Les rouages de la machine institutionnelle

« Rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions ». Ce constat, on le trouve dans les mémoires d’un homme considéré comme l’un des pères de l’Europe, Jean Monnet. Plus une institution devient importante, plus elle comporte de rouages, lesquels, du plus petit au plus grand, sont toujours déterminants. Les institutions européennes permettent à 27 pays démocratiques de trouver des solutions communautaires, de régler à l’amiable des conflits ou d’agir. A un moment où le chaos menace, le choix est entre le chacun pour soi et l’action concertée. Ceci n’empêche pas, comme le dit Quentin Dickinson, de « légitimes sources d’inquiétude pour les Européens, qui se découvrent sans influence sur le conflit entre Israël et l’Iran, et incapables de se substituer aux États-Unis dans le soutien financier et militaire à l’Ukraine

— Source Euradio [1— 10 octobre 2023 —

Laurence Aubron : Alors, Quentin Dickinson, avez-vous passé une bonne semaine ?…

Quentin Dickinson : Franchement, non, les informations dramatiques qui nous parviennent du Proche-Orient ces derniers jours, ajoutées au chaos législatif à Washington, sont autant de légitimes sources d’inquiétude pour les Européens, qui se découvrent sans influence sur le conflit entre Israël et l’Iran, et incapables de se substituer aux États-Unis dans le soutien financier et militaire à l’Ukraine.

Mais ces sombres horizons n’empêchent pas les rouages de la machine institutionnelle européenne de continuer de tourner.

Laurence Aubron :…avec des hauts et des bas, on l’imagine…

Quentin Dickinson : Absolument. Avec des hauts, des bas, et de l’insignifiant. Et aussi du peu glorieux : les vingt-sept ministres des Affaires étrangères se sont réunis en conseil à Kiev, une première. C’est bien.

Réunion des ministres des affaires-étrangères de l'UE à Kiev
Réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de l’UE à Kiev — Photo © European Union

Mais ils ont acté un accord de déblocage du veto hongrois à la tranche suivante d’aide à l’Ukraine…en débloquant en faveur de la Hongrie des fonds gelés pour cause de dérive autocratique de ce pays, en clair : 500 millions pour l’Ukraine et 13 millions pour Victor Orbán, l’Ukraine retirant en plus la principale banque hongroise de sa liste de sanctions liées aux activités de celle-ci en Russie.

A cette même réunion, il a été dit et répété (dans la salle) que l’Ukraine avait plus que jamais vocation à rejoindre l’Union européenne, alors que (dans les couloirs) plusieurs délégués disaient et répétaient qu’il était surtout urgent d’attendre.

Laurence Aubron : Et, pendant ce temps, le Parlement européen était en session plénière à Strasbourg…

Quentin Dickinson :…où il a été beaucoup question de la succession de Frans Timmermans, Premier vice-président exécutif (oui) de la Commission européenne, retourné aux Pays-Bas pour y diriger le Parti travailliste.

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Franz Timmermans à la rencontre informelle des ministres de l’environnement et de l’énergie à Valladolid — Photo © European Union —

C’est qu’il faut à la fois remplacer ce commissaire néerlandais par un autre Néerlandais et redistribuer les importantes et nombreuses responsabilités du Premier vice-président exécutif. Le candidat envoyé par le gouvernement néerlandais est l’ancien ministre des Affaires étrangères Wopke Hoekstra, promis au portefeuille de l’Action environnementale, et qui a passé deux heures particulièrement pénibles en examen d’aptitude devant les eurodéputés, qui l’ont soumis à un feu roulant de questions techniques dans un domaine qui n’était visiblement pas le sien.

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Maroš Šefčovič, vice-président de la Commission européenne — Photo © European Union —

Le lendemain, les parlementaires ont interrogé le commissaire européen Maroš Šefčovič, déjà en fonction, qui devrait récupérer la charge du Plan vert européen. Cela s’est nettement mieux passé pour l’intéressé.

Laurence Aubron : Et il y a eu des suites des élections législatives en Slovaquie dont vous nous entreteniez la semaine dernière…

Quentin Dickinson : C’est une bien curieuse anomalie que j’avais signalé en passant, la semaine dernière :

Stefan Löfven

le parti SMER du vainqueur de ces législatives, Robert Fico, est russophile, eurosceptique, et anti-OTAN – mais membre du Parti des Socialistes européens et, en tant que tels, ses eurodéputés siègent parmi les sociaux-démocrates.

