Midway (8) : Projets japonais après Pearl Harbor

Le Japon est sans conteste la 3ème puissance navale au moment de l'attaque de Pearl Harbor. Une guerre à laquelle le pays se préparera secrètement pendant quatre ans en réfléchissant à des formules permettant de compenser ses faiblesses par rapport à l'Amérique pour mieux la défier dans le Pacifique…

La bataille de Midway (8) : Projets japonais après Pearl Harbor

Le Japon est sans conteste la 3ème puissance navale au moment de l'attaque de Pearl Harbor. Une guerre à laquelle le pays se préparera pendant 4 ans secrètement en réfléchissant à des formules permettant de compenser ses faiblesses par rapport aux États-Unis. Pour réussir à défier l'Amérique dans le Pacifique, le Haut État-major de la marine impériale japonaise va se lancer dans la construction de systèmes d'armes nouveaux d'une qualité inégalée, comme les torpilles de type 93 "long lance" et imaginer des tactiques inédites. Les Japonais pensaient se limiter à une guerre éclair contre la seule flotte américaine du Pacifique, composée surtout de croiseurs et de destroyers, en l'attaquant de nuit et par surprise, l'essentiel de l'US Navy étant mobilisé sur le front Atlantique. Malgré d'énormes moyens,[1] le "projet" japonais restera toujours limité à un grand projet régional asiatique, mais sa conception même témoigne d'un aveuglement et d'un refus de prendre en compte des réalités. Imager par exemple sérieusement refaire à Midway ce que l'on avait réussi à Tsushima en 1905, était pure folie. De nouvelles erreurs de jugement seront commises lors de la bataille de la Mer de Corail [2] encore aggravées à Midway où, seule satisfaction,  le Yorktown sera coulé. A Midway, les amiraux japonais qui avaient du renvoyer le Zuikaku au Japon pour y être réparé pendant six longs mois ont été stupéfaits de constater que le Lexington, loin d'avoir coulé, était bien présent à Midway. Celui-ci sera remis en état grâce aux efforts de 1.500 marins des chantiers de Pearl Harbor, les dommages évalués à des mois de travaux ayant été réparés « en trois jours et en trois nuits dans un miracle d'improvisation », avec des avions neufs, des pilotes et des équipages fraîchement débarqués et de nouveaux officiers et membres d'équipage venus remplacer ceux qui avaient disparu ou qui étaient blessés. La célèbre "Lady Lex" s'illustrera même à Midway, une bataille qui sera un tournant dans cette guerre. Le cours des choses va peu à peu Le Zéro d'Akoutan va permettre aux Américains de trouver la parade: les premiers signes apparaissent. Si le Japon sait par exemple produire des avions en quantité, il commence par contre à manquer de pilotes chevronnés.

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Le Zéro d'Akutan constituera une prise de guerre inestimable pour les États-Unis

En mettant la main sur un Zéro en bon état de marche, les Américains vont non seulement reconsidérer les caractéristiques de leurs chasseurs mais aussi adapter des tactiques pour profiter des faiblesses d'un avion aux performances supérieures, certes, mais avec des défauts, comme on l'a vu dans l'épisode précédent.. 

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Le Zéro d'Akoutan va permettre aux Américains de trouver la parade…

Considérés comme les mieux entraînés au monde après avoir été formés au combat en Chine, ils commencent à disparaître un à un. La marine impériale, autre surprise, va trouver face à elle des Américains capables de se sacrifier, chose qu'ils n'avaient même pas imaginé, pensant qu'aimant trop la bonne vie, ils en étaient bien incapables. En tout cas, l'équipe de l'Amiral Nimitz saura tirer tous les enseignements de cette "bataille te toutes les erreurs":[2] notamment, comment mieux stocker le carburant pour les avions ou encore gérer les avions chargés de la défense aérienne. Elle aura appris comment les Japonais coordonnaient les attaques des avions-torpilles et des bombardiers pour les rendre les plus efficaces possibles. Même si cela ne servira pas directement à Midway, ces leçons deviendront rapidement très utiles. Et surtout, l'Amérique commencera à se faire à l'idée que la défaite du Japon était devenue une chose possible. Ce sera une question de temps. Par l'Amiral Guy Labouérie, membre de l'Académie de Marine.[3] Brest, le 26 novembre 2005.©

