Il y a une prise de conscience que la stabilité du Sahel n’est pas une marotte française

Il faut adapter le MCO à la réalité de notre armée d'emploi. Un équipement déployé à Barkhane pendant un an correspond en termes de potentiel consommé à une utilisation pendant 3 ans en France.

– Présidence de M. Christian Cambon –

La réunion est ouverte à 16 h 35.

OPEX – Audition du Général Grégoire de Saint-Quentin, sous-chef opérations à l'état-major des armées

M. Christian Cambon, président. – Général, la commission vous a connu pendant l'opération Serval, au Mali, puis commandant des opérations spéciales (G-COS). C'est un grand plaisir de vous retrouver sous-chef d'état-major Opérations de l'état-major des armées, c'est-à-dire auprès du CEMA pour planifier et conduire toutes les opérations des armées.

Nos questions sont nombreuses, en particulier sur Chammal et Barkhane, au moment où le Sénat s'apprête à examiner la loi de programmation militaire. Avec la chute de Mossoul et Raqqa, la défaite de Daech, le contexte de l'opération Chammal a radicalement changé : finalement nos objectifs politiques sont atteints. De quelle façon le dispositif militaire français va-t-il se réorienter – je rappelle qu'outre ses avions de chasse basés principalement à H5 en Jordanie, l'armée française est présente en formation et en appui artillerie des forces irakiennes, ainsi que dans le Kurdistan irakien. Où en sommes-nous aujourd'hui et où allons-nous ? Nos partenaires engagés sur ces théâtres ont des intérêts qui divergent ou interrogent, en particulier les Turcs. La Russie mène le jeu politique. Américains et Russes se trouvent parfois face à face. Enfin, il faut évoquer la Syrie, pour lequel le ministre des Affaires étrangères a lancé hier un cri d'alarme sur la situation humanitaire. Dans ce contexte illisible et instable, que va devenir Chammal ?

Pour l'opération Barkhane, nous avons tous en tête les opérations de la semaine dernière, où les forces spéciales françaises ont porté un nouveau « coup significatif » aux djihadistes. Malgré ces succès de nos forces sur le terrain, l'issue ne paraît pas évidente : sans solution politique peut-on espérer la réelle stabilisation du Mali, alors que l'insécurité se propage vers le centre du pays ? Barkhane est évidemment impuissante à faire surgir une solution politique, alors que la mise en oeuvre des accords d'Alger est au point mort. Quelle est votre analyse de chef militaire fin connaisseur de la situation politique malienne ? En étant provocateur, je pourrais vous demander : Barkhane est-elle prise au piège d'une absence de solution politique ? Je rappelle que cette opération coûte à la France 600 millions d'euros par an et que 19 soldats français sont morts au Mali depuis 2013, sans parler des blessés.

Les missions de Barkhane sont gigantesques : lutter contre le terrorisme dans un territoire grand comme l'Europe, faire émerger la force conjointe G5 Sahel, former les forces armées maliennes, soutenir la MINUSMA…. Faut-il se recentrer pour être plus efficace ? Comment ? Où en sont vos discussions avec l'autorité politique sur ce point ? Une mission de notre commission se rendra en mars auprès de nos forces armées engagées dans l'opération Barkhane pour se faire notre propre idée.

Je souhaitais enfin vous interroger sur les 800 militaires français de l'opération Daman, participation française à la FINUL, au Liban. Cette mission s'exerce depuis près de 40 ans du Litani, au Nord, à la « Blue Line », au Sud, ligne de démarcation entre Israël et le Liban, fixée par les Nations unies. Les tensions régionales ne font que s'accroître : que se passerait-il pour la FINUL si elle était prise dans une flambée de violence : est-ce possible, quelle est votre appréciation de situation ?

Au total, près de 30 000 soldats français sont en opération intérieure et extérieure. Les contrats opérationnels fixés en 2013 sont dépassés d'un tiers. La nouvelle loi de programmation militaire a choisi de ne pas les augmenter : on reste à trois théâtres d'opérations extérieures durables, et à une contribution majeure au sein d'une coalition.

