Midway (1) : une OPA hostile ratée

La bataille de Midway marquera un véritable tournant dans la guerre du Pacifique. En perdant cet atoll de Midway, la flotte japonaise qui possédait alors dans la région un très net avantage sur la flotte américaine allait courir de défaite en défaite…

La bataille de Midway (1) : une OPA hostile ratée

La bataille de Midway marquera un véritable tournant dans la guerre du Pacifique. En perdant cet atoll de Midway, la flotte japonaise qui possédait alors dans la région un très net avantage sur la flotte américaine allait courir de défaite en défaite. Le piège tendu à l’amiral Nimitz par l’amiral Yamamoto n’a pas fonctionné. Pire encore, il s’est retourné contre son auteur. En trois journées et trois nuits décisives, au début du mois de juin 1942, la flotte japonaise perdra notamment quatre porte-avions et 250 avions.

Les amiraux Spruance, King et Nimitz avec le GB Jarman sur l'île de Saipan -- Photo © U.S. Naval History and Heritage Command. -
Les amiraux Spruance, King et Nimitz avec le GB Jarman sur l’île de Saipan 

Tout cela parce que, côté américain, deux grands stratèges, l’Amiral Ernest J. King – premier homme à cumuler les fonctions de Commandant en Chef de la Flotte et de Chef des Opérations navales – et sur place l’Amiral Chester W. Nimitz, Commandant des forces navales dans le Pacifique, ont bien fait attention de ne pas laisser surprendre leurs porte-avions et leurs croiseurs de bataille, pour la défense de points fixes, en imaginant des tactiques et en mettant au point une stratégie qui surprendra les Japonais là où ceux-ci ne les attendaient pas. Comme quoi, il n’y a pas que les armes qui servent à gagner les guerres: la réflexion, le renseignement, la préparation, le choix du moment, la volonté d’agir.

Statue de bronze de l'amiral de la flotte Chester W. Nimitz à Pearl Harbor devant l'USS Missouri -- Photo © Jeff White. -
Statue de l’amiral de la flotte Chester W. Nimitz à Pearl Harbor devant l’USS Missouri 

Après les passionnantes leçons de l’Océan et autres analyses stratégiques que l’Amiral Guy Labouérie nous a données, cette nouvelle série devrait, au-delà de l’intérêt historique indéniable, être revue avec le recul des années en les appliquant à la réalité d’aujourd’hui. L’exercice est prometteur avec cette introduction sur un sujet qui continuera de passionner ceux qui cherchent à comprendre le pourquoi des choses. Par l’Amiral Guy Labouérie, membre de l’Académie de Marine.[1] Brest, le 30 septembre 2005.©

L'amiral Guy Labouérie chez lui à Porspoder -- Photo © Françoise Labouérie. -
L’amiral Guy Labouérie chez lui à Porspoder

Tournant de la guerre dans le Pacifique, quelques mois après Pearl Harbor, la bataille de Midway [2] le 4 juin.1942 entre les flottes japonaise [3]  et américaine [4] n’a guère passionné les Français, en dehors de quelques marins et de plus rares historiens. Pourtant cette bataille, si on l’examine dans sa genèse, sa localisation géographique, les erreurs des uns et des autres dans l’affrontement humain qui s’y déroule, la question du renseignement et de l’Intelligence, les décisions les plus importantes fournit de nombreuses leçons valables aujourd’hui pour les militaires ou les civils comme exemple d’une O.P.A. hostile manquée, alors même que le raider japonais paraissait avoir toutes les cartes dans sa main.

Objectifs de guerre majeurs et attaques programmées du Japon. Source: Académie militaire de West Point. -
Objectifs de guerre majeurs et attaques programmées du Japon

Disposant de la supériorité matérielle et d’excellentes qualités professionnelles de son personnel, les Japonais avaient de plus l’immense avantage du choix du lieu et du moment. Pourtant ce sont eux qui seront les grands perdants de l’affrontement qu’ils auront provoqué. C’est sous cet aspect que Midway peut être profitable à tous ceux qui, exerçant des responsabilités de plus en plus difficiles aujourd’hui à la tête d’entreprises ou d’organisations de toute nature, pourront confronter cette situation historique avec ce qu’ils vivent chaque jour, à la condition évidente de remettre les faits dans leur contexte humain, stratégique, tactique, technologique, technique… du moment.

L'amiral Chester W. Nimitz -- Photo © US Navy. -L'amiral Isoroku Yamamoto, commandant en chef de la flotte combinée en 1940 -- Photo U.S. Naval History and Heritage Command. -
Les amiraux (américain) Chester W. Nimitz [5et (japonais) Isoroku Yamamoto [6]

Ce n’est pas en effet de rejouer la bataille qui est intéressant, on en connaît les résultats et on ne refait jamais l’histoire.

