Les Services secrets de la France Libre : du 2ème Bureau au BCRA

Jusqu’à la publication du livre de Sébastien Albertelli sur « les services secrets du général De Gaulle », la seule source d’information sérieuse sur le BCRA se trouvait dans les « Mémoires » du Colonel Passy, son chef, soupçonné d'avoir réécrit l’histoire en plaçant « le BCRA au centre de l’épopée française libre ». L’histoire du BCRA commence le 1er juillet 1940 à Londres.

Jusqu’à la publication du livre de Sébastien Albertelli sur « les services secrets du général De Gaulle », [1] la seule source d’information sérieuse sur le BCRA se trouvait dans les « Mémoires » du Colonel Passy, son chef. Soupçonné d'avoir réécrit l’histoire en plaçant « le BCRA au centre de l’épopée française libre » [2], Passy a fait les frais de nombreuses intrigues et de relations conflictuelles entre les membres des SR en France occupée, ceux de la France libre à Londres et les partisans de Giraud à Alger, compliquées par des rapports souvent « tumultueux » avec les Britanniques ou les Américains. Des querelles qui en épargnant personne ont noirci la légende qui s’était tissée autour du BCRA. Cette tribune © a été publiée dans la revue Défense.[3] Nous la reproduisons ici avec l'autorisation de son auteur, Joël-François Dumont (*). Paris, le 13 juillet 2010.

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Michel Anfrol introduit Sébastien Albertelli à la Maison de la France libre

-Le grand mérite de ce jeune professeur agrégé d’histoire est d’avoir su croiser plus de 600 cartons appartenant à de nombreux fonds d’archives : Service historique de la Défense, archives du général De Gaulle ou d'éminents anciens du BCRA comme Daniel Cordier, avec les archives du SOE britannique et de l’OSS américaine.

« Le BCRA fait désormais partie de l’histoire de la France Libre, puis de la France Combattante, et aussi de l’histoire de la Résistance intérieure », explique Sébastien Albertelli qui regrette que « le BCRA » ait « été largement perçu à travers le double prisme d’une légende noire et d’une mémoire en défense, un mouvement de balancier s’opérant entre ces deux pôles. » [1]

L’histoire de ce qui deviendra le BCRA commence le 1er juillet 1940 à Londres. Le général De Gaulle, reconnu par Churchill comme « chef de tous les Français libres », décide de doter son état-major d'un 2e et d'un 3e Bureau (B2 = Renseignement, B3 = Logistique). A leur tête, il nomme un jeune capitaine du génie, polytechnicien et professeur de fortification à Saint-Cyr, André Dewavrin, qui prendra le nom de « Passy ». Les Britanniques ayant « rapatrié la plupart de leurs agents de France », il aura fallu « partir de zéro avec des moyens réduits » (3). Passy s’appuiera sur le MI6 britannique qui avait déjà contribué à la formation de l'OSS. En ce début juillet, peu de militaires de carrière ont rallié Londres. Passy recrute des civils, venus d’horizons les plus divers et des réservistes démobilisés quelques jours plus tôt en Bretagne à leur retour de Norvège. Tous avaient en commun de bien parler l'anglais et d'être des profanes en matière de renseignement. Sept à huit personnes, dont 4 officiers, Duclos, Beresnikoff, Lagier et Lecot, fourniront l’embryon de ce 2e Bureau. Des hommes de grande envergure viendront étoffer le service : Stéphane Hessel, Jean Labaume, Tony Mella, Bruno Larat, Pierre Billotte, André Pélabon et tant d'autres comme Pierre Brossolette ou Fred Scamaroni qui écriront des pages d'histoire avec leur sang.

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Sébastien Albertelli présente son livre à la Maison de la France Libre à Paris

A la fin de l’été 44, ils seront près de cinq cents à Londres et une centaine à l’antenne d’Alger. Une moitié de ces agents a été formée pour exécuter des missions de sabotage en France occupée, l’autre composée d’agents d’opérations assurera les opérations aériennes clandestines avec les délégués militaires régionaux (DMR), « chargés de la liaison entre le BCRA et chaque région du territoire français : R1, R2, R3 jusqu’à R6 pour la zone Sud; A, B, C, D, M, P, pour le Nord. » (3) Des hommes ayant eu « un vécu très différent de la campagne de France en 40 de ceux qui avaient été sur le front franco-allemand », ce qui explique de nombreux antagonismes. En 1959 un monument érigé à Ramatuelle rendra l'hommage solennel de la Nation à « tous les membres des Services spéciaux morts pour la France lors de la Seconde Guerre Mondiale », associés enfin dans un même hommage collectif.

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Sébastien Albertelli aux côtés d'Yves Guéna et de Michel Anfrol

A Londres, cette « équipe d’amateurs intelligents, courageux et patriotes » est rejointe en septembre 40 par le lieutenant André Manuel, considéré au même titre que Passy comme le cofondateur du BCRA en 1942, chargé dans un premier temps de recueillir des renseignements sur les Allemands en France. Plusieurs fois le service changera d’appellation : 2e Bureau en juillet 40, Service de renseignement (SR) en avril 41. Bureau central de renseignement et d’action militaire (BCRAM) en janvier 1942 et enfin BCRA en juin 42. « Chaque changement d’appellations traduisant un spectaculaire élargissement de ses activités, notamment un passage relativement rapide du renseignement à l’action. » [2]

En octobre 1941, Passy réorganise le service en 5 sections : "R" (Renseignement), dirigée par André Manuel (Pallas); "A" (Action), dirigée par Raymond Lagier (Bienvenüe) ; "Évasions", rattachée au commissariat à l’Intérieur, la section du "Chiffre", dirigée par Georges Lecot (Drouot) et la section "CE" (contre-espionnage), confiée à un jeune officier, Roger Warin (Wybot).

Dès l’été 1942, le BCRA se lance dans l'action clandestine pour mieux jouer un rôle après un débarquement en métropole, prévu au printemps 43. Le renforcement des liens avec la Résistance intérieure, conçu comme une priorité, se heurtera souvent à l'hostilité du Special Operations Executive, dont les membres étaient animés de « solides préjugés antigaullistes ». Même si la compétition a été « acharnée » entre services gaullistes et giraudistes, c'est quand même le BCRA qui fournira « près de 80% des informations nécessaires au débarquement » selon le général Donovan, chef de l'OSS. Il est évident que « sans le BCRA, l'histoire de la France Libre eut été bien différente » et à ce titre, elle méritait d'être contée avec une certaine rigueur.

Joël-François Dumont

(*) Auditeur à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) et rédacteur en chef adjoint de la revue Défense.

[1] « Les Services secrets du général de Gaulle, le BCRA, 1940-1944 », de Sébastien Albertelli, Perrin, 617 pages, 28 euros. L'auteur s'est vu attribuer par la Fondation de la Résistance le prix "Philippe Viannay – Défense de la France". 
[2] « Les secrets du BCRA dévoilés », par François Broche (http://www.charles-de-gaulle.org/
[3] Numéro 146 daté de Juillet-août  2010 de Défense, revue bimestrielle de l'Union des Associations des Auditeurs de l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN).Abonnements: BP 41-00445 Armées. 
[4] Entretien avec l’auteur.

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