C'est évidemment pour des raisons financières. Est-il réaliste, dans le contexte géostratégique décrit par la revue stratégique, de prévoir une LPM qui ne donne aucune nouvelle marge de manoeuvre d'engagement des armées au Chef des armées ? Est-ce à dire qu'on exclut d'emblée l'ouverture de tout nouveau théâtre pendant toute la période de programmation, ou bien est-ce qu'on escompte pouvoir se désengager et dans ce cas : quel serait alors le terrain d'opération concerné ?

Général Grégoire de Saint-Quentin. – Comme vous l'avez indiqué, nos deux principales opérations extérieures sont Barkhane et Chammal.

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Général de corps d'armée Grégoire de Saint-Quentin, sous-chef Opérations à l'EMA 

L'opération Chammal est aujourd'hui à un tournant. En effet, si l'on n'est pas encore tout à fait à la fin de cette mission, on peut constater la fin du protoétat de Daech. Pour Barkhane, nous sommes actuellement dans une situation importante d'un point de vue politique. Une période électorale va s'ouvrir, pour les présidentielles en juillet. Or, ce sont souvent des périodes riches en évènements et mouvements.

En ce qui concerne notre déploiement, nous avons actuellement 15 000 militaires en opération : au Sahel, dans le cadre de l'opération Sentinelle, au Levant, dans la FINUL et en République Centrafricaine. A cela s'ajoute notre marine nationale qui est déployée en permanence dans le Golfe de Guinée, dans l'Océan indien, en Méditerranée et bien sûr en océan Atlantique pour assurer le soutien et la protection de la Dissuasion. Au total, avec nos forces prépositionnées à travers le monde, ce sont 26 000 militaires français qui sont en posture opérationnelle.

Nous sommes actuellement dans une phase importante de la mission Barkhane. En près de 5 ans, la situation a profondément évolué. Le potentiel militaire des groupes terroristes est désormais réduit. Grâce à un effort soutenu en renseignement, nous avons ainsi pu les atteindre dans leurs sanctuaires. Toutefois, l'insécurité s'est déplacée dans les zones où elle n'était pas présente il y a cinq ans. Les terroristes cherchent à attiser le conflit, en s'appuyant sur les différents groupes ethniques et en jouant sur les frustrations locales, singulièrement dans le centre du Mali.

Parallèlement, le rôle de la force Barkhane s'est étoffé :

– Nous restons la première force capable de marquer des points significatifs contre les groupes terroristes, comme nous l'avons fait la semaine dernière en attaquant simultanément 3 objectifs distincts et en mettant hors de combat des chefs d'éléments armés qui terrorisent la population dans leurs zones d'influences. Ce sont des avancées significatives, pour peu que l'on arrive à faire revenir l'État, donc un minimum de sécurité et de développement dans ces zones. Actuellement, nous concentrons nos efforts sur la boucle du Niger élargie – de Gao à Menaka. Pour mettre fin à l'emprise des terroristes, nous devons à tout prix inscrire nos opérations dans la durée. Le climat et le terrain rendent cette présence prolongée exigeante pour les hommes et, plus encore, pour les équipements. C'est à chaque fois un défi pour nos maintenanciers que de remettre en état les matériels avant leur réengagement.

– Par ailleurs, Barkhane accompagne la montée en puissance de la force conjointe G5 Sahel, qui est devenue la matrice de la coopération régionale en matière de sécurité. Barkhane se coordonne avec les postes de commandement de cette force, prépare ses unités avant l'engagement et appuie les actions de cette dernière dans les zones transfrontalières. Deux actions communes ont été menées avec la force conjointe depuis que celle-ci a déclaré sa capacité opérationnelle initiale. La première du 27 octobre au 13 novembre, la seconde du 15 au 25 janvier. Une troisième est en cours de préparation, mais il n'est pas sûr qu'il soit nécessaire que Barkhane y participe. Le but recherché par toutes les parties prenantes est bien de permettre à cette force de s'autonomiser, et de progressivement mener à bien ses propres opérations. C'est une dynamique positive où Barkhane joue alors un rôle de réassurance.

