« Trois pays résistent en Europe : la Grèce, la Yougoslavie et la Haute-Savoie » (Maurice Schumann à la BBC). La Haute-Savoie est le seul département français à s’être « libéré » de l’envahisseur nazi sans l’aide d’une armée française ou étrangère. Heureusement, « l’esprit des Glières » continue d’animer des hommes d’exception pour le plus grand bonheur de l’AASSDN…
Chaque année, l’Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale, l’AASSDN, organise son congrès dans une ville de France. Une occasion pour les « anciens » de se retrouver avec des gens d’active appartenant à des unités militaires d’élite, spécialisées dans le Renseignement ou intégrées dans les forces spéciales air, terre ou mer.
La Deuxième Guerre Mondiale a montré à quel point le Renseignement avait pu jouer un rôle déterminant dans la conduite des opérations. Nombreux sont ceux qui ont payé de leur vie leur volonté de servir, prenant des risques considérables parfois, pour eux-mêmes et pour leur famille. Des traditions et un exemple repris aujourd’hui dans les opérations extérieures que nous menons de concert dans des régions en guerre, aux côtés de nos partenaires américain, européens, mais aussi africains et arabes.
Cette année, l’ASSDN avait choisi d’honorer la mémoire de ceux qui étaient tombés dans le massif des Glières, face à l’occupant nazi. Au-delà d’un fait d’armes devenu légendaire, ce fut l’occasion de rappeler un fait peu connu: la Haute-Savoie est le seul département français à s’être libéré de l’envahisseur nazi sans l’aide d’une armée venue d’Angeleterre ou d’Afrique, française ou étrangère.
Grâce à l’action conjuguée de militants catholiques derrière un homme, François de Menthon, et de militaires conduits par Jean Vallette d’Osia, un officier qui fera, en France occupée, du 27e Bataillon de Chasseurs alpins d’Annecy la colonne vertébrale de la Résistance régionale, dont le sacrifice des hommes et des femmes, le courage feront le succès des armes et resteront gravés à jamais dans les mémoires
Le général De Gaulle de Londres et Nicolas Sarkozy, élu président, leur ont rendu un hommage appuyé.
Le GA Jean-René Bachelet s’est lancé dans une nouvelle bataille, celle de la mémoire
Aujourd’hui, il faut transmettre aux jeunes générations cet exemple. C’est ce à quoi s’est attelé un grand soldat, le général d’armée Jean-René Bachelet. Fils d’un résistant exécuté par les nazis, pupille de la Nation, il deviendra enfant de troupe avant de servir dans le 27e BCA et de finir sa carrière comme Inspecteur général des armées. Comme commandant du secteur de Sarajevo, il n’avait pas hésité à dire tout haut certaines vérités à la tête de la FORPRONU en 1995. Son autorité morale et sa rigueur en feront un chef exemplaire, qui, de retour à Paris, mènera une réflexion de fonds sur « les fondements du métier militaire en termes d’éthique et de comportement » avant d’écrire un « code du soldat » dotant ainsi notre armée de Terre d’un cadre de référence en la matière. « Ses pensées sur la planète » valent le très beau détour qu’a effectué Pierre Bayle.
Auteur de plusieurs ouvrages, dont « l’Esprit des Glières, Actualité d’un héritage » dans lequel on découvre tous ces jeunes de 20 ans encadrés par une poignée de quadras militaires de formation, de ces compagnons d’armes étrangers (un Allemand, Hugo Schmidt, est même enterré à côté d’un maquisard juif à Morette, unis contre la barbarie nazie). Heureusement, beaucoup d’autres survivront.
La dernière bataille du général Bachelet : « Promouvoir l’esprit des Glières »
Depuis son adieu aux armes, le général d’armée Jean-René Bachelet s’est lancé dans une nouvelle bataille, celle d’honorer et de transmettre la mémoire collective d’une région qui a su être un modèle dans l’adversité, ou tous, chrétiens, gaullistes et communistes se sont battus ensemble pour libérer notre pays du joug nazi, aidés en cela par de nombreux réfractaires au S.T.O. de sinistre mémoire, mais aussi par 56 Républicains espagnols ─ qui avaient formé les sections EBRO et Renfort EBRO ─ et combien d’autres étrangers !
« Le 30 janvier 1944, Tom Morel a été désigné comme chef de tous les maquis de Haute-Savoie. Lorsqu’il lui a fallu trouver 120 volontaires pour réceptionner et sécuriser le grand parachutage d’armes et de munitions envoyé par Londres pour armer les maquisards et libérer la Savoie », il a bien sûr recherché, en priorité, des hommes qui avaient le « profil », autrement dit, des militaires, « des hommes aguerris »… Ce n’est donc pas dans le vivier des jeunes réfractaires au STO qu’il a été les puiser, malgré leur courage. La plupart n’avait même pas effectué de service militaire… Il leur a préféré des anciens cadres, officiers et sous-officiers du 27e BCA et d’anciens militaires. Tom Morel a aussi compris que le succès de cette opération reposait sur les maquisards espagnols de Haute-Savoie qui avaient combattu en Espagne contre Franco. Il savait qu’il pouvait compter sur leur loyauté. « C’est ainsi que sur 120 personnes qui ont été sélectionnées pour réceptionner ce parachutage, il y a eu 56 Espagnols » comme le rappelle le président de l’amicale de la Résistance espagnole en Haute-Savoie, Miguel Vera, fils du commandant Miguel Vera et compagnon d’armes de Tom Morel.
Cette photo qui illustre la première page du site web de l’Amicale de la Résistance espagnole en Haute-Savoie a été prise le jour de la prise du commandement du Capitaine Anjot. On y voit les Résistants espagnols aux côtés des Résistants français présentant les armes, chacun à la manière de son pays.
