Midway (4) : La situation immédiate

La bataille de l'archipel de Midway ne sera pas le fruit du hasard. Bien au contraire, elle sera le résultat d’une longue histoire politique, stratégique et maritime. Du fait de sa situation à mi-distance entre Yokohama et San Francisco, Midway se trouve être le point de concentration des énergies japonaise et américaine…

La bataille de Midway (4) : La situation immédiate

La bataille de l'archipel de Midway ne sera pas le fruit du hasard. Bien au contraire, elle sera le résultat d’une longue histoire politique, stratégique et maritime. Du fait de sa situation à mi-distance entre Yokohama et San Francisco, Midway se trouve être le point de concentration des énergies japonaise et américaine de façon bien plus prévisible et plus efficace que le coup de poker de Pearl Harbor. C'est à Midway que le Haut État-major japonais a prévu de lancer la bataille décisive contre la flotte Américaine, ou ce qu'il en restera après la destruction de trois de ses porte-avions et de la plupart de ses croiseurs. Une première attaque surprise de la flotte US du Pacifique prévue à Pearl Harbor, sera minutieusement préparée pendant plus d'un an. A Tokyo on est persuadé que jamais l'Amérique ne laissera le Japon s'emparer d'un atoll représentant une position aérienne aussi "stratégique", menaçant à la fois la Californie directement, après avoir exclu du même coup l'US Navy du Pacifique pour que la marine impériale japonaise désormais puisse y régner sans partage. Ce qui était à la fois méconnaître, sous-estimer pour ne pas dire mépriser les États-Unis, ce qui témoigne de l'aveuglement dans lequel se trouvait le pouvoir japonais de l'époque. Par l'Amiral Guy Labouérie, membre de l'Académie de Marine.[1] Brest, le 29 octobre 2005.©

Amiral Guy Labouérie -- Photo © Joël-François Dumont. -
Amiral Guy Labouérie

Après son refus des décisions de la conférence navale de Washington en 1922 (et il en sera de même de celle de 1935) qui voulait limiter les tonnages des navires de combat et le nombre des navires de guerre, particulièrement les plus grands d’entre eux, les porte-avions et les cuirassés, le Japon s’est lancé dans la conquête de la Mandchourie [2] et de la Chine à partir de 1932 [3] pour agrandir son espace “naturel” et trouver les matières premières qui lui manquent. Ce sont des opérations essentiellement terriennes où la Marine impériale joue un simple rôle de sûreté face à la faiblesse des moyens chinois.

Carte de l'Extrême-Orient en 1939. Source: Académie militaire de West Point. -
Carte de l'Extrême-Orient en 1939. SourceAcadémie militaire de West Point

Elle en profite pour monter en puissance, en particulier dans la construction des porte-avions avec les avions embarqués, les “Zéro”, qui seront les meilleurs du monde au moment de l’ouverture du conflit. Toutefois cette marine n’a pas d’expérience réelle d’opérations en Haute Mer, la célèbre bataille de Tsushima [4] ayant seulement été un massacre en embuscade d’une flotte russe usée et démoralisée par un périple invraisemblable autour de l‘Afrique en partant de la Baltique!

Le croiseur de la Russie impériale Amiral Nakhimov après sa modernisation (1903) -

Très gravement endommagé par une torpille, le croiseur cuirassé russe Amiral Pavel Nakhimov sera sabordé par son équipage à Tsushima.[5]

Amiral Tōgō Heihachirō -
L'amiral Tōgō Heihachirō [6

L'amiral Zinovi Petrovich Rozhestvenski de la marine impériale russe. -Photo parue dans le Petit Journal illustré le 18 Juin 1905. L'Amiral Togo rend visite à l'amiral Rojdestvenski, blessé à Tsushima dans sa chambre à l'hôpital militaire japonais de Sasebo -- Courtoisie Alain Noël © Site du Petit Journal. -
L'amiral Togo au chevet de l'amiral Rozhestvenski à l'hôpital naval de Sasebo [7]

Aussi les leçons tirées de cette bataille, comme l’admiration sans nuances de tous les marins japonais pour son vainqueur, l’amiral Togo, sont-elles bien plus proches d’une mentalité terrienne que d’une mentalité maritime comme Mahan en avait pourtant indiqué l’essentiel dans ses ouvrages, mentalité faite de vision globale, d’ouverture d’esprit, de délégations, d’initiatives… Or la guerre en Haute Mer, surtout dans d’aussi immenses espaces que ceux du Pacifique, n’a pas grand chose à voir avec des batailles à faible distance des côtes ou entre des îles rapprochées, en particulier pour des raisons logistiques, impératives dès que les distances s’accroissent.

Carte de l'offensive centrifuge japonaise en 1941 -- Source: Académie militaire de West Point. -
Carte de l'offensive centrifuge japonaise en 1941. SourceAcadémie militaire de West Point

En 1940 après la déroute de la France, et malgré les mises en garde des États-Unis toujours attentifs à ce qui pourrait gêner leurs communications avec l’Asie, le Japon s’empare de fait de l’Indochine française [8] en s’installant au Tonkin,[9] accentuant ainsi sa main mise sur les approches de la Chine et se trouvant bien placé pour ses ambitions futures tout en gênant encore plus l’accès des Américains à l’Asie.

