Le livre "les coulisses de l’Intelligence économique" de bruno Delamotte dresse un état des lieux sans complaisance. D’un « monde de barbouzes » pour les uns ou d’un « système français à inventer » pour d’autres. C’est un fait, le secteur privé peine à trouver sa complémentarité avec le secteur public…
Cette tribune a été publiée dans la revue Défense [1]. Nous la reproduisons ici avec l'aimable autorisation de son auteurJoël-François Dumont (*) rédacteur-en-chef adjoint de la revue. (©) Paris, le 28 octobre 2009.
Risk&Co [2] est un des principaux cabinets d’intelligence économique français, si ce n’est le premier d’un secteur qui trouve encore difficilement sa voie. Fondé et dirigé par Bruno Delamotte, il conseille une vingtaine d’entreprises du CAC 40 et plusieurs gouvernements.
Son dernier livre, "les coulisses de l’Intelligence économique" [3], dresse un état des lieux sans complaisance d’un « monde de barbouzes » pour les uns ou d’un « système français à inventer » pour d’autres. C’est un fait, le secteur privé peine à trouver sa complémentarité avec le secteur public dont les missions se rejoignent parfois. Des règles simples et précises existent pourtant. Au lieu de chercher à les réinventer sous des prétextes plus ou moins fallacieux, pourquoi ne pas les appliquer ? Au-delà de quelques révélations qui illustrent une situation bien française, ce livre pose en tout cas de vraies questions qui ne peuvent rester sans réponse.
Bruno Delamotte, PDG de Risk&Co
Contrairement à ce qui se fait dans les pays latins, chez les Anglo-Saxons, les règles n’ont pas besoin d’être écrites pour être respectées. En France, les cabinets de conseil sont considérés par les Services et les administrations au mieux comme un mal nécessaire. Le plus souvent comme une concurrence indue et par essence nuisible dont le travail est a priori méprisé, voire décrié car mercantile. La nature ayant « horreur du vide », le privé a tendance à s’engouffrer dans les activités régaliennes dont l’État se désintéresse sans vouloir se l’avouer. Avec des moyens inadéquats, une vision limitée des choses et des hommes qui agissent parfois à la limite de la légalité, alors que les problèmes bien réels attendent des solutions. Il est facile de se gausser, ou de dénoncer les affaires de basse police pour mieux passer sous silence les véritables attentes et besoins que la profession satisfait. Un accès – forcément illégal – aux fichiers de police ne permettra jamais de conclure un marché international ou de déterminer la force de tel ou tel cercle de pouvoir.
« L’information a trop souvent été le parent pauvre du processus de décision ; c’est ce qui doit changer », écrit Bruno Delamotte qui constate que « les Anglo-Saxons ont vingt ans d’avance, autant pour la maîtrise que pour la manipulation. » Les cabinets anglo-saxons n’ont aucun mal à recruter les meilleurs parmi les anciens des services qui vont poursuivre dans le privé un autre combat avec d’autres moyens. Les passerelles nombreuses existent. De là à assimiler un cabinet anglo-saxon au MI6 ou à la CIA est manifestement simpliste, pour ne pas dire totalement faux. Ainsi, si Kroll peut se permettre de faire condamner l’État américain par les tribunaux, sans gêner pour autant ses relations ponctuelles avec les services spéciaux, aucun cabinet français ne peut se permettre un tel rapport de force avec la puissance publique. La différence est que la nature même du contact qui lie les services de ces pays est très différente de ce qui se passe chez nous. « Côté français, les cabinets d’intelligence économique sont perçus comme des rivaux, quand ils ne sont pas ouvertement classés parmi les adversaires. » Du coup, les groupes anglo-saxons se sentent mieux défendus. Et pas uniquement parce qu’ils sont “intelligence-minded”…
En France, la nomination d’Alain Juillet en décembre 2003 a marqué un tournant. L’État stratège reprenait ses droits [4] au moins en apparence. Matignon, la Défense et l’Intérieur se sont lancés dans une sensibilisation en organisant avec tous les acteurs du marché un dialogue espéré depuis longtemps. Il était temps de ne plus s’en remettre qu’aux seuls cabinets américains à qui sont confiées l’analyse des grands groupes français quand ce n’est pas leur stratégie. Bercy aura traîné les pieds dans ce combat. A la vérité, personne n’attendait d’Alain Juillet des miracles, d’autant qu’il était positionné au SGDN qui ne s’est jamais distingué par sa capacité de faire bouger les lignes. Avec le budget et les moyens dont il a été doté lors de sa prise de fonction, on n’entendait pas remettre en question un système condamné par la mondialisation de l’économie, mais plutôt placer un énième cautère sur la jambe de bois du village gaulois.
Alain Juillet, Haut responsable à l'Intelligence économique de 2003 à 2009
Pourtant, avec son bâton de pèlerin, M. Juillet aura réussi à un tel point qu’à son départ, il aura fallu des mois pour lui trouver un successeur. Il n’est pas évident de trouver quelqu’un qui a un carnet d’adresse international aussi épais, une expérience de l’appareil d’État et un passage dans le privé avec de hautes responsabilités managériales, donc un personnage très complet répondant aux besoins de tous les acteurs du marché, sans oublier l’État qui restaurait ainsi son crédit en montrant l’exemple sans pour autant se substituer au secteur privé.
Pour Bruno Delamotte, « l’État a raison d’imposer un code de conduite strict, mais sans la recherche d’une complémentarité avec le secteur privé qui soit judicieuse et adaptée aux besoins, nous allons à l’échec ». A l’heure de la « financiarisation de l’économie, une politique nationale a-telle encore un sens alors que nos champions ne sont plus – ou si peu – nationaux ? » Une certitude : comme on ne peut pas faire les choses à moitié, il faut « redéfinir un partenariat dans lequel chacun pourra s’enrichir des différences de l’autre… »
Joël-François Dumont
(*) Auditeur à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN).
[1] Numéro 142 daté de Septembre-octobre 2009 de Défense, revue bimestrielle de l'Union des Associations des Auditeurs de l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN).Abonnements: BP 41-00445 Armées.
[2] Spécialiste français du conseil en sûreté et intelligence stratégique, RISK&CO met son expertise au service des acteurs économiques et institutionnels afin de les aider à prévenir et gérer les risques de toute nature inhérents aux environnements mouvants, instables et dégradés.
[3] Éditions Nouveau Monde.
[4] Voir « L’Intelligence économique : une réponse aux enjeux du 21ème siècle » in Défense n°126 (mars-avril 2007).
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