A la nécropole de Morette sont enterrés tous ceux qui ont été fusillés par les Allemands sur les 467 maquisards qui ont tenu tête à une division alpine allemande composée de trois bataillons de chasseurs de montagne et à 700 miliciens français après avoir été bombardés par la Luftwaffe.
Cette année, les congressistes de l’ASSDN ont du se contenter d’une visite à la nécropole de Morette et au 27e BCA, la route du plateau des Glières ayant été rendue impraticable par un sabotage de la route, attribué localement à « des militants écolos…»
Le GA Jean-René Bachelet avec les congressistes de l’ASSDN
Le général Bachelet, en sa qualité de président de « l’Association des Glières. Pour la mémoire de la résistance » comme il le fait inlassablement pour des groupes de jeunes, a bien voulu consacrer son temps et partager sa connaissance du sujet avec nos congressistes, réunis pour promouvoir ce devoir de mémoire aux Anciens. Il leur a même rédigé le texte qui suit pour mieux leur rappeler que cette bataille a représenté bien plus qu’un simple épisode de la 2ème Guerre Mondiale et que les valeurs de « l’esprit des Glières » étaient toujours présentes en Haute-Savoie et dans son régiment emblématique, le 27e BCA, auquel le général a appartenu, tout comme le général Pichot-Duclos dont la mémoire a également été honorée devant son épouse au quartier « Tom Morel », grande figure de la Résistance savoyarde. Assassiné par un collaborateur, son corps sera porté en terre aux côtés de ses compagnons. Le général de Gaulle lui décernera à titre posthume la croix de la Libération.
Photos du Lieutenant Tom Morel (4° Section de la 7° Cie) ─ Promotion 1941-1942 (Lyautey), instructeur à l’ESM Saint-Cyr, repliée à Aix dans les murs du Lycée militaire et à son arrivée au 27eBCA.
Citation de Tom Morel pour la croix de la Libération :
« […] Déjà fait chevalier de la Légion d’honneur à vingt-quatre ans pour avoir capturé une compagnie italienne sur le front des Alpes en juin 1940. Instructeur à Saint-Cyr en novembre 1942, a aiguillé ses élèves vers la Résistance, s’est lancé lui-même corps et âme dans la lutte contre l’envahisseur, agissant tour à tour comme camoufleur de matériel, agent de renseignements, propagandiste. Démasqué par l’ennemi, s’est jeté avec une immense foi dans le maquis savoyard. Sans armes, a attaqué en combat singulier un officier allemand qu’il a réduit à l’impuissance. Devenu chef du bataillon des Glières, a été l’âme de la Résistance du Plateau, son chef et son organisateur. Le 9 mars 1944, après avoir enlevé d’assaut le village d’Entremont, a été assassiné lâchement au cours d’une entrevue qu’il avait demandée à ses vaincus pour épargner une effusion inutile de sang français. Restera dans l’épopée de la Résistance une incarnation du patriotisme français et l’un des plus prestigieux martyrs de la Savoie […]. »
Journal Officiel du 22 novembre 1944
En son honneur, la 174e promotion de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr sera baptisée Lieutenant Tom Morel.
Joël-François Dumont.
Écusson symbolisant les Résistants du plateau des Glières
Glières, « une grande et simple histoire »
Par le général d’armée Jean-René Bachelet (2S)
En dépit de la notoriété nationale des combats des Glières, rares sont ceux qui en ont une connaissance précise, voire exacte. La confusion avec le Vercors est fréquente (dans les deux cas, il s’agit d’un plateau, situé dans les Alpes). Pour certains, là où on a pu célébrer une « épopée », les faits seraient infiniment plus modestes et leur relation relèverait de la légende.
Le général d’armée Jean-René Bachelet à la nécropole nationale de Morette
On a par ailleurs souvent retenu l’idée de « sacrifice », les uns pour le célébrer, les autres pour dénoncer là une erreur stratégique et tactique, surtout lorsque les mêmes parlent « d’anéantissement ».
En fait, selon André Malraux, Glières « est une grande et simple histoire ».
Or, cette histoire a pris dès l’époque une exceptionnelle valeur de symbole, plus que jamais actuel pour l’édification des générations nouvelles.
Elle prend racine dans une Haute-Savoie qui s’est révélée terre d’élection de la Résistance.
Genèse
Deux dates sont déterminantes :
* Le 8 novembre 1942, après le débarquement allié en Afrique du Nord, les Allemands envahissent la « zone Sud », jusque-là « non occupée », dont faisait partie la Haute-Savoie.
« L’armée d’armistice », que la France avait pu conserver avec quelques régiments et bataillons dans cette zone ─ dont le 27e BCA à Annecy ─, est dissoute. Dans un premier temps, l’Italie est puissance occupante, jusqu’à ce que les Allemands s’y substituent après la défection de celle-ci à la fin de l’été 43.
* Le 16 février l943, est instauré le Service du Travail Obligatoire (STO).Cette obligation faite aux jeunes hommes des « classes 40, 41 et 42 » de partir travailler en Allemagne provoque un afflux de « réfractaires » vers les traditionnelles zones refuges des montagnes, pour « prendre le maquis ».
« Une Résistance nourrie, active et structurée »
En Haute-Savoie, cette situation nouvelle trouve un terrain particulièrement favorable au développement d ‘une Résistance nourrie, active et structurée.
Un terreau nourricier pour les maquis
A l’automne1943, les effectifs des « maquis » ainsi constitués avec l’apport des « réfractaires » s’élèvent à environ 3000 hommes, disséminés dans les villages des hautes vallées.
La vie y est alors rude, l’agriculture ─ activité essentielle ─ est vivrière, nombre d ‘hommes sont prisonniers en Allemagne ; en bref, l’accueil des Réfractaires et des maquis est alors le fait d’une population pauvre et démunie.