Les États-Unis, quant à eux et tout en sentant monter le danger, ont une attitude globale reposant sur les points suivants: Faire preuve d’une vigilance générale, mais en se refusant, pour des raisons politiques et probablement aussi parce que la cryptographie américaine avait percé les codes japonais dès 1940 ce qui leur donnait un certain confort, à étendre systématiquement l’aire et les moyens des services de renseignement.[10] De plus ces services de renseignement très divers n’ont pas de liaison directe entre eux, pas plus qu’il n’y a d’organisme de synthèse permettant d’avoir en permanence une vision réaliste d’ensemble de la situation, vision à diffuser auprès de tous les responsables. Les jalousies internes entre armées et entre spécialistes de même armée sont monnaie courante comme l’établiront les divers rapports ultérieurs. Il résulte de l’ensemble un “cafouillage” invraisemblable où se perdra tout renseignement susceptible d’alerter les forces aéronavales américaines, cafouillage qui n‘est à l‘honneur ni des politiques ni du Haut Commandement.

Carte de l'Extrême-Orient et du Pacifique en 1941. Source: Académie militaire de West Point. -
Carte de l'Extrême-Orient et du Pacifique en 1941 

Pour le Pacifique, cette attitude générale des dirigeants américains, qui ne sont néanmoins pas dupes de la gravité de la situation et de ses inéluctables dérives, est confortée par l’urgence de la situation en Atlantique qui n’a cessé de se dégrader et par la sensation de sécurité que leur procure leur présence aux Philippines sur le flanc du Japon et la situation d’Hawaï qu’ils jugent trop éloignée du Japon pour que les Japonais puissent intervenir contre la Flotte du Pacifique.

L'Amiral James O. Richardson (à droite) photographié le 10 octobre 1940 à côté du Secrétaire de la Marine, Frank Knox, "pour protester contre le stationnement permanent de la flotte du Pacifique à Pearl Harbor". Il est entouré de l'Amiral Harry E. Yarnell (à gauche) et du chef des opérations navales, l'Amiral Harold R. Stark -- Collection de l'Amiral Stark -- Photo U.S. Naval Historical Center. -
L'amiral Richardson demande à son ministre d'évacuer la flotte de Pearl Harbor 

Quant à ceux qui essaient d’alerter le Haut-Commandement et le gouvernement sur les risques encourus, ils sont désavoués, particulièrement l’amiral Richardson [11] commandant la flotte du Pacifique qui juge pourtant, à juste titre, sa situation de plus en plus délicate. Roosevelt,[12] pour de bonnes et de mauvaises raisons politiques, le relèvera de son commandement ce qui était la dernière chose à faire compte tenu de sa valeur et de la montée des périls. 

Laisser les autres en première ligne tant que cela est possible, compte tenu de la mentalité du moment du peuple américain qui n’a pas l’intention de se mêler à une nouvelle guerre européenne, vingt ans après la précédente qui a coûté cher en “boys”. Par contre, il faut aider ceux qui se battent contre un adversaire de plus en plus inacceptable et renforcer les liens entre Grande-Bretagne et États-Unis. Cela se traduit en particulier par la loi de “prêt-bail” [13] pour les Britanniques puis l’accompagnement non officiel de convois par des destroyers américains en Atlantique, ainsi que par le déplacement d’une partie des moyens aéronavals vers l’Atlantique pour se renforcer face à l‘Allemagne, même si cette dernière n'est plus l'adversaire officiel depuis la fin de la Première Guerre Mondiale.

Sur le pont d'envol, des chasseurs F2A-1 à l'avant, des bombardiers Scout SBD scout-bombers eu milieu du porte-avion et des TBD-1 avions torpilles à l'arrière -- Photo U.S. Navy (Collection Archives nationales). -
L'USS Lexington (CV1) au large de San Diego en octobre 1941

  • Enseignements  

Miser sur les moyens essentiels pour l’avenir, par des études approfondies initiées dès 1936 et amplifiées à l’entrée en guerre des Européens, qui permettront la mise en chantier sur la côte Pacifique d’une flotte gigantesque [14] qui, au moment même de la bataille de Midway, représentera déjà une commande de 23 porte-avions, contre les 7 initialement prévus dans le plan naval de 36, dont 15 d’attaque. Il y a là la première manifestation que l’on retrouvera dans toute la conduite de Midway d’une capacité d’anticipation qui est une des marques des esprits stratégiques et une des conditions de tout succès. 

Commencer à serrer le robinet économique vers le Japon à partir du moment où ils se sont imposés en Indochine française, en particulier sur le ravitaillement en carburéacteur indispensable aux opérations menées en Chine, décision lourde de conséquences par son impact sur les chefs militaires japonais qui ne peuvent accepter de se voir privés si peu que ce soit de leurs capacités opérationnelles aériennes et aéronavales.

On n’est jamais à l’abri d’une surprise de la part de l’Autre, y compris dans le domaine géographique. La distance physique est certes une protection, ou du moins était car c’est de moins en moins vrai aujourd’hui où les moyens et les formes d’attaque peuvent être très surprenants comme l’a montré le 11.09. Mais ce peut être aussi une faiblesse, si l’on s’abrite derrière comme on le ferait d’une ligne Maginot, ce qui est d’autant plus stupide sur mer qu’il n’y existe ni frontière ni ligne fixe, même si les contraintes internationales s’y sont légèrement élevées depuis la fin de la guerre. 

Aussi faut-il étudier en permanence les effets de toute nature de cette distance physique sur soi et sur l’Autre, effets qui se modifient avec le Temps, les technologies, et les hommes.