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L'amiral Guy Labouérie

Après l’attaque de Pearl Harbor avec le choix judicieux de sa date, un dimanche matin, ses succès et son échec vis à vis des porte-avions américains, les projets militaires japonais vont prendre une double direction:

1) Le projet de l’État-major général et de l’État-major de la Marine

Il faut continuer l’attaque vers le Sud pour se garantir la possession définitive de la proie initiale, l’Asie du Sud Est, et la tenir à l’abri d’une ligne d’îles s’appuyant sur Guam et Wake, qui ont été prises aux Américains, en attendant de voir ce qui va se passer.

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Opérations de la 1ère Flotte Aéronavale japonaise du 7.12.41 au 12.3.42

Il s’agit alors :

– de prendre la Nouvelle-Calédonie pour éviter que les Américains ne s’y installent.
– de faire peur à l’Australie, mais sans y débarquer.
– de ne pas pénétrer dans l’océan indien ce qui étirerait beaucoup trop les communications et fragiliserait nos forces.

Ce projet reste régional, tient compte en partie de ce qui se passe sur les autres fronts où le Japon est engagé, mais est plus axé sur la “digestion” des dernières conquêtes que sur une vision dynamique de la poursuite de la guerre contre les États-Unis, comme si brusquement le Haut Commandement japonais se rendait compte de l’énormité de la tâche que représente cette guerre contre les États-Unis ou un secret espoir que ces derniers préfèreraient discuter! d’où un certain flottement sur la suite à donner.

2) Le Projet de l’amiral Ugaki soutenu par l’amiral Yamamoto

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Les carnets posthumes de Matome Ugaki — L'amiral Isoroku Yamamoto

Chef d’état-major de l’amiral Yamamoto, l’amiral Ugaki [4] – qui se suicidera à la tête de 11 kamikaze à l’annonce de la capitulation du Japon –[5pense, quant à lui, que rien n’est fini et qu’il faut aller vers l’Est pour agrandir le périmètre de sécurité japonais, en cassant définitivement la flotte américaine et en débarquant aux îles Midway qui pourront servir de point de départ éventuel pour la conquête d’Hawaï si les États-Unis ne comprennent pas que la volonté du Japon est sans retour et sans accommodements possibles. Pour cela, on peut refaire ce qui a réussi à Pearl Harbor en détruisant avec l’aviation embarquée tous les moyens défensifs de l’île et les porte-avions américains qui se précipiteraient à son secours, puis soutenue par l’artillerie des cuirassés y débarquer une force militaire suffisamment importante pour qu’il devienne très difficile aux Américains de la reprendre. En s’emparant de Midway on évitera définitivement les menaces d’attaques US sur le flanc, ce qui avait été une des inquiétudes jusqu’au dernier moment avant l’attaque sur Pearl Harbor, ce pourquoi ses plans en avaient prévu l’interruption à tout moment jusqu’à l’envol des raids.

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Carte représentant l'organisation du théâtre allié du 30 mars au 6 août 1942

Ce choix d’attaquer Midway est intéressant pour les porte-avions japonais car les vents dominants en provenance de l’Est à ce moment de l’année favorisent leur mise en œuvre sur leur route vers Midway. Ils n’auront pas besoin de se dérouter pour le lancement de leurs avions tandis que la mise en œuvre des porte-avions américains, s’ils font route vers l’Ouest à partir de Pearl Harbor pour se porter au-devant des Japonais, sera défavorisée car ils seront obligés, à l’inverse, de manœuvrer pour venir dans le vent, ce qui peut représenter plusieurs minutes. Bien que soupçonnée quand la bataille va devenir imminente par l'amiral Nagumo,[6] le commandant des porte-avions japonais, cette observation de bon sens ne sera pas prise en compte par le commandant de la flotte combinée, alors qu’il s’agit d’un élément majeur de la manœuvre des uns et des autres, en particulier d’une possible manœuvre des Américains, s’ils subodorent quelque chose. Or, par ailleurs,les études de l’État-Major Général indiquent que le plan d’Ugaki vers l’Est ne peut pas être exécuté avec succès, les moyens japonais ne permettant pas de l’emporter autrement que provisoirement.