Et pourtant, l’accueil de ces dissidents, de ces réprouvés, bientôt qualifiés de « terroristes » par la propagande de Vichy est marqué, de la part de ces populations, par une générosité sans pareille.
Les villageois des hautes vallées ont un sens aigu de la solidarité
Dans ces bourgs et villages de Haute-Savoie, tout particulièrement dans les vallées de Thônes, la Résistance a son terreau, qui la nourrit et la protège dans un climat d’exceptionnelle « omerta ». En témoigne tout particulièrement le maquis de Manigod, l’un des tous premiers constitués par les dirigeants locaux de l’action catholique, qui sera la « matrice » du maquis des Glières.
Les Jeunesses catholiques: un vivier pour la Résistance
La Haute-Savoie de l’époque est caractérisée par une très forte emprise de l’Église catholique. Une telle caractéristique aurait pu en faire une terre d’élection de la « Révolution Nationale » orchestrée par le régime de Vichy. En effet, très catholique et rural, ce pays aurait pu être sensible aux thèmes de « la France éternelle », « fille aînée de l’Église », et du retour à « la terre, qui ne ment pas ».
S’il n’en fut pas ainsi, on le doit très largement à un homme, François de Menthon, alias Tertius
François de Menthon est l’héritier, avec le titre de comte, d’une famille installée depuis un millénaire sur les rives du lac d’Annecy, à Menthon-Saint-Bernard.
En novembre1940, il crée, rédige et diffuse un journal clandestin intitulé « Liberté », pour éclairer ses concitoyens soumis à la seule propagande vichyssoise.
Dès novembre1940, il crée, rédige et diffuse un journal clandestin intitulé « Liberté », pour éclairer ses concitoyens soumis à la seule propagande vichyssoise.
Le mouvement qui s’esquisse fusionne en 1941 avec « Combat », d’Henri Frenay.
Sous l’influence de cette personnalité respectée, la très catholique Haute-Savoie se détache pour l’essentiel de Vichy.
Le 27 BCA: de l ‘armée d’armistice à l ‘Armée Secrète
Aux termes des conventions d’armistice, la France garde une armée, confinée en zone libre et dans ce qu’on appelle encore « l’Empire », notamment en Afrique du Nord.
Le quartier Tom Morel à Annecy où est stationné le 27e BCA
En Haute-Savoie, cette « armée d’armistice » est représentée par le 27e BCA, reconstitué à la mi-juillet 40 à Annecy, après avoir été anéanti en Picardie lors de la campagne de France. L’officier à qui en est confié le commandement, le chef de bataillon Jean Vallette d’Osia,[2] va laisser son nom dans l’histoire de la Résistance.
Sonnerie aux morts par le clairon du 27e BCA devant le monument du quartier
Fait chevalier de la Légion d’Honneur à 18 ans en 1917, il termine la Première Guerre Mondiale avec six citations dont une le qualifie de « jeune officier à la bravoure légendaire ».
Devenu un officier alpin émérite. il est de la campagne de Norvège en 1940, puis engagé face à l’offensive allemande en pleine débâcle comme chef d ‘état-major d’une division mobilisée, fait prisonnier à deux reprises, il s’évade à chaque fois pour finalement rejoindre l’état-major général replié à Clermont-Ferrand où il se voit désigné pour être chef de corps dans l’armée d’armistice.
Dépôt de gerbe par l’AASSDN devant le monument aux morts du 27e BCA
Nommé à la tête du 27e BCA, il l’oriente résolument vers la préparation de « la revanche », organise pour cela une mobilisation clandestine visant au triplement des effectifs, fait cacher des armes soustraites au contrôle de la commission d’armistice, soumet son bataillon à un entraînement intensif, galvanise les énergies.
L’officier à qui est confiée l’organisation discrète de la mobilisation est son adjoint, le capitaine Maurice Anjot.
Le GAA François Mermet ─ Savoyard ─, ancien DGSE, félicite le clairon du 27e BCA
Celui qui reçoit mission de cacher les armes est le chef de la section d’éclaireurs, qui s’était distingué en juin 1940 face aux Italiens en Haute Tarentaise, le lieutenant Théodose Morel ; il avait alors été fait chevalier de la Légion d’Honneur à 24 ans.
Le premier, devenu « Bayard » dans la clandestinité, succédera au second à la tête du bataillon des Glières dont Théodose Morel avait été le premier chef charismatique sous le pseudonyme de « Tom », tombé à Entremont le 10 mars 1944.
Tombe de Théodose Tom Morel, Mort pour la France (Abattu par le chef de la milice)
Les officiers s’appellent par ailleurs Reille, Lalande, Bastian, Jourdan, Godinot, de Griffolet, Monnet, les sous-officiers, entre autres, Louis Morel, Mégevand, Ruche, Poirson, Aragnol, Muffat, Buchet, Carqueix, Conte, Ducretet, tous noms qu’on retrouvera dans la Résistance et à Glières.
En novembre 1942, comme on l’a vu, la Wehrmacht envahit la zone sud au lendemain du débarquement allié en Afrique du Nord ; l ‘armée d’armistice est dissoute.
Vallette d’Osia prend alors la tête de l’Armée Secrète (A.S.) créée avant l’invasion de la zone sud pour regrouper les structures militaires des principaux mouvements, notamment le mouvement « Combat » d’Henri Frenay. Derrière leur chef, les cadres du 27e BCA passent pour beaucoup dans la clandestinité pour encadrer les maquis naissants.
Comment interpréter un tel comportement ?
Vallette d’Osia et ses officiers et sous-officiers auraient-ils été d’emblée des dissidents ?
Au contraire, auraient-ils, à l’automne 1942, « retourné leur veste » comme on a pu l’entendre?
Non, on a là une illustration sans pareille de la complexité de la situation d’alors et de la funeste ambiguïté de Vichy.
