Le Triangle de Weimar, une idée d’hier ou un concept de demain ?

Dans l’agenda franco-allemand, il y a des anniversaires au pays de Goethe à ne pas rater. Celui du 30ème anniversaire du « Triangle de Weimar » est de ceux-là.

Sur l’invitation de la ville de Berlin et du Centre Français, l’ambassadrice de France en Allemagne, Madame Anne-Marie Descôtes et son homologue polonais, l’ambassadeur Andrzej Przyłębski, étaient au rendez-vous. Côté allemand, c’est le « maire-régnant » de Berlin, Michael Müller (SPD), assumant depuis 2014 les fonctions de bourgmestre et de gouverneur, qui est venu porter la bonne parole dans l’un des lieux culturels franco-allemands les plus symboliques de l’ancienne capitale du Reich.

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Le Centre français de Berlin – Photo © Joël-François Dumont

Le « Centre Français » est une « institution » que des dizaines de milliers de jeunes Français ont connu lors d’une première découverte de Berlin. A la fois un véritable centre culturel et un hôtel de passage pour loger les groupes scolaires. Situé Müllertraße à Wedding, en plein « secteur français », il est aussi connu pour son restaurant où l’on pratique une cuisine très appréciée devant une réplique de la tour Eiffel et un terrain de boules… Pour créer une ambiance « gauloise », que ne ferait-on pas ?

Un choix en tout cas bien inspiré pour évoquer la création de ce triangle de Weimar, il y a trente ans. Une évocation placée sous le signe du dialogue, de la culture et de la jeunesse. C’est comme cela que naissent les amitiés, il n’y a pas que les jeunes à en être convaincus.[1]

Le Triangle de Weimar, une idée d’hier ?

Pourquoi Hans-Dietrich Genscher a-t-il choisi l’hôtel de ville de Weimar pour inviter ses homologues français et polonais, Roland Dumas et Krzysztof Skubiszewski un 28 août 1990 ?

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Roland Dumas, Hans-Dietrich Genscher & Krzysztof Skubiszewski – Photo Sasha Fromm – Thüringer Allgemeine

L’idée du vice-chancelier FDP et ministre des Affaires étrangères était d’amorcer, sur le modèle franco-allemand, un dialogue informel avec la Pologne. Deux ans après la chute du Mur de Berlin, après la dissolution de l’URSS et moins d’un an après la réunification de l’Allemagne, il était urgent de nouer, enfin, un dialogue germano-polonais.

Dietrich Genscher a d’emblée compris l’intérêt d’associer la France à cette tentative de réconciliation germano-polonaise, en s’inspirant de l’expérience exemplaire de la réconciliation franco-allemande : « Il s’agissait de ne pas laisser l’Allemagne et la Pologne dans un face à face conflictuel stérile et d’orienter au mieux leur démarche de bon voisinage » comme le souligne Xavier Doucet, président de l’UFE Berlin.

On peut bien sûr imaginer d’autres raisons. La Pologne est le plus grand pays d’Europe centrale et la relation avec l’Allemagne, dans un passé encore récent, a été telle qu’il était urgent après la chute du mur de chercher à nouer enfin un dialogue bilatéral entre voisins.

La réconciliation avec la France, érigée en modèle, devait servir d’exemple, d’autant que pendant des siècles la Pologne et la France ont été alliées.[2] On peut encore facilement imaginer d’autres arrières pensées européennes de l’Allemagne ancrée au Centre-Europe. Notamment le fait que ce « Triangle » devait permettre de soutenir activement le rapprochement de la Pologne au système de sécurité transatlantique de l’OTAN tout en préparant sa future adhésion à l’Union européenne. Deux objectifs couronnés de succès : la Pologne intégrera l’OTAN en 1999 et adhérera à l’Union européenne le 1er mai 2004.

Le choix du lieu, comme celui de la date, n’étaient pas davantage dus au hasard.

Le lieu, tout d’abord : à dix kilomètres de Buchenwald, en Thuringe, choisir la ville où fut fondée la « République de Weimar », après l’effondrement de l’empire allemand était une façon de rappeler qu’entre sa création le 9 novembre 1918 et sa dissolution le 28 février 1933 avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, l’Allemagne avait goûté à la démocratie. La date : les 28 et 29 août était un clin d‘œil à Wolfgang von Goethe le jour de son anniversaire…

Un concept de demain ?