Constat précis, objectif et guère encourageant. Et pourtant!… Avant d’examiner la décision d’attaque de Midway, il n’est pas inutile d’insister sur certains aspects de ce qui se joue sur le fond.

Enseignements

L’idée que l’on puisse mener une guerre navale, ou plus exactement la composante navale d’une guerre totale, de la même façon qu’une guerre terrestre n’a pas de sens dès lors que l’on prend en compte les caractéristiques réelles de l’Océan: un immense espace de mobilité, fondamentalement hétérogène, à cinq dimensions – latitude, longitude, profondeur, altitude et Temps.

Sur un tel espace il est impossible à la différence du sol terrestre de tracer des lignes de défense et de s’y renforcer car les pôles de Défense peuvent toujours être contournés, dépassés, isolés avant de tomber comme des fruits mûrs. Le rôle de la Logistique comme on l’a déjà signalé y est essentiel. C’est ce qu’a appliqué Lawrence dans le désert d’Arabie et qui n’était pas possible à Rommel [7] en Cyrénaïque malgré tout son talent par manque de continuité logistique sur l’immensité des sables. Une telle façon d’envisager initialement la suite de Pearl Harbor manifeste bien les tendances du Haut Commandement et de la direction politique des Japonais, organisés essentiellement autour de généraux de l’armée de terre mais aussi d‘amiraux qui n'attachent pas à la logistique l'importance nécessaire, comme l'a montré l'attaque de Pearl Harbor "oubliant"  toute la logistique américaine à terre qui permettra à Nimitz de reprendre le combat.

Il n’est pas judicieux en quelque activité concurrentielle ou hostile que ce soit de marquer qu’à partir d’un gain considéré comme souhaitable on attendra de voir ce qui va se passer.

La vie est mouvement et, sauf pour un véritable besoin de se renforcer, de se ravitailler ou de reprendre des forces, il ne faut pas s’arrêter avant d’avoir atteint le but fixé, à la condition évidente qu‘il y en ait un!… C’est d’autant plus important face à un géant que l’on prétend sinon terrasser du moins paralyser car en manifestant ainsi, après avoir eu l’initiative, une certaine impuissance on lui offre du temps et la possibilité de se réveiller et de prendre à son tour l’initiative. Face à ses propres troupes ce n’est pas mieux car ou bien on les démobilise ou bien on favorise l’émergence de risques excessifs pour se sortir de cette situation décourageante d’immobilisme.

  • C’est le pari d’Ugaki, mais rien n’est pire que de ne pas avoir une “finalité” et se contenter d’objectifs.

Nombre de parties d’échecs entre grands champions le démontrent souvent soulignant l’importance de l’état psychologique pour garder l’initiative une fois qu’on a réussi à la prendre. Quant aux luttes politiques il suffit de constater que les projets annoncés ne sont la plupart du temps que des catalogues de mesures sans but réel sinon celui, plus ou moins proche suivant les pays, d’une réélection…Le résultat là aussi ne se fait généralement pas attendre.

Il est très dangereux sous prétexte qu’elle a conduit au succès de refaire une manœuvre identique face à un même adversaire ou concurrent, qui sera désormais sur ses gardes, à moins de ne les considérer que comme des imbéciles ou des incapables.

C’est la règle d’or des procédés qui ne doivent jamais être répétés dans les mêmes conditions face à un même adversaire ou un concurrent dès lors qu’ils auraient pu en avoir l‘information.

  • De la même façon on ne doit jamais confondre un procédé avec un principe car cela conduit inéluctablement à l‘échec.

L’exemple français de la défensive ou de l’offensiven transformés en principes, alors que ce ne sont que des attitudes dépendant des circonstances et des moyens du moment, a montré par ses échecs répétés le danger d’une telle confusion. Cette confusion est la plupart du temps à la base de l’échec des idéologies et de bien des actions politiques qui se reposent sur de faux principes au lieu de prendre les réalités à bras le corps. La déliquescence et l’appauvrissement du vocabulaire ne font qu’amplifier le phénomène.

