Les canards sauvages et le religieusement correct

« Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de développer les méconnaissances réciproques des uns et des autres, mais d’une véritable information pour développer un respect pacifique mutuel »… Cette fois ci, la coupe est pleine ! Les réactions après la publication du dossier du Point intitulé « Jésus-Mahomet – Le grand affrontement » [1n’ont pas laissé les fidèles lecteurs de ce magazine indifférents.

Habitués qu’ils sont depuis longtemps à une qualité de plume et à une certaine rigueur, beaucoup d’entre eux avouent être restés fidèles à ce magazine à cause de la notoriété acquise par ses éditorialistes. Le plus souvent cité étant Claude Imbert, qui, « courageusement et avec talent met le doigt où cela fait mal, semaine après semaine, en dénonçant nos insuffisances qui concourent à la décadence de notre pays ou, du moins, à son incapacité à traiter les difficultés de l’heure. » (On comprend bien pourquoi les chaînes de radio et de télévision se gardent bien de les inviter : celui qui naguère s’y était essayé a vu sa revue de presse supprimée sous Lionel Jospin, six mois avant les présidentielles). Au delà d’une certaine « ignorance encyclopédique dont la plupart des auteurs ont fait preuve aussi bien sur « les » christianismes que sur « les » islams»dans l’édition datée du 22 septembre 2005, les réactions se partagent entre des lecteurs désolés et d’autres découragés s’étonnant de la légèreté – pour ne pas dire de la médiocrité – avec laquelle un sujet aussi sérieux que celui-ci a été traité. Quelle belle occasion manquée, au delà de toute polémique, pour traiter d’un sujet aussi important, en effet, qui ne peut laisser aucun intellectuel indifférent dans le monde d’aujourd’hui. Au passage, comme le fait remarquer un de nos internautes assidus, « depuis les Croisades, le mot de “Mahomet” est considéré par les musulmans comme une quasi-insulte, le  véritable nom étant Muhammad bin Abdallah – à la rigueur Mohammed ! ». Nous publions ici une première réaction que l’on doit à Madame Dominique Labouérie, qui, dans « une lettre ouverte » aux rédacteurs du Point, ne cache pas, elle aussi, une certaine « consternation ». Paris, le 27 septembre 2005.

le point jesus mahomet
Couverture du Point du 22 septembre 2005

Lectrice heureuse et assidue du Point depuis ses débuts, je suis consternée par le dossier « Jésus – Mahomet », que je viens de travailler… Je ne comprends pas pourquoi un hebdomadaire ouvert et sympathique comme le vôtre devient borné et même de mauvaise foi, dés qu’il s’agit du christianisme : je sais bien que c’est dans l’air du temps, que vos journalistes n’ont sans doute pas le temps de bien se documenter et surfent sur les idées du religieusement-correct… Mais vraiment, c’est inquiétant !

  • Première remarque, les dés sont pipés dés le départ

Pour parler de Jésus, vous choisissez des incroyants, tel Geza Vermes, qui semble chercher ses sources davantage chez Prieur, Mordillat et consorts que chez des historiens et exégètes sérieux. Vous pensez sans doute que moins on croit, plus on est fiable (?) Iriez-vous confier une chronique d’art à des malvoyants ou une chronique musicale à des malentendants ?

Les datations des Évangiles et les histoires de frères et sœurs de Jésus sont tout à fait dépassées et appartiennent au folklore de Renan et autres Guillemain. Les raisons de la condamnation de Jésus sont claires, si on a tant soit peu lu l’Évangile, en particulier celui de Jean : il s’est fait Dieu « je suis le Chemin, la Vérité, la Vie. » « Avant qu’Abraham fut, je suis. » etc. donc il doit mourir selon la Thora. Cette explication est beaucoup plus sérieuse et simple que l’accrochage avec les marchands du Temple. Il est normal qu’un incroyant ne croie pas à la Résurrection, seul fondement de la Foi chrétienne. Mais c’est très léger d’affirmer que « les Apôtres traumatisés par sa mort avaient besoin de le savoir là et de ressentir son charisme… ». (Ces gens-là n’étaient pas plus bêtes que nous et réclamaient toujours des signes). De tels arguments ont été réfutés depuis longtemps.