Par contre, si ces distances géographiques sont aujourd’hui réduites par les progrès technologiques, comme le P.C., la vitesse des aéronefs, les missiles, etc. elles restent essentielles pour la logistique lourde toujours tributaire des moyens maritimes tandis que malgré leurs performances les aéronefs ont besoin de bases à terre ou embarquées. C’est l’avantage des porte avions, pour ceux qui en possèdent aujourd’hui, que de pouvoir amener les avions en sûreté, à proximité de leur zone d’opérations avec la capacité de renouveler leurs actions pour peu qu’ils disposent d’une logistique mobile adaptée. C’est ce qui fait la puissance actuelle des forces aérospatiales américaines. Les aéronefs basés à terre sont plus sensibles à l’éloignement physique car si le ravitaillement en vol ne pose plus de difficulté il s’agit seulement du carburéacteur mais ni des équipages ni des munitions, ce qui implique des retours sur une base capable de les ravitailler et de relever le personnel. Que des B1 ou B2 puissent bombarder des cibles précises en partant de milliers de kilomètres est une donnée très positive mais limitée car elle est insuffisante pour conclure. Quant aux autres appareils plus légers, il leur sera de plus en plus délicat de disposer de bases même provisoires dans des pays, y compris alliés de circonstances, proches d’un théâtre d’opérations. Les Américains s’en aperçoivent depuis vingt ans et ce sont leurs groupes de porte-avions d’attaque qui leur ont permis les déploiements en sûreté de l’ensemble de leurs moyens terrestres et aériens pour leurs opérations dans le Golfe. Les susceptibilités des États comme leurs équipements de plus en plus sophistiqués – rançon d’exportations d’armements effectuées sans beaucoup de réflexion à terme – rendront plus difficiles des survols sans autorisation et aboutissent à des accords de déploiements de plus en plus limités. 

Cela exige désormais une diplomatie anticipatrice, qui n’a pas grand chose à voir avec les anciens principes du discours, du thé, et du rapport journalier vers le ministère correspondant.

Par ailleurs les autres notions de distances, culturelles, scientifiques, financières, spirituelles, économiques, de formation, d’entraînement, etc. apparaissent dans notre monde comme de plus en plus importantes et sources de plus en plus de risques et de dangers. Toutes les politiques d’instruction nationale et d’immigration doivent – ou devraient – en tenir compte. Cela intéresse toutes les activités de chaque entreprise comme de chaque État qui doivent s’interroger sur les moyens de “mobilité autonome” qui leur seraient indispensables pour naviguer sur la Planète des affaires comme sur celle des États. Il n’est pas assuré que l’Europe y réfléchisse beaucoup aujourd’hui en dehors des évidences orales habituelles. Les palinodies très récentes sur la Turquie, et autres incapacités d’une Europe à faire y compris en Défense le montrent à l’évidence. 

Il ne faut jamais rien “lâcher” sur l’information et le renseignement, et d’autant plus à l’époque actuelle.

Aucune spécialité si brillante et si efficace soit-elle ne remplace le tout de l’Intelligence. Cela coûte cher en hommes, en organisation et en équipements, mais c’est de plus indispensable dans nos sociétés de l’information. C’est l’erreur de la philosophie de la vigilance en cours au début de la guerre chez les Américains, ce qui leur coûtera cher. Ayant compris la leçon ils en sont venus aujourd’hui à la notion “d’information dominance”, plus efficace même si leur faiblesse récente face au terrorisme montre que tout n’est pas parfait, en grande partie par oubli de “l’homme”, ses aspects passionnels, les cultures qui le conditionnent et les incroyables facilités des moyens actuels de communication, information, diffusion… 

Il n’y a pas de renseignement exhaustif sans un homme et un organisme de synthèse général.

Malgré les erreurs relevées en 1941 les Américains s’apercevront de la même difficulté après l’attaque du 11 septembre 2001 sur New York. Il en est de même dans à peu près tous les pays développés où la profusion de services divers de renseignement publics et privés entraîne le plus souvent des luttes d’influence entre ministères, toujours préjudiciables à l’efficacité de l’ensemble avec une perte considérable d’informations. Cela peut être catastrophique à l’âge des terrorismes transcontinentaux. La plus grande difficulté actuelle est de trouver les hommes de haute culture et de capacité de synthèse indispensables. La lancinante question de la Formation et de l’Information est de plus en plus pressante à résoudre à tout niveau, celui des personnes, celui des entreprises comme celui des États. Si l’on peut se féliciter que l’on y vienne enfin dans les entreprises françaises, nous y avons pris un notable retard qu’il faut combler le plus vite possible. Encore faudra-t-il compléter la très bonne formation “analytique” des futurs dirigeants par le développement corrélatif de l’esprit de synthèse. Sur toutes ces questions « d’Intelligence » il faut revenir à Pascal et prendre un certain recul avec Descartes [15]. 

Une des données essentielles du succès dans quelque activité que ce soit dans le monde du XXIème siècle est l’anticipation avec la vitesse d’exécution correspondante.

C’est ce qu’avaient très bien pris en compte les politiciens et les marins américains à partir de 1935 avec leur programme naval non seulement en nombre de navires qu’ils n’auront plus qu’à augmenter dans d’incroyables proportions, mais aussi en définition des moyens nécessaires, misant tout de suite sur les porte avions perçus comme le « vaisseau » de l’avenir. La France ne l’avait pratiquement pas compris et tirant une mauvaise leçon de la guerre sous-marine de la première guerre mondiale avait préféré construire, outre les cuirassés et les croiseurs, la première flotte sous-marine de l‘époque inutile face à un pays continental comme l‘Allemagne, et sans aucune flotte logistique… 

La question de l’anticipation est la même pour les entreprises et les États.