Jean Valette d’Osia, le plus jeune Français décoré de la Légion d’honneur à titre militaire
Lorsqu’on demandait au général Vallette d’Osia ─ il est mort en 2000 à 102 ans ─ pourquoi il avait donné à son bataillon les orientations qui vont en faire un vivier de la Résistance quand son camarade commandant le bataillon voisin à Chambéry n’en avait rien fait, il répondait : « Mon camarade n’avait pas reçu sa mission » !
Et d’expliquer que, reçu à Clermont-Ferrand au lendemain de la débâcle par Weygand, le général en chef, celui-ci l’avait dissuadé de rejoindre le général de Gaulle ─ Vallette d’Osia lui avait, ex abrupto, fait part de cette intention ─ pour lui faire valoir qu’en France on avait besoin d’officiers tels que lui pour « préparer la revanche ».
Ainsi avait-il le sentiment d’avoir « reçu sa mission » et le militaire qu’il était allait s’y engager avec détermination sans s’embarrasser d’autres considérations. On fait d’abord confiance au maréchal : il « roulera les Boches ».
On n’aura d’ailleurs pas d’état d’âme pour prononcer le serment d’allégeance qui est alors exigé des officiers comme de tous les hauts fonctionnaires.[3]
L’une des filles du légendaire colonel Paul Paillole s’entretient avec un ancien…
Pour ces militaires animés par l’amour de la patrie, la « mission » avait bien pour objectif la libération de la France asservie.
Même si la politique suivie pour cela pouvait paraître tortueuse. L’univers de la politique leur est étranger; on ne s’autorise pas à la discuter, mais on s’en tient à l’écart car elle est toujours suspecte de compromissions.[4]
Toujours est-il qu’à l’heure de vérité, le 11 novembre 1942, quand l’Occupant prend la totalité du territoire métropolitain sous son contrôle ainsi donc que le gouvernement de « l’État Français »,[5] il n’y a pour Vallette d’Osia et pour ses cadres pas l’ombre d’une ambiguïté :
« il faut reprendre la lutte ».
Vallette d’Osia devient le chef de l’Armée Secrète. Ses officiers et sous-officiers, sous diverses couvertures, prennent la tête de maquis et de secteurs territoriaux.
Les Francs-Tireurs et Partisans
Dès le début 1942, le parti communiste clandestin crée une branche armée sous le nom de Francs-Tireurs et Partisans Français.
En Haute-Savoie, les communistes constituent une part faible de l’électorat (à peine plus de 4% aux dernières élections d’avant-guerre). En revanche, en Chablais jusque dans la vallée de l’Arve, pour des raisons historiques qui remontent aux guerres de religion, le parti communiste est bien implanté dans un certain nombre de bourgs et villages.
Par voie de conséquence, dans cette même région, d’autres localités sont a contrario ultra-catholiques et perméables à la propagande vichyssoise au point que le recrutement milicien pourra ne pas être marginal.
C’est dans ce contexte que se constituent, dans cette partie nord du département, des maquis FTP, dépendant du « Front National » sous l’autorité de Jean Vittoz. Avec l’instauration du STO, ces maquis deviennent des structures d ‘accueil pour les « Réfractaires ».
Inconnu, Mort pour la France : Combien sont morts ainsi ?
Il en résultera, pour le Chablais, un climat de véritable guerre civile.
Ainsi s’explique que le haut fait d’armes de la Résistance en Chablais soit, le 22 février 1944, les combats de Foges ; un groupe de 12 maquisards FTP est assailli une journée durant par la Milice. Huit d’entre eux y laissent la vie mais cinq réchappent miraculeusement du chalet dans lequel ils étaient assiégés, ravagé par l’incendie. Les pertes de la Milice seront par ailleurs significatives.
Dans cette région, la répression est féroce, en des lieux de sinistre mémoire : le Pax à Annemasse, la Grange Allard à Allinges ou le Savoie-Léman à Thonon.
Quand viendra l’heure de la libération, entre le 15 et le 18 août 1944, les groupes FTP seront en fer de lance. à Saint-Julien, à Évian, à Thonon, à Cluses.
Auparavant, avec la présence au plateau des Glières de deux groupes FTP aux côtés de leurs camarades de l’AS, avait été scellée l’unité d’action des deux principales forces de la Résistance armée.
Cette réunion sera réaffirmée à l’occasion des parachutages massifs du 1er août sur le même plateau des Glières : les armes alors larguées sont partagées à parité entre AS et FTP ; elles seront les armes de la liberté, acquise dès le 19 août par l ‘action conjointe des seules forces unies de la Résistance.
De fait, la distinction entre AS et FTP ne prendra jamais en Haute-Savoie la coloration idéologique qui a pu se développer ailleurs et la fusion des deux dans les Forces Françaises de l’Intérieur pourra se faire sans problème majeur.
Cette réunion sera réaffirmée à l’occasion des parachutages massifs du 1er août sur le même plateau des Glières : les armes alors larguées sont partagées à parité entre AS et FTP ; elles seront les armes de la liberté, acquise dès le 19 août par l ‘action conjointe des seules forces unies de la Résistance.
De fait, la distinction entre AS et FTP ne prendra jamais en Haute-Savoie la coloration idéologique qui a pu se développer ailleurs et la fusion des deux dans les Forces Françaises de l’Intérieur pourra se faire sans problème majeur.
« En Savoie, la fusion de l’AS et des FTP s’est faite dans les FFI sans problème majeur »
En novembre 1944, le « bataillon Foges », FTP, fusionnera avec le « 1er bataillon des Glières », de l’AS, pour reconstituer le 27e BCA, engagé dans la rude campagne de l’hiver 44-45 en Haute-Tarentaise jusqu’à la victoire finale.