– Enfin, le troisième rôle de Barkhane est de contribuer au retour de l'Etat et du développement là où elle agit. Avec l' « Alliance Sahel » constituée par les principaux bailleurs de fonds, la communauté internationale dispose d'un outil qui permet d'engager des actions très significatives au niveau local à partir du moment où l'administration est présente sur le terrain. La plus grande difficulté résulte dans la mise en cohérence de l'action de nombreux acteurs : forces de sécurité, administrations, acteurs du développement bi et multilatéraux. Pour figurer ce que doit être la synchronisation des efforts, nous avons organisé la semaine dernière à l'état-major des armées un « war game » réunissant l'ensemble des acteurs et administrations françaises concernés par la stabilisation du Sahel. Ce « jeu » sur carte a permis à chacun de prendre conscience des contraintes s'exerçant sur les autres, puis de chercher à mieux synchroniser les actions entre elles afin de gagner en efficacité. Ce fut une première étape très utile ; cet exercice facilitera la convergence des acteurs sur le terrain.

Au-delà de l'action de Barkhane, je voudrais souligner deux enjeux majeurs pour les mois qui viennent :

Au centre, le retour de la stabilité sera déterminant pour stopper l'insécurité rampante dans cette région qui menace désormais les voisins du Mali ainsi que la bonne tenue des élections de juillet. A cet égard, le nouveau Premier ministre malien, Soumeylou Boubèye Maiga, a annoncé récemment un plan d'action global prévoyant le déploiement de 4 000 hommes ainsi que des investissements dans des projets de gouvernance et de développement pour initier une nouvelle dynamique face aux groupes armés.

Au nord du Mali, le déterminant majeur reste la mise en oeuvre des accords de paix et de réconciliation. Le blocage actuel bénéficie en premier lieu aux groupes terroristes qui en profitent pour reprendre en main les différentes communautés et noyauter les groupes signataires (GAS). Une nouvelle fracture s'est mise en place de façon progressive entre les GAS, indépendamment de leur plate-forme d'origine : ceux qui sont indifférents, voire poreux, aux groupes terroristes et ceux qui s'y opposent. Cette dérive est la conséquence directe de la non application de l'accord de Paix. Il faut revenir à l'esprit de cet accord et le mettre en application de façon ferme et pragmatique. Le Conseil de sécurité de l'ONU s'est d'ailleurs prononcé récemment pour l'imposition de sanctions aux organisations et personnalités faisant de l'obstruction.

En ce qui concerne l'opération Chammal au Levant, la France intervient dans le cadre de la coalition contre Daech. L'emprise territoriale de Daech a diminué de 97% en trois ans, permettant aux Irakiens d'annoncer la victoire sur le califat. Il faut se réjouir de l'importance de ce succès et de la fin du protoétat islamique. Cependant, l'organisation n'est pas encore totalement vaincue. En Syrie, Daech résiste dans la moyenne vallée de l'Euphrate. Près de la frontière avec l'Irak, il a été battu à l'ouest du fleuve par les forces prorégimes et à l'est par les forces démocratiques syriennes – forces créées en 2015 autour des Kurdes et fédérant plusieurs tribus arabes, appuyées par la coalition. Les efforts doivent se poursuivre dans la poche de Dachicha, où Daech profite de la porosité de la frontière avec l'Irak. Il garde encore la possibilité de mener des attaques terroristes meurtrières- comme il y a 15 jours à Bagdad. Daech est en cours de mutation d'une organisation paraétatique à une organisation clandestine. Il conserve une remarquable faculté d'adaptation aux évolutions récentes et la mobilisation autour d'autres points de focalisation du conflit syrien (Ghouta orientale, Afrin) pourrait lui permettre de relever la tête.