Les plus en retard sont ceux qui ont des difficultés à penser et agir en fonction d’un long terme qui survient très vite à l‘ère de l‘immédiat. Qui n’est pas capable de cette anticipation et de cette vitesse d’exécution a peu de chances de voir s’ouvrir devant lui les voies de l‘adaptation rapide de ses produits, équipements, matériels, hommes… et donc de la richesse et de l’évolution continue désormais obligatoire.
 
L’incroyable machine industrielle mise en route sur la côte Ouest américaine pour la construction de ces milliers de navires civils et militaires pendant la guerre [14] sera des années plus tard à la base d’une erreur assez considérable des gourous des entreprises sur la planification et la métaplanification comme en a convenu un des plus célèbres d’entre eux, le canadien Mintzberg.[16] La raison essentielle en a été l’oubli d’une donnée fondamentale: l’argent qui, en temps de guerre, est fourni quoi qu’il arrive aux arsenaux. Si cela peut rester vrai dans de très grands projets comme ceux de la NASA, ou la réalisation d’une force stratégique, c’est toujours limité dans le temps et ce n’est pas vrai de la quasi totalité des entreprises et des États dont les faillites sont de plus en plus fréquentes dès lors que l’on pense que “l’argent pousse aux arbres” et qu’on peut se lancer dans n’importe quelle aventure! De cette erreur sortiront bien des confusions entre planification et stratégie et bien des fautes de management, sans oublier les incroyables paris financiers de certains États, les conduisant inéluctablement à un moment ou l’autre sinon à la cessation de paiement du moins à l‘appauvrissement des générations suivantes. 

En tout domaine, il faut toujours se méfier d’un géant même apparemment endormi ou inattentif. Il ne dort jamais que d’un oeil et a des ressources que ne possède pas le non-géant. Cela est vrai dans toutes les activités humaines. Si les géants ont des faiblesses qui peuvent être parfois considérables, il faut quand même être très attentif à leurs forces réelles, apparentes et cachées, ce qui renforce la nécessité du renseignement et de l’information et plus encore l’Intelligence de l’ensemble. Il faut s’intéresser aussi bien à la face inconnue qu’à celle insoupçonnée de leurs intentions et de leurs capacités ce qui nécessite des personnes spécialisées particulièrement cultivées et bien formées. 

Le comportement d’Ulysse face au géant “Polyphème” est instructif sur ce point, mais qui s’en souvient aujourd’hui?

On retrouve cette difficulté actuellement dans nos pleurnicheries face à la Chine, demain à l’Inde et après demain face à l’Afrique. Les géants démographiques, quelles que soient par ailleurs leurs faiblesses, sont avant tout des géants et seule l’Europe si elle consent à se définir avec l‘accord de ses populations, serait à la taille des défis qui se profilent et se rapprochent de façon d’autant plus rapide qu’ils se cachent derrière les graves questions des terrorismes internationaux et de l’économie criminelle. Mais il n’y a pas d’Europe… politique !

Il est toujours très délicat de remplacer au pied levé pour des raisons politiciennes (ce qui se retrouve évidemment dans les entreprises dans leurs domaines d’activité) le patron d’un ensemble opérationnel très important où il a fait la preuve de ses capacités de vision, d’analyse, d’initiative et de commandement. C’est d’autant plus dommageable si cela se passe sans prendre en compte l’évolution d’une situation de crise voire l’approche d’une tempête. Ce sont les limites des rapports du management général et des opérationnels, ces derniers pouvant être de très hauts rangs et responsabilités. Autant il est impératif de “virer” tout opérationnel qui dans son domaine n’est pas à la hauteur de ses responsabilités, autant il est généralement dommageable de le faire pour des raisons politiciennes, même si ces dernières peuvent apparaître politiquement justifiées, ce qui se fait malheureusement souvent a posteriori pour se blanchir, alors que l’effet instantané peut se révéler contraire aux besoins du moment.

Guy Labouérie

[1] L'Académie de Marine a été fondée en 1752. Dissoute comme toute ses consoeurs pendant la Révolution, elle n'a été réactivée qu'en 1921. Son siège est à Paris.

[2] Moukden est le nom qui a été donné en 1625 à la ville de Shenyang, capitale historique de la Mandchourie, qui, aujourd'hui, a retrouvé son ancien nom. « L'incident de Moukden »: Après que le chemin de fer de Moukden  ait été saboté par des agents japonais, des massacres sont perpétrés à Moukden en Mandchourie méridionale. Dans la nuit du 18 septembre 1931, des bandits chinois se livrent à des scènes de violence et à de pillages. Organisés par les  Japonais, mais imputés aux Chinois, ces incidents serviront de prétexte à la première étape d'une intervention militaire japonaise en Chine, commencée en Mandchourie par le général Comte Terauchi Hisachi dés le 19 septembre. Voir le rapport de Mgr Michel Blois, vicaire apostolique de Moukden adressé aux missions étrangères de Paris. Les Japonais créent l'État de Mandchukuo le 18 février 1932. Ils placent à sa tête le dernier empereur de la dynastie Qing Chine renversé en 1911, déchu, après l'instauration de la République de Chine. Exilé au Japon, Aixinjueluo Puyi reviendra pour régner sur la Mandchourie, contrôlée sinon annexée par les Japonais de 1932 à 1945.

