Françoise Parly : « La guerre est de retour en Europe »

« La force de la cité ne réside ni dans ses remparts, ni dans ses vaisseaux, mais dans le caractère de ses citoyens » (Thucydide). L’annexion de la Crimée en 2014 n’était finalement que le premier chapitre d’un projet de bien plus grande ampleur dont nous voyons aujourd’hui le deuxième chapitre se réaliser, sans pouvoir affirmer qu’il sera le dernier.

Discours de Madame Françoise Parly, ministre des Armées à l’École Polytechnique – 17 mars 2022 – (Seul le prononcé fait foi).

Monsieur le préfet, Monsieur le président de l’École polytechnique,

Messieurs les officiers généraux, Messieurs les présidents et directeurs généraux,

Mesdames et messieurs, Chers élèves,

Je suis très heureuse d’être ici ce matin et de pouvoir prendre le temps de ce dialogue avec vous, au moment où, vous le savez, la situation internationale ne nous laisse aucun répit.

En échangeant avec vous ce matin, je sais que je m’adresse à celles et ceux qui, demain, seront amenés à prendre des décisions qui auront des conséquences sur nos vies. Vous ne serez peut-être pas tous dans cette position de « décideur » ou de leader, mais ce qui est certain, c’est que vous aurez tous la responsabilité ou en tous cas, la possibilité d’avoir un impact sur votre environnement et de vous engager pour défendre les causes et les valeurs qui vous tiennent à cœur. C’est grâce à vous que nous pourrons faire face aux défis et aux crises de demain.

Il me semble donc important de prendre un peu de temps en introduction pour vous dépeindre la situation dans laquelle notre pays et l’Europe se trouvent aujourd’hui.

Aujourd’hui, cela fait exactement 22 jours que la Russie est entrée en guerre contre l’Ukraine. Cela fait 3 semaines que les Ukrainiens vivent dans l’horreur et se battent pour leur survie, à cause du choix d’un homme : Vladimir Poutine.

Il a fait le choix de la guerre. Une guerre qui vise aussi les civils, qui bombarde les hôpitaux, une guerre pour contraindre un peuple souverain, le peuple ukrainien, qui n’aspire à rien d’autre que la paix en Europe. Le comble, c’est la rhétorique qui a été employée pour justifier cette invasion : « la démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine. »

Ce que nous avons tous vécu le 24 février 2022, est aussi brutal et aussi marquant qu’un 11 septembre 2001. Alors je sais que vous êtes très jeunes, mais il y en a peut-être dans cette salle qui ont un souvenir direct ou indirect de ce jour.

« La guerre est de retour en Europe » : voilà la phrase qui a été sur toutes les lèvres. La guerre est de retour dans son expression la plus conventionnelle, telle que nous l’avons étudiée dans les livres d’histoire :  un  pays  dont  le  gouvernement  a  décidé  d’étendre  sa puissance et sa domination territoriale en envahissant le pays voisin.

La réalité, c’est que Moscou a préparé son offensive pendant des mois, en massant des troupes aux frontières de l’Ukraine pour de prétendus « exercices militaires ». Les militaires russes eux-mêmes ne savaient pas dans quoi ils s’engageaient. Mais plus haut, le plan et les intentions étaient claires.

L’annexion de la Crimée en 2014 n’était finalement que le premier chapitre d’un projet de bien plus grande ampleur dont nous voyons aujourd’hui le deuxième chapitre se réaliser, sans pouvoir affirmer qu’il sera le dernier.

Nous avons donné une chance au dialogue avec la Russie. A vrai dire, nous n’avions guère le choix, car on ne change pas la géographie et la Russie est et sera notre voisin pour longtemps. C’est pourquoi en 2019, le Président de la République a tenté d’initier un agenda de sécurité et de confiance avec la Russie.