En Irak, Daech a basculé dans la clandestinité. Les forces de sécurité irakiennes (FSI) continuent toutefois de mettre à jour des caches d'armes, témoignant d'une capacité résiduelle importante de cellules isolées. On constate d'ailleurs un nombre d'attaques croissant contre les civils et les forces de police, aussi bien dans le Nord que dans l'Anbar.

L'action de la France se poursuit sur les deux volets de son engagement initial : l'appui-feu et la formation des forces de sécurité irakiennes. Nos actions d'appui-feu ont diminué à mesure que la fin de Daech se précise et que la montée en puissance des forces irakiennes leur permet de prendre en compte l'ensemble des menaces par elles-mêmes. Nous avons d'ailleurs commencé à désengager un certain nombre de moyens du théâtre.

Les actions de formation devraient se poursuivre au même rythme mais ce sera au gouvernement irakien de dire ce qu'il attend de ses partenaires. Il est probable que les choses se préciseront après les élections législatives qui doivent se tenir le 12 mai.

M. Christian Cambon, président. – La loi de programmation militaire ne prévoit pas de marge de manoeuvre pour de nouveaux engagements. Les contrats opérationnels auraient-ils dû être augmentés ?

Général Grégoire de Saint-Quentin. – La mission Chammal est fortement consommatrice de moyens. Le fait que Daech soit en passe d'être totalement vaincu et que les Irakiens agissent désormais en autonome nous permet déjà de pouvoir en rapatrier une partie. On peut espérer aller plus loin dans le désengagement à la fin de Daech en Syrie et récupérer ainsi de la marge de manoeuvre supplémentaire. Ce sera probablement également fonction de l'évolution des enjeux de sécurité dans la région.

M. Cédric Perrin. – Quel est l'état du MCO pour les opérations Barkhane et Chammal ? L'opération Chammal est fortement consommatrice de crédits et de munitions militaires. Avez-vous l'intention d'y déployer le LRU qui a montré son efficacité dans la mission Barkhane ? Actuellement, c'est le CAESAR qui est déployé. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le déploiement du HK 416 ? Quel apport représente-t-il pour nos forces ?

M. Bernard Cazeau. – Quand on analyse la loi de programmation militaire, on se rend compte que la problématique posée par les crédits des OPEX est majeure. Or, la participation des pays de l'Union européenne aux opérations est très faible, voire insuffisante dans la lutte contre Daech et le terrorisme. Si mes chiffres sont exacts, il y a ainsi 400 militaires néerlandais, 200 Suédois, quelques cadres militaires allemands, un peu de soutien aux troupes par les Espagnols et les Anglais. Peut-on espérer de nos partenaires européens une augmentation de leur participation budgétaire ? Il faut bien avoir conscience qu'en luttant contre Daech, nous défendons l'Europe.

M. Olivier Cigolotti. – Quelle est l'efficacité de la MINUSMA ? Le conseil de sécurité de l'ONU a créé cette mission multidimensionnelle des Nations unies pour aider à la fois les autorités maliennes à stabiliser le pays, à faire appliquer la feuille de route et les accords de paix. L'action de la MINUSMA est-elle à hauteur des engagements budgétaires ? Son engagement militaire est-il efficace aux côtés des forces sur le terrain ? Il y a quelques mois, les autorités maliennes ont demandé des moyens supplémentaires pour la MINUSMA, afin d'améliorer son efficacité.

M. Jean-Marc Todeschini. – Vous avez évoqué tout à l'heure l'opération Sentinelle. Est-ce que le spectre de la réserve militaire va évoluer notamment au niveau des OPEX ?

M. Yannick Vaugrenard. – Je souhaite revenir sur les forces françaises au Mali. On sait que dans ce cadre-là, l'état d'esprit de la population est important. N'y-a-t-il pas un risque, qu'après avoir répondu à l'appel à l'aide du Mali, la France, avec le temps, soit perçue comme une armée occupante ?

