De la guerre froide à la révolution digitale

L’intersection de deux révolutions, la mondialisation et la révolution du contenu digital, offre une opportunité sans précédent pour les fournisseurs de traduction automatique de proposer des solutions, et pour les organisations de capitaliser sur leur contenu existant. Les volumes à traduire, toujours plus importants, exigent plus de vitesse et d’exactitude dans le traitement.

Le 4 octobre 1957, les Américains apprennent par la presse le lancement du premier Spoutnik. Après avoir perdu le monopole de l’arme nucléaire, les États-Unis craignent de voir l’URSS prendre un avantage stratégique dans la course aux armements.

Le Pentagone décide la mobilisation dans le secteur spatial et lance des programmes pour automatiser la traduction des textes scientifiques et techniques russes. La machine à traduire devient un projet prioritaire, même si sa faisabilité semble incertaine.

Dès 1955, l’Air Force s’allie à IBM et crée le Rome Center sur la base de Grifiss (NY). En 1959, le premier prototype « Mark I » voit le jour, suivi en octobre 1963 du Mark II. En 1970, le National Air and Space Intelligence Center présente l’IBM 360 Systran, vingt fois plus rapide, capable de traduire des textes russes. En 1980, une troisième génération utilise un dictionnaire de 350.000 mots et expressions russes. Mais l’ARPA et la NSA ont beau rechercher des algorithmes toujours plus puissants pour améliorer l’interface homme-machine avec l’ordinateur, la qualité de la traduction automatique reste très en-deçà des attentes initiales. Aujourd’hui les traductions s’effectuent à la volée…

Avec le développement du net et les attentats du 11 septembre, les besoins se sont multipliés. Le National Foreign Intelligence et le Joint Military Intelligence ont lancé de nouveaux programmes. Après le vietnamien et le chinois, l’arabe, le pachtoune, l’ourdou, le somali deviennent de nouvelles priorités. C’est ainsi que Language Weaver s’est imposée comme la référence des services américains en tant que principal fournisseur de systèmes de traduction automatique de l’arabe vers l’anglais. Avec plus de soixante-dix paires de langues, européennes, moyen-orientales et asiatiques, la société vise désormais les marchés civils et militaires à l’export.

Emmanuel Tonnelier, Directeur régional Europe, est confiant : « au cours des deux dernières années, nous avons vu nos solutions adoptées par le renseignement en Allemagne, au Danemark, en Espagne, en France et en Israël

Le marché de la traduction est immense : 14 milliards de dollars. Mais sa croissance est considérablement restreinte par les limites de la productivité humaine. Un milliard et demi de personnes se connectent chaque jour à Internet, pour rechercher, communiquer, faire des affaires en temps réel, contribuant au contenu digital disponible sur le réseau. Cette croissance exponentielle du contenu digital à l’échelle planétaire a généré de nouvelles opportunités pour la traduction automatique car sa taille dépasse les limites de la traduction humaine en termes de capacité, de rapidité et de coût.

Dès lors la technologie s’impose comme une évidence. L’intersection de deux révolutions, la mondialisation et la révolution du contenu digital, offre une opportunité sans précédent pour les fournisseurs de traduction automatique de proposer des solutions, et pour les organisations de capitaliser sur leur contenu existant. Les volumes à traduire, toujours plus importants, exigent plus de vitesse et d’exactitude dans le traitement. Les besoins immédiats et à venir sont énormes. En France, il n’y a pas que les services qui soient concernés, mais des industries, comme le tourisme. Même si l’anglais est devenu la langue de référence, l’attachement à leur langue reste un moyen pour les peuples de s’inscrire dans une histoire partagée. Contrairement aux langues artificielles, les langues vivantes ne sont pas qu’un outil de communication. On ne peut donc les réduire à un simple code pour l’échange d’informations.

Mark Tapling, PDG de Language Weaver -- Photo © Joël-François Dumont. -
Mark Tapling, PDG de Language Weaver

Pour Emmanuel Tonnelier « des avancées technologiques considérables ont été réalisées ces dernières années. Conjuguées à la démocratisation de l’informatique, elles sont en passe de résoudre la problématique de la traduction de masse. Language Weaver a développé de nouvelles approches de la traduction automatique avec l’avènement des modèles statistiques, véritable rupture technologique avec les modèles précédents, produisant des traductions fluides et faciles à lire. La technologie de traduction atteint désormais un degré de précision et de fiabilité suffisants pour véhiculer du sens très rapidement et à bas coût, offrant un champ d’applications inimaginable il y a encore une décennie. » Pour Mark Tapling, président & CEO de Language Weaver, « nos logiciels de traduction automatisée permettent aux agences gouvernementales de traduire en temps quasi-réel de telle sorte que la totalité de l’information peut être analysée, quelle que soit la langue source, et les alertes remontées pertinemment. Certaines installations traduisent plusieurs dizaines de milliers de mots à la minute. »

L’ordinateur ne remplacera jamais l’homme. Les quelques 500.000 traducteurs interprètes ne répondant plus aux besoins tant civils que militaires. Seule la machine peut traduire la majeure partie du contenu mondial généré par cette révolution digitale, laissant ainsi l’homme se concentrer sur la traduction à forte valeur ajoutée? Après cinquante années de recherche, les résultats sembleraient aujourd’hui à la hauteur de nos attentes.

Joël-François Dumont

(*) Auditeur à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN).

[1] Numéro 141 daté de Septembre-octobre 2009 de Défense, revue bimestrielle de l'Union des Associations des Auditeurs de l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN).Abonnements: BP 41-00445 Armées.

Articles du même auteur parus dans la rubrique "Renseignement" de la revue Défense :