Pendant trois ans, nous avons parlé régulièrement aux Russes, je me suis moi-même rendue avec Jean-Yves Le Drian à Moscou et nous avons échangé l’automne dernier encore, à Paris, avec nos homologues. Nous avons engagé des discussions franches, très franches, sans aucune naïveté. Et le fait est que nous croyons toujours au dialogue. Le Président de la République, vous le savez, parle très régulièrement au Président Poutine. Il faut maintenir ce lien. Nous n’avons pas le choix. C’est le seul moyen d’obtenir un cessez-le-feu puis une paix juste en Ukraine. C’est le seul moyen de créer les conditions, à terme, d’un retour à la stabilité stratégique en Europe.

Certains commentateurs essaient d’anticiper la suite, en s’inspirant de la stratégie militaire que la Russie a déployée en Syrie, en soutien du régime de Bachar Al-Assad. A ce stade, il y a effectivement un certain nombre  de  similitudes :  une  attaque  préparée  en  secret,  l’objectif prioritaire de contrôler les grandes villes, le fait de cibler massivement les civils pour faire plier la population. Mais je ne me risquerai pas à faire de la guerre-fiction. Je vais plutôt vous parler de tout ce que nous faisons depuis 3 semaines pour obtenir la fin des combats.

Car c’est aujourd’hui notre priorité à tous, je l’ai dit : obtenir un cessez-le-feu.

Cette guerre est un moment historique pour l’Europe, à la fois par sa gravité et par ce qu’elle révèle de la capacité réelle, aujourd’hui, de mobilisation et d’unité des pays membres de l’Union européenne. Cette capacité de mobilisation a été remarquable : jamais dans toute l’histoire de l’Union européenne, des mesures aussi fortes n’ont été prises avec autant de rapidité. Les sanctions économiques qui ont été adoptées sont très lourdes et elles ont un objectif : renchérir le coût de la guerre pour la Russie. Rendre le choix de la guerre insupportable et insoutenable pour Vladimir Poutine.

Ce qui est malheureux, très malheureux, c’est que c’est avant tout la population russe qui va souffrir de ces sanctions, alors que ce n’est pas sa guerre. Cette guerre n’est pas celle des Russes, c’est celle d’un Russe, Vladimir Poutine, et des élites et des oligarques qui sont ses complices.

Ce que cette guerre révèle aussi, c’est l’efficacité du travail que nous avons conduit en Europe depuis cinq ans, notamment dans le champ de l’Europe de la défense. Je voudrais prendre ici un exemple : si l’Union européenne peut livrer des armes à l’Ukraine, c’est grâce à la Facilité européenne de paix que nous avons créée il y a tout juste un an, et qui est ainsi employée pour la première fois.

Pour résumer, dans cette guerre où l’Ukraine se bat pour sa liberté, l’Europe se mobilise de quatre façons différentes :

  • D’abord, en livrant des armes à l’Ukraine ;
  • En rendant le coût de la guerre insupportable pour la Russie ;
  • En maintenant le canal de discussions ouvert avec Moscou et en œuvrant au maximum à la tenue de vraies négociations entre l’Ukraine et la Russie ;
  • Et enfin, en se préparant à accueillir les millions d’Ukrainiens, aujourd’hui plus de 3 millions, qui fuient un pays à feu et à sang.

Ni la France, ni l’Europe, ni l’OTAN ne sont en guerre contre la Russie. Mais nous sommes tous déterminés à la faire cesser.

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L’objectif de la mission AIGLE st de rassurer les pays alliés riverains du conflit en y déployant une capacité de réponse en cas d’offensive russe (EMA) [1]

Et par ailleurs, nous renforçons d’ores et déjà notre défense. Dans le cadre des missions de réassurance de l’OTAN, la France a envoyé plus de 500 militaires en Roumanie, ainsi que 200 militaires supplémentaires en Estonie.

Tous les jours, quatre Mirage 2000 patrouillent dans l’espace aérien des pays baltes, des Rafale de l’armée de l’air et de l’espace, et des Rafale de la Marine nationale patrouillent dans le ciel polonais et dans le ciel roumain. Ce que nous voulons, c’est montrer à la Russie que nous sommes là. Et que nous serions prêts à nous défendre si la situation l’exigeait.

