Du mauvais usage de l’Histoire

Des nombreux décrets pris par le Président Donald Trump dés son accession à la présidence, il y a un qui a surpris les historiens. Un décret visant à renommer une montagne d’Alaska qui, sous Obama avait retrouvé son nom autochtone de Denali, en mont McKinley du nom de William McKinley, le modèle pour ne pas dire l’inspirateur imaginaire de Donald Trump. Si certains savent que l’ancien représentant de l’Ohio s’est fait connaître au Congrès en faisant voter en 1890 le « McKinley Tariff », des droits de douane moyens de 38 % à près de 50 %. Élu 25e président des États-Unis, chantre déclaré du protectionnisme, McKinley fit voter une Loi en 1897 qui allait encore beaucoup plus loin. Le résultat se solda par un désastre économique qui devait entraîner une déroute historique des Républicains aux élections de 1890 ! McKinley avait également lorgné sur le Canada, pendant en faire le 51e État : résultat, le Canada s’est rapproché de la Grande-Bretagne ! Quentin Dickinson revient sur un personnage qui était sur le plan personnel tout le contraire de Donald Trump ! NDLR

Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l’actualité européenne sur euradio.

Source : euradio — Bruxelles, le 4 avril 2025 —

Laurence Aubron : Cette semaine, Quentin Dickinson, vous entendez préserver de Donald Trump la mémoire de l’un de ses prédécesseurs à la Maison-Blanche, c’est cela ?…

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Donald Trump — Photo © Gage Skidmore from Surprise, AZ, United States of America – Wikimedia Commons

Quentin Dickinson : On le sait, Donald Trump ne reconnaît qu’un seul de ses prédécesseurs qu’il estime être (presque) son égal, et il fait d’ailleurs régulièrement référence aux idées de cet homme, le Républicain William McKinley, 25e Président des États-Unis, de 1896 à 1901. Mais, à l’examen, M. Trump détourne l’Histoire comme il déforme l’actualité.

Laurence Aubron : Comment cela ?…

Quentin Dickinson : D’abord, William McKinley était un homme intègre, qui exprimait une empathie sincère envers les classes laborieuses de son pays. Son fidèle attachement à son épouse à la santé fragile contribuait aussi à son immense popularité.

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On a donc quelque peine à discerner ce que ce juriste rigoureux et homme de devoir pourrait avoir en commun avec Donald Trump.

Laurence Aubron : Mais pourtant, le Président McKinley était un chaud partisan du protectionnisme et des droits de douane prélevés sur les importations aux États-Unis de produits étrangers, non ?…

C’est vrai, car il était d’avis que des droits de douane élevés garantissaient des salaires élevés ; peu de temps après le début de son premier mandat, il réunit le Congrès en session spéciale pour faire adopter une loi augmentant d’importance les droits à l’importation.

William McKinley en 1900

Cette mesure était à la fois populaire et mal comprise par des électeurs, placés sous l’influence croissante des publications des deux magnats de la presse que furent Randolph Hearst et Joseph Pulitzer, qui présentaient McKinley comme le Précurseur de la Prospérité.

Avec McKinley, le processus législatif aura été entièrement respecté – et pas le moindre décret-loi présidentiel, façon Donald Trump.

Laurence Aubron : Quand même, Quentin Dickinson, votre McKinley aura déclenché une guerre contre l’Espagne…

Quentin Dickinson : Je n’en disconviens pas, mais il a été piégé par la divulgation d’un courrier personnel de l’Ambassadeur d’Espagne à Washington, qui le décrivait comme « faible, indécis, et imbu de sa personne » – alors que McKinley s’était toujours montré réticent à impliquer les États-Unis dans les luttes d’indépendance des Cubains contre leur colonisateur espagnol.

Dans un discours, lui qui avait combattu lors de la Guerre de Sécession, rappela que « L’on ne doit pas s’engager dans une guerre avant que tous les moyens de préserver la paix se soient révélés infructueux ».

