Le renseignement d’origine humaine, une spécificité Armée de Terre

Le 2e Hussards fait partie de la B.R. stationnée à Metz, laquelle regroupe tous les capteurs Renseignement spécialisés de l’armée de terre. Le 2e R.H. s’est rapproché des savoir-faire des unités de renseignement dans la profondeur du type 13e RDP, mais avec un mode d’infiltration principal qui reste le véhicule blindé.

Le "dossier" que présente le numéro 120 de la revue Défense [1] est consacré à "l'armée de Terre, aujourd'hui et demain". Une armée de Terre qui, depuis la mise en place de la professionnalisation, pour reprendre le propos de son chef d'état-major (CEMAT), le général d'armée Bernard Thorette, a « réalisé une véritable refondation depuis la suspension du service national en 1996en transformant l'organisation de son commandement, en partant à la reconquête de sa ressource humaine, en modernisant ses structures et ses équipements, tout en faisant face à ses nombreuses missions, sur et hors du territoire national… » Dans ce "dossier" sont traités notamment "le rôle des femmes sous l'uniforme" dans cette armée nouvelle, ainsi qu'un projet initié par le général de division Emmanuel de Richoufftz de Manin, adjoint territorial au général gouverneur militaire de Paris, pour aider les jeunes des quartiers difficiles ("Opération 105 permis pour 2005"). Pour Roger Bensadoun (*), l'avenir de cette armée de Terre de demain « s'inscrit dans la perspective des évolutions du contexte stratégique et de l'État. A cet effet, il s'agit de moderniser certaines fonctions opérationnelles, comme le commandement, le renseignement et la logistique… » Jean-Pierre Ferey (*) s'est attaché de son côté à faire le point sur les nouveaux matériels dont cette armée de Terre devrait être dotée au cours des deux ans à venir. Joël-François Dumont (*), pour sa part, nous fait découvrir "une spécificité armée de Terre : le renseignement d'origine humaine", article © que nous reproduisons ici avec l'autorisation de son auteur qui s'est vu ouvrir les portes d'un régiment prestigieux : le 2e Hussards (« les Hussards bruns de Chamborant ») que commande le Colonel Martin Renard. Paris, le 15 mars 2006.

Photo © Yves Debay. -
Hussard dans une cache lors de la manœuvre Toll 05 — Photo © Yves Debay

Si chacune des trois armées participent à la collecte de renseignement militaire avec des moyens techniques de Guerre électronique SIGINT, COMINT (Marine, Armée de l'air et Armée de terre ont des moyens de ce type) ou IMINT. Seule l'armée de Terre possède des moyens dits HUMINT, autrement dit « des capteurs humains ». Ces hommes appartiennent au 2e Hussards, un régiment qui tout en comptant deux siècles et demi d’histoire et de tradition militaire, est certainement l’une des plus jeunes et des moins connues des unités de l’armée de terre, en étant devenu l’un des régiments exclusivement dédiés à la recherche de renseignement d’origine humaine.

Le LCL Renard lors de sa prise de commandement du 2eR.H. avec le colonel de Fontenilles -- Photo © Joël-François Dumont. -
Le LCL Renard lors de sa prise de commandement du 2eR.H. avec le colonel de Fontenilles

Seul régiment de la Force d’Action Terrestre de ce type depuis le passage du 13e Dragons Parachutistes au sein de la Brigade des Forces Spéciales, le 2e Hussards [3] fait partie de la Brigade de Renseignement stationnée à Metz, laquelle regroupe tous les capteurs renseignement spécialisés de l’armée de terre française. Tout en continuant d’agir au niveau d’emploi d’un Corps d’Armée comme lorsqu’il effectuait des missions de reconnaissance classiques, ce régiment s’est rapproché des savoir-faire des unités de renseignement dans la profondeur du type 13e Régiment de Dragons Parachutistes, mais avec un mode d’infiltration principal qui reste le véhicule blindé.

-
Cellule radio intégrée à la patrouille de recherche en profondeur du 2e RH

  • L’Histoire

Dérivé du  2ème Hussards Régiment de Reconnaissance de Corps d’Armée (RBCA) au moment de la « refondation » de l’armée de terre, de la professionnalisation et de la disparition des niveaux division et corps pour ne garder que des brigades, il est le résultat de l’expérimentation d’un concept validé en 1998 par le général Mercier, alors chef d’état major, et développé depuis pour donner l’outil opérationnel reconnu qu’est devenue cette unité.