Pour revenir à l’automne 1943, lorsque l’armée allemande occupe le département, les conditions sont ainsi réunies pour que s’affirme en Haute-Savoie une Résistance significative. Elle est riche en hommes, notamment du fait de l’apport des « réfractaires », mais pauvre en armes. C’est dans ce contexte que va naître Glières au début 1944.
Glières, en bref
Vallette d’Osia, qui a pu établir le contact avec Londres via la Suisse, obtient l’envoi sur place d’une mission d’évaluation associant un officier anglais, le lieutenant-colonel Richard Heslop (« Xavier ») et un officier de la France Libre, Jean Rosenthal ─ alias Cantinier. Sur la foi du rapport qui lui est fait, Winston Churchill décide d’armer les maquis de Haute-Savoie et, pour cela, d’organiser un parachutage massif dès la pleine lune de février 1944.
Dépôt de gerbe par l’AASSDN au monument de la nécropole de Morette
En septembre 1943, les Allemands se substituent aux Italiens, qui ont chassé Mussolini et qui se retirent de la guerre.
Vallette d’Osia est arrêté. Après une évasion rocambolesque,[6] il gagne Londres, puis Alger ; on le retrouvera à la Libération.
Le capitaine Romans-Petit, chef des maquis de l’Ain, reçoit alors mission d’assurer de surcroît le commandement de l’AS de Haute-Savoie.
C’est à lui qu’il revient d’organiser la réception des parachutages, de choisir pour cela le plateau des Glières,[7] et de désigner comme chef de l’opération le lieutenant Théodose Morel, qui a pris le pseudonyme de « Tom ».[8]
Le porte-drapeau de l’Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale
Début février, Romans-Petit doit regagner l’Ain pour faire face à une offensive allemande contre les maquis; il laisse les rênes à Tom Morel, qui va alors donner sa pleine mesure.
Une minute de silence à la mémoire des maquisards de Haute-Savoie
Dans le même temps, Vichy décide d’en finir avec les « nids de terroristes » de Haute-Savoie. Les forces de répression affluent ; un « intendant de police » est désigné, en la personne du colonel de gendarmerie en retraite Lelong. Celui-ci, le 31 janvier, décrète « l’état de siège ».[9] Anticipant de justesse, sur ordre de Tom Morel, les quelques cent cinquante hommes des maquis de Manigod et du Bouchet de Serraval, se portent au plateau des Glières; d’abord acheminés par la route jusqu’au Petit-Bornand par véhicules réquisitionnés à Thônes, ils prennent pied sur le plateau à l’issue d’une longue ascension effectuée de nuit dans une épaisse couche de neige.
La Marseillaise entonnée en cœur
Ainsi commence une aventure de deux mois, qui allait être d’emblée célébrée à la radio de Londres par la voix de la France Libre sur le ton de l’épopée, à la mesure de l’esprit exceptionnel qui anime les combattants des Glières sous l’impulsion de Tom Morel et de la valeur de symbole qu’acquiert alors ce maquis.
Les principales étapes et les évènements significatifs en sont bien connus:
* Dès le 1er février, le renfort d’un groupe d’Espagnols Républicains, qui deviennent la « section Ebro ».
* Des effectifs qui s’étoffent de renforts de l’AS venus de Thônes, du Grand Bornand, de Thorens, mais aussi de deux groupes FTP, qui deviennent les sections « Liberté Chérie » et « Coulon ».
* Une mauvaise météo pour la pleine lune de février, limitant très fortement le parachutage et contraignant à tenir un mois de plus dans l’attente du créneau de mars.
* La mort de Tom Morel le 10 mars [10] sous les balles du chef des « groupes mobiles de Réserve » (GMR), dont il venait de réussir l’investissement du PC à Entremont.
* Le largage, dès le lendemain, des parachutages attendus, avec un apport considérable d’armes, dans le même temps où l’enneigement, entretenu presque chaque jour par d’abondantes chutes de neige, paralyse les mouvements.
* L’intervention de la Wehrmacht, d’abord par l’aviation à partir du 20 mars.
* La prise de commandement du capitaine Anjot, alias Bayart, alors que vient de prendre pied sur le plateau le dernier renfort significatif avec les maquis du Giffre, conduits par les lieutenants Lalande et de Griffolet. Les effectifs atteignent alors environ 460 hommes en cette fin mars.
* Le bouclage du plateau dans une opération conjointe Wehrmacht- Milice, cette dernière investissant la vallée de Thorens tandis que les Allemands se déploient dans les vallées de Thônes et du Borne au départ du Petit-Bornand.
* Le déclenchement de l’offensive le 26 mars, partout repoussée face à la Milice, mais incertaine sur l’accès principal du Petit-Bornand face à la Wehrmacht, de telle sorte que, dans la soirée, le capitaine Anjot donne l’ordre de dispersion, chaque groupe devant rejoindre son maquis d’origine.
Tombe du capitaine Maurice Anjot, Mort pour la France
Sage décision qui fera que l’attaque allemande tombera dans le vide et que le maquis échappera à l’anéantissement, même si, au bilan, ce sera au prix de 129 morts, tués, fusillés ou non rentrés de déportation ; tous les officiers, dont le capitaine Anjot, y laissent la vie, à l’exception du lieutenant Jourdan, alias Joubett, qui reconstituera ses forces dans les vallées de Thônes.
Mais l’histoire de Glières ne s’arrête pas à la fin mars 1944, par le temps des sacrifices.
Le colonel Henri Debrun remet au général Bachelet la médaille de l’AASSDN
Dans les mois qui suivent, les maquis reprennent vigueur, notamment dans les vallées de Thônes avec Louis Jourdan et dans la vallée de Thorens avec Louis Morel, alias Forestier, ancien adjudant-chef du 27e BCA, qui avait commandé la compagnie installée à Champlaitier, sur le flanc ouest du plateau, face à la Milice et qui libérera Thorens dès le 14 juillet.