Le croiseur cuirassé USS Maine (1er janvier 1897) - Photo Library of Congress.
Le croiseur-cuirassé USS Maine (1er janvier 1897) — Photo Library of Congress

Mais la presse populaire était outrancièrement va-t’en guerre, et le naufrage du croiseur américain Maine [1] en rade de La Havane, victime d’une explosion à son bord (dont on sait aujourd’hui qu’elle fut accidentelle), fit le reste. Pourtant chef de la diplomatie états-unienne, le Secrétaire d’État se réjouissait ouvertement d’appeler à ce qu’il appelait une merveilleuse petite guerre.[2]

Épave du croiseur Maine -- Photo US National Archives and Records Administration.
Épave du croiseur-cuirassé USS Maine — Photo US National Archives and Records Administration

Les hostilités furent donc déclenchées ; elles allaient durer trois mois, et elles se soldèrent par la déroute espagnole, et la création de l’empire américain par l’annexion des possessions espagnoles des Philippines, de Porto-Rico, et de Guam.

Toutefois, McKinley ne devait pas cacher son malaise à l’idée d’annexer des territoires sans le consentement de leurs habitants. En 1901, le Président McKinley entreprit une tournée des États-Unis qui devait culminer à Buffalo, dans l’État de New-York, où se tenait la grande Exposition panaméricaine.

Son discours fut révélateur de son changement radical de conception en matière économique : il devait souligner la « nécessaire réciprocité du commerce entre nations ». En particulier, il prononça les mots que voici : « Nous ne devons pas nous bercer de l’illusion que nous pourrons éternellement exporter tout, et n’importer rien, ou si peu ». Dix minutes plus tard, un anarchiste d’origine polonaise l’abattait de deux coups de révolver. Il mourut de septicémie huit jours après.

Alors, il ne serait sans doute pas inutile que quelqu’un dise à Donald Trump de se trouver une autre idole historique ; aux dernières nouvelles, Genghis-Khan, Caligula, ou Néron pourraient faire l’affaire.

Quentin Dickinson

[1] La destruction de l’USS Maine. « La guerre hispano-américaine (du 21 avril au 13 août 1898) a marqué un tournant dans l’histoire des États-Unis, signalant l’émergence du pays comme puissance mondiale. » L’analyse de Jaime de Ojeda apporte un éclairage espagnol sur cette guerre au cours de la quelle la moitié de sa flotte sera coulée dans le port de La Havane. L’autre moitié sera détruite peu de temps après aux Philippines !  En quelques mois, l’empire espagnol aura disparu. Voir « A splendid little war » [2]. Fin 1899, 163 corps de marins ont été retirés du croiseur à demi submergé pour être transférés au cimetière national d’Arlington où ils seront mis en terre après des obsèques nationales le 28 décembre 1899. Le mât du navire a également été ramené pour leur servir de monument. Le navire sera coulé le 16 mars 1912 au large de Cuba.

[2] La guerre avec l’Espagne : « A splendid little war » … Cette « splendide petite guerre » ne devait durer que trois mois selon l’Amiral Alfred T. Mahan [3] qui ne se trompera que d’un mois … Les hostilités commenceront le 21 Avril et s’achèveront le 13 Août 1898. Voir également: « War Plans and Preparations and Their Impact on U.S. Naval Operations in the Spanish-American War » by Mark L. Hayes, Early History Branch, Naval Historical Center. Paper presented at Congreso Internacional Ejército y Armada en El 98: Cuba, Puerto Rico y Filipinas on 23 March 1998. Voir « Midway (2) : Retour sur le passé: effet mémoire » de l’amiral Guy Labouérie — (2005-10-07) —

[3] « Alfred Mahan et les partisans d’une marine puissante se prononcent pour le maintien des îles sous autorité américaine comme ports charbonniers sur la route maritime des marchés d’Asie. À ce stade, les États-Unis sont psychologiquement mûrs pour concevoir un empire.» Sur le rôle de l’amiral Mahan, voir « Midway (2) : Retour sur le passé: effet mémoire » de l’amiral Guy Labouérie — (2005-10-07) — et « L’amiral Alfred Thayer Mahan, le Clausewitz américain »de l’amiral Christian Girard — (2025-04-16) —