Après avoir longtemps laissé filer la quenouille, les Socialistes européens se sont enfin réveillés : leur président, l’ancien chef du gouvernement suédois, le bien placide Stefan Löfven, vient de mettre en route la procédure d’expulsion du SMER.

Stefan Löfven

— Photo Frankie Fouganthin —

Laurence Aubron : Ailleurs, en l’occurrence en Espagne, on entrevoit une sortie de la crise qui paralyse la classe politique depuis de longs mois…

Quentin Dickinson : Les législatives n’avaient en effet pas permis de départager les deux principaux partis en présence, et le chef du Parti populaire (de la droite classique) ayant jeté l’éponge la semaine dernière, SM le Roi d’Espagne a donc logiquement invité le socialiste Pedro Sánchez à former un gouvernement, c’est-à-dire (s’il y parvient) à se succéder à lui-même.

Laurence Aubron : On a, semble-t-il, beaucoup parlé de nous ces jours derniers, Quentin Dickinson ?…

Quentin Dickinson : …de nous, c’est-à-dire des journalistes et des médias en général.

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Věra Jourová, vice-présidente de la Commission européenne — Photo © European Union —

La commissaire européenne Věra Jourová mène un combat, en voie d’aboutir, sous forme de Directive européenne sur la Liberté et l’Indépendance des Médias, destinée (notamment) à contrer les tentations de concentration de la presse aux mains de groupes proches d’un gouvernement ainsi que les recours à l’intimidation de journalistes par des procédures pénales coûteuses et sans fin.

Laurence Aubron : Et puis, il y a eu, en fin de semaine, les Sommets à Grenade…

Quentin Dickinson : …dans le cadre majestueux de l’Alhambra, ce joyau de l’architecture mauresque des XIIIe et XIVe siècles en Andalousie, où la présidence tournante espagnole du Conseil de l’UE avait choisi de réunir la Communauté politique européenne et, le lendemain, les chefs d’État et de gouvernement de l’UE. Du haut et du bas, ici aussi ; le bas, c’était le constat de l’impuissance des efforts diplomatiques des Européens à empêcher la reprise par la voie des armes du Haut-Karabagh par les Azerbaïdjanais. Et le haut, c’était l’accord européen sur la gestion des flux migratoires, intervenu à l’issue de dix années de blocages et de relances infructueuses. Les suspects habituels n’ont pas déçu : Hongrois et Polonais ont voté contre, et les Autrichiens, les Slovaques, et les Tchèques se sont abstenus.

Laurence Aubron : Pour finir, Quentin Dickinson, vous nous avez détecté deux informations qui peuvent étonner…

Quentin Dickinson : D’abord, le Président de la Tunisie, M. Kaïs Saïed, instruit sans doute par les manières de faire de SM le Roi du Maroc, a refusé l’aide financière de l’Union européenne au motif que ses compatriotes n’accepteraient jamais la charité des Européens. La Commission européenne a aussitôt fait savoir que c’est le gouvernement tunisien lui-même qui avait demandé cette aide, qui lui avait été payée le 31 août, et que si M. Saïed n’en veut pas, alors qu’il rembourse sans tarder les 60 millions d’Euros perçus.

Kaïs Saïed, président de la République de Tunisie — Photo DR —

Président Kaïs Saïed

Quentin Dickinson : D’abord, le Président de la Tunisie, M. Kaïs Saïed, instruit sans doute par les manières de faire de SM le Roi du Maroc, a refusé l’aide financière de l’Union européenne au motif que ses compatriotes n’accepteraient jamais la charité des Européens. La Commission européenne a aussitôt fait savoir que c’est le gouvernement tunisien lui-même qui avait demandé cette aide, qui lui avait été payée le 31 août, et que si M. Saïed n’en veut pas, alors qu’il rembourse sans tarder les 60 millions d’Euros perçus.

Laurence Aubron :…et l’autre info’, de quoi s’agit-il ?...

Quentin Dickinson : C’est une nouvelle qui réjouira tous ceux qui pestent contre les compagnies aériennes à bas coût (tout en y voyageant à des tarifs imbattables), tout comme ceux qui dénoncent depuis des années la gestion digne du Far-West de ces compagnies.

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— Photo © 123RF —

Alors voici : après des décennies d’atermoiements, la justice belge vient d’ouvrir un ensemble de procédures contre la compagnie Ryanair, à qui il est reproché 70 dossiers d‘inobservation du droit social, cinq millions d’Euros de charges sociales impayées, et 1.014 cas de personnels fictivement détachés dans un autre pays que celui de leur lieu effectif de travail. Vous excuserez du peu.

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