Le 1er août, un nouveau parachutage massif aura lieu sur le plateau des Glières, en plein jour cette fois car les Alliés ont la maîtrise de l ‘air, et réceptionné par plus de 3000 maquisards, AS et FTP. qui se partageront les armes de la Liberté…
La libération de la Haute-Savoie
La libération de la Haute-Savoie par les seules forces unies de la Résistance qui contraignent les quelques 3500 hommes des forces d’Occupation à la capitulation dès le 19 août 1944, alors que Lyon ou Alberville sont toujours occupées, constitue le deuxième événement très emblématique de la Résistance en Haute-Savoie.
Elle s’inscrit dans une continuité et est une apothéose.
La continuité est celle de l’unité d’action des forces de la Résistance, marquée par un commandement unique : Georges Guidoliet, alias Ostier, chef politique, est à la tête du comité départemental de libération ; Joseph Lambroschini, alias Nizier, est le chef militaire.
Ce dernier, qui a installé son PC au Grand-Bornand, donne l’ordre de mobilisation le 15 août. Les opérations commencent par la mise en place de la « compagnie Glières », de Louis Jourdan, sur la coupure du Chéran, à hauteur de Balmont, pour interdire l’accès du département aux renforts ennemis venus d’Aix-les-Bains. Les combats violents qui s’y déroulent coûtent la vie au lieutenant Godinot.
Sous l’action conjointe des unités de l’AS, sous les ordres du capitaine Yves Godard [11] alias « Jean »,et des FTP. Sous les ordres d’André Augagnem, alias « Grand », les garnisons allemandes tombent alors les unes après les autres: Saint-Julien, Évian, Thonon, Cluses, puis Annecy le 19 août.
Cette dernière opération n’est pas la moins spectaculaire : le 19 août au matin, le maquis de la Mandallaz, de l’AS, fort de 200 hommes et commandé par Lucien Mégevand, secondé par Georges Buchet, rescapé des Glières, tous deux anciens sous-officiers du bataillon Vallette d’Osia, effectuent un raid sur le quartier de Galbert, où sont retranchés les 600 hommes de la Wehrmacht de la gamison d’Annecy. Par un coup de bluff, ils obtiennent leur reddition.
En ce même matin du 19 août, à Veyrier-du-Lac, à la villa Fournier [12] les chefs de la Résistance [13] signifient aux plénipotentiaires allemands les conditions de leur reddition ; en fin de matinée, à l’hôtel Splendid, siège de la Kommandantur, le colonel Meyer, chef des forces d’occupation, signe la capitulation.
Le lendemain 20 août, une foule en liesse célèbre à Annecy sa libération.
Un défilé s’organise rue du Pâquier: il est ouvert par une escouade de jeunes filles à bicyclette. Et voilà que pour la première fois sortent de l’ombre les vaillantes « agents de liaison » de la Résistance.[14]
Elles sont suivies par une ambulance sur laquelle se tiennent des infirmières, elles aussi combattantes de la nuit,[15] aux côtés du docteur Marc Bombiger, qui avait été le médecin du maquis des Glières.
Face au monument aux morts, les chefs de la Résistance sont alignés pour rendre hommage à tous ceux qui ont donné leur vie pour la France.
A l’extrémité droite, une frêle jeune fille se tient bien droite: et voilà « Zette », la secrétaire de Nizier, précédemment agent de liaison, elle aussi pour la première fois en pleine lumière. En pleine lumière…pour elle comme pour ses camarades, ce sera aussi la dernière fois, car devenues plus tard épouses et mères, elles rentreront dans l’ombre.
Sur l’avenue d’Albigny, aux ordres du commandant Yves Godard, a lieu le défilé militaire du « bataillon Glières » pour l’AS et du « bataillon Foges » pour les FTP. L’un et l’autre poursuivront ensuite le combat pour la très rude campagne d’hiver 44-45 en Haute Tarentaise, jusqu’à la victoire finale avec la libération du Val d’Aoste.
En novembre 1944, ils avaient fusionné pour constituer le 27e BCA alors recréé [16] sous l’autorité d’Yves Godard.
Un symbole, orchestré dès l’époque
Les combats des Glières auraient pu n’être qu’un épiphénomène dans le cataclysme mondial. De fait, dès l’époque, ils ont un grand retentissement, orchestré à la radio de Londres par le porte-parole de la France Libre, Maurice Schumann.
« Trois pays existent en Europe : la Grèce, la Yougoslavie et la Haute-Savoie »
Maurice Schumann porte-parole de la France Libre à la BBC – Derrière lui, le général de Gaulle…
Plaque commémorative de Radio Londres au cimetière d’Asnelles (Calvados)
En effet, premier engagement armé d’envergure sur le sol national, ils offrent, pour le général de Gaulle, face aux Alliés et notamment aux Américains, une illustration de ce que, derrière lui, il bénéficie d’une Résistance intérieure significative et déterminée.
Mais surtout, face aux forces de répression de Vichy, dont la Milice, très idéologisée au bénéfice de la Révolution Nationale, se réclame hautement de la France, le maquis des Glières est un microcosme de la vraie France, à libérer, à relever.
« Vivre libre ou mourir » – Devise de Tom Morel
Tom Morel lui donne une devise qui fait mouche : « Vivre Libre ou Mourir ».[17] Glières devient en ces jours-là emblématique de cette liberté à reconquérir avec laquelle la France a un pacte multiséculaire.
Dans la France de Vichy qui discrimine entre Français et qui stigmatise les « apatrides » et autres déviants, il accueille à bras ouverts, aux côtés des maquisards de l’AS, aussi bien les Républicains espagnols que les FTP, ces « terroristes » alors désignés à la vindicte par Vichy.
