« Défense »

Pour la Défense Européenne il semble que l’on confonde encore trop facilement les capacités techniques et opérationnelles des moyens avec la réalité d’une politique de Défense qui ne se limite pas à des accords industriels entre quatre ou cinq des pays les plus avancés, tandis que règne le silence sur le nucléaire.

Par l’Amiral Guy Labouérie, membre de l’Académie de Marine (1). Brest, le 4 février 2005 (©)

Le cas français est intéressant par son évolution qui n’est pas seulement sémantique, passant d’un ministère de la guerre à celui des Armées, puis de la défense, tandis qu’un Premier ministre plein de bon sens, Mr Barre, préférait parler de “politique de sécurité” donnant ainsi une finalité précise, sécurité des citoyens et des intérêts français.

Derrière ces termes montait dans le monde politique européen, sauf en Grande-Bretagne, la tentation encouragée par des groupuscules idéologiques de nier la violence du monde et se contenter plus tard de “dividendes de la paix”. Cela s’est traduit et se traduit peut-être encore pour nos militaires par des modalités d’autodéfense aboutissant au scandale en ex-Yougoslavie dès lors que les commandants sur place n’avaient pas l’audace de privilégier l’honneur de leur pays, la vie de leurs hommes et celle des citoyens du lieu, à défaut que les organisations internationales et nationales leur aient réellement fixé les finalités recherchées. Si en France sur ce cas précis il y eut une réaction d’autorité en 2002, on peut craindre qu’ à l’échelle européenne, et toujours sauf le cas britannique, on se retrouve à nouveau dans des situations analogues.

De plus pour la Défense Européenne il semble que l’on confonde trop facilement les capacités techniques et opérationnelles des moyens avec la réalité d’une politique de Défense qui ne se limite pas à des accords industriels entre quatre ou cinq des pays les plus avancés, tandis que règne le silence sur le nucléaire. Certes on finira sous la pression de la concurrence américaine à avoir une industrie européenne de Défense mais, pour la réussir comme Airbus ou Ariane Espace, il faudra être peu nombreux avec un leader bien défini.

Pour autant ce ne sera pas une “politique de défense” et les réactions des autres Européens risquent de ne pas aller dans le bon sens comme on l’a déjà vu avec la Pologne. En effet, tant que l’on ne sait pas ce que l’on veut défendre et pour quoi, une politique des moyens, rêve des politiciens et des ingénieurs, sera à côté des urgences du moment. Or les politiques ne sachant pas ce qu’ils veulent de l’Europe, sont apparemment incapables de s’entendre vraiment sur ce sujet essentiel. On se réunit, on discourt, on décore, on commémore, on signe des accords limités, on expédie ou pas des troupes ici ou là, mais tout cela sans discussion publique, sans affirmation d’objectifs clairs, sans règles de comportements uniques et dans la peur des médias. Rien de tout cela ne fait une politique de défense… pas plus que de l’inscrire dans le cadre de l’OTAN comme le propose le projet de Traité constitutionnel, alors même que depuis 1989 personne ne sait plus ce qu‘est exactement l’OTAN, sinon un outil américain, que la chute du mur a vidé de sa finalité première plongeant politiques et militaires dans une douloureuse expectative.

La situation des opérationnels a toujours été très difficile. En effet, non seulement ils voient généralement leur budget servir de variable d’ajustement budgétaire avec de rudes conséquences sur leurs moyens mais, faute de politique de Défense, ils sont obligés de penser à la place des politiciens sur les conséquences les plus probables de ces non-dits, de ces non-voulus, et d’inventer ce qu’ils appellent des stratégies qui ne sont en réalité que des comportements susceptibles de répondre au mieux à ce que demandera le politique dans l’instant, ce qui ne correspondra généralement pas à ce qu’ils avaient envisagé ni aux moyens dont ils disposent.

Il est plus que temps de s’interroger sur la Vision européenne de la Planète, sur ce qu’est l’Europe en devenir, sur ses intérêts réels, ses relations avec le reste du monde, ses objectifs, etc. et, partant, inventer les stratégies nécessaires qui seront aussi diversifiées que ses acteurs civils et militaires dans tous ses domaines d’action.

On peut toujours rêver.

Guy Labouérie

(1) L’Académie de Marine a été fondée en 1752. Dissoute comme toute ses consoeurs pendant la Révolution, elle n’a été réactivée qu’en 1921. Son siège est à Paris.

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