Pour le Haut État-major japonais, l'attaque surprise de Pearl Harbor constituait la première étape vers une victoire éclatante. La marine impériale pensant renouer avec une stratégie qui s'était avérée payante à Tsushima avait pour mission de livrer "la" bataille décisive pour laquelle elle s'était préparée…
La bataille de Midway (9) : Le plan d’opération japonais
Pour le Haut État-major japonais, l'attaque surprise de Pearl Harbor constituait la première étape vers une victoire éclatante. La marine impériale pensant renouer avec une stratégie qui s'était avérée payante à Tsushima [1] avait pour mission de livrer "la" bataille décisive pour laquelle elle s'était préparée, une bataille dont l'issue déciderait du sort du vainqueur. Celle-ci était secrètement prévue à Midway. Compte tenu des moyens militaires du moment, le vainqueur ne pouvait être que le Japon, face à une Amérique qui avait si longtemps montré à quel point elle était isolationniste. Le pouvoir japonais, imbu de sa puissance, entendait donc mettre à profit une supériorité navale et aérienne incontestable dans la zone Pacifique pour s'imposer en Asie comme la seule puissance dominante. Aveuglé par une vision plus idéologique que pragmatique des choses, ses dirigeants vont commettre une série d'erreurs d'appréciation successives.[2] La plus grave d'entre elles sera sans aucun doute d'avoir sous-estimé les capacités de l'adversaire américain et notamment celle de mobiliser une nation d'hommes et de femmes en armes. Les porte-avions américains qui auraient pu se trouver à Pearl Harbor – mais qui par chance ne s'y trouvaient pas – vont se lancer dans une guerre navale que la marine japonaise n'avait pas prévue. L'US Navy, l'US Army et son aviation,[3] sans oublier les Marines vont se battre contre les Japonais avec une détermination farouche qui n'avait même pas été imaginée. L'Amiral Chester Nimitz [4] déclenchera une guerre sous-marine totale contre tous les navires japonais, civils ou militaires.
Autant de choses qui vont peu à peu ébranler les certitudes japonaises, sans infléchir pour autant les décideurs qui pensaient mettre les pays d'Asie réticents à l'heure de Tokyo et l'Amérique hors jeu en six mois. Pire encore, les Japonais vont même découvrir que les Américains sont prêts à consentir des sacrifices humains très lourds, ce qui aurait du être interprété comme une volonté de se battre jusqu'à la victoire finale, dans une guerre qui ne pouvait donc qu'être longue. Les réactions de Washington seront sans équivoque: avec le raid Doolittle,[5] les Japonais découvriront également que leur pays n'est pas hors de portée des bombardements américains et que leur pays considéré comme un sanctuaire inviolable était devenu militairement vulnérable. Sur mer et dans les airs, ce sera le harcèlement.
Le plan de l'amiral Yamamoto prévoyait d'attirer les porte-avions américains vers les forces navales japonaises « en livrant un assaut aérien et terrestre contre l'atoll de Midway. Une attaque devait être menée en parallèle contre les îles Aléoutiennes. Malgré les moyens énormes mis en jeu par la marine japonaise, comprenant près de 200 unités navales dont 8 porte-avions (seulement quatre ont participé aux combats) et 12 cuirassés, cette attaque se révélera être un échec total.» (Source Wikipedia).
Quatre porte-avions et leurs groupes aériens constitueront le fer de lance japonais dans l'attaque de l'atoll de Midway : l'Akagi, le Kaga, le Soryu et le Hiryu.[6]
Le Sōryū (Dragon bleu) sera le porte-avions le plus rapide du monde en 1937
Le porte-avions japonais Sōryū à l'ancre aux îles Kouriles peu avant l'entrée en guerre
Au moment d'engager cette bataille décisive de Midway, l'Amérique possède sur son adversaire un atout stratégique majeur : son Renseignement, privant l'Amirauté japonaise de toute anticipation, chose que la marine impériale ignore en mettant en œuvre son plan d'opération, tel que prévu.
Par l'Amiral Guy Labouérie, membre de l'Académie de Marine. Brest, le 3 décembre 2005.[7] ©
1) Renseignement
Les Japonais estiment que Nimitz dispose encore après la bataille de la mer de Corail de 2 ou 3 porte-avions, de 2 cuirassés, de 5 croiseurs lourds et 8 légers avec une trentaine de destroyers. C’est exact sauf en ce qui concerne le Yorktown qui sera réparé « en temps utile », c'est à dire en trois jours et trois nuits !
