressortissants étrangers, non pas seulement pris dans la nasse de Gaza, mais bien dans l’ensemble du Proche-Orient.
Il faut bien comprendre le contexte : pour les Israéliens, l’ouverture d’un deuxième front sous forme de confrontation avec le Hezbollah, autre organisation terroriste basée dans le sud du Liban, constitue un risque palpable ; de même, un soulèvement de la population palestinienne en Cisjordanie, en quelque sorte une nouvelle intifada toujours possible, viendrait compliquer davantage les missions des forces de défense israéliennes.
Laurence Aubron : Mais les risques d’extension du conflit ne s’arrêtent pas là, Quentin Dickinson ?
Certes non. La région au sens large héberge nombre de points de friction plus ou moins gelés, souvent vieux de trois-quarts de siècle, et qui, chacun, pourraient hâter un embrasement général.
Le malheureux Liban n’est pas en mesure de chasser le Hezbollah de son territoire, le voudrait-il ; la Syrie est l’obligée de la Russie, dont l’Iran est le nouvel allié (et fournisseur d’armes pour la guerre en Ukraine).
Tout désordre anti-occidental est évidemment dans l’intérêt du Kremlin, qui souffle sur les braises quand il n’assiste pas directement de ses conseils et moyens les acteurs locaux.
La Jordanie est fragilisée par le grand nombre de camps de réfugiés palestiniens surpeuplés, dont certains datent de 1948. Prise géographiquement entre la Bande de Gaza et la Lybie, l’Égypte redoute d’être entraînée par l’opinion de la rue dans des querelles qui lui sont étrangères. L’Irak, dont on parle peu, vit une instabilité chronique, mal gérée par des dirigeants faibles que seule la présence militaire américaine empêche d’être balayés par la vindicte populaire. Et la Turquie, au président autocrate, sournois et manipulateur, se complaît dans le rôle du pompier-pyromane.
Et partout, des ressortissants étrangers, citoyens de l’Union européenne ou d’Amérique du Nord, courent le risque de se retrouver bloqués au cœur d’un conflit armé. Complication supplémentaire : un petit nombre d’entre eux sont fortement soupçonnés d’être militants ou sympathisants des cellules terroristes.
Laurence Aubron : On comprend la nervosité des pays de l’OTAN – mais que font-ils concrètement ?…
Ils chiffrent à plus de 100.000 personnes qu’il faudrait parvenir à évacuer si, au Proche-Orient, les choses tournent mal (ou encore plus mal, pour être précis).
Et, peu à peu, le dispositif se met en place.
Dès le 20 octobre, le Royaume-Uni et l’Allemagne, suivis par d’autres, ont fortement conseillé à leurs ressortissants de quitter le Liban, tant que c’est encore possible.
A Chypre, lieu évident de premier repli, un Centre international de Coordination des secours accueille à l’aéroport de Larnaca les officiers de liaison d’une vingtaine de pays, rejoints par des experts du Mécanisme de Protection civile de l’Union européenne.
Carte de Gaza — Wikipedia © Gringer
Dès le 20 octobre, le Royaume-Uni et l’Allemagne, suivis par d’autres, ont fortement conseillé à leurs ressortissants de quitter le Liban, tant que c’est encore possible.
A Chypre, lieu évident de premier repli, un Centre international de Coordination des secours accueille à l’aéroport de Larnaca les officiers de liaison d’une vingtaine de pays, rejoints par des experts du Mécanisme de Protection civile de l’Union européenne.
La mise en œuvre du plan national d’urgence chypriote, baptisé Estia (‘foyer’ en grec), a déjà permis d’évacuer d’Israël plus de mille personnes.
Laurence Aubron :…et les moyens militaires mobilisés sont déjà considérables, Quentin Dickinson ?…
A commencer par ceux de la France, dont le porte-hélicoptères amphibie multitâches Tonnerre a appareillé de Toulon le 25 octobre.