Est-ce que la force conjointe G5 Sahel est apte à prendre un jour – et quand – le relais de la France ?

M. Jean-Marie Bockel. – Au Mali, nous sommes dans une situation où nous avons le sentiment d'avoir fait ce qu'il fallait faire. Mais dans la durée, il y a beaucoup d'éléments qui risquent de nous échapper. Même si nous connaissons tous les efforts qui ont été faits par le G5 Sahel, toutes les conditions ne sont pas encore réunies pour passer le relais. Le Mali reste un maillon faible. Certaines régions maliennes sont en train d'échapper à tout contrôle. En ce qui concerne l'accord de paix avec les populations du Nord, on a l'impression que c'est un éternel recommencement. Y-a-t-il une vraie volonté politique, de part et d'autre, de reconstruire le Mali ?

M. Ladislas Poniatowski. – Le tableau que vous avez dressé de Barkhane n'est pas très rassurant. Ma question porte sur le désengagement de Barkhane. J'ai d'ailleurs posé la même question à la Ministre hier, qui ne m'a pas complètement répondu. Nous savons que même si les crédits pour les opérations extérieures ont été augmentés à 650 millions d'euros, cela ne sera pas suffisant. L'option d'un désengagement est-elle à l'étude ?

M. Alain Cazabonne. – Le Mali aura-t-il les moyens d'assurer sa sécurité ? Nous savons que dans des pays confrontés à des problèmes similaires, une solution durable de sécurité ne peut être apportée que par le pays lui-même. Est-ce un problème de moyens militaires, de formation ? On craint un désengagement éventuel de la France, qu'en est-il de l'Union européenne, elle-même absente ?

M. Gilbert Roger. – Vous avez évoqué la coalition en Irak et, de fait, en Syrie. La tentation de retrait américain ne va-t-elle pas nous poser des choix compliqués à faire dans le cadre de la loi de programmation militaire ? Est-ce que cela peut nous contraindre à devoir mettre plus de moyens ?

Mme Hélène Conway-Mouret. – Qu'en est-il du rôle de l'Algérie ? Nous savons que de nombreux terroristes se trouvent au nord du Mali. Certes, l'on peut regretter le manque d'engagement de nos partenaires européens. Mais, qu'en est-il de l'engagement de l'Algérie dans la lutte contre le terrorisme ?

Par ailleurs, j'étais à Bamako il y a quelques mois. Notre attaché de défense signalait qu'il faudra encore beaucoup de temps avant que l'armée malienne soit formée pour pouvoir défendre convenablement le pays. En outre, certains des pays voisins estiment que les Maliens ne font pas suffisamment d'efforts en termes de sécurité.

Général Grégoire de Saint-Quentin. – Le LRU est une excellente arme qui permet des tirs précis à une grande distance – au-delà de 70 km et qui, dans notre arsenal, s'inscrit bien entre l'appui aérien et l'appui de l'artillerie classique. Nous avons pris la décision de ne pas le déployer dans l'opération Chammal et de privilégier le CAESAR. L'efficacité de ce dernier est éclatante. Il est en effet très précis pour un outil qui n'est pas doté de munitions à guidage terminal. Le LRU n'a pas été déployé, car nous ne jugions pas nécessaire d'augmenter notre capacité de frappe. Rappelons qu'après les Américains, nous sommes le pays de la coalition qui a déployé le spectre de moyens le plus large.

Le HK 416 est adopté d'emploi par le 1er RPIMa depuis 2006. Ce n'est pas un hasard. C'est une arme très aboutie, car elle a l'ergonomie du M16, qui bénéficie de 40 ans d'évolution et d'innovation, tout en adoptant un mécanisme particulièrement fiable, limitant les risques d'incidents de tir de manière très significative, quel que soit le terrain d'engagement – sable, jungle.