Brigadier-trompette et Adjudant du 2e Hussards en 1806 -- Photo BNF. -
Brigadier-trompette et Adjudant du 2e Hussards en 1806 (BNF)

Retrouvant quelque part les anciennes missions des hussards, avant que l’empereur, faute de cavalerie lourde, ne les engage peu à peu au cœur des combats et ne les fasse charger derrière les Lassale ou Murat: « les Hussards de Chamborant agissent sur les arrières de l’ennemi ou de l’adversaire et renseignent sur ces derniers… 

Cavaliers du 2e Hussards et traditions -- Photo Joël-François Dumont. -
Cavaliers du 2e Hussards à Sourdun

Pour le Colonel Martin Renard qui commande le 2e Hussards, « ce sont les espaces lacunaires laissés dans les lignes de front continues de feu le Pacte de Varsovie et que l’on trouve dans les dispositifs d’engagement opérationnels d’aujourd’hui et probablement celles de demain, qui lui ont permis de développer ou de redécouvrir l’infiltration en véhicule terrestre dans la profondeur, telle que la pratiquaient en leur temps les patrouilles du Long Range Desert Group ou des SAS du Colonel Stirling, dont la compagnie française du Capitaine Bergé, dans les déserts égyptien ou de Cyrénaïque. » [4]

-
Hussard du 2e RH déployé sur le terrain pour renseigner la force sur la progression de l'ennemi

  • Le concept

Mettant en œuvre une cinquantaine de patrouilles sur VBL Panhard, agissant en avance de phase et de façon décentralisée entre 80 et 120 kilomètres dans la profondeur des dispositifs, disposant par la capacité d’emport de ces véhicules de dix à douze jours d’autonomie totale et d’une capacité de redéploiement, les hussards transmettent leurs informations selon les distances et les besoins à leur Détachement de Liaison et de Mise en Œuvre par moyens HF, VHF, voire satellitaires. Regroupées au sein des bases de données des systèmes d’information et de commandement dédiés des unités de la Brigade de Renseignement GRANITE, ces informations sont analysées et recoupées avec celles de la recherche technique ou d’autres capteurs d’origine humaine, comme les équipes du Groupement de Recueil de l’Information au sein d’un détachement multicapteurs armé par la Brigade de Renseignement. L’employeur qu’est le bureau renseignement de l’état-major du commandant de la force engagée, peut alors présenter à son chef une analyse de situation lui permettant de mieux comprendre son environnement et d’anticiper autant que possible les réactions adverses pour mieux décider.

Cette transformation a demandé depuis huit ans au régiment un travail considérable d’expérimentation, de validation des matériels et modes d’actions, ainsi qu’un travail d’élaboration des procédures spécifiques propres au travail dans la profondeur. La formation des personnels, validée par le Centre des Études et de l'Enseignement du Renseignement de l’Armée de Terre (CEERAT) [5], implanté à Saumur, est faite au sein d’un Centre de Formation Délégué Spécialisé installé au cœur même du régiment. Le capitaine Antoine Rouland, est le chef de la Section Instruction Spécialisée Recherche de ce centre et forme à ce titre les cadres nouvellement affectés. « Près de cinq mois de formation en plus de celle reçue dans les écoles attendent les officiers et sous-officiers affectés pour servir en patrouille de recherche. Depuis deux ans, fort d’un mandat d’expérimentation établi par l’armée de terre qui vise à optimiser la présence de ces capteurs humains dans la profondeur, les chefs de patrouille sont formés au guidage de moyens de frappe dans la profondeur par désignation ou éclairage des objectifs. Outre la formation d’officiers et de sous-officiers comme Contrôleurs Aériens Avancés ou à l’illumination d’objectifs par désignateurs laser, chaque exercice est l’occasion de travailler des procédures spécifiques avec l'armée de l’air, l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT) ou bien encore avec les moyens de la Brigade d’Artillerie. » A ce titre le 2e Hussards est le régiment de l’armée de terre qui a le plus travaillé avec la "chasse" en 2005, ce qui n’est sans doute pas pour attrister Nungesser, hussard de Chamborant en 1914, avant qu’il ne rejoigne l’armée de l’air naissante …

  • Deux ensembles d’un même "système d’armes"