C’est ainsi que le Triangle de Weimar, au fil des ans, est devenu un cadre privilégié de concertation et de renforcement du dialogue politique et de la coopération entre les trois pays. Au-delà de rencontres au sommet, des formes nouvelles de coopération décentralisée « inter-régionales » ont été mises en œuvre entre la France, la Pologne et l’Allemagne : Nord-Pas-de-Calais, Rhénanie-du-Nord-Westphalie et Silésie ; Île-de-France, Brandebourg et Mazovie ; Limousin, Bavière et Poméranie pour citer quelques exemples, sans oublier le projet transfrontalier lancé sous l’égide de Jacques Chirac et de Gerhard Schröder en 2003 d’Eurodistrict Strasbourg-Kehl/Ortenau.

La fondation de Genshagen – hébergée dans un château du Brandebourg où se tiennent des séminaires et des rencontres de haut niveau consacrés au dialogue entre ces trois États, qu’il soit politique, culturel ou artistique – a magnifiquement analysé cet anniversaire, à la fois vu du côté allemand, français et polonais.

Au-delà des domaines de la collaboration internationale, de la coopération transfrontalière et des interactions au niveau culturel et de la société civile, la fondation estime urgent d’assigner de nouveaux objectifs à ce Triangle de Weimar, une façon de le tirer d’une certaine léthargie due à des mouvements d’humeur entre Paris, Berlin et Varsovie ! Ce sera le thème le 2 septembre prochain d’une conférence qui suivra celle organisée 28 juin 2021 par le Sénat, réunissant des sénateurs français, polonais, des membres du Bundesrat allemand, ainsi qu’un panel d’experts, organisée à l’initiative des groupes interparlementaires d’amitié France-Allemagne et France-Pologne du Sénat.

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Une première table ronde était consacrée aux enjeux diplomatiques pour la coopération entre les trois pays, 30 ans après la création du Triangle de Weimar, la seconde portait sur la coopération en matière de défense « en format Weimar » dans le domaine de la défense.

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Ronan Le Gleut, sénateur des Français de l’étranger – Photo © Joël-François Dumont

Ronan Le Gleut, sénateur des Français de l’étranger et président du groupe interparlementaire d’amitié France-Allemagne animait cette table ronde sur la « coopération en matière de défense au sein du Triangle de Weimar ».[3] Une idée qui depuis cinq ans fait son chemin jusqu’au jour où elle deviendra réalité.

La Fondation Genshagen, après un constat très objectif, suggère trois pistes pour favoriser une relance de ce dialogue.

Le constat, pour commencer : « Depuis l’adhésion de la Pologne à l’UE, le Triangle de Weimar a perdu sa raison d’être et omis de se fixer de nouveaux objectifs. Actuellement, il souffre en outre des fortes divergences entre les intérêts et les valeurs des trois pays. Il faut de toute urgence surmonter ces conflits et définir de nouveaux objectifs, adaptés à la réalité actuelle. C’est seulement à cette condition que la France, la Pologne et l’Allemagne pourront jouer ensemble un rôle constructif et décisif dans l’UE et assumer une vraie responsabilité pour l’Europe » …[4]

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Les trois pistes proposées découlent du bon sens : « La coopération au niveau de la culture et de la société civile a complété les liens politiques entre l’Allemagne, la France et la Pologne ces dernières années – sans toutefois les modifier fondamentalement. Les contacts culturels au sein du Triangle de Weimar demeurent trop inexploités. Pourtant ce cadre pourrait favoriser l’émergence d’une conscience commune de l’histoire des trois pays et de leur rôle dans la construction européenne. Pour cela, il faudrait consolider des formes de coopération culturelle pérennes, centrées sur la jeunesse et les acteurs locaux, et favoriser la mobilité entre les trois pays ».[4]

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Florian Fangmann, directeur du Centre français de Berlin – Photo © Joël-François Dumont

C’est dans cet esprit que s’est déroulé la fête Müllerstraße à Berlin, après plusieurs interventions remarquées : celle de Florian Fangmann, directeur du Centre culturel franco-allemand, hôte et coorganisateur de cet événement, qui s’exprime aussi bien en allemand qu’en français. Le centre culturel français de Berlin s’est imposé dans ce domaine en multipliant les échanges et pas seulement entre Français et Allemands. Les Polonais ne sont d’ailleurs pas les seuls à être dans la boucle.

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Michael Müller, maire-régnant de Berlin (SPD) – Photo © Joël-François Dumont

Le maire-régnant de Berlin après une visite des lieux et un échange avec les responsables des associations berlinoises présentes s’est, lui aussi, déclaré favorable à cette démarche à laquelle la ville de Berlin apporte son soutien.