Tombe de Bernard Zelkowitch, Mort pour la France
Le maquis des Glières offre ainsi l’image d’une France qui rassemble au-delà de toutes considérations sociologiques, politiques ou religieuses; en témoignent au cimetière de Morette les étoiles de David parmi les croix latines et les cocardes de la République espagnole aux côtés de la cocarde française.
Tombe de l’Autrichien Hugo Schmidt, Mort pour la France
Enfin, l’exceptionnel soutien des populations des bourgs et villages environnants, sans lesquelles le maquis n’aurait pu survivre, que ce soit au cours des mois de février-mars qu’à l’heure de la dispersion et de la traque, témoigne d’une solidarité qui donne tout son sens au beau mot de fraternité.
Patricio Roda Lopez, Mort pour la France
Voilà en quoi, dès l’époque et jusqu’à nos jours, le plateau des Glières a pu être désigné voici quelques années, pour un grand hebdomadaire national, comme l’un des « hauts-lieux qui ont fait la France ».
Félix Belloso Colmenar, Mort pour la France
Une mémoire vivante
Dès le lendemain de la Libération, les Rescapés ont eu à cœur de faire vivre, non seulement la mémoire de leurs camarades disparus, mais aussi les valeurs dont ils se sentaient porteurs.
Monument en l’honneur des morts pour la France au Plateau des Glières
La Nécropole nationale des Glières à Morette, où reposent 88 des leurs, parmi les 105 Résistants inhumés en ces lieux, et le monument national à la Résistance, œuvre de Gilioli, érigé en 1973 à Glières et alors inauguré par André Malraux, portent la marque de leur œuvre de fidélité.
Ils ont désormais passé le témoin, à la fois au Pôle Culture du Conseil Départemental, aujourd’hui gestionnaire des sites, et à « l’Association des Glières pour la mémoire de la Résistance », dépositaire de l’héritage moral.
Le général d’armée Jean-René Bachelet : une exceptionnelle leçon de citoyenneté
Glières reste ainsi, aujourd’hui encore, une puissante source d’inspiration, notamment pour les générations nouvelles, qui peuvent y trouver une illustration sans pareil des valeurs qui fondent notre communauté nationale, au-delà des clivages idéologiques et partisans.
Le musée de la nécropole nationale de Morette
Les milliers de jeunes qui se pressent chaque année au plateau des Glières et à la Nécropole de Morette sous la conduite de leurs enseignants reçoivent ainsi, à la faveur de la transmission de cet héritage, une exceptionnelle leçon de citoyenneté.
Jean-René Bachelet
[1] Menacé d’arrestation, il gagne Alger en 1943. Nommé Commissaire à la Justice puis Garde des Sceaux du gouvernement provisoire du général de Gaulle, il lui revient, à la libération de conduire la politique d’épuration, ce qui lui vaudra beaucoup d’ennemis, selon que l’on ait jugé celle-ci trop rigoureuse ou a contrario trop clémente. Il sera procureur pour la France au procès de Nuremberg et on lui doit largement la définition de la notion de « crime contre l’humanité ».
[2] Il est à noter que Jean Vallette d’Osia est camarade de collège de François de Menthon avec lequel il a des relations confiantes. Lorsqu’il sera passé à la clandestinité, le château de Menthon sera l’un de ses refuges.
[3] Il est vrai qu’une thèse est alors souvent énoncée : il y aurait eu une répartition des rôles entre Pétain « le bouclier » et de Gaulle « l’épée ». Les funestes errements de la « collaboration » et de la « Révolution Nationale » feront justice de cette thèse.
[4] Il n ‘est pas sûr que cela ait beaucoup changé sept décennies plus tard.
[5] L’expression est aujourd’hui fréquemment employée sans discernement pour qualifier « le gouvernement », ou « la France », ou tout simplement « l’État ». Or, « l’État Français » demeure, pour l’histoire, le régime qui s’est substitué à la « République Française » aux heures sombres des années 40 et, comme tel, reste frappé d’infâmie.
[6] Après avoir été incarcéré ─ ironie du sort ─ dans les locaux disciplinaires du quartier de Galbert, où il avait exercé son commandement du 27e BCA, et durement interrogé, il est embarqué en gare d’Annecy, menottes aux mains et sous escorte, vers une destination restée inconnue. En effet, profitant de l ‘assoupissement de ses geôliers, il s’évade en se jetant par la fenêtre du compartiment à hauteur de Gevrey-Chambertin.
[7] L’autre décision significative prise par Romans-Petit durant son court intérim est la transformation du maquis Le Manigod en école de cadres de l’AS, sous l’autorité du lieutenant Louis Jourdan, alias Joubert. Là va naître et se développer ce qu’on appellera « l’esprit des Glières ».
[8] Enfant, le jeune Théodose était surnommé Tho. Il suffira au lieutenant Morel d’ajouter l’initiale de son nom pour devenir « Tom ».
[9] Ces dispositions se traduisent par des mesures expéditives: arrestations sommaires, interrogatoires avec usage de la torture, traduction devant une cour martiale, peine de mort.
[10] Inhumé le 13 mars avec Geo Descour au pied du mât des couleurs, il sera discrètement transféré dès le 2 mai dans la vallée, parmi ses compagnons tombés dans une embuscade dans la gorge de Morette lors de la dispersion du maquis. Les tombes alors aménagées dans une prairie sont devenues aujourd’hui « Nécropole nationale des Glières» .
[11] Yves Godard est capitaine au 27e BCA pour la campagne de 1940. Fait prisonnier, il s’évade à sa quatrième tentative et rejoint en mai1944 la Haute-Savoie, où il devient chef de l’AS. Il est l’un des acteurs principaux des opérations de la libération. Premier chef de corps du 27° BCA reconstitué, il le commande jusqu’à l’occupation en Autriche.
En 1946, il reçoit mission de créer le 11e bataillon de parachutistes de choc. Devenu parachutiste, il est engagé en Indochine; c’est lui qui, en mai 1954, commande la « colonne Crèvecoeur » qui, à partir du Laos, tente de recueillir les rares combattants de DienBien Phu ayant échappé à la captivité.
En 1957, chef d’état-major du général Massu commandant la 11e Division Parachutiste dans la « bataille d’Alger », il est investi des fonctions de préfet de police. Après le « putsch des généraux » d’avril 1961, il sera un « soldat perdu », l’un des chefs de I’OAS. Condamné à mort par contumace, il n’est jamais rentré en France. Mort accidentellement, il repose au cimetière de Thônes.
[12] La maison Fournier était une des plaques tournantes de l’AS, avec, notamment, Marcel Fournier, futur créateur des supermarchés Carrefour, et son frère, Joseph ainsi que leur sœur « Poupée », l’une des intrépides agents de liaison de cette AS
[13] Outre Lambroschini, Guidollet. Godard et Augagneur, ceux-ci se sont fait accompagner par le général Doyen, réfugié à Thônes.
Ce général issu des troupes alpines, qui, en 1940.venait de commander une division à l’heure du désastre, avait été nommé après l’armistice représentant de la France à la commission du même nom, siégeant à Wiesbaden. Sa déposition au procès Pétain sera accablante pour l’accusé: il raconte comment il est amené à lutter pied à pied contre les diktats de ses homologues allemands qui ne cessent d’outrepasser les conventions d’armistice. Il fait trois fois le voyage de Vichy ; il y est reçu par le maréchal qui l’encourage à résister; à son retour à Wiesbaden, il découvre les réponses écrites aux exigences allemandes signées Pétain: celles-ci sont systématiquement avalisées… Fort des renseignements qu’il recueille au cœur du Reich, il adresse à Vichy un rapport confidentiel – avec une discrète copie à Londres- aux termes duquel il apparaît que si l’Allemagne gagne la guerre, la France sera dépecée. Il est relevé et emprisonné par Vichy, mais parviendra à se réfugier à Thônes. Il commandera l’armée des Alpes pour la campagne de l’hiver 44-45 puis, retraité, sera plusieurs années maire de Veyrier-du-Lac, où il est inhumé.
En août 1944, bien qu’il n’ait alors exercé aucune responsabilité locale, on peut penser que la présence d’un officier général de haut rang (il était général de corps d’armée) auprès des chefs de la Résistance était destinée à faire impression sur les plénipotentiaires allemands
[14] Il s’agit là pour l’essentiel de l’équipe d’agents de liaison féminines de l’AS. Elle est créée par Vallette d’Osia en faisant appel à un groupe de « Guides aînées » dirigé par Antoinette Reille, épouse du capitaine Reille qui succède en 1941 au capitaine Anjot dans le poste de commandant en second. Généreuses et intrépides, ces jeunes filles sillonnent le département sur leurs bicyclettes, effectuent des missions jusqu’à Lyon ou Marseille, franchissent la frontière suisse pour acheminer des messages voire transporter des fonds ou même exfiltrer un pilote anglais (cas de Colette Périès et du squadron leader Griffith).Le salon d’honneur de l’hôtel du département est baptisé au nom des sœurs Périès, Louise et Colette, emblématiques de ces authentiques héroïnes, ensuite rentrées dans l’ombre. Les FTP avaient aussi leurs agents de liaison féminines, qui ne le cédaient en rien aux précédentes
[15] En figure de proue, Madeleine Golliet dont la famille est la plaque tournante de l’AS à Thônes. Entrée en Résistance à Paris où elle poursuit des études d’infirmière, elle doit se réfugier sur sa terre natale, devient agent de liaison puis infirmière du maquis aux côtés du docteur 11 ombiger. En janvier 1945, elle épouse Louis Jourdan, alias capitaine Joubert.
[16] Le 27e DCA est alors reconstitué à parité par des compagnies AS et FTP. La 1ère compagnie, issue de l’AS, est commandée par le capitaine Louis Jourdan, alias Joubert, seul officier rescapé des Glières. La 2ème compagnie, issue des FTP, est commandée par Maurice Herzog, futur vainqueur de l’Annapurna et ministre du général de Gaulle sous la Ve République.
[17] Cette devise lui est suggérée par Alphonse Métral, jeune dirigeant des Jeunesses ouvrières chrétiennes, qui avait créé, à Dingy-Saint-Clair, l’un des premiers maquis formé par les Réfractaires au STO acheminés là par les filières de l’action catholique ; transféré ensuite à Manigod, il deviendra l’École des cadres der AS sous l’autorité de Louis Jourdan, avant de rejoindre Glières le 31 janvier 1944. La devise figurait sur le socle d’un monument à la mémoire des Savoyards morts pour la France en 1870-1871 alors situé à Annecy à remplacement de l’actuel centre Bonlieu et devant lequel Alphonse Métral passait régulièrement. Ce monument se situe aujourd’hui à l’angle de la rue de l’Intendance et d’une petite rue rejoignant l’avenue de Genève, baptisée en 2018 du nom de ce même Alphonse Métral. Au long de plus d’un demi-siècle après la guerre, il reviendra à Alphonse Métral d’être l’un des principaux ordonnateurs de la mémoire du maquis des Glières ct de l’orchestration des valeurs de « l’esprit des Glières ».
Lorsque Jean Moulin est parachuté pour accomplir en France occupée la mission d’unification des forces de la Résistance que lui a donnée le général de Gaulle, il séjourne à Menthon-Saint-Bernard et c’est à François de Menthon qu’il confie la responsabilité du Comité des Experts, devenu Comité Général d’Études, qui va préparer le programme politique de l’après-guerre et inspirera le Conseil National de la Résistance(CNR).[1]