La DRM fête ses quinze ans (1)

L’invasion du Koweït et l’envoi de nos forces dans le Golfe ont mis en lumière les lacunes et faiblesses de nos moyens de renseignement militaire et surtout l’absence d’une manœuvre d’ensemble de leur emploi en raison précisément d’une organisation inadaptée. Le projet du général François Mermet de DRM est alors relancé.

Le 10 mai 1989, le ministère de la défense, Jean-Pierre Chevènement, a confié au général d’armée aérienne François Mermet, Conseiller du gouvernement pour la défense, « une mission sur le renseignement militaire et ses perspectives d’évolution au cours de la prochaine décennie…»

Le général d'armée aérienne François Mermet -- Photo © Joël-François Dumont. -
Le général d'armée aérienne François Mermet, ancien DGSE

Le ministre précisait que « L’évolution rapide des techniques mises en œuvre – observation, écoute, transmissions ou traitement de l’information – aura des conséquences importantes sur les conditions de recueil, d’exploitation et de diffusion du renseignement. La modification des menaces ou l’apparition de nouvelles menaces liées notamment aux situations de crise à l’horizon de la fin du siècle doivent également susciter une réflexion sur les orientations données au renseignement militaire ». Il demandait enfin de prendre « naturellement en compte, dans sa réflexion, les aspects liés à la coopération internationale, notamment avec nos partenaires de l’OTAN. »

  • La maïeutique d’un service

A l’issue de ses visites auprès des Services de renseignement militaires alliés et de ses entretiens avec leurs Directeurs, il est apparu d’emblée au général Mermet et à sa petite équipe, que seule la création d’une Direction du Renseignement Militaire regroupant des moyens dispersés entre les différentes armées, et leur renforcement dans une optique globale interarmées, voire nationale, permettrait d’obtenir la taille critique pour, d’une part, fournir en temps réel un renseignement de meilleure qualité au CEMA et à nos forces en opérations et, d’autre part, présenter au ministre de la Défense une information politico-stratégique, plus complète et plus autonome grâce à une meilleure utilisation des sources nationales et étrangères, avant de décider de l’engagement, puis de conduire les opérations.

Cette double subordination existe chez les Anglo-Saxons où le renseignement militaire, le Defense Intelligence Staff (DIS) est au même niveau que le MI6, le GCHQ et le MI5.

La création de cette Direction renforce ainsi notre liberté d’appréciation politico-militaire et notre crédibilité auprès de nos alliés et partenaires. Il s’agissait ni plus ni moins de faire chez nous ce qui marchait chez les autres !

De plus, l’évolution technique se traduisant par le développement de nouveaux senseurs lourds et coûteux et par l’irruption du fait spatial, il convenait de mutualiser ces moyens au niveau national et en interarmées, DGA comprise, et de disposer ou de former des personnels qualifiés pour tirer le meilleur parti des informations recueillies en évitant les redondances et en dotant cette nouvelle Direction de moyens valables en temps de paix, de crise comme de guerre. Le rapport d’étape remis en septembre 1989 fut accueilli avec scepticisme et réticence par quasiment l’ensemble des responsables concernés et même l’hostilité du CEMA de l’époque. En revanche les « chevilles ouvrières du renseignement » attendaient cette réforme et cette reconnaissance, mais sans pouvoir le dire !

C’est alors que l’invasion du Koweït, puis l’envoi de nos forces dans le Golfe mirent en lumière les lacunes et faiblesses de nos moyens de renseignement et surtout l’absence d’une manœuvre d’ensemble de leur emploi, en raison précisément d’une organisation inadaptée. On avait là là, la « photo couleur » de nos insuffisances !

L'arrivée en janvier 1990 à la Défense de Pierre Joxe, en pleine Guerre du Golfe, devait relancer le projet. Connu pour être « intelligence-minded », convaincu de l’intérêt des moyens spatiaux et fort mécontent de carences jugées inacceptables, le ministre décida de poursuivre les recommandations du rapport du général Mermet.

La nomination en 1991 d’un nouveau CEMA, l’amiral Lanxade, devait faciliter cette réforme qu’il avait soutenue comme chef de l’EMP. C'est ainsi qu'est née la DRM, « créé par décret en date du 16 juin 1992, le même jour que la délégation aux affaires stratégiques, et huit jours avant le Commandement des Opérations Spéciales », une quasi simultanéité ne tenant bien sûr pas au hasard, comme l'a expliqué le 18 juin dernier le général de corps aérien Michel Masson, directeur de la DRM,[2]

L’inspiration du modèle britannique se retrouve aussi bien pour la DRM que pour les Forces spéciales, ces dernières ne pouvant opérer sans la première. Nos partenaires et alliés furent très favorablement impressionnés par la rapidité et l’ampleur de cette réorganisation et notre crédibilité comme « nation cadre » en fût d’autant affirmée.

  • L’évolution récente

La DRM n’a bien sûr pas attendu le 11 septembre pour se transformer, ni pour s’adapter « à l’évolution des techniques, notamment celles de l’information » développant le renseignement de source ouverte, thème d'un colloque organisé pour la circonstance. La DRM s'emploie à « développer les techniques d’analyse systémique qui trouvent leur application aussi bien dans la phase de planification des opérations que dans le ciblage. » La DRM n'a ni pour objectif ni d’ailleurs les moyens de concurrencer d'autres services (DGSE, DST, DPSD), mais au contraire, elle se doit de jouer la complémentarité. La fin de la guerre froide et les conflits asymétriques qui lui ont succédé, s'ils ont bien fait naître de nouvelles missions n'ont pas pour autant supprimé les anciennes. Le général Masson précise qu’il a fallu y ajouter « l’analyse systémique » c’est à- dire l’étude des relations internes à des systèmes de pouvoir, de production ou de distribution d’énergie, en vue de déterminer les points faibles qu’il convient de frapper pour obtenir l’effet recherché au moindre coût en pertes amies et en dommages collatéraux. La démarche intellectuelle correspondante étant d’ailleurs, dans son principe, la même s’il s’agit d’étudier un système mafieux ou un réseau de prolifération.

Dans nos démocraties occidentales, le renseignement est « un moyen et non une fin ».[3] Même si la transformation du « RIM » est permanente, « les fondamentaux du métier ne sont pas prêts de changer ». Le général Masson n'est pas le seul à en être convaincu et son initiative d'associer son personnel à célébrer ce 15ème anniversaire a été très appréciée, y compris par les nombreux représentants étrangers, les uns voyant dans cette DRM un partenaire « fiable, disponible et surtout, de qualité. » les autres disant que ce service en 15 ans d’existence avait « réussi le tour de force de jouer dans la cour des grands. »

A suivre…

Joël-François Dumont

(*) Auditeur à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) et rédacteur en chef adjoint de la revue Défense.

[1] Numéro 128 daté de juillet-août 2007 de Défense, revue bimestrielle de l'Union des Associations des Auditeurs de l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN). Abonnements: BP 41-00445 Armées. 
[2] Le GCA Michel Masson est Auditeur de la 49ème Session de l’IHEDN. 
[3] Lire: "Question(s) d'intelligence: le renseignement face au terrorisme", de Bruno Delamotte publié le 28 mai 2004 aux Éditions Michalon.

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