La première partie du système capteur mis en place par le régiment est la patrouille de recherche profonde. Composée de six personnels, s’infiltrant prioritairement en VBL mais aussi pour certaines patrouilles légères en motos ou pour quelques personnels spécialisés par voie nautique grâce à ses plongeurs, en submersion ou en kayaks, la patrouille s’installe en zone mission en deux sous-ensembles, une cellule acquisition chargée de l’observation et de la fourniture d’images de l’objectifs et une cellule transmissions chargée de transmettre ces informations à l’échelon supérieur. Toute la plus value du capteur humain réside d’une part dans la permanence de l’observation, contrairement à des moyens techniques pouvant être limités par leur autonomie ou la météo, mais aussi et surtout d’autre part par la perception des événements que seul l’homme peut apporter. Ainsi, si un drone d’observation peut utilement fournir des images en temps réel ou différé d’un site et celles de personnels ou véhicules implantés sur celui-ci, seule la patrouille de recherche pourra faire part de l’attitude de ces personnels dans la durée au travers de l’observation et apporter ce "plus" par des commentaires sur la photo qu’elle transmet.

Patrouille en Afghanistan du 2e RH -- Photo © 2e R.H. -
Patrouille en Afghanistan du 2e RH

A l’échelon supérieur, c’est le Détachement de Liaison et de Mise en Œuvre (DLMO) qui, « ayant déterminé les zones d’implantation et donné les ordres de mise en place des patrouilles, va constituer la deuxième partie du système » explique le chef du Bureau Renseignement Opérations Instruction du régiment, le lieutenant-colonel Philippe de Sagazan. « Recueillant les informations transmises par ses différentes patrouilles sur le terrain, il va les recueillir et les rentrer dans son système informatique GRANITE dont les bases de données lui permettront de les confronter à des informations éventuellement déjà détenues, de les recouper avec celles des autres capteurs et d’effectuer ainsi un traitement primaire lui permettant de déterminer s’il répond bien à la question posée par l’échelon supérieur de la Brigade de Renseignement ». Le « système d’armes » 2e Hussards se doit de fournir au commandant de théâtre des « images preuves» – numériques argentiques ou vidéo – assorties de commentaires lui permettant de se faire l'idée la plus précise possible de la situation, « grâce à ces yeux et à ces cerveaux déportés » dont il dispose ou pour répondre parfois à des attaques du type "désinformation" de la part des acteurs du conflit. Depuis quelques années et grâce à des moyens techniques spécifiques, le 2e Hussards est susceptible de fournir au commandant de la force certaines capacités de transmission d’images fixes ou vidéo en temps réel ou quasi réel, selon le débit des moyens de transmission disponibles sur place, « les patrouilles de recherche armant alors des détachement de renseignement caméra ». Ces équipes ont déjà fait preuve de leur utilité lors de manifestations importantes opposant les forces aux belligérants sur certains théâtres d’opération, comme sur le célèbre pont de Mitrovica au Kosovo lors des incidents de 2004.

  • La force de l’autorelève

Patrouille en Côte d'Ivoire du 2e RH -- Photo © 2e R.H. -
Patrouille en Côte d'Ivoire du 2e RH

Régiment unique à disposition de la Force d’Action Terrestre dans ce domaine d’action, le 2e Régiment de Hussards est présent sur la plupart des théâtres ou sont actuellement engagées les forces françaises en national ou en multinational : Afghanistan, Côte d’Ivoire, Tchad, Kosovo. Les détachements en place sont relevés tous les quatre mois par d’autres en provenance du régiment ; ces équipes se sont préparées en liaison permanente avec leurs camarades sur place, se maintenant notamment en permanence au courant des évolutions de situation et des dossiers en cours. L’outil GRANITE leur permet grâce à une base de données sans cesse enrichie de garder la mémoire du théâtre toujours plus performante et puissante. Ainsi les escadrons de recherche du régiment se sont-ils succédés pendant vingt et un mandats de quatre mois en Bosnie-Herzégovine et sont au Kosovo depuis déjà vingt mandats !

  • Une nécessaire adaptabilité

Hussard sortant de sa cache (1) -- Photo © Joël-François Dumont. -
Hussard sortant de sa cache (1)

Si la recherche en mode dit « furtif », consistant à renseigner en totale autonomie à partir de positions totalement camouflées infiltrées en VBL, reste « le cœur du métier parce que le plus dimensionnant en terme de savoir faire », les détachements doivent sans cesse s’adapter aux théâtres et à leurs spécificités pour pouvoir remplir leurs missions. Ainsi, outre l’infiltration plus discrète à pied après dépose par des moyens hélicoptères ou véhicules courants utilisés par la force et au lieu de se dissimuler dans le paysage naturel, les hommes du 2e Hussards se fondent-ils dans l’environnement humain que constituent les forces en présence, puisque « le port de l’uniforme reste bien sûr la règle. »