Il faut toujours se méfier d’un succès obtenu sans coup férir, même s’il est le résultat d’une excellente préparation et d’une remarquable exécution, car on est alors porté dans une espèce de vertige qui peut faire perdre le sens des réalités.

Cela arrive à tous ceux, comédiens, artistes, politiciens, etc. qui, portés par les applaudissements à leur sortie de scène, et d’autant plus que leurs prestation leur a demandé plus de temps et de travail, n’ont plus tout à fait la tête sur les épaules et peuvent être conduits à des paroles – “Vive le Québec libre” par exemple – ou des actes qu’ils regretteront peut-être et dont ils ne comprennent pas toujours, une fois redescendus sur terre, comment ils ont pu s’y livrer.

Les querelles d’armes ou de spécialités ou pire d’écoles, de diplômes, de castes, de Corps… entraînent toujours une perte d’efficacité.

C’est encore plus important en politique quand on manque d’une unité de vision sur l’avenir, les démocratiques changements de majorité consistant alors à détricoter au détriment du pays ce que la précédente a fait! Il y a une excellente leçon à prendre sur ce point chez les Américains: en un peu plus de 200 ans d’histoire ils ont toujours eu la même vision de leur politique générale quelles que soient les tendances internes des équipes au pouvoir. Nous ne pouvons pas nous flatter de la même continuité “où l’incohérence nous tient trop souvent lieu d’esprit de suite” avec les conséquences qui en découlent en favorisant l’immobilisme.

La France doit être un des rares pays au monde à avoir vécu pendant ces mêmes années trois monarchies, deux empires, cinq républiques, une Commune, trois révolutions et un « État Français » de triste mémoire, le tout avec une vingtaine de Constitutions!

Le souvenir des hauts faits (Tsushima) et surtout l’image de Togo [8] – audace et jeu du tout pour le tout – qui habitent complètement l’amiral Yamamoto sont très risqués car faisant perdre le “jugement et le discernement”, même lorsque dans le cas de Yamamoto on est intérieurement persuadé que l’on ne peut que perdre cette guerre à partir du moment où elle est engagée. Mais tant qu’à faire, étant au service de son pays et de sa politique, autant causer le maximum de pertes à l’ennemi… estimable esprit de sacrifice qui malheureusement ne justifiera pas la suite des événements.

Il n’y a aucune mesure, hormis le cas exceptionnel de Pearl Harbor, entre les opérations menées aussi bien dans le cas de Tsushima que dans le Sud-Est asiatique au milieu d’îles éloignées au plus de 300 km les unes des autres, et une attaque massive à des milliers de km. Les conséquences de la distance sont considérables dans tous les domaines, comme cela est apparu précédemment, mais ne semblent pas avoir été prises en compte dans l’appréciation de situation conduisant au projet de la marine japonaise trop confiante après son succès de Pearl Harbor.

L’appréciation négative des plus hauts responsables militaires du Japon sur le projet Ugaki est fondée, ce qui montre d’une part la constance de la vision régionale du Japon et d’autre part une possible meilleure prise en compte des difficultés, particulièrement logistiques, du projet de l’amiral Ugaki et il est intéressant de voir pourquoi elle ne sera pas suivi d’effet.

La décision d’attaque de Midway

Le bombardement de Tokyo va agir comme le chiffon rouge sur un taureau et l’agitation des états-majors japonais va aboutir sur l’insistance de l’amiral Yamamoto à la décision de se rallier au projet de l’amiral Ugaki. L’aura de Yamamoto est tellement considérable après Pearl Harbor et la conquête du Sud-Est asiatique qu’il emporte la décision malgré l’oubli de la situation sur le continent asiatique et la guerre sino-chinoise. Cela aboutit à l’ordre naval n°18 qui va lancer la flotte du Mikado à l’attaque de Midway.[9] Il faut venger l’honneur japonais et assurer vers l’Est la sécurité des conquêtes de l’Asie du Sud-Est. De plus, Yamamoto voit probablement dans la possibilité de débarquer à Midway qui lui est ainsi donnée, la contrepartie du refus précédent de s’emparer des Hawaï lors de l’attaque de Pearl Harbor, et la possibilité de continuer à faire peser une pression grandissante sur les Américains car il n’y a plus de menaces importantes en Asie du Sud Est.