Le porte-avions Yorktown (CV-5) en 1937 à l'ancre à Hampton Roads, Virginie
De plus ils croient, suite à une remarquable manœuvre d’intoxication radio menée par les Américains qui diffusent des séries importantes de vrais-faux messages à leur destination, que les porte-avions US se trouvent toujours à 4000 km de là dans les parages des îles Salomon, donc très loin du futur lieu de l’action, à moins qu’ils ne se soient repliés sur Pearl Harbor compte tenu des avaries duYorktown, ce en quoi ils ont encore raison. Malheureusement pour eux, le renseignement restera en l’état, incomplet, sans aucune idée des mouvements, voire des renforcements éventuels des forces de combat américaines. Jusqu’au moment de la bataille elle-même, les Japonais ignoreront où se trouvent les porte-avions américains et combien ils sont, de même qu’ils ignoreront toujours que leur code secret est cassé depuis longtemps par les Américains.
2) Idée de manœuvre de Yamamoto
Avec le groupe des porte-avions anéantir par une attaque de style Pearl Harbor les défenses de Midway et la faire suivre du débarquement d’une division de 5000 hommes sous la protection des cuirassés pour s’emparer de l’île, tandis qu’une force de diversion fera route vers les Aléoutiennes pour s’en emparer en coupant ainsi les défenses américaines vers le Nord. Cela fragilisera Hawaï vers laquelle on se tournera éventuellement par la suite, suivant l’évolution des événements. Mieux encore si cette diversion attire les porte avions américains qui seraient à Pearl Harbor vers le Nord pour s’y opposer, ils seront pris en tenaille entre les forces du Nord et la force principale des porte-avions et il sera alors facile de les détruire en disposant de six porte avions.
Par ailleurs des opérations de diversion par sous-marins seront conduites au plus loin du Pacifique central de façon à détourner l’attention des Américains.
3) Mise en place des moyens
Alors que Yamamoto dispose de la quasi totalité des moyens disponibles de la flotte impériale, il va mettre en place, non pas un dispositif, organisme vivant et pensant à base de moyens complémentaires, capable de mobilité, d’endurance, de frappe et de soutien mutuel de ses composantes, mais une répartition de ses moyens en éventail croissant.
Ils seront vite tellement éloignés les uns des autres qu’ils ne pourront se soutenir mutuellement, même s’il est prévu qu’ils doivent converger vers Midway à un moment, encore que la force dirigée vers les Aléoutiennes n’ait aucune possibilité de se joindre à un effort commun aux dates prévues. Il reprend là le système en éventail qui a permis l’immense succès de l’offensive sur le Sud-Est asiatique sans bien saisir les différences fondamentales engendrées par les distances réelles qu’elle soient physiques ou psychologiques, face dans le Sud-Est asiatique à des alliés de divers pays non prévenus, et dans ce nouveau cas, à des Américains sur le pied de guerre et animés d‘une soif de vengeance considérable après l‘attaque de Pearl Harbor.
L’ensemble – suivant les sources il y a quelques variations sur le nombre de cuirassés – sera formé de huit groupes sous le commandement d’ensemble de l’amiral Yamamoto à bord du plus puissant cuirassé de l’époque, le Yamato.[8]
Le Yamato photographié le 30 octobre 1941 lors d'essais à la mer das la baie de Sukumo
Le croiseur Yamoto en cours de construction à Kure
Au Nord, la force de frappe et de prise des Aléoutiennes avec 2 porte avions, 4 cuirassés, 3 croiseurs lourds, 4 croiseurs légers, 24 destroyers, 6 sous-marins et une force de débarquement le tout commandé par l’amiral Hosagoya.
Le groupe d’attaque des porte-avions sous le commandement de l’amiral Nagumo, comportant 4 porte-avions, 2 cuirassés, 3 croiseurs, 11 destroyers. Le groupe n’aura pas de radar malgré les demandes de l’amiral Nagumo, dont les avions de reconnaissance embarqués n’ont qu’un rayon de 300 km, Yamamoto ayant préféré garder avec lui les deux cuirassés en disposant.
Le corps de bataille impérial avec 7 cuirassés, 1 porte-avions léger, 3 croiseurs, 21 destroyers, 2 transports d’hydravions. Le corps de bataille est commandé par l’amiral Yamamoto, et se tient à plus de 300 nautiques (de l’ordre de 550km) derrière le groupe des porte avions.
Dans le Sud, le groupe d’occupation de Midway sous le commandement de l’amiral Kondo avec 1 porte avion léger, 2 cuirassés, 5 croiseurs et 12 destroyers
Un groupe de soutien de 5 croiseurs lourds.
La flotte de transport avec 5000 hommes sur 12 cargos, 1 croiseur, 18