[3] Shanghai.

[4] Le 6 février 1904, le Japon et la Russie rompent leurs relations diplomatiques. Une flotte japonaise fait route sur vers Port Arthur sur la côte chinoise. L'envoyé spécial en Extrême-Orient du Petit Journal titre à la Une de son édition du 8 février 1804: « Ouverture des Hostilités entre la Russie et le Japon: Un coup de force des torpilleurs japonais contre l'escadre russe à Port Arthur » et écrit: « Naguère, quand deux peuples entraient en lutte, ils ne le faisaient point sans un échange de cartels. Les preux chevaliers d' autrefois envoyaient leur gant à leur ennemi ; les souverains dépêchaient à leur adversaire une déclaration de guerre en règle : " Garde-toi, je me garde." C' était correct, et l' on savait de part et d' autre à quoi s' en tenir. Seule de toutes les nations européennes, l' Angleterre faillit plusieurs fois à ce noble usage. Son allié, le Japon, vient de témoigner, pour la seconde, fois au monde étonné que, pas plus que la perfide Albion, il ne s' embarrasse de ces subtilités chevaleresques. Déjà en 1894, lors de leur différend avec la Chine, les Japonais coulèrent bas un transport ennemi, sept jours avant d' avoir avisé les légations étrangères de la déclaration de guerre. Ils viennent de renouveler ce facile exploit contre la flotte russe mouillée dans la baie de Port-Arthur… (Extrait: Courtoisie Alain Noël – Site du Petit Journal).

Le croiseur de bataille Petropavlosk de la marine impériale russe (Classe Bismark) en 1904.. -
Le croiseur russe Petropavlosk (Classe Bismark)

Aussi incroyable que cela paraisse, l'état-major russe avait négligé de faire établir un plan des nombreuses mines sous-marines qui avaient été posées pour la défense des abords de Port Arthur et de Dalny. Seul le commandant Stepanoff, qui commandait le vaisseau porte-torpilles Ienisseï en connaissait l' emplacement. En heurtant le 11 février « une des torpilles qu' il venait d' immerger pour barrer la baie de Ta-Lian-Wan », il emporta avec lui son secret. Pour l'escadre russe, ce fut un désastre. A chacune de ses sorties, ses navires risquaient de se heurter à ces dangereux engins, devenant ainsi la victime de ses propres défenses, sans parler des nouvelles mines japonaises. C'est ainsi que le 13 avril, le croiseur russe Petropavlosk heurtera une de ces mines flottantes japonaises, entraînant. la mort de celui que beaucoup considèrent comme l'un des artisans du renouveau du développement de la marine russe dans la seconde moitié du XIXème, l'amiral Stepan Ossipovich Makaroff, commandant en chef de l'escadre russe ainsi que celle de 620 marins.

Le Petit Journal du 27 Mars 1904 -- Courtoisie Alain Noël © Site du Petit Journal. -

Le Petit Journal du 27 Mars 1904

« Un canon à terre vaut un vaisseau à la mer » (Napoléon). L'envoyé spécial du Petit Journal en Extrême-Orient qui suivra la guerre russo-japonaise rapporte dans l'édition datée du 27 mars 1904: « Il y a là de formidables canons – comme celui dont notre gravure reproduit la manoeuvre – dont le poids est de 28,700 kilos, et qui lancent des projectiles de 255 kilos, lesquels, à bout portant, percent une cuirasse de 41 centimètres. » (Courtoisie Alain Noël – Site du Petit Journal).

Alors que sur mer, la flotte japonaise assaille la flotte russe de Port Arthur incapable de percer le blocus japonais, celle de Sakhaline étant bloquée par les glaces, sur terre, la 3ème Armée japonaise en profite pour envahir la région. Le 2 janvier 1905, la garnison russe commandée par le général Baron Anatoli Stoessel, retranchée dans la forteresse de Port Arthur,capitulera après six mois de siège, tandis que le général Alexeï Nikolayevitch Kouropatkine sera contraint de se replier sur Kharbin. Les Japonais perdront 60 000 hommes et les Russes 31000 sur un front large de plus de 150 kilomètres. En mars, ce sont 750 000 hommes qui s'affrontent en Mandchourie. Le Tsar envoie en mer de Chine l'escadre de la Baltique à la rescousse. Celle-ci conduite par l'Amiral Zinovi Petrovitch Rojdestvenski (1848-1909), qui, s'étant vu refuser la traversée du Canal de Suez par les Britanniques (alliés aux Japonais), contournera l'Afrique en passant par le Cap de Bonne-Espérance avant d'arriver début mai avec des navires en mauvais état et des équipages mal entraînés. Analyse de la guerre russo-japonaise datant de 1910 (Document).