Cette décision trop rapide et trop passionnelle, allant à l’encontre des études de l’État-Major Général, sera renforcée par une mauvaise appréciation du résultat de la bataille de la mer de Corail, appelée aussi “bataille des erreurs navales” [10] – auxquelles les Japonais vont en ajouter une autre. En effet si les Japonais ont perdu un porte avions léger, c’est surtout l’avarie d’un porte-avions important, le Shokaku, l’obligeant à rentrer vers le Japon pour se remettre en état qui est le fait le plus sérieux. Persuadés que les Américains seront incapables de réparer le Yorktown en temps utile, la date de l’attaque de Midway étant désormais fixée à quatre semaines de là, ils s’estiment largement supérieurs en moyens aux Américains, ce qui est exact numériquement, et n’envisagent pas que le Shokaku soit opérationnel pour cette mission d’autant plus probablement que les distances à parcourir, de la mer de Corail au Japon puis après réparation du Japon vers Midway ont dû leur paraître rédhibitoires, alors que cette même question de distance était différente pour les Américains.

A partir de l’ordre n°18, les forces navales japonaises font route vers la Mer Intérieure du Japon et à la mi-mai toute la flotte impériale se trouve réunie pour la préparation finale de l’opération d’attaque de Midway. Pour cela Yamamoto dispose de:

– 11 cuirassés contre 0 aux Américains. 
– 8 porte avions contre 3 US car les Américains remettront le Yorktown en état opérationnel . 
– 24 croiseurs contre 13 US. 
– 70 destroyers contre 30 US. 
– 15 sous marins contre19 US. 
– 700 avions embarqués contre 300 US qui disposent par contre d’un peu plus d’une centaine (133) d’avions lourds basés à terre à Midway avec un rayon d’action de près de 700 nautiques.

C’est en s’appuyant sur une telle supériorité quantitative, mêlée d’un certain mépris pour les Américains malgré le camouflet du bombardement de Tokyo et l’expérience de la bataille de la mer de Corail, que les Japonais vont faire erreur sur erreur pendant toute l’opération en commençant par sa préparation et son plan d’opérations, car en aucune affaire, civile comme militaire, le quantitatif ne donne, sauf exception, la certitude du gain.

Enseignements

  • Attention à l’immense danger du subjectif !

A partir du moment où l’on accepte pour quelque raison que ce soit de perdre le “sens commun”, et de se confier à des certitudes illusoires fondées sur l’orgueil ou une balance purement quantitative de moyens, toutes les erreurs peuvent survenir, même si on est apparemment le plus fort sur le moment. “Il ne faut jamais confondre l’exact et le vrai, la forme et la substance” ce qui est un des risques les plus importants dès lors que les réactions passionnelles prennent le dessus, que ce soit pour magnifier ou minorer les renseignements.

Le renseignement/intelligence compte tenu de sa nature, surtout aujourd’hui, est le plus sensible à toute influence passionnelle y compris politicienne ce qui est souvent la même chose, d‘où des risques d‘erreurs considérables d‘interprétation.

Que l’homme soit passionnel est une évidence, trop souvent oubliée dans maintes idéologies dont le soviétisme a été un exemple destructeur, mais à négliger le nécessaire équilibre entre le rationnel et le passionnel aussi bien dans les méthodes de travail et de pensée que dans les décisions on s’expose à bien des déconvenues voire à des désastres. Cela est vrai autant à titre personnel qu’à celui des entreprises et des États. La faillite des politiques d’immigration européennes le manifeste clairement.

  • Il est dangereux de se fier au charisme d’un homme, si haut placé soit-il, surtout quand il n’est pas le décideur suprême.