Par contre, quand il s’agit de Mahomet, vous choisissez Mahmoud Hussein, c’est à dire des croyants fervents, qui présentent un portrait tout à fait idéalisé par la « Sirat Mohammed ». Cela fait sourire les spécialistes musulmans (oui ! lisez les nouveaux penseurs de l’Islam) ou non musulmans, qui mettent très fort en question l’authenticité de ce recueil. L’histoire nous rapporte, sans équivoque, sa cruauté, son désir d’argent et de femmes et l’imposture des versets de sourates qui descendent opportunément pour satisfaire ses désirs (tout cela est bien humain, dans toutes les religions, il y a eu et aura des gens cupides et malhonnêtes, mais Jésus, justement, n’appartient pas à ces catégories). Le « rayonnement » du message de Mahomet a été, comme chacun sait, celui des armes et de l’oppression. Un professeur de l’Éducation Nationale a été sanctionné, il y a quelques mois, pour avoir essayé de dire la vérité historique, en cours d’histoire, vous le savez…Je vous envoie ci-joint le témoignage d’une ex-musulmane intellectuelle, qui remet les pendules à l’heure.

Il faut beaucoup de courage actuellement, même en Europe, pour être vrai, car il y a un danger réel, tant pour les musulmans éclairés que pour les autres (chrétiens ou non). Je suis engagée sur Paris et dans le Tarn avec des groupes d’ex-musulmans devenus chrétiens, je suis triste qu’on puisse les accuser d’opportunisme (cf p. 75, certains le sont peut-être, il y en a toujours. Partout…) Ceux que je connais ont tout perdu pour le Christ, situation, famille, relations…. Certains sont condamnés à mort, et nous, Occidentaux, les accueillons bien peu. C’est très facile à nous, Français avachis, installés dans notre cocon chrétien ou athée, de pérorer sur les conversions des autres (je me mets en cause, moi aussi), mais quel courage avons-nous pour être différents et vrais ? N’y aurait-il que Salman Rushdie, Ibn Warraq, Oriana Fallaci ou J. Gérard Lapacherie pour crier, avec excès peut-être, dans le désert des belles consciences ?

  • 2) L’article d’Éric Vinson serait intéressant et assez honnête.

Mais il est un peu naïf : je cite au hasard, j’ai peu de temps : « Oumma : espace indivisible et égalitaire, sans clergé… » Désolée, chez les Chiites, il y a un clergé, et chez les Sunnites, marabouts, imams, muftis et autres Oulémas, sans compter l’université Al-Azhar et d’autres circuits souterrains, les remplacent avantageusement. Il ne semble pas savoir non plus que le soufisme est rejeté par l’orthodoxie musulmane. A l’heure actuelle, pour plaire aux Occidentaux en mal de spiritualité, le soufisme est devenu un bon filon de publicité pour l’Islam.

Effectivement, le christianisme a toujours refusé l’approfondissement secret de la spiritualité (ésotérisme et gnose), car le Salut est proposé clairement à tous, et non à quelques initiés.

Avec Jésus et Mahomet, nous ne sommes pas en régime de match de foot ou de publicité, il n’y a pas de vainqueur ou de perdant, sinon provisoire…Le problème est trop sérieux pour être ainsi posé. Il est symptomatique que, pour comparer les deux religions, jamais vous ne posiez la question de la vérité et du Salut (cela seul intéresse les croyants de toute religion), c’est-à-dire la question de la réalité des événements selon l’histoire, et de l’avenir eschatologique des êtres humains selon les textes sacrés.

Contrairement à ce qu’imagine Vinson, le christianisme n’est pas soumis pour l’essentiel à la modernité : il l’a engendrée, certes, il y est soumis (et encore !) pour tout ce qui est secondaire : la vie matérielle, la technique, l’organisation sociale et politique… mais l’essentiel est bien au-delà .

  • 3) Le bref article de René Girard …

Intéressant comme toujours, je suppose qu’il a été placé, comme un « leurre », p.72 pour montrer qu’il y a quand même un Chrétien dans la bande des interviewés. D’ailleurs il est en couverture à la première place, pour attirer le lecteur. Mais ce texte ne correspond que d’assez loin au thème Jésus-Mahomet, surtout pour ceux qui ne lisent pas habituellement R. Girard.

  • 4) Pour « la vie de Jésus… musulman »

Page 73, je vous renvoie au livre passionnant de Vittorio Messori, journaliste d’investigation à Turin : « Ils disent : il est ressuscité », chapitre XVII p. 179 et suivantes.

  • 5) Histoire Islam-Christianisme :

« L’histoire est un ramassis d’horreurs », a dit très justement Voltaire, du moins l’histoire que l’on écrit et transmet, il y en a heureusement une autre qui, un jour, sera révélée. Ce qui est certain, sans entrer dans le détail de la légitimité originelle des Croisades ou des conquêtes et reconquêtes, c’est que tous les hommes, chrétiens, musulmans ou autres font des horreurs.