Le 27 mai, l'Amiral Togo va tendre un piège redoutable à l'Amiral Rojdestvenski en attendant que la flotte russe traverse le détroit de Tsushima pour gagner Vladivostok. En début d’après-midi, les deux flottes sont au contact visuel. « Togo prend alors une initiative audacieuse : il ordonne à son escadre de virer par la contremarche, une manœuvre destinée à barrer la route aux navires russes, mais qui expose durant douze interminables minutes le flanc de ses bâtiments aux projectiles ennemis. » Qui plus est, les bâtiments japonais, modernes et deux fois plus rapides que les russes sont «équipés de télémètres, des outils de guidage qui offrent une précision de tir très supérieure et utilisent la poudre Shimosaqui enflamme les navires russes. » L'Amiral Togo réussira ainsi à "barrer le T" deux fois à l'escadre russe qui tombera dans un piège mortel. Malgré une supériorité numérique importante (31 cuirassés et croiseurs russes) la flotte russe de l'amiral Rojdestvenski sera battue par la flotte très homogène de l'amiral Togo, composée de 12 cuirassés et de 8 croiseurs. Bilan: 21 navires russes coulés, 7 capturés, 6 désarmés, 3 en fuite. 4380 morts, 5917 blessés côté russe; 117 morts et 583 blessés côté japonais. « Pour la première fois, à la stupéfaction des capitales occidentales, une armée asiatique a vaincu, en une confrontation directe de grande ampleur, une armée européenne et non des moindres » écritJacques Marseille, Professeur à l’université de Paris-I Sorbonne qui conclut que le Japon, avec cette victoire, « est bien entré, en cette aube du XXe siècle, dans le club fermé des puissances sur lesquelles il faut compter.» La Russie rétrogradait de la troisième à la sixième marine du monde, le Japon accédant à la troisième place.

[5] Le croiseur Amiral Pavel Nakhimov, construit en 1884 aux Chantiers de la Baltique à Saint-Pétersbourg a été lancé en novembre 1885. Il portait le nom de l'amiral Nakhimov (1802-1855) entré dans la légende russe pour avoir en 1853 bloqué et détruit la flotte turque dans la mer noire à Sinop (Turquie) lors de la première bataille de la guerre de Crimée. Entièrement révisé en 1899, il sera gravement endommagé par une torpille japonaise dans la nuit du 27 au 28 mai 1905. Le croiseur de bataille russe sera alors sabordé par son équipage qui sera en partie sauvé.

[6] L'Amiral Togo Heihachiro est né à Kagoshima (1847-1934) et a fait ses études au Royal Naval College (école navale) de Greenwich. Il symbolise cette élite de la Restauration Meiji qui inspirera l'école de guerre navale de Tokyo, créée en 1888 pour transformer la flotte impériale japonaise sur le modèle britannique. Après Tsushima, la doctrine navale japonaise tirant tous les enseignements de cette victoire, l'Amiral Togo Heihachiro deviendra un héros japonais dont tous les attachés navals en poste à Tokyo célèbrent encore chaque année l'anniversaire de ses obsèques en 1934, comme le veutla tradition. En précipitant la capitulation de la Russie signée à Portsmouth le 5 septembre 1905, le Japon obtiendra le contrôle sur la Corée. Sur les opérations navales entre 1904 et 1905, lire "The Russo-Japonese War, 1904-1905".

[7] Photo tirée du Petit Journal illustré daté du 18 Juin 1905 dont le correspondant suivra la bataille de Port Arthur et racontera comment l'Amiral Togo rendra visite à son homologue russe, blessé à Tsushima, dans sa chambre à l'hôpital militaire japonais de Sasebo. L'amiral Rojdestvenski le remerciera en disant: « connaître la haute valeur des vainqueurs, diminue les regrets et le chagrin de la défaite…» (Courtoisie Alain Noël – Site du Petit Journal).

[8] Le terme "Indochine" a été choisi au début du l9ème siècle pour désigner la vaste péninsule indochinoise bordée par l'océan indien et par 1'océan pacifique, entre l'Inde et la Chine. Créé par le géographe danois, Konrad Malte-Brun, ce terme fut repris par la France en 1888 pour désigner 1'ensemble des territoires placés sous son protectorat. A l'origine, l'intervention française en Extrême-Orient poursuivait un double objectif : d'une part, la protection des missionnaires catholiques persécutés depuis 1833 par Tu-Duc, empereur d'Annam, un poète connu pour avoir 104 femmes et pour êtreparticulièrement hostile aux chrétiens et d'autre part, l'ouverture de comptoirs commerciaux en Asie, en Chine, notamment. Profitant d'une expédition franco-anglaise en Chine (1857-1858), Napoléon III chargea l'amiral Rigault de Genouilly (1807-1873), commandant l'escadre française de prendre pied en Cochinchine, à Saigon où la marine aménagea un port en eau profonde.

Prise de Saigon par l'amiral Rigault de Genouilly -- Par Antoine Fatio. -
Prise de Saigon par l'amiral Rigault de Genouilly par Antoine Morel Fatio

 La conquête de l'Indochine commençait. Le ministre de la Marine, le marquis de Chasseloup-Laubat et l'Amiral de la Grandière, gouverneur de la Cochinchine de 1863 à 1870 réussirent à maintenir cette présence française en Cochinchine, puis à établir un protectorat français sur le Cambodge. L'Indochine française comprenait la Cochinchine, le Cambodge, le Tonkin, l'Annam et le Laos, regroupés au sein de l'Union Indochinoise, créée en 1887, surnommée « la perle de l'Empire ». Consulter la "petite histoire de l'Indochine" du Colonel Rottier; La France, la Marine et la Chine : aperçu des relations franco-chinoises à travers le prisme naval de Philippe Lasterle, chargé de recherches au service des études historiques et "le siècle de la colonisation française" sur Clio fr.