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Les Forces aériennes en première place – Source & Photo © Armée de l’Air et de l’Espace [2]

J’aimerais insister devant vous, sur le courage et la résistance incroyable dont les Ukrainiens font preuve. J’ai eu l’occasion de le dire à mon homologue ukrainien mardi, en visioconférence. On ne peut être qu’impressionné par cette résistance qui a déjoué tous les pronostics des observateurs. Et la Russie elle-même ne s’y attendait sans doute pas.

Vladimir Poutine aurait d’ailleurs demandé il y a quelques jours une aide militaire à la Chine. Nous n’avons pas d’information particulière à ce sujet, mais il y a eu récemment un petit séisme au Conseil de sécurité des Nations Unies : car la Chine s’est abstenue lors du vote de la résolution condamnant l’invasion en Ukraine.

Que la Chine fasse le choix de ne pas apporter explicitement son soutien à la Russie était complètement inédit. Ce résultat diplomatique est certes fragile et nous travaillons à le consolider.

Il ne faut pas se mettre d’œillères, comme l’a dit le Président de la République, cette guerre, elle aura aussi des conséquences durables pour nous.

Car avec cette guerre, l’Europe prend conscience de ses dépendances stratégiques :

  • Dans le domaine énergétique, avec sa dépendance au gaz russe.
  • Dans le domaine de l’espace, avec Soyouz, autrefois symbole de la coopération entre l’UE et la Russie, que nous ne pourrons plus utiliser pour lancer nos satellites, ceux de Galileo par exemple, ou avec l’impossibilité de recourir au lanceur Vega de s’approvisionner en moteurs de fusée, le site de production ukrainien ayant été bombardé.
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Antonov-124 : fuselage incliné, roues avant rentrées et rampe avant abaissée – Photo © Mike Young
  • Dans le domaine du transport stratégique, avec l’impossibilité à  moyen terme d’utiliser les  célèbres avions Antonov,[1] de conception ukrainienne, pour transporter nos matériels les plus volumineux, car la maintenance de ces avions était assurée en Ukraine. Pour le moment, nous les utilisons toujours, sans encombre, notamment pour désengager nos opérations de Barkhane au Mali.
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Premiers éléments français envoyés en Roumanie avec un Antonov 124 ukrainien – Photo © EMA

Nous devons aujourd’hui nous mettre en ordre de bataille pour ne plus dépendre de la Russie et renforcer notre souveraineté européenne. Voilà ce que je souhaitais vous dire sur ce sujet, c’était un peu long, mais je crois c’était important. Si nous avions eu plus de temps, j’aurais aimé vous parler davantage des autres crises que nous avons vécues, que vous avez vécues aussi, notamment de la crise sanitaire qui a beaucoup mobilisé le ministère des armées et la direction générale de l’armement pour assurer l’approvisionnement de notre pays en vaccins par exemple.

Chaque crise que nous vivons depuis trois ans mobilise à chaque fois les forces vives de la nation, et peut-être tout particulièrement, vous, les ingénieurs. Nous aurons donc besoin de vous.

La France a besoin de ses ingénieurs pour faire face aux grands défis du XXIe siècle. Nous avons besoin d’ingénieurs de haut vol. Nous avons besoin de vous.

La société a un intérêt évident à ce que des jeunes scientifiques de talent comme vous, soient animés par le sens de l’intérêt général et du bien commun. Elle a un intérêt évident, mais je prêche évidemment pour ma paroisse, à ce que vous vous intéressiez aux questions de défense.

L’enchaînement des crises dont je vous parlais est venu confirmer une analyse qui a été formulée dès 2017 dans la Revue stratégique, c’est un document qui faisait l’état des lieux des menaces qui pèsent sur notre sécurité – en synthèse, ce que ce travail soulignait, c’est que le monde devient de plus en plus dangereux. Nous devons nous préparer à des conflits qui se déroulent sur terre, sur la mer, dans les airs, mais aussi dans l’espace, dans le cyber espace, dans les fonds marins et dans le champ informationnel.

C’est pourquoi en 2017, le Président de la République a pris la décision d’amplifier fortement notre effort de défense avec la loi de programmation militaire 2019-2025. Aujourd’hui, le ministère des Armées bénéficie d’un budget de 41 milliards, contre 32, seulement, en 2017.