D’autre part il y a un tel abîme entre les moyens de l’époque et ceux qui sont développés aujourd’hui dans les flottes modernes et plus encore dans les grandes entreprises et les États, qu’il serait vain d’y chercher des leçons “matérielles” en tant que telles pour les marins et encore moins pour les chefs d’entreprise et les politiciens. D’ailleurs bien peu des acteurs de ces événements, et peut-être même aucun d’eux, pressés par le danger, la sécurité de leurs pays et l’urgence du combat, ne pouvaient la vivre comme elle apparaît aujourd’hui sous son aspect le plus passionnant: l’expression première du glissement de la quantité/Force vers la Qualité/Intelligence dans un affrontement majeur. Il est certes limité aux marins du moment, mais à travers une opposition entre disciples de Mahan et de Clausewitz sur un espace d’une dimension encore jamais atteinte. Comme tels, ils apparaissent non pas comme les inventeurs mais comme les premiers expérimentateurs d’un profond changement à venir de leurs sociétés qui passeront insensiblement de sociétés du “Hard” à celles du “Soft”. Nous en vivons aujourd’hui les conséquences non sans de considérables difficultés et troubles de tous ordres.

C’est pourquoi il est intéressant et surtout très formateur, soixante ans plus tard, de réexaminer l’ensemble des données les plus importantes ayant conduit à cette bataille et en ayant dominé le déroulement, pour en extraire les leçons les plus remarquables et les plus actuelles pour tous ceux qui ont à décider et à agir sur notre planète-archipel.

De plus, mettant aux prises deux amiraux, elle évite les habituelles querelles d’armées et de personnes qui n’ont jamais fait avancer une seule question et dans lesquelles on se complaît trop souvent, spécialement chez nous, qu’il s’agisse de diplômes, de Corps, d’armes, de professions, etc. alors que nous vivons ou devrions tous vivre à l’heure du transversal et des réseaux. C’est ce que, par nature, puisque archipels flottants et manœuvrant sur les espaces océaniques, vivaient déjà à l’époque les flottes militaires à base de moyens complémentaires, unis par des transmissions particularisées aux diverses fonctions et missions qui leur sont assignées. Elles continuent à le faire, grâce à leurs principes mêmes de fonctionnement, d’organisation et d’action, de façon encore plus accomplie compte tenu des progrès de toute nature qui ne cessent de se succéder. Petit à petit c’est ce que vivent de plus en plus d’entreprises de toute espèce et de toute taille dans nos pays.

Seuls pour le moment les États, quels que soient leurs alliances, leurs liens, leurs organisations internationales répugnent à faire le pas indispensable qui serait, il est vrai, une profonde rupture pour s’intégrer dans ce monde du Soft, pour le plus grand bien de leurs populations, les “non” des Français et des Hollandais au projet de Traité constitutionnel, quels qu’aient été son déplorable volume et son manque réel de sens politique détruit par le technocratique du titre III, le montrent bien.

Guy Labouérie

[1] L’Académie de Marine a été fondée en 1752. Dissoute comme toute ses consoeurs pendant la Révolution, elle n’a été réactivée qu’en 1921. Son siège est à Paris.

[2] La bataille de Midway: Rapport classifié établi en 1943 par les services de Renseignement de la marine américaine (Office of Naval Intelligence).

[3] Les forces en présence à Midway: côté japonais: la flotte combinée commandée par l’Amiral Isoroku Yamamoto.

[4] Les forces en présence à Midway: côté américain: la flotte du Pacifique commandée par l’Amiral Chester W. Nimitz.

[5] Chester W. Nimitz, qui sera l’un des cinq « Amiraux de la Flotte » des États-Unis commandait la flotte américaine du Pacifique au moment de la bataille de Midway.

[6] L’Amiral Isoroku Yamamoto, Commandant en Chef des forces navales japonaises combinées fut réticent contre l’entrée en guerre du Japon contre les États-Unis, mais une fois cette guerre décidée, il concevra l’attaque surprise de Pearl-Harbor en décembre 1941, et privilégiera l’emploi des porte-avions et des « avions-suicide ». Après Midway, les Japonais perdront les îles Salomon (Carte). C’est au cours de cette bataille que l’avion de l’amiral Yamamoto a été abattu. C’est ainsi que devait périr l’un des plus brillants stratèges japonais qui n’aura pas vu venir l’ampleur de la riposte des Américains qui auront connu l’humiliation de Pearl Harbor, avec l’utilisation de l’arme atomique pour s’assurer de gagner la guerre au plus vite avec une armée prête au sacrifice suprême.

Lire également du même auteur : dans la série « les leçons de la bataille de Midway »

Penser l’Océan avec Midway : Relire l’amiral Nimitz            
Midway (13) : Commentaires généraux
Midway (12) : La bataille du 4 juin 1942
Midway (11) : Appareillages et transits des forces
Midway (10) : Le dispositif américain
Midway (9) : Le plan d’opération japonais
Midway (8) : Projets japonais après Pearl Harbor
Midway (7) : Les réactions américaines après Pearl Harbor 
Midway (6) : Lacunes mises en évidence par Pearl Harbor et conséquences 
Midway (5) : La montée vers la guerre
Midway (4) : La situation immédiate
Midway (3) : Le terrain
Midway (2) : Retour sur le passé: effet mémoire
Midway (1) : Une OPA hostile ratée

Dans la série « les leçons de l’Océan »

Dans la série « analyse stratégique »