L'une des problématiques de l'emploi en opération du matériel est l'augmentation de la consommation du potentiel des machines. Un équipement déployé à Barkhane pendant un an correspond en termes de potentiel consommé à une utilisation pendant trois ans en France. Il faut adapter le MCO à la réalité de notre armée d'emploi. Notre Ministre s'est particulièrement saisie de ce sujet, notamment pour le MCO aéronautique.

A cela s'ajoute la problématique de l'obsolescence de certains de nos équipements comme le KC135, le VAB ou les patrouilleurs légers. Plus un équipement est vieux, plus il casse et plus il coûte cher à entretenir. Un effort va être fait dans la LPM pour remplacer rapidement cette gamme de matériels. Ce sera une très bonne chose pour faire baisser le coût de la maintenance et amènera une meilleure protection de nos hommes (programme Scorpion), face aux risques des engins explosifs improvisés.

La France est-elle une armée occupante au Mali ? Je crois qu'il faut faire très attention aux termes employés. Notre histoire nous a appris ce que veut dire être occupé par une armée étrangère et employer un tel terme pour définir Barkhane est très dur à entendre. Depuis cinq ans, à l'appel des autorités maliennes, nous payons le prix du sang au Sahel pour la stabilité de cette région et pour protéger la population des conséquences du conflit alors qu'elle est en proie à l'arbitraire des groupes armés et de leur violence indiscriminée, notamment par l'usage des mines. Cette réalité n'est pas celle d'une armée occupante. Toutefois, je partage votre point de vue sur le fait que la présence d'une force étrangère dans un pays peut toujours faire l'objet de tentatives d'instrumentalisation par des parties au conflit ou par leurs soutiens. Nous devons être particulièrement vigilants sur ce point.

En ce qui concerne la participation européenne, je ne suis pas sûr qu'il n'y ait que 150 Allemands au Sahel. Ils sont plus près de 800 dans la MINUSMA. Certes, nos principaux partenaires européens ne sont pas autant représentés que nous, mais leur participation est en progression. L'Italie a annoncé l'envoi de plus de 450 personnels au Niger pour aider à la lutte contre les réseaux d'immigration clandestine. Il y a également un soutien financier important à la force G5 Sahel. Le Royaume-Uni met prochainement à notre disposition trois hélicoptères de transport lourd. De manière générale, il y a une prise de conscience que la stabilité du Sahel n'est pas une marotte française et que l'inaction aurait un impact direct sur la sécurité de l'Europe. Il faut d'ailleurs considérer les contributions de nos voisins européens, en capacités opérationnelles, de formation ou de financement à travers tout l'éventail des forces qui sont présentes au Sahel : la MINUSMA, Barkhane, EUTM, la force G5 Sahel, les armées nationales. Elles partagent toutes le même but : la stabilité du Sahel. Le vrai défi est qu'elles agissent de façon coordonnée. Il me semble que c'est le rôle de la France, qui a la plus forte empreinte avec Barkhane, d'essayer de fédérer les efforts et nous réunirons prochainement un certain nombre de mes homologues pour examiner avec eux comment nous pouvons être plus efficaces sur le terrain.

S'agissant du désengagement, c'est évidemment l'objectif à terme. Nous sommes là pour mettre les groupes terroristes à la portée des forces locales afin que celles-ci puissent durablement assurer la stabilité de leur pays respectifs sans intervention étrangère. C'est une mission qui demande du temps mais qui nécessite également d'adapter en continu la Force, dans son organisation comme dans ses modes d'action, à un environnement en constante évolution. C'est une réflexion permanente, partagée entre les états-majors à Paris et le théâtre.

L'armée malienne s'est déjà beaucoup restructurée mais elle doit le faire sous la pression des opérations, ce qui n'est jamais facile. Elle connait de lourdes pertes et il faut continuer à la soutenir. La France est fortement engagée dans cette tâche. Par un soutien direct et multidimensionnel de Barkhane sur le terrain mais aussi par un partenariat bilatéral des Eléments Français au Sénégal. Nous devons persévérer dans cette voie qui est la seule à même de permettre au Mali de préserver par lui-même son intégrité territoriale et sa souveraineté.