Cela permet au ministère des Armées d’être aujourd’hui le 1er investisseur de l’Etat : chaque année, nous investissons 20 milliards d’euros par an pour la conception, la réalisation et l’entretien de nos équipements de défense.

En un mot, les plus grands projets de l’État se trouvent chez nous, au ministère des Armées. Quelques exemples, non exhaustifs :

  • Nous avons lancé la conception du sous-marin nucléaire lanceurs d’engins de 3e génération, avec plus d’1 million de composants, ce qui en fait l’objet le plus complexe au monde.
  • Nous avons aussi lancé le programme du porte-avions de nouvelle génération qui sera à propulsion nucléaire : concevoir ce porte-avions, c’est concevoir un bâtiment qui abrite à la fois une ville de 2000 habitants, un aéroport, un hôpital, une centrale nucléaire, et qui soit suffisamment stable en haute mer pour que les avions de combat puissent décoller et apponter.
  • Il y a aussi le SCAF, l’avion de combat du futur et son système de drones qui posent des défis dans le champ du combat connecté, ainsi que de l’intelligence artificielle. C’est un programme porté en coopération avec l’Allemagne et l’Espagne
  • Il y a encore tout le renouvellement de nos capacités spatiales, les nanosatellites, les lasers de puissance, les micro-lanceurs et tous les enjeux d’intelligence artificielle et de cyber qui y sont associés. Pour prendre un exemple en matière d’intelligence artificielle : nous prenons 160 000 images satellites par an. Il faut pouvoir les exploiter, les lire, en tirer des analyses, ce que nous ne pourrions faire efficacement sans intelligence artificielle.

Nous avons besoin de vous pour rester à la pointe de l’innovation

Ce sont des champs dans lesquels, j’espère, vous aurez envie de déployer vos talents. Évidemment, je ne peux que vous y inviter. Au- delà de ces quelques exemples, nous avons aussi de grands projets dans des domaines de sciences très avancées, je pense par exemple au quantique. J’ai créé en 2018 l’Agence de l’innovation de défense qui est aujourd’hui dotée d’1 milliard d’euros pour innover et intégrer les technologies les plus avancées dans nos systèmes d’armes.

Ce sont souvent des projets qui rejoignent des travaux auxquels vous pouvez prendre part dans vos laboratoires académiques, et je tiens d’ailleurs à saluer le corps professoral de l’X, dont l’immense qualité fait notre fierté, et dont vous devez, chers élèves, pleinement profiter.

Rendez-vous compte de l’excellence académique et de la richesse intellectuelle qui vous est proposée, ici, à l’X. Là aussi, je voudrais partager deux exemples pour illustrer l’imbrication entre les recherches de l’X et les enjeux de défense:

  • Nous  travaillons  actuellement  à  fabriquer  des  revêtements innovants pour les verrières des pilotes de chasse ou bien pour les jumelles de vision nocturne, tout l’enjeu, c’est de développer une technologie déperlante qui empêchent l’eau d’embuer ces surfaces. Ce sont des travaux qui ont cours dans votre laboratoire de mécanique des fluides.
  • Nous  travaillons  aussi  à  instrumenter les  combinaisons des pilotes de chasse pour suivre leur évolution physiologique, prévenir les malaises et mieux comprendre la mécanique du vol.

Pour continuer à défendre notre pays, pour assurer sa souveraineté et protéger aux Français, le ministère des Armées a donc tout particulièrement besoin d’ingénieurs au meilleur niveau. Nous avons besoin de vous pour rester à la pointe de l’innovation. Nous vivons, en effet, un moment unique où les défis technologiques sont exceptionnels par leur complexité, et où paradoxalement la ressource en ingénieurs n’a jamais été aussi rare pour les relever.

Je vous parle du ministère des Armées, mais cela concerne naturellement, aussi, l’industrie de défense. Celle-ci doit continuer de faire émerger les innovations et de les intégrer aux systèmes d’armes qui équiperont nos forces.