A bord, des moyens médicaux, dont deux salles d’opération, et une capacité d’emport de plusieurs milliers de personnes.[3]
Les Britanniques disposent à Chypre de leurs deux bases militaires souveraines, Akrotiri et Dhekelia, renforcées récemment par deux navires de débarquement, l’Argus et le Lyme Bay.
L’Allemagne a dépêché sur zone la corvette Oldenburg et le ravitailleur-hôpital Frankfurt-am-Main ; la frégate Baden-Württemberg est en route.
Les Pays-Bas et le Canada ont acheminé à eux deux plus de 500 personnels militaires et quatre avions.
Ce dispositif augmente de jour en jour, et peut également compter en cas de besoin sur les très importants moyens des groupes navals des deux porte-avions américains dans le secteur, le Dwight Eisenhower et le Gerald R. Ford.
Conclusion des militaires : le pire n’est pas toujours certain, mais mieux vaut calculer large.
Quentin Dickinson
[1] Du 11 au 18 octobre, « le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Tonnerre et les détachements interarmées embarqués se sont intégrés à l’exercice militaire européen Military Exercise (MILEX) 23. Sous commandement européen, 9 nations (Espagne, France, Portugal, Autriche, Italie, Roumanie, Hongrie, Irlande, Malte) regroupant 2800 militaires réalisent un entraînement de gestion de crise à thématique amphibie sur la côte atlantique espagnole. L’objectif de MILEX 23 est de développer les capacités militaires communes de l’Union Européenne pour conduire une opération autonome dans un environnement de menace hybride.
Pour cela, le groupe amphibie du Tonnerre intègre notamment une force de réaction embarquée et un détachement aéromobile de six hélicoptères (trois Gazelle et deux Cougar de l’aviation légère de l’armée de Terre ; un Puma de l’armée de l’Air et de l’Espace).
Le chasseur de mines tripartites Croix du Sud accompagne également le PHA Tonnerre. Les moyens de l’ensemble des nations participantes ont été placés sous les ordres d’un état-major tactique multinational, sous commandement espagnol depuis le porte-aéronefs Juan Carlos 1ero. (Source : Point de situation des opérations du jeudi 12 au mercredi 18 octobre 2023
Comment écouter euradio ?
[2] euradio s’écoute :
- Sur le 101.3 FM dans la région nantaise
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[3] En service depuis 2007, le Tonnerre fait partie des trois porte-hélicoptères amphibie (PHA) de la flotte française avec le Mistral et le Dixmude. Long de 199 mètres, large de 32 mètres et équipé par 200 marins, le Tonnerre dispose d’une capacité hospitalière légère, extrêmement polyvalente et modulable pouvant accueillir plus de soixante lits dont quatre de réanimation. Il dispose également de deux salles d’opération, une salle de radio avec scanner et un cabinet dentaire. Pour les besoins de la manœuvre, plus d’une vingtaine de soignants du Service de santé des armées sont mobilisés et prêts à intervenir. Le Tonnerre peut également emporter jusqu’à 1 000 tonnes de fret, lors d’escales dans la région.
Par cette double capacité, il est capable de mener, sous faible préavis, des opérations de gestion de crise, de transport ou de soutien médical par des moyens amphibies et aéromobiles.
Aujourd’hui 27 octobre à mi-journée, le Tonnerre se situe au sud de l’Italie et devrait rejoindre sa zone d’opération d’ici le dimanche 29 octobre.
Parallèlement à ce déploiement humanitaire et face à la dégradation de la situation dans la région, la France renforce également son dispositif militaire en Méditerranée orientale. Les armées françaises ont donc déployé en Méditerranée orientale, la frégate multi-missions à capacité de défense aérienne renforcée (FREMM DA) Alsace, en complément de la frégate de type La Fayette (FLF) Surcouf qui était déjà présente dans la zone.
Leur présence permet à la France de garantir sa capacité d’appréciation autonome de situation grâce à un dispositif cohérent et souverain. Sources : EMA/Marine Nationale.