L’ambassadrice de France, Mme Anne-Marie Descôtes, a rappelé les bienfaits pour l’Europe de la réconciliation franco-allemande, issue de la volonté commune du général de Gaulle et du chancelier Adenauer. Un modèle pour recréer une communauté de destin entre pays européens voisins. Développer les échanges culturels et l’échange des jeunes entre nos pays.

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Anne-Marie Descôtes, ambassadrice de France – Photo © Joël-François Dumont

Sur la connaissance de l’autre, Saint-Exupéry avait trouvé cette magnifique formule « Aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction. »

Il serait temps en Europe que ceux qui partagent des valeurs communes poursuivent l’œuvre de nos pères fondateurs. Sans se limiter pour autant aux domaines de la culture et de la jeunesse et en l’étendant notamment au domaine de la défense, comme le préconisait le sénateur Ronan Le Gleut, ancien président de l’UFE Berlin, fin juin au Sénat.[5]

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Andrzej Przyłębski, ambassadeur de Pologne – Photo © Joël-François Dumont

L’ambassadeur de Pologne en Allemagne, Andrzej Przyłębski, s’est voulu optimiste. Le Triangle de Weimar est un forum qui gagne à monter en puissance. Cette célébration en commun à Berlin prouve l’attachement des trois pays à œuvrer ensemble.

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Michael Müller, maire-régnant de Berlin et Xavier Doucet, président de l’UFE Berlin – Photo © J-F. Dumont

Xavier Doucet, pour sa part ne boudait pas son plaisir « d’entendre un diplomate français manier la langue de Goethe avec une telle perfection… un plaisir rare », visiblement partagé par les Allemands présents. Il « partage » cette analyse sur « l’intérêt de mettre l’accent sur les échanges de jeunes ». A court terme « ces investissements humains ont des prolongements économiques bénéfiques… Notre ambition étant de demeurer un trait d’union entre les Français qui vivent à Berlin et les Allemands qui nous accueillent. Cela fait cinquante ans que l’UFE existe à Berlin. Avec nos amis de l’UFE Pologne, nous entendons poursuivre nos efforts. Vivement que l’on retrouve une vie plus normale et avec elle des activités de plein air » ! Un concours de pétanque attend les amateurs au Club de boules français le 12 septembre prochain pour la rentrée sportive…

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Yvonne Le Mée et Emma Berancy (OFAJ & DFJW Berlin) – Photo © Joël-François Dumont

Parmi les organismes représentés, il n’était pas étonnant de trouver l’Office franco-allemand pour la Jeunesse, l’OFAJ, une véritable institution créée par le Traité de l’Élysée en 1963. Dans deux ans l’OFAJ fêtera ses 60 ans, au cours desquels près de dix millions de jeunes auront ainsi été échangés entre l’Allemagne et la France, sans oublier tous les échanges professionnels, les rencontres sportives et culturelles et, last but not least, les jumelages de villes et de régions.

Une performance d’autant que depuis quelques années, l’OFAJ a élargi ses activités aux pays de l’Europe centrale et orientale, de l’Europe du Sud-Est, aux pays du partenariat oriental et du pourtour méditerranéen, cela grâce à des fonds spéciaux des ministères des Affaires étrangères français et allemand. Allemands et Polonais, sur le modèle de l’Office franco-allemand pour la jeunesse, ont créé un Office germano-polonais pour la jeunesse (DPJW).

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Jeune musicien polonais au Centre Culturel français de Berlin le 28 août – Photo © JFD

Alors pour ne plus douter de cette réalité qu’est devenue le Triangle de Weimar depuis 30 ans, faisons nôtre ce proverbe polonais : « Pour croire avec certitude, il faut commencer par douter ».

Joël-François Dumont

[1] Voir « Le Triangle de Weimar ou une amitié à trois » par Léopold et Galia, alias « Les grands méchants loups, les jeunes reporters qui n’ont peur de rien »… (Septembre 2014)

[2] Vigilance et solidarité pour développer la France d’outre-frontière : François Barry Delongchamps, président de l’UFE, ancien ambassadeur de France en Pologne. (27 avril 2021)

[3] Lire et entendre : La France et les Français de l’étranger : Entretien avec le sénateur Ronan Le Gleut (1er août 2021)

[4] Trente ans du Triangle de Weimar par Kai-Olmaf Lang et Ronja Kempin – Stiftung Genshagen (26 mai 2021)

[5] Voir « Perspectives du Triangle de Weimar en période de crise » par Martin Koopmann (IFRI, Octobre 2016).