Alors au point où j’en suis dans mon propos, je ne voudrais pas que vous ayez l’impression que le secteur de la défense regorge de projets d’innovation et de conception des systèmes d’armes sans aucune préoccupation éthique. Cela me semble essentiel à souligner. Nous avons créé en 2020 le premier comité d’éthique de la défense. Cela peut paraître banal comme ça, mais sachez qu’en dehors de la France, aucun ministère de la défense au monde ne dispose de comité d’éthique. La création de ce comité répondait, à mes yeux, à deux questions simples : quel monde voulons pour demain ? Quelle éthique aujourd’hui pour quelles armées demain ?

Nous le voyons aujourd’hui : l’asymétrie dans les conflits soulève de très nombreuses questions éthiques. Nos compétiteurs, pour ne pas dire nos adversaires, se permettent des choses que nous ne ferons jamais. Dans un monde où les nouvelles technologies permettent de repousser toutes les limites connues, il me semblait essentiel de pouvoir disposer d’un comité de réflexion permanente sur toutes les questions éthiques posées par les ruptures technologiques.

Le premier avis rendu par le comité a d’ailleurs porté sur le soldat augmenté en répondant à une question : jusqu’où serions-nous prêts à augmenter les capacités perceptives ou physiologiques d’un militaire en opération sur un théâtre de guerre ?

D’une certaine façon, le soldat augmenté existe depuis longtemps : je prends un exemple simple, un militaire muni de jumelles de vision nocturne est un soldat augmenté. Mais aujourd’hui, ces augmentations deviennent aujourd’hui de plus en plus sophistiquées et ne se limitent plus à l’équipement : car désormais c’est la barrière corporelle de l’homme ou de la femme, qui pourrait être franchie pour accroître ses capacités physiques, cognitives ou psychologiques. C’est ce qu’on appelle des augmentations « invasives ».

Aujourd’hui, au-delà de la caféine que prennent régulièrement nos aviateurs, ou de la vaccination, les augmentations invasives n’existent pas dans nos armées. Mais, dans le monde civil, beaucoup y travaillent. Une startup américaine fondée par un entrepreneur de la Silicon Valley, très connu, caresse le rêve d’augmenter les capacités cognitives de l’homme grâce à de minuscules électrodes implantées dans le cerveau. Certaines évolutions existent déjà, comme par exemple des opérations des yeux pour accroître l’acuité visuelle et donc, s’affranchir de jumelles de jour. Ces évolutions dites « invasives » ne sont pas à l’agenda de nos armées. Nous ne franchirons jamais la barrière corporelle, pour plusieurs raisons la plus évidente étant l’irréversibilité de ce type d’augmentation. Car un soldat n’est pas soldat toute sa vie. Et il faut aussi anticiper son retour à la vie civile.

Ces travaux du comité d’éthique nous permettent de tracer un certain nombre de lignes rouges et de nous guider dans la conception, le développement et l’utilisation de nos systèmes d’armes. Et ça me semblait essentiel de vous expliquer comment sont guidés nos programmes d’armement.

Cela me semble aussi essentiel d’évoquer, ce qu’on pourrait appeler,  le  « sujet  du  siècle »,  c’est  à  dire  le  réchauffement climatique et la transition énergétique.

Alors, c’est certain, le ministère des Armées n’est pas le moindre pollueur de l’Etat… Le Rafale à l’hydrogène, ce n’est pas pour tout de suite et je sais que beaucoup pensent que la « défense durable » est encore un oxymore. Mais nous avons engagé une dynamique ces dernières années, pour passer, si vous me permettez cette métaphore, « du kaki au vert ».

Nous avons supprimé les chaudières au fioul – vous me direz qu’il était temps – nous utilisons notre domaine foncier pour fabriquer de l’énergie solaire, nous avons lancé le développement de blindés hybrides, de biojet pour nos avions et de drones à hydrogènes. Nous cherchons aussi à diversifier nos sources d’énergie en nous tournant aussi vers des énergies décarbonées, ce qui nous permettra d’être moins dépendant des pays exportateurs d’énergies fossiles, confer supra.

Ce sont des mesures qui sont non seulement meilleures pour la préservation de notre planète et l’atteinte des objectifs de neutralité carbone, mais ce sont aussi des mesures qui nous permettront d’accroître notre efficacité opérationnelle et notre souveraineté.