Le refus de décider du stratège laissant l’initiative à un subordonné révèle le mauvais fonctionnement d’une entreprise quelle qu’elle soit. Qui commande? L’attitude du Commandement japonais est à l’opposé de celle de Nimitz pour qui “Quand on est aux commandes, on commande”, ce que n’ont pas fait les responsables militaires suprêmes du Japon. Cette attitude est descendue tout au long de la hiérarchie, le Commandant Fuchida le note très bien dans une lettre à Genda [11], autre as de l’aéronautique navale japonaise, à propos de ce qui se passe dans la préparation des opérations aéronavales:

Dès que je dresse un plan quelconque il est approuvé presque sans être examiné. Peut-être croiras-tu que ma tâche est plus facile? Il n’en n’est rien, bien au contraire. Il est inquiétant de voir mes propositions acceptées sans contrôle pour être immédiatement traduites en ordres. J’ai confiance en moi mais pas au point de me croire à l’abri de l’erreur. La peur me paralyse presque quand je pense qu’un seul trait de ma plume peut transformer le destin de notre pays.” [12]

Peur des responsabilités ou confiance excessive dans les talents des subordonnés? Humilité devant ses propres insuffisances? Le résultat n’est jamais bon quand on ne prend pas les décisions de son niveau… Le cas le plus malheureux est celui de ces politiciens qui se voulant trop habiles deviennent des spécialistes de « la danse des parapluies » accompagnant la « danse des mots », entraînant le désenchantement des partis qui les abritent et des malheureux pays qui les élisent. On retrouve le même phénomène dans les entreprises où, plus le niveau des intéressés refusant la décision est élevé, et plus la paralysie de l’entreprise sera rapide.

Il ne faut jamais faire d’hypothèse sur l’adversaire ou le concurrent qui ne soit vérifiée avant le début d’une opération quelle qu’elle soit, en particulier sur la disponibilité réelle de l’arme majeure de l’adversaire comme l’a montré la bataille de la mer de Corail: ses porte-avions. On ne doit jamais laisser chez soi une carte majeure de côté (principe de Foudroyance), en l’occurrence le Shokaku, car on ne sait que très rarement ce à quoi on va être exposé, surtout dans ces circonstances de la Deuxième Guerre Mondiale où l’information est très faible compte tenu des moyens de l’époque. Cela peut coûter très cher. Quand on ne prend en compte que les données quantitatives, on va droit dans le mur au nom d’une conception dévoyée de l’économie des forces sur laquelle il faudra revenir ultérieurement.

On retrouve souvent ce mélange d’hypothèses non vérifiées et de décisions purement subjectives dans de multiples projets de toute nature y compris au plus haut niveau depuis des déclarations telles que “l’intendance suivra” où évidemment elle ne peut suivre les élans initiaux par manque de moyens, jusqu’au déclenchement de la Deuxième Guerre du Golfe, ce qui rappelle le célèbre et malheureux  “nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts.” [13]  On sait ce qu’il en advint. Mais chacun dans sa conduite et ses décisions personnelles peut se retrouver facilement dans ce type de raisonnement si sa formation et sa réflexion n’y portent pas la plus grande attention.

  • Il ne faut jamais négliger la cinématique et plus encore aujourd’hui la cybernétique.

Dans un monde où des flux de toute espèce ne cessent de parcourir la planète, il serait coupable de ne pas analyser en permanence tout ce qui les favorise, tout ce qui les contrarie et tout ce sur quoi on peut y agir pour faire avancer son ou ses Projets. C’est ce que n’ont pas fait les Japonais,[14] ce qui leur coûtera en partie la défaite en n’étudiant pas, une fois encore, les mouvements possibles des porte-avions américains. Cela se reproduit malheureusement souvent y compris à l’échelle des États et de leurs politiques générales, internes et externes, en commençant par les flux les plus importants pour l’avenir d’une société: les naissances et les migrations quantitatives et qualitatives avec leurs immenses conséquences. 

On s’en aperçoit en France où trente ans d’affaiblissement de l’Autorité politique appuyée sur le dévoiement de la pensée de nombreux organismes et associations y compris dans une bonne partie de la classe politique, avec l’évanouissement progressif des valeurs qui ont fait la République et un manque de courage continu sur ces sujets, ont conduit au lamentable spectacle de ces dernières semaines dans les principales banlieues.[15]

Guy Labouérie

[1] En 1941, le Japon possède les deux porte-avions les plus puissants du moment: le Shokaku et le Zuikaku jusqu'à la construction par l'Amérique de porte-avions de la classe Essex, succédant à la classe Yorktown dont 10 exemplaires seront construits . La marine impériale est dotée de sous-marins de la classe I-400, les plus grands jamais construits pendant la Seconde Guerre Mondiale capables de transporter un avion, à l'exception du sous-marin français Surcouf. Leur aéronavale est équipée du célèbre chasseur Zéro considéré comme le plus rapide et surtout le plus plus manoeuvrable de son temps, avec un rayon d'action de plus de 2 heures, atteignant 500 km/heure. Ils possèdent enfin le Yamato, le plus grand navire de guerre de tous les temps qui sera lancé en 1941.