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Timbre à l'effigie de l'amiral Charles Rigault de Genouilly, ministre de la Marine

[9] Le 19 juin 1940 les Japonais entrent en guerre contre la Chine et profitent de la défaite française pour exiger de Paris que la frontière du Tonkin soit fermée avec la Chine. Depuis le 16 juin, le maréchal Philippe Pétain, devenu à 84 ans le nouveau chef du gouvernement français, est informé de l'ultimatum japonais adressé au général Catroux, gouverneur général de l’Indochine depuis août 1939. Les Japonais exigent de contrôler le trafic du port de Haiphong. Faute de l’appui des États-Unis et de la flotte britannique d’Extrême-Orient, le général Georges Catroux, futur Français libre, (1877-1969) n'a pas le choix et s'incline en acceptant les conditions japonaises prévoyant une commission de contrôle à la frontière sino-tonkinoise. Désavoué par Pétain, il est remplacé le 20 juillet 1940 par l'Amiral Jean Decoux, chef des forces navales d'Extrême-Orient, qui va tenter de contenir les exigences japonaises qui iront en augmentant au fil des ans. Il lui faudra aussi faire face aussi aux incursions puis aux attaques aériennes menées par la junte Thaï. L'Amiral Decoux montera une expédition en mer contre les Thaïlandais, alliés des Japonais, avec la division navale d'Indochine. Ce sera la Bataille de Koh Chang, le 14 janvier 1941 qui verra la défaite de la marine royale thaïlandaise.

Le 22 septembre 1940, les forces japonaises pénètrent au Tonkin après la signature de la Convention de Haiphong. Dès «le 25 septembre 1940, 25.000 Japonais soumettent les troupes françaises d'Indochine, réduites à 12.000 hommes dont 3.000 Européens. Ils s'implantent en Indochine en laissant en place l'administration coloniale. » Voir également la chronologie sur le site Clio.fr : "Vietnam: de la Seconde Guerre Mondiale à l'indépendance" ou encore L'Indochine française pendant la Seconde Guerre mondiale par Jean-Philippe Liardet. Cette occupation sera étendue à la Cochinchine en juillet 1941. Pour ceux qui souhaitent regarder de magnifiques clichés de la Première Guerre coloniale du Vietnam, admirez la splendide collection de Charles Édouard Hocquard, médecin militaire et reporter correspondant pour l'agence Havas au Tonkin de 1884 à 1886. Voir Repères chronologiques et "Vichy versus Asia: The Franco-Siamese War of 1941" par Andrew McGregor… 

[10] Le Bureau de recherche (Research Desk) ou OP-20-G, encore appelé la "Navy Radio Intelligence Section" a été créé en 1924 par Laurence F. Safford, qui fut le père incontesté de la cryptologie de la marine américaine. Son service avait pour mission d'intercepter toutes les communications japonaises, de briser les codes, traduire les textes et d'informer le Haut Commandement. Des unités étaient basées à Hawaï, aux Philippines, à Guam et sur l'île Bainbridge, dans l'État de Washington. La station "Hypho" de Pearl Harbor dirigée par le Capitaine de Vaisseau Joseph Rochefort jouera un rôle essentiel en cassant le code opérationnel japonais "JN-25" composé de 45 000 chiffres de 5, chacun représentant un mot ou une phrase. Une femme également jouera un rôle déterminant en cassant divers codes japonais, dont le JN-25 et le "code Orange": Agnes Meyer Driscoll (1899-1971). Il faut encore citer Joseph Wenger. En mars 1942, l'OP-20-G ayant perdu deux de ses trois stations d'interception dans le Pacifique, il ne restait plus que Hawaï où le matériel était plus qu'obsolète ! Les interceptions radioélectriques commenceront à gagner en crédibilité le jour où la Marine américaine sera prévenue de l'imminence de l'attaque japonaise en mer de Corail et ensuite à Midway. A partir de là, les Américains déchiffreront tous les messages japonais. Voir à ce sujet l'excellent papier d'Henry F. Schorreck "The Role of COMINT in the Battle of Midway" (SRH-230)" publié sur le site du Centre historique de la marine américaine ou encore "A Priceless Advantage: U.S. Navy Communications Intelligence and the Battles of Coral Sea, Midway, and the Aleutians", par Frederick D. Parker [NSA: Center for Cryptologic History] et "How Cryptology enabled the United States to turn the tide in the Pacific War" par Patrick D. Weadon.

[11] L'Amiral James O. Richardson (1878-1974) commandant la flotte du Pacifique est au Pentagone. On le voit ici photographié (à droite) le 10 octobre 1940 à côté du Secrétaire de la Marine, Frank Knox, "protestant contre le stationnement permanent de la flotte du Pacifique à Pearl Harbor". Il est entouré de l'Amiral Harry E. Yarnell (à gauche) et du chef des opérations navales, l'Amiral Harold R. Stark. Il sera relevé de son commandement en février 1941. Sur cette autre photo on voit l'Amiral Richardson prêter serment lors de son audition par le Congrès après l'attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941. Pour ceux qui se demandent ce que sont devenus les bateaux japonais qui ont attaqué Pearl Harbor, voici la réponse.

[12] Le président Franklin Delano Roosevelt (1882-1945) avait occupé le poste de Secrétaire adjoint à la Marine de 1913 à 1920.

[13] La "loi de “prêt-bail” (Lease-Lend Act) signée par le président Franklin Roosevelt le 11 mars 1941. Discours de Roosevelt à la radio le 15 mars 1941. Cette loi marquait une rupture avec la politique isolationniste en vigueur aux États-Unis depuis les années 1930, avec les fameuses "lois de neutralité" votées au nom du comité America First.