Le ministère des Armées est un acteur engagé de la transition énergétique. Et encore une fois, nous avons besoin d’ingénieurs brillants pour relever ce défi.

Je pense très sincèrement que la défense est un champ d’expression magnifique pour des personnalités et des esprits comme les vôtres. Alors, au moment de votre sortie de cette belle école, pensez, si ce n’est déjà fait, au corps des ingénieurs de l’armement. Tout particulièrement si vous êtes intéressés par les questions de cyberdéfense, d’intelligence artificielle, de quantique, mais aussi du cœur de tous nos systèmes, la mécanique, les matériaux, l’électronique, considérez-le. C’est une pépite pour notre ministère, la direction générale de l’armement a besoin d’ingénieurs avec une forte culture scientifique capable de conduire de très grands programmes, des programmes d’armement. Peut-être le saviez-vous déjà, mais DGA est d’ailleurs le premier employeur d’X en France, ce n’est pas par hasard…

Nos programmes d’armement sont des succès en France mais aussi à l’international. Au cours de ces cinq dernières années, l’excellence française dans l’armement s’est exportée dans le monde entier, et nous a permis de renforcer nos relations stratégiques avec des pays clés pour notre sécurité, tout en garantissant le développement de notre industrie.

Entre 2017 et 2022, nous aurons exporté, en prise de commandes, des matériels pour plus de 65 milliards d’euros.

De 2017 à 2022, nous avons par exemple exporté 200 Rafale, dont pour la première fois dans deux pays de l’Union européenne, la Grèce et la Croatie. Ces succès sont le reflet de tous les talents qui y contribuent.

Et bien je vous demande aussi, de considérer également les carrières d’officiers dans nos armées. L’armée française jouit d’une remarquable image parmi les Français, nous nous illustrons sur beaucoup de théâtres d’opérations, et les Français savent ce qu’ils doivent à leurs militaires, pour leur sécurité. Les polytechniciens sont donc plus que les bienvenus dans ces métiers, ils sont recherchés et appréciés. En ce moment même, une de vos brillantes camarades commande en ce moment même une frégate de premier rang, à Toulon. Cet exemple que je cite doit aussi vous guider.

***

Mesdames et messieurs, chers élèves,

L’Ecole  Polytechnique  est  le  creuset  de  l’excellence  scientifique française.

Le ministère des Armées prend toute sa part pour préparer les futures générations d’ingénieurs. Avec la création de l’Institut polytechnique de Paris, nous avons voulu augmenter la masse critique et donner naissance à un ensemble scientifique qui dispose d’une  force  de  frappe  de  premier  plan :  30  laboratoires,  2500 publications par an, 900 enseignants-chercheurs, plus de 1000 doctorants et une synergie sans cesse recherchée avec les entreprises. Cet écosystème, il est essentiel pour donner à notre pays des ingénieurs de haut vol. Et je suis satisfaite de constater aujourd’hui que l’IP Paris s’édifie étage après étage.

Je suis aussi heureuse de voir le fruit des investissements que nous avons faits. Nous avons en effet consacré près de 500 millions d’euros à l’École Polytechnique sur la période 2017-2021. Et après moult échanges avec votre direction, le président et le directeur général, c’est près de 600 millions d’euros qui devraient être investis sur la prochaine période. Mais cet investissement est consenti parce que nous savons tout ce vous pouvez apporter à votre pays en retour. Être l’élite de la France, ce n’est pas un gros mot. La France a besoin de ses élites. Il ne s’agit pas forcément d’en tirer de la fierté, mais il s’agit d’en tirer avant tout de l’honneur. Soyez honorés de pouvoir être utile à votre pays.

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Rafale et MRTT en vol au dessus de la Pologne – Photo © Armée de l’Air et de l’Espace

La France a deux choix : agir ou subir

Pour ma part, je suis aussi très attachée à ce que l’École puise cette excellence dans toute la diversité de la société. Je sais que certains d’entre vous sont engagés dans des dispositifs comme les cordées de la réussite pour aller détecter les potentiels et les talents, et encourager les jeunes de tous horizons à considérer la voie scientifique et la voie des grandes écoles. Je ne peux que vous encourager et j’espère vivement que l’Ecole polytechnique continuera de recruter des élèves de tous horizons, car, aujourd’hui il faut bien le dire, les résultats ne sont pas encore au rendez-vous.