[2] Voir Midway (7) : Les réactions américaines après Pearl Harbor note n°19. Lorsque l'US Navy aura réussi à découvrir les secrets du Zéro, le taux d'attrition de ses pilotes passera qui était de 1 pour 1 avec les Japonais passera à 1 pour 10 avec l'arrivée du Corsair de Vought et du Hellcat F6F de Grumman.

[3L'Académie de Marine a été fondée en 1752. Dissoute comme toute ses consœurs pendant la Révolution, elle n'a été réactivée qu'en 1921. Son siège est à Paris.

[4] Matome Ugaki était le chef d'État-major de la flotte combinée commandée par l'Amiral Isoroku Yamamoto. Tous deux seront abattus le 18 avril 1943 au dessus de l'île de Bougainville. Contrairement à Yamamoto, Ugaki s'en sortira avec quelques blessures. Une fois rétabli, on lui donnera le commandement d'une division de croiseurs avant de lui confier la direction des attaques de Kamikazes au large d'Okinawa. En apprenant que le Japon était sur le point de capituler, l'Amiral Ugaki, estimant que tant qu'il y aurait des combattants, le Japon devait se battre jusqu'au dernier homme, s'est porté volontaire pour diriger une dernière attaque suicide le jour même de la capitulation et a disparu en mer. Il posera même en photo devant son avion avant de prendre l'air…

[5] Jusqu'à la date fatidique du15 août 1945, Ugaki avait tenu un carnet de bord extrêmement précieux, dans lequel il a consigné au jour le jour des notes, des résumés de rapports, des commentaires à chaud, qui témoignent de l'état d'esprit du Haut Commandement japonais et qui explique bien des erreurs commises, par manque de connaissance ou par un aveuglement, qui devait conduire le pays vers la ruine. En particulier, il explique parfaitement comment le plan d'attaque de Midway a été conçu et réalisé. Dans Fading Victory: The Diary of Admiral Matome Ugaki (1941-1945) Masataka Chihaya, lui-même ancien officier de marine devenu journaliste et auteur de plusieurs livres de référence sur la marine de guerre impériale a traduit le journal de Matome Ugaki celui-ci sera publié par Donald M. Goldstein et Katherine V. Dillon aux Presses de l'Université de Pittsburgh en 1991 avec une préface de Gordon W. Prange. Ce livre de 731 pages  est un témoignage au jour le jour exceptionnel, qui traduit la mentalité et la stratégie d'un empire avec des détails sur les tactiques employées tout au long de la Deuxième Guerre Mondiale, en particulier dans le Pacifique, montrant le fanatisme d'un régime prêt à sacrifier son peuple, justifiant en quelque sorte l'emploi de la bombe atomique par le président Truman. 13 des 15 documents originaux se trouvent au musée de la Paix de Chiran, (le Tokko Heiwa Kaikan) dédié aux Kamikazes. Un Américain, William Gordon, spécialiste du Japon a fait un site Internet très instructif et documenté sur les 1.036 Kamikazes (Tokko-tai = forces spéciales) se sont entraînés ou sont partis de la base de Chican à Chiran au sud de Kyushu, un phénomène dont la perception est bien sûr très différente, suivant que l'on se trouve aux États-Unis ou au Japon. Le musée étant, comme le souligne le Japan Times plus un musée à la mémoire de ces pilotes sacrifiés, dont beaucoup avaient moins de 20 ans à la fin de la guerre, qu'un musée militaire ou un musée contre la guerre. Deux avions y sont exposés, notamment un Zéro dans sa version A6M7.

