Nous sommes très attachés à une vraie réforme des Nations unies, du Conseil de sécurité bien sûr et donc nous sommes engagés dans cette réforme. C’est un sujet extrêmement difficile et névralgique. La France prend sa part au débat. Deuxièmement, le monde est dangereux, instable. Je l’ai dit à la conférence des ambassadeurs. Plus que jamais, le lieu où se construit le droit international est un lieu majeur pour notre pays.
Allocution de Michel Barnier, ministre français des Affaires étrangères, devant les fonctionnaires internationaux français. New York, le 22 septembre 2004, New York, 21 septembre 2004. Source: Quai d’Orsay.
Je tiens à vous adresser quelques mots amicaux, en compagnie du secrétaire d’Etat, Renaud Muselier qui est à mes côtés, et de M. l’Ambassadeur.
Je sais que c’est un rendez-vous traditionnel pour les fonctionnaires français des Nations unies. Je suis très heureux de prendre part pour la première fois à cette tradition à l’occasion de cette semaine ministérielle de l’Assemblée générale. En tout cas, j’attache beaucoup d’importance, Mesdames et Messieurs, à ces quelques instants et à ce moment passé avec vous.
Vous me permettrez tout d’abord de souligner la difficulté des tâches que vous assumez et de dire un mot à la mémoire de deux de nos compatriotes dont la disparition nous rappelle que le métier de fonctionnaire des Nations unies est un métier particulier et souvent dangereux. N’oublions pas aux côtés de Sergio Vieira de Mello, la disparition de Jean Selim Kanaan et en Afghanistan, de Bettina Goislard et sans doute aussi, au-delà de ces deux personnes, de beaucoup d’entre elles que vous connaissez, fonctionnaires qui portent haut et loin et avec force le drapeau des Nations unies.
Si je vous dis, Mesdames et Messieurs, que ce que vous représentez est important pour moi, c’est parce que je viens, d’une certaine manière pendant les cinq dernières années, de vivre comme vous au cœur d’une institution internationale. S’agissant de l’Union européenne et de la Commission, j’ai appris à respecter, à travailler, à vivre avec les fonctionnaires internationaux à Bruxelles, à être moi-même dans cette position assez particulière qui est la vôtre à chacune et à chacun aujourd’hui. Cette position où l’on reste passionnément patriote, fier d’être Français, attaché à son identité et, en même temps, indépendant et respectueux de ce devoir d’indépendance, d’impartialité, de neutralité qui est au cœur de votre mission de fonctionnaire international. J’ai fait cette expérience de prêter serment d’indépendance devant la Cour de justice des Communautés européennes et donc je sais que c’est possible d’avoir cet attachement patriotique à notre pays, à notre Nation et en même temps d’assumer clairement, sans état d’âme, cette haute fonction indépendante et impartiale.
D’ailleurs, s’agissant des Nations unies et de la France, au fond, les choses sont sans doute encore un peu moins difficiles que pour d’autres, car notre pays est très proche, pour ne pas dire davantage, de l’idéal des Nations unies lié à la diversité culturelle et linguistique. Je serai particulièrement actif, comme j’ai décidé de l’être au niveau européen, pour préserver la diversité culturelle et linguistique qui est au cœur de l’idéal des Nations unies. Naturellement, je serai vigilant quant au statut de notre langue, langue de travail, mais encore aussi quant au budget de l’organisation qui doit être préservé s’agissant des moyens qui sont consacrés à cette diversité culturelle.
Je serai également vigilant s’agissant de la présence de fonctionnaires français dans les institutions internationales. Aujourd’hui, 11 % de l’ensemble des fonctionnaires internationaux dans le monde sont Français. C’est la seconde position après les États-Unis, même si à New York, ici, ce chiffre est inférieur compte tenu de l’effet « siège ». C’est une réalité solide qui est liée à l’histoire, à la part que nous avons pris dans toutes ces organisations internationales et en particulier à la plus importante, ici, aux Nations unies. Mais, à partir de cette réalité, le devoir de vigilance s’impose. Il ne doit pas être défensif, ce n’est pas mon tempérament. Il doit être plutôt volontaire pour préparer l’avenir. Pour moi, le recrutement de jeunes Français dans ces institutions est une priorité. Je le dis ici à New York, mais ce sera vrai s’agissant de la Commission européenne, du Conseil ou du Parlement européen. On me dit dans les mêmes statistiques que 80% des agents actuellement en fonction aux Nations unies vont quitter leur travail normalement pour partir en retraite dans les dix ans qui viennent. C’est un pourcentage de renouvellement considérable et en même temps pour les nouveaux, les jeunes, l’occasion d’entrer dans cette formidable mission au service des Nations unies. On me dit que trente jeunes Français ont réussi ces deux dernières années le concours d’entrée des Nations unies et encore une fois s’agissant de leur préparation, même si je sais que ce n’est pas facile, nous resterons disponibles. En tout cas, Mesdames et Messieurs, vous pouvez compter sur cette vigilance, et je suivrai personnellement, avec toute l’équipe ministérielle qui m’entoure, trois points.