[14] L'Amérique devient l'arsenal de la démocratie: Le 11 juillet 1940, Frank Knox est nommé Secrétaire à la Marine et le restera jusqu'au 28 avril 1944. Le président Roosevelt signe le 19 juillet 1940 la Loi Vinson-Walsh dite "loi d'expansion navale des deux océans" (Two-Ocean Naval Expansion Act) autorisant la construction de deux grandes flottes dans l'Atlantique et dans le Pacifique. Une guerre dans le Pacifique ne pouvant être remportée qu'en mer, compte tenu des menaces qui se profilent à l'horizon, le gouvernement des États-Unis et l'industrie privée profitent de la première commande britannique de navires de guerre en décembre 1940 pour passer des accords sans précédent. L'idée est de mettre en commun et de centraliser toutes les ressources disponibles. L'objectif étant, d'une part, d'éviter de répéter les erreurs commises lors de la 1ère Guerre Mondiale avec un lancement trop tardif de programmes navals (1917-1922); d'autre part de créer sur la façade pacifique, devenant un enjeu stratégique majeur, un complexe regroupant une trentaine d'arsenaux dans la baie de San Francisco, associant de grands industriels comme Henry J. Kaiser d'Oakland, Bechtel à Sausailito et Joe Moore, armateur de métier. Ce complexe géant s'étendra de Napa au nord, vers Sacramento et Stockton à l'est jusqu'à San José au sud. Le plus grand chantier naval au monde verra ainsi le jour en Californie dans lequel travailleront fin 1945 plus de 100 000 ouvriers, dont 27% de femmes.

We can di it de J. Howard Miller (1983) -- Crédit Westinghouse.. -
"Rosie the Rivator"… "Wendy the Welders"… de J. Howard Miller

Dans une région où les chantiers navals existant avaient seulement produit 23 navires entre 1930 et 1940, au cours des 5 années qui vont suivre, 4 600 navires seront lancés, soit l'équivalent de 45% du tonnage de transport et de 20% des navires de guerre de tout le pays. En trois ans, la population de Richmond passera de 20 000 à 100 000 personnes. Dans le seul chantier "Richmond 4" d'Henry J. Kaiser, 743 navires seront construits pendant cette période, soit un tiers des besoins exprimés par la Commission maritime américaine. Ils seront fabriqués avec un gain de temps de 30% et pour un quart seulement du prix de revient comparé à celui des autres chantiers ! Battant tous les records, le "Liberty ShipRobert E. Perry sera construit en moins de cinq jours (au lieu de deux semaines normalement et contre 230 jours pour le premier de la série). La 2ème Guerre Mondiale durera 1365 jours: ces chantiers de la baie de San Francisco produiront 1400 bâtiments. Grâce à l'emploi de techniques nouvelles et d'éléments préfabriqués, tous types de navires répondant à des besoins urgents seront ainsi assemblés: navires d'escortes, convois, rendus vulnérables par les sous-marins allemands et japonais. Puis le besoin de navires de débarquement se fera sentir. A la fin de la guerre, tous ces hommes et toutes ces femmes seront démobilisés avec un mois de salaire. Voir  le rapport historique (Historical Report prepared for National Park Service par Fredric L. Quivik, de Saint-Paul Minnesota).

[15] cf. Jean-François Revel: “Descartes , inutile et incertain” publié chez Stock, Paris, 1998.

[16] Entretiens avec l'auteur en 2002 en Bretagne. Certains de ses livres ont été publiés en français, comme "Grandeur et décadence de la planification stratégique" aux Éditions Dunod (1994) et "Safari en pays stratégique" aux Éditions Village mondial (1999). Mintzberg a beaucoup étudié la stratégie ou remarqué l'absence de stratégie dans les entreprises dans lesquelles il est souvent intervenu. Il rejoint le fond de la pensée de Clausewitz  qui affirme « Voilà pourquoi les théoriciens qui n'ont jamais fait le plongeon eux-mêmes ou qui n'ont su tirer aucune idée générale de leurs expériences, sont inutiles pour ne pas dire absurdes car ils n'enseignent que ce que chacun sait: la marche ». Également, "Structure in Fives: Designing Effective Organizations" et "The Strategy Process: Concepts, Contexts, Cases" by Henry Mintzberg. Pour aider à expliquer chacune des quatre formes d'organisations définies par Mintzberg, à la base se trouvent "cinq sous-unités organisationnelles", selon Fred Beshears "Mintzberg's Taxonomy of Organizational Forms". Voir également Les leçons de l’Océan: (10) Lawrence et l’océan des sables.

[17Naval History and Heritage Command

Lire également du même auteur : dans la série "les leçons de la bataille de Midway"

Penser l'Océan avec Midway : Relire l’amiral Nimitz            
Midway (13) : Commentaires généraux
Midway (12) : La bataille du 4 juin 1942
Midway (11) : Appareillages et transits des forces
Midway (10) : Le dispositif américain
Midway (9) : Le plan d’opération japonais
Midway (8) : Projets japonais après Pearl Harbor
Midway (7) : Les réactions américaines après Pearl Harbor 
Midway (6) : Lacunes mises en évidence par Pearl Harbor et conséquences 
Midway (5) : La montée vers la guerre
Midway (4) : La situation immédiate
Midway (3) : Le terrain
Midway (2) : Retour sur le passé: effet mémoire
Midway (1) : Une OPA hostile ratée

Dans la série "les leçons de l'Océan"

Dans la série "analyse stratégique"