    Mais il y a une différence essentielle:

Quand des Chrétiens pillent, torturent et tuent, ils trahissent Jésus et l’Évangile et ils le savent. Souvent ensuite ils cherchent à expier leurs crimes. Quand les Musulmans pillent, torturent et tuent, (comme actuellement en de nombreux pays d’Asie et d’Afrique, sans défense, crimes que l’Occident ignore complaisamment), ils suivent Mahomet et obéissent au Coran qui leur promet une récompense pour ces actions, quand elles sont dirigées vers les infidèles. Ils pensent que c’est bien. Voilà pourquoi le problème des Droits de l’Homme les concerne finalement assez peu (quoiqu’ils ne l’affichent pas clairement par crainte de l’opinion occidentale). Ces droits sont soumis à la Charia, Loi d’Allah.

  • 6) Gilles Kepel est bien ambigu au sujet du martyre

Le même mot s’emploie dans deux sens différents. En christianisme, le martyr donne sa vie à Dieu avec amour, pour témoigner de sa Foi, mais sans faire de mal aux autres, il est seulement victime. En Islam, le martyr donne sa vie, pour obéir à Allah, avec haine probablement, puisqu’il veut tuer ou abîmer le plus possible. Il est victime et bourreau.

Quant aux conversions, il a raison: elles sont limitées de part et d’autre, du moins apparemment, (à cause des très grands dangers) en milieu chrétien,.même en Europe. Du côté musulman, elles sont mises en valeur, car elles sont sans danger et constituent un attrait pour des gens concernés (mariage, situation…).

Mais, dit-il, « la conversion à l’Islam ou au christianisme s’explique par la relativisation des traditions et des croyances… ». Oui, peut-être vers l’Islam, je ne connais pas bien la situation. Vers le christianisme non ! Tous ceux que je connais ont rencontré quelqu’un qui les a libérés de la peur et leur donne une grande joie de vivre. Il est certain que, s’il n’y avait pas une pression incroyable (même dans les Collèges et les Lycées, aujourd’hui : j’ai des témoignages accablants de jeunes maghrébins non musulmans), beaucoup de Musulmans viendraient à la Foi chrétienne ou du moins à l’agnosticisme.

7. Quant à l’article « l’avenir est à l’Islam », qui semble être la conclusion de ce dossier, « pourquoi choisir l’Islam plutôt que le christianisme ? Pour sa virilité », je pense à la réflexion d’une de mes élèves, algérienne, « l’islam est une religion de machos et de voyous »….Pour les femmes, en Islam, la dite virilité est accablante…

On ne choisit pas une religion comme un sport de combat ou une marque de voiture, on accueille une proposition de Foi, on y entre, après avoir cherché (même si on y est né, on repense tout à un certain âge) et trouvé ce qui nous semble être la Vérité du Salut. Cette immense perspective est celle de toute religion. Les religions séculières : nazisme, communisme… n’ont qu’un horizon terrestre et provisoire. Les religions spirituelles embrassent tout l’avenir de l’homme. A chacun de s’engager où il le pense meilleur !

Il me semble tout de même inquiétant que vous concluiez votre dossier sur l’affirmation: « l’avenir est à l’Islam »

Évidemment une religion où les hommes « n’ont plus à penser » est bien pratique en ces temps de facilité matérialiste. Il suffit d’accomplir quelques rites et gestes bien définis et on est tranquille… du moins chez les hommes. Quant aux femmes…

Il est effectivement très possible que l’Islam se propage chez nous par suite de nos démissions, mais quelle régression !

Heureusement, n’en déplaise à Malek Chebel, la valeur d’une religion ne se mesure pas au nombre de croyants supposés, mais à la qualité de leur vie et de leur témoignage.

Tous les Chrétiens ne sont pas des ramollis, beaucoup sont très engagés au niveau social, caritatif, politique… avec une Foi réelle. Il y a, en particulier, une jeunesse qui monte et n’a rien à voir avec les vieilles lunes de 68. Des églises se vident, mais d’autres se remplissent, simplement on ne les connaît pas, parce qu’elles ne font pas de bruit.

Mon texte est un peu long, quoiqu’il y ait encore beaucoup à dire sur votre dossier. Si vous m’avez lue, merci. Soyez vigilants au sujet de l’Islam. C’est comme le communisme, tant qu’il n’est pas au pouvoir, il est sympa. Mais quand il le prend et s’installe, c’est l’oppression pour longtemps ! J’aime la France et les femmes de mon pays !

Bien à vous,

Dominique Labouérie (et un certain nombre d’amis)

[1] Le Point du 22 septembre 2005: Jésus-Mahomet – Le grand affrontement : le XXIe siècle, que l’on prédit religieux, sera-t-il celui de la confrontation entre les deux plus grandes religions monothéistes, le christianisme et l’islam ?