Tout d’abord le programme des jeunes experts associés : quatre-vingts jeunes bénéficient chaque année du financement par la France de deux années auprès des Nations unies, à New York comme sur le terrain. Ce qui m’a paru intéressant dans cette initiative, c’est que deux sur trois sont recrutés par les Nations unies à la sortie. Donc ce programme est efficace.
Ensuite, je veux vous dire aussi que nous serons à votre disposition, et je le serai autant que je le pourrai, pour entretenir le dialogue dont vous avez besoin. J’ai donné instruction d’être disponible à notre ambassadeur, M. de La Sablière, mais aussi, à Paris, à la direction des Nations unies et des Organisations internationales et à la mission des fonctionnaires internationaux qui sera davantage soutenue à l’avenir, aux représentations permanentes auprès des différents sièges de l’Organisation.
Et enfin, il y a le dialogue que nous devons avoir avec votre association des fonctionnaires internationaux de New York, qui est notre interlocuteur privilégié puisqu’elle réunit, si j’ai bien compris, près de la moitié des Français travaillant au siège à New York. S’agissant des préoccupations, y compris de vie quotidienne, qui peuvent être les vôtres, il y a là un relais, une courroie de transmission tout à fait indispensable.
Je voulais également évoquer avec vous plusieurs autres aspects. D’abord nous sommes très attachés à une vraie réforme des Nations unies, du Conseil de sécurité bien sûr et donc nous sommes engagés dans cette réforme. C’est un sujet extrêmement difficile et névralgique. La France prend sa part au débat. Deuxièmement, le monde est dangereux, instable. Je l’ai dit à la conférence des ambassadeurs. Plus que jamais, le lieu où se construit le droit international est un lieu majeur pour notre pays. Je disais à propos de notre idéal commun, qu’il a toujours été attaché à cette règle fondamentale qui est celle du droit international comme cadre de toute action politique internationale. Nous le répéterons et nous le redirons aussi fort et aussi longtemps que cela sera nécessaire. Ce droit international est nécessaire pour régler ou traiter chacune des crises actuelles et celles qui sont devant nous. Notre attachement à l’idéal des Nations unies ne nous interdit pas d’autres cadres pour l’action diplomatique. J’ai dit également devant les ambassadeurs que le ministre des Affaires étrangères de la France sera un ministre européen. Je viens de passer, je le répète, cinq ans à côté de notre pays dans une institution internationale. C’est intéressant d’observer son pays d’à côté, un peu comme vous le faites tous, de voir ses forces et ses faiblesses, de voir en quoi quelquefois il pourrait être plus influent s’il était un peu moins arrogant, en quoi il pourrait être beaucoup plus fort s’il était moins solitaire, en quoi il pourrait avoir une efficacité plus grande s’il portait davantage d’attention aux autres. En disant cela, je ne donne dans aucune sorte d’auto flagellation. J’essaye d’être lucide, par rapport à ce que je regarde, à ce que l’on me dit, à ce que les autres pensent à tort ou à raison depuis assez longtemps, quels que soient les gouvernements, s’agissant de la valeur même de notre pays, par son histoire et son attachement aux principes fondamentaux de dignité des peuples et de liberté. Notre pays est attendu, je suis sûr de cela. Il a un message à porter de manière singulière et particulière. Il faut en convaincre les autres pour les entraîner. Voilà l’état d’esprit dans lequel je suis et dans lequel je voudrais que la diplomatie française se mette davantage, en considérant bien que le cadre européen est désormais celui de notre influence, et nous allons au-delà de ces mots.
Je voulais enfin vous dire que le projet européen vit un moment extrêmement important avec la Constitution que nous avons entre les mains et qui doit être ratifiée, avec l’accueil d’une dizaine de pays supplémentaires, avec aussi cette ambition, qui est fondamentalement la mienne, que ce projet européen ne soit pas seulement un supermarché ou une union monétaire mais un projet politique : faire de l’Union un acteur global ! Je suis convaincu encore plus aujourd’hui que la stabilité et l’équilibre du monde ont besoin d’une Europe unie, pas seulement pour faire du commerce, envoyer des chèques mais pour jouer son rôle politique dans le monde comme l’une des grandes régions qui s’organise et qui parle d’une seule voix. C’est aussi cela le sens de l’action que je vais conduire pendant les quelques années qui viennent et je vous remercie de m’avoir donné une occasion de vous le dire en vous remerciant surtout d’être venus partager ce moment de convivialité, française, avec moi./.