L'exemple de l'armée irakienne qui n'avait pas tenu le choc devant l'arrivée de Daesh à Mossoul en 2014 et a aujourd'hui reconquis la quasi-totalité de son pays avec le soutien de la coalition internationale est un bon exemple de ce qui peut fonctionner à partir du moment où les capacités militaires et le leadership sont en place.

En ce qui concerne Chammal, l'armée américaine ne se retire pas à proprement parler, mais elle prend en compte la fin des opérations contre Daech, le fait que les Irakiens prennent en main leur propre sécurité et la situation en Afghanistan. Les généraux américains sont conscients que ce qui a permis l'émergence de Daech, c'est le retrait précipité des instructeurs américains d'Irak en 2011.

Chacun sait que l'Algérie est un grand pays de l'espace Sahélo-Saharien qui a un rôle très important à jouer en matière de lutte contre le terrorisme dans cette région. Elle a beaucoup d'atout pour cela : ses capacités militaires et de renseignement, sa position géographique mais aussi la richesse de son expérience en la matière. C'est pour cela que nous pensons que nous devons intensifier le dialogue au niveau opérationnel entre le commandement de Barkhane et les autorités militaires algériennes de la zone. Cela viendra utilement compléter les facilités logistiques que l'Algérie accorde à l'opération Barkhane et qui sont très appréciables.

M. Christian Cambon, président. – La MINUSMA coûte un peu plus d'un milliard d'euros par an. Plus de 80% des dépenses sont consacrées à sa propre sécurisation.

Général Grégoire de Saint-Quentin. – Je constate que la MINUSMA est critiquée à la fois par ceux qui pensent qu'elle en fait trop et par ceux qui considèrent qu'elle n'en fait pas assez ! Il y a d'un côté les tenants d'une certaine vision du maintien de la Paix tel qu'il a été élaboré il y a plus de 50 ans mais qui trouve de moins en moins d'écho dans le monde dérégulé dans lequel nous vivons. Et de l'autre côté, ceux qui pensent qu'elle est inefficace sans voir son rôle fondamental de maillage du terrain dans des zones qui, sans elle, seraient complétement oubliées. La réalité c'est qu'il y a une véritable complémentarité des différentes opérations et que, comme je l'indiquais tout à l'heure, nous devons aller plus loin dans les synergies. Barkhane a besoin de la MINUSMA et je pense que l'inverse est vrai également. Enfin, avant de porter le fer contre l'efficacité de cette Force, je pense qu'il faut d'abord considérer les moyens qui lui sont donnés ainsi que leur restriction d'emploi (caveats). Toutes choses qui dépendent en premier lieu de la volonté et de l'appréciation de chacune des nations contributrices.

L'opération au Liban est le plus vieux déploiement opérationnel français. Elle a commencé en 1978. La situation est actuellement compliquée par la fin des opérations en Syrie et on vient de voir avec l'échange armé entre les Forces Pro Régime et Israël que la tension peut monter rapidement dans la région. Toutefois, la FINUL jouera le rôle qui lui a été confié par le mandat de l'ONU. La présence de la France dans la région et au Liban est importante. Tout le monde sait que c'est la France qui arme la force de réserve, même si depuis 2016, il y a également une compagnie finlandaise. Ce rôle est significatif pour les pays de la région.

M. Christian Cambon, président. – N'y-a-t-il pas une crainte d'une flambée de violence, plaçant la FINUL au milieu des hostilités ?

Général Grégoire de Saint-Quentin. – C'est toujours possible, toutefois, cela ne me semble pas être l'intérêt des forces en présence.

M. Christian Cambon, président. – Mon Général, nous vous remercions pour cette audition. Je conclurai cette dernière en affirmant notre solidarité et notre soutien à l'ensemble de nos troupes. Nous savons qu'elles interviennent dans des conditions difficiles, instables, où leur sécurité est en jeu. C'est pour l'ensemble de ces raisons que les débats autour de la LPM sont importants.