[6] Le Vice-amiral Chuichi Nagumo (1886-1944): cf. Midway (5) : La montée vers la guerre, note n°14.
[7] Biographie du Maréchal Erwin Johannes Eugen Rommel en français et en anglais surnommé "le renard du désert".
[8] Sur l'Amiral Togo Heihachiro, voir Midway (4) : La situation immédiate (note n°6).
[9] L’ordre naval n°18 a été donné en avril 1942.
[10] La bataille de la Mer de Corail, appelée aussi “
bataille des erreurs navales”: cf. Midway (6) : Lacunes mises en évidence par Pearl Harbor et conséquences. Voir également Battle of the Coral Sea, the first Aircraft battle sur l'excellent site Internet Carrier Battles in the Pacific – 1942
.
[11] Né à Hiroshima, le Capitaine de vaisseau Minoru Genda (1904-1989) commandait le prestigieux 343ème groupe aérien (343 Kokutai-an), comprenant cinq flottilles de chasse composées exclusivement de pilotes d'élites, les seuls à être dotés d'avions Shiden-Kai ("George"). Après la capitulation du Japon, le CDV Genda a été reconnu comme le responsable de la planification tactique de l'attaque surprise de Pearl Harbor. Comme son collègue Fuchida, il s'était prononcé, en vain, pour l'envoi d'une troisième vague de bombardement au dessus de Pearl Harbor. Déjà dans les années 1930, quand il était à l'École de guerre navale, Genda était de ceux qui préconisaient l'abandon des croiseurs au profit des porte-avions. Il publiera ses mémoires en 1962, racontant ses désaccords avec des ordres qui conduiront la marine impériale et son aéronavale à sa perte. Voir The Pearl Harbor Papers: Inside the Japanese Plans publié par Donald M. Goldstein et Katherine Dillon en décembre 1999, documents couvrant la période 1935-1941. Voir également The Last-Ditch Efforts of the Squadron of Aces de Werner Ron, publié en avril 2000 dans Flight Journal.
[12] La philosophie profonde de l'État-major de la Marine impériale japonaise reposait sur "l
a bataille décisive". Une bataille au cours de laquelle toutes les forces d'un pays se trouvaient face à face avec l'essentiel de leurs forces navales et aériennes. L'issue des combats entraînant la destruction ou la capture de l'autre, décidant donc de la victoire finale ou la défaite. Du fait des réductions imposées par les conférences navales, la marine nipponne a du créer le "concept d'opération de diminution", basé sur une défense offensive. La violence et l'importance des dégâts causés à l'ennemi dés le premier engagement, par surprise, devaient impérativement rétablir la parité entre les deux camps. C'est là que "le concept de bataille décisive" redevenait alors réalisable… Lire sur ce sujet l'article très documenté du Major B.T. Fenlon de l'USMC, publié en 1989 Remember Midway

[13] L'auteur de cette phrase célèbre est Paul Reynaud, ministre français des finances, dans une allocution du 10 septembre 1939; on lui doit également: « la route du fer est coupée » . Parmi les erreurs de prédictions recensées, celle-ci est entrée dans l'histoire.
[14Historique de la marine impériale japonaise: Effectifs 291.359 hommes, dont 1500 pilotes en décembre 1941.

[15De nombreux liens ayant été désactivés, après vérification, certains ont été modifiés, d'autres supprimés. En particulier les photos provenant de l'U.S. Naval Historical Center qui ont été transférées au Naval History and Heritage Command. 

Lire également du même auteur : dans la série "les leçons de la bataille de Midway"

Penser l'Océan avec Midway : Relire l’amiral Nimitz            
Midway (13) : Commentaires généraux
Midway (12) : La bataille du 4 juin 1942
Midway (11) : Appareillages et transits des forces
Midway (10) : Le dispositif américain
Midway (9) : Le plan d’opération japonais
Midway (8) : Projets japonais après Pearl Harbor
Midway (7) : Les réactions américaines après Pearl Harbor 
Midway (6) : Lacunes mises en évidence par Pearl Harbor et conséquences 
Midway (5) : La montée vers la guerre
Midway (4) : La situation immédiate
Midway (3) : Le terrain
Midway (2) : Retour sur le passé: effet mémoire
Midway (1) : Une OPA hostile ratée

Dans la série "les leçons de l'Océan"

Dans la série "analyse stratégique"