Je  formule  le  même  souhait  pour  la  mixité :  la  France  a  besoin d’ingénieurs et il y a encore trop peu de femmes qui s’engagent dans des filières scientifiques. Il faut les encourager, il faut lever l’autocensure qui existe encore beaucoup trop chez les jeunes femmes et les jeunes filles.

Comme je vous le disais, nous sommes à un tournant de notre histoire scientifique : beaucoup de nouvelles technologies émergent, ce sont autant d’opportunités de repenser profondément notre société et notre rapport au monde. Et les femmes ne doivent pas, ne peuvent pas être absentes de ces débats qui sont structurants pour l’avenir. Au contraire, elles doivent y prendre part avec force et saisir ces opportunités pour faire progresser nos sociétés vers plus d’égalité et d’inclusion. Pour être utile à notre pays.

Pour terminer, j’aimerais lever une ambiguïté : être utile à votre pays, cela ne veut pas forcément dire entrer dans la fonction publique, d’ailleurs, vous n’entrerez pas tous dans la fonction publique. Alors soyez convaincus que vous serez aussi très utiles à votre pays dans des entreprises qui, par exemple, contribuent à renforcer la souveraineté européenne ou à améliorer les services publics. Car il existe mille façons de s’engager.

Dans ce monde dont je vous parlais, ce monde en perpétuel changement, la France a deux choix : agir ou subir. Et subir, ce n’est pas vraiment dans notre tempérament.

Alors je vous appelle à agir, tous, et toujours. La défense de notre pays, la France, n’est pas seulement faite d’armes. La réussite d’un pays se construit sur ses esprits, sur sa créativité et sur sa cohésion. C’est parce que notre pays disposera des ingénieurs les plus talentueux, des entrepreneurs les plus dynamiques, des initiatives les plus ambitieuses, des idées les plus novatrices que nous réussirons.

Alors, engagez-vous toujours. Acceptez de vous donner à une cause plus grande, plus forte. Et n’oubliez jamais cette phrase de Thucydide, qui fait terriblement écho au courage du peuple ukrainien aujourd’hui, je cite : « La force de la cité ne réside ni dans ses remparts, ni dans ses vaisseaux, mais dans le caractère de ses citoyens. »

Alors, engagez-vous toujours.

Pour la Patrie, les Sciences, la Gloire. Vive la République, Vive la France !

(Source : DiCoD)

[1] Le Spearhead Batallion – bataillon d’alerte de la force de réaction rapide de l’OTAN – s’est déployé sur la base Mihail Kogalniceanu (MK), à proximité de Constanta au bord de la Mer Noire, à une centaine de kilomètres au sud de la frontière ukrainienne, dans le cadre du déploiement de la Nato Response Force (NRF).

Depuis le 8 mars, le bataillon compte environ 800 militaires dont 300 militaires Belges. L’objectif est de rapidement intégrer ce contingent afin de garantir une coordination parfaite des composantes du bataillon. Source : Armée de l’Air & de l’Espace.

[2] Les Rafale de la 30e escadre de chasse qui ont été les premiers à renforcer l’OTAN dans son dispositif de protection du flanc est de l’Europe. Appuyées par les avions ravitailleurs A330 Phénix et C-135 de la 31e escadre aérienne de ravitaillement et de transport stratégiques (EARTS), deux patrouilles de deux Rafale décollent quotidiennement de la base aérienne (BA) 118 de Mont-de-Marsan pour surveiller la frontière polonaise et ainsi empêcher toute intrusion d’avions hostiles. Source : Armée de l’Air & de l’Espace.

Voir également : Adresse du chef d’état-major des armées (CEMA), le général d’armée Thierry Burkhard, à l’École militaire en ouverture de la vingtième édition du Séminaire interarmées des grandes écoles militaires (SIGEM) – (14-03-2022)