Ce n’est pas un hasard si les services secrets allemands comptent beaucoup de juristes. Dans un pays de droit qui se veut exemplaire, on imagine mal l’existence de "cabinets noirs" au cœur même de l’appareil d'État, au service d'intérêts personnels. Mais les traditions bureaucratiques demeurent et l'efficacité s'en ressent…
Ce n’est pas un hasard si les services secrets allemands comptent beaucoup de juristes en leur sein. Dans un pays de droit qui se veut exemplaire, on imagine mal l’existence de "cabinets noirs" ou d’officines clandestines au service des intérêts personnels des gouvernants. Les services secrets constituent des administrations à part entière, situées au cœur même de l’appareil d'État. Mais la tradition bureaucratique les rend-elle pour autant efficaces ? Cette tribune a été publiée dans la revue Défense [1]. Nous la reproduisons ici avec l'autorisation de son auteur, Joël-François Dumont (*).© Paris, le 24 février 2010.
Autant de questions largement débattues du 7 au 9 décembre 2009, au cours d’un brillant colloque qui a réuni une centaine de spécialistes. En présence de plusieurs anciens présidents du BND [2], du BfV [3] et de personnalités représentant la chancellerie ou d’autres services, examiner devant d’experts étrangers « l’influence des services secrets dans la prise de décision politique » — relevait du défi. On aurait pu s'attendre à un échange de banalités, il n'en fut rien, tout au contraire. Pour la deuxième année consécutive, la Fondation (Stiftung) Hanns Seidel – du nom du créateur de la CSU bavaroise – en association avec le GKND [4], association regroupant des anciens des services, ont réussi leur pari.
Le château de Wildbad Kreuth en Bavière
Les conférences organisées par le professeur Dr. Klaus Lange, directeur de l’Akademie für Politik und Zeitgeschehen, académie spécialisée dans le traitement des grands dossiers de politique étrangère, ont acquis une renommée internationale. Dans le fabuleux décor du château de Wildbad Kreuth en Bavière, les meilleurs experts allemands et étrangers [5] se sont succédé à Kreuth depuis près de vingt cinq ans, apportant une expertise de qualité. D’autres fondations prestigieuses participent à ces échanges réguliers pour tenter d’éclairer les fondements de la politique internationale.
Expliquer l’origine des conflits, suivre l’évolution des crises, distinguer les acteurs en présence, comparer les solutions qui s’opposent, permet de démêler bien souvent des situations compliquées. Parmi les invités, des « anciens», des membres des services, des diplomates, des hauts fonctionnaires et quelques rares journalistes, allemands et étrangers, qui, après avoir participé au débat, prolongeront les conférences par des entretiens avec des acteurs de haut niveau. Pour la deuxième année consécutive, cette association avec le GKND dirigé par Wolbert Smidt et Volker Foertsch aura été un gage de succès.
Wolbert Smidt, ancien 1er directeur au BND, président du GKND
Pour lancer le débat, le professeur Lange évoque d’emblée la « crainte » que les services puissent être « tentés de produire des analyses en fonction de leurs clients ». Un risque couru depuis Nefertiti (Nofretete en allemand) : les porteurs de mauvaises nouvelles faisant rarement carrière… Certains soupçonnant une mauvaise « adaptation des services aux nouvelles menaces », amplifiée par « des lourdeurs bureaucratiques qui ne permettraient pas de trouver un rapport raisonnable entre la qualité obtenue et le prix payé ».
Volker Foertsch, ancien 1er directeur du BND, cofondateur du GKND
Les professionnels estiment non sans fierté que « l’Allemagne n’a pas de tabou ». Pas même dans le domaine du renseignement, où les Allemands assument à la fois un savoir-faire légendaire et une très forte tradition démocratique: Nachrichtendienst ist Herrendienst! La vieille maxime prussienne reste d'actualité dans un pays où le Renseignement reste avant tout « un métier de seigneur ». Pour Volker Foertsch, « gagner la confiance du politique » est une de leurs premières « priorités, tous partis confondus ». La raison d’être des services secrets est de « servir le politique en lui fournissant en temps et en heure les informations sensibles dont il a besoin, après avoir vérifié tout ce qui peut l’être ». Pour cela, il leur faut présenter les informations les plus fiables possibles pour « permettre aux décideurs d’agir en connaissance de cause ».
L'ambassadeur Hans Georg Wieck et le GAA François Mermet à Wildbad Kreuth
Qui dit confiance dit aussi contrôle. Dans un pays où le contrôle parlementaire s’exerce de manière très satisfaisante depuis de longues années, les Allemands ont toujours été soucieux de faire en sorte qu’aucune « dérive » ne soit possible, même au nom de la guerre contre le terrorisme, comme cela a pu être le cas en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Ceci n’empêche pas les éléments opérationnels de rester secrets pour des raisons évidentes. Si les commissions parlementaires sont aussi puissantes, c’est parce que les députés allemands sont jaloux de leurs prérogatives. Même les membres allemands du Parlement européen exigent d'être tenus au courant de la situation internationale. Ils n'entendant pas se contenter de la lecture des journaux.
Leonid Leonidovitch Fituni, ancien du KGB
Ce sont les départements « Ressorts » qui prennent les décisions. Avec une « capacité d’analyse » jugée satisfaisante et une recherche qui demeure une spécialité allemande, les services ont une image de marque positive dans l’opinion, malgré quelques affaires jugées « malheureuses ». Au cours des trois dernières décennies, ils estiment même avoir été « plutôt bons ». Qu’il s’agisse du putsch contre Gorbatchev en août 1991, de l’invasion soviétique en Tchécoslovaquie en 1968 ou en Afghanistan en 1979, de la dissolution du Comité central de l’URSS, ou de leurs estimations sur l’économie de l’URSS dés 1996, sur l’état de la RDA, prévoyant à terme l’effondrement de ces régimes, le BND s’est incontestablement montré « efficace ».
Hans-Ulrich Helfer, expert suisse
Il n’empêche que la donne a fondamentalement changé. Même si les moyens de communication modernes, Internet, guerres, terrorisme et prolifération, sont désormais le fait de groupes et non plus d’États, pour faire face à ces nouvelles menaces, les services doivent encore faire beaucoup plus pour mieux répondre à ces exigences nouvelles.
Joël-François Dumont
(*) Auditeur à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) et rédacteur en chef adjoint de la revue Défense.
[1] Numéro 144 daté de Janvier-février 2010 de Défense, revue bimestrielle de l'Union des Associations des Auditeurs de l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN).Abonnements: BP 41-00445 Armées.
[2] BND: Bundesnachrichtendienst (service extérieur).
[3] BfV: Bundesamt für Verfassungsschutz (service intérieur)
[4] GKND: Gesprächskreis Nachrichtendienste in Deutschland e.V.
[5] Voir "L’influence des services sur le politique en Grande-Bretagne" de Michael Herman, Secrétaire du JLC de 1972 à 1975.
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