« La plus value du capteur humain réside d’une part dans la permanence de l’observation » -- Photo © Joël-François Dumont. -
« La plus value du capteur humain réside d’une part dans la permanence de l’observation »

Ce mode d’action dit « banalisé » consiste en pratiquant le « silhouettage » à ressembler à n’importe quelle unité du théâtre et à déployer des trésors d’inventivité pour prendre photos ou vidéos de façon invisible. Enfin, selon le chef de corps du 2e Hussards, « dans la lignée de leur camarades du Groupement de Recueil de l’Information et formés spécifiquement aux techniques du renseignement d’origine conversationnel par ces derniers, les hussards pratiquent également sur plusieurs théâtres, à un niveau technique et avec des sources d’importance moindre néanmoins, ce type de recueil par entretien particulièrement adapté dans les phases dites de stabilisation ».

Cache (3) -- Photo © Joël-François Dumont. -
Cache (3)

 Pour le Colonel Renard, c’est justement « cette adaptabilité et sa capacité à passer d’un procédé à un autre ou à utiliser des moyens sophistiqués et variés, qui rend le régiment capable de couvrir un très large spectre de missions au profit du commandant de force. »

  • Conclusion

Outil moderne qui a déjà montré toute son efficacité et son utilité sur les divers théâtres d’opérations, en permanente évolution sur le plan des techniques et des modes d’action pour s’adapter au mieux de ses possibilités et répondre aux besoins de ses employeurs, le 2e Régiment de Hussards participe à temps plein à la meilleure connaissance des situations nécessaire à tout commandant de force, lui apportant, en plus des moyens techniques de la Brigade de Renseignement agissant en synergie, cette plus-value unique et irremplaçable que constitue l’appréciation de l’homme.

Visite à Sourdun (Seine-et-Marne) le 1er mars d'une délégation de l'OTAN. De gauche à droite: le Lt Rizzeto, chef de peloton au 4ème Escadron présentant la séance d'entraînement au tir à courte distance avec des paint-balls, le colonel Martin Renard, Cdt le 2ème Hussards, le lieutenant-General Michel Maisonneuve et le contre-amiral Xavier Païtard, chef du Cabinet militaire de Michèle Alliot-Marie, ministre français de la défense.

Visite du Chef d'état-major du NATO Supreme Allied Command Transformation (Norfolk) -- Photo © 2e R.H. -
Visite du Chef d'état-major du NATO Supreme Allied Command Transformation (Norfolk)

Les résultats obtenus en Afghanistan, en Afrique ou en ex-Yougoslavie par les patrouilles du 2e Hussards depuis quelques années, ne sont pas passés inaperçus. La visite le 1er mars dernier du Lieutenant-General Michel Maisonneuve, Chef d'état-major du NATO Supreme Allied Command Transformation (Norfolk) témoigne également de l'intérêt que les armées alliées manifestent à la fois pour le concept et les méthodes d'engagement du 2e Hussards. La synthèse entre la reconnaissance blindée et la recherche en profondeur du renseignement – recherche s'inscrivant dans la durée – mise à profit d'une force terrestre engagée sur un théâtre d'opérations extérieur, est sans aucun doute un modèle dont pourraient bien s'inspirer certaines armées étrangères, dont les unités de « Long Range Research Patrol » (patrouilles de reconnaissance profonde) lorsqu’elles existent, sont le plus souvent parachutistes et ne sont pas équipées de véhicules.

Joël-François Dumont

(*) Auditeur à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) et rédacteur en chef adjoint de la revue Défense.

[1] N°120 mars-avril 2006. Défense est la revue bimestrielle de l'Union des Associations des Auditeurs de l'Institut des Auditeurs de l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (BP 41-00445 Armées). 
[2] Yves Debay est l'auteur d'un livre sur le 2e REP et plus récemment de Wildcat : Carnets de guerre d'un journaliste rebelle, publié aux Éditions Italiques
[3Le 2e Régiment de Hussards: mission et spécificité
[4] Histoire du 2ème Hussards, régiment constitué en 1735 qui se distingua pendant les guerres révolutionnaires et napoléoniennes notamment (batailles portées sur l'étendard) à Valmy (1792), Hondschoote (1793), Austerlitz (1805),Friedland (1807), et Medellin (1809), Isly (1845), Solferino (1859) et l'Avre (1918). 
[5] Centre d'Enseignement et d'Études du Renseignement de l'armée de Terre à Saumur (CEERAT).

Articles du même auteur parus dans la rubrique "Renseignement" de la revue Défense :