Il est temps que les actes fassent croire aux paroles

Les pays d’Europe centrale et orientale, comme les pays scandinaves et nordique, sont « vent debout » contre toute « initiative » visant à abandonner l’Ukraine à son triste sort. Entre ceux qui prétendent que cette guerre est une « guerre russo-américaine » et qui — en même temps — ne veulent « pas humilier la Russie » de Vladimir Poutine — où comme le chancelier allemand Scholz se demandent s’il « faut répondre à la force par la force », la condamnation est unanime.

Entre « complicité ou complaisance de mauvais aloi » et renoncement à la défense de nos valeurs, au pire, cette attitude traduit des arrière-pensées inavouables qui accorderaient tacitement à la Russie un blanc-seing pour envahir demain des pays souverains comme la Finlande, la Suède, la Pologne, la Roumanie et hier, encore, dernière en date la Lithuanie (dernière «proposition » de la Douma russe).

Cette guerre — menée sur le sol européen et qui menace toute l’Europe — que nombre de dirigeants européens on refusé de voir venir alors que depuis des années elle était prévisible, en tout cas depuis avril 2021, et même annoncée par le Kremlin doit être stoppée avant qu’elle ne dégénère.

Instaurer des États de Droit en Europe

Trois pays d’Europe centrale sont en pointe sur le dossier ukrainien, depuis le début : l’Estonie, la république tchèque et la Pologne. Leur exemple fait honneur à l’Europe et aux valeurs occidentales que nous sommes censés vouloir défendre et promouvoir. Il serait lamentable de voir trois des pays fondateurs de l’Union européenne — les plus peuplés — tergiverser comme ils le font depuis bientôt trois mois avec de faux prétextes pour ne pas livrer d’armes à l’Ukraine. Les Allemands le ressentent avec une certaine honte et l’expriment dans leurs journaux tous les jours comme l’ont fait jusqu’ici deux femmes exemplaires: la ministre fédérale des Affaires étrangères, Madame Annalena Baerbock (Die Grünen) et Madame Marie-Agnes Strack-Zimmermann, présidente de la Commission de la défense du Bundestag (FDP).

Quand on voit qu’un pays comme la France — malgré le professionnalisme reconnu de ses armées — dispose jusqu’en 2025, notamment, d’un stock de 1900 Manpads pour se défendre contre toute menace aéroterrestre, il faut savoir que c’est exactement ce que les forces ukrainiennes utilisent chaque semaine, depuis plus de 100 jours. On est donc en droit d’estimer qu’il est temps que les beaux discours solennels soient enfin suivis d’actions fortes pour organiser la défense de cette Europe menacée.

On peut espérer que la prochaine présidence tchèque de l’Union européenne (1er juillet – 31 décembre 2022) serve enfin de révélateur, réveille les consciences et cristallise en Europe toutes les énergies et tous les moyens pour que l’Europe retrouve à la fois sa raison d’être, sa place, et sa volonté de vivre libre sans avoir à être menacée par une dictature mafieuse qui n’a jamais été capable de construire un État-Nation préférant voler les richesses des pays qui l’entourent et dont l’armée a montré depuis plus de 200 ans son savoir-faire pour asservir des populations condamnées à des atrocités d’un autre âge.

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Palais Wallenstein à Prague – Siège du Sénat de la république tchèque – Photo Vaclav Groulík

Après la présentation d’un rapport sur « la situation actuelle en Ukraine » par le sénateur Pavel Fisher, président de la Commission de la défense de la république tchèque, adopté par le Sénat, une résolution a été votée dont le texte suit.

Joël-François Dumont

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Logo du Sénat de la république tchèque

26e Réunion du Sénat du Parlement de la République tchèque – 15 juin 2022 – 13ème législature

Rapport du sénateur-rapporteur Pavel Fischer, président de la Commission de la Défense sur la situation actuelle en Ukraine, en réponse au discours du président Volodymyr Zelensky.

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Le Président Volodymyr Zelensky a demandé à s’adresser aux membres du Parlement de la République tchèque. La Chambre et le Sénat ont modifié leur ordre du jour et après son discours, une résolution sur l’Ukraine a été ajoutée comme nouveau point à l’ordre du jour. 

Nous proposons de saisir cette occasion pour mener le débat sur l’Ukraine et, pour l’instant, de nous concentrer sur quatre domaines de la résolution.  

Sénateur Pavel Fisher – Photo © DR

Tout d’abord, il convient de rappeler toutes les résolutions passées:

Résolutions par lesquelles le Sénat a exprimé son soutien à l’Ukraine et appuyé les actions du gouvernement de la République tchèque. Si la Chambre ne s’est pas exprimée aussi souvent sur l’Ukraine, au cours de cette période, les sénateurs ont abordé la question de l’Ukraine lors de presque toutes leurs réunions. Il est temps de rassembler ces résolutions en un seul document et de les rappeler ainsi. 

2 – Deuxièmement, ce n’est que maintenant que nous pouvons mieux voir à quel point la situation est difficile.

Le piège énergétique russe dans lequel nous sommes tombés ne révèle que progressivement la faiblesse stratégique de notre position. Et plus nous en savons sur notre dépendance, mieux nous pouvons voir les erreurs des gouvernements passés. L’époque actuelle rend compte de l’incohérence, de la paresse ou de l’incapacité à réagir à la crise du gaz en 2008, à l’annexion de la Crimée et à l’occupation du Donbas en 2014. Bien qu’il aurait fallu agir, le gouvernement a laissé de nombreuses tâches inachevées. C’est pourquoi nous estimons également nécessaire d’apporter notre soutien au gouvernement pour sortir le plus rapidement possible de la toile des réseaux russes de fournisseurs d’énergie.

3 – Troisièmement, le blocage des voies maritimes dans la mer d’Azov et la mer Noire:

Le blocus des ports ukrainiens ou le pillage des stocks de céréales et d’autres produits de base suscitent de vives inquiétudes sur les marchés des produits de base. Les prix des céréales et du maïs augmentent, et cette hausse des prix modifie les attentes pour les années à venir : l’énergie chère fait grimper les prix des engrais, et nous sommes maintenant au seuil d’une période très grave. Alors qu’en Europe, les prix des denrées alimentaires vont augmenter, mettant de nombreuses personnes socialement vulnérables dans une situation terrible, pour l’Afrique et d’autres pays en développement, cela pourrait être l’étincelle qui fera descendre les gens dans la rue et déclenchera des troubles sociaux généralisés et une importante vague migratoire. 2022 devait être une année très préoccupante pour l’évolution de la situation au Sahel, comme l’illustre cette carte des agences des Nations unies. Et nous pouvons limiter cela aux seules préoccupations concernant les pénuries alimentaires :

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Carte des dangers de la faim dans le monde – Source : Programme alimentaire mondial

Carte des dangers de la faim dans le monde. Au total, 14 zones concernées sur 20 se trouvent en Afrique. Ces chiffres sont antérieurs au lancement par la Russie de son offensive militaire. (source : Programme alimentaire mondial)

Cette vue d’ensemble date d’une époque où le monde ne savait pas que la Russie allait envahir l’Ukraine et commencer un blocus de ses voies maritimes. 

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Il est temps que les actes fassent croire aux paroles 1

Les enjeux sont élevés. Après tout, l’Ukraine est l’un des principaux acteurs sur les marchés, avec une récolte annuelle de céréales de quelque 20 000 tonnes. Alors que 95 % de la récolte a été exportée par voie maritime, tenter d’imposer le transport par rail reviendrait non seulement à surcharger le réseau ferroviaire (il est soumis à un rythme élevé d’aide humanitaire et d’envois d’armes, tout en étant la cible des troupes russes), mais aussi à augmenter les prix du transport et à ralentir les livraisons.  Par voie maritime, il faudrait 4 mois, par voie ferroviaire, l’Ukraine aurait besoin de 14 mois pour exporter.

Il est donc littéralement dans l’intérêt mondial d’ouvrir des couloirs pour aider l’Ukraine à exporter. Sans parler du manque à gagner qui affecte l’économie de l’Ukraine. En outre, si l’Ukraine ne parvient pas à exporter la récolte de l’année dernière, elle aura un gros problème avec la récolte de cette année.   

4. Quatrièmement, nous appelons les pays de l’UE à ne pas bloquer le chemin de l’Ukraine vers l’UE.

La situation est extrêmement difficile. Les Balkans ont besoin d’entendre que la perspective européenne est ouverte aux meilleurs. Pourtant, l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie ont présenté des demandes d’admission au cours des derniers mois, et dans une situation totalement nouvelle. D’un point de vue politique, il serait tout à fait approprié d’accorder à l’Ukraine le statut de candidat,

Cependant, de nombreux États sont encore réticents à le faire. La Commission européenne doit publier son « avis », son évaluation, dans les prochains jours. Ensuite, une décision sur l’Ukraine sera prise lors du Conseil européen du 23 juin. La République tchèque, en tant que future présidence, devrait bénéficier d’un soutien clair du Parlement pour la suite des événements.     

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Le sénateur Pavel Fischer « au perchoir » du Sénat – Photo © DR

Le rôle de la République tchèque dans le dossier ukrainien est important : nous avons fourni une aide substantielle (y compris des armes lourdes), nous sommes des partisans de longue date d’une coopération étroite entre l’Ukraine et l’UE, et nous allons assurer la présidence.  C’est pourquoi il est également important que le Parlement aide le gouvernement à formuler des priorités et à tenir la ligne stratégique. 

Tous les pays de l’UE ne voient pas les choses de la même façon. Certaines voix suggèrent déjà un cessez-le-feu et des pourparlers de paix. Mais le temps n’est pas aux pourparlers de paix alors que les troupes russes attaquent et que l’Ukraine veut se défendre et reprendre le contrôle total de son territoire. C’est pourquoi nous considérons également que certaines propositions, notamment de Berlin ou d’Italie, appelant à des pourparlers de paix sont prématurées et irréfléchies. Pour conséquence, ils renforceraient Vladimir Poutine, mineraient l’Ukraine et affaibliraient les intérêts de l’UE et de l’OTAN. 

Aux dernières nouvelles aujourd’hui (lundi 13/6), Mario Draghi, Emmanuel Macron et Olaf Scholz devraient se rendre en Ukraine avant le sommet du G7 en juin (26/28/6). Étant donné que le chancelier allemand ne voulait pas arriver les mains vides, la question sera de savoir ce qu’il apporte : au mieux, il pourrait s’agir d’armes lourdes. Le président français voulait aller après les élections législatives – il n’est pas encore assuré d’avoir une majorité parlementaire, mais s’il réussit à former une coalition, il devrait avoir le parlement de son côté. 

Et quelle est la situation sur le champ de bataille ? Il est clair que l’Ukraine n’avance plus, la Russie a pris des positions défensives, dispose d’une structure de défense extrêmement solide et prend lentement du territoire. Les positions russes sont consolidées, l’agresseur dispose de suffisamment de munitions pour bombarder l’Ukraine. La bataille peut durer longtemps. Nous devons donc nous préparer au fait que l’Ukraine aura besoin de notre aide pendant de nombreux mois, voire des années.

Prague, 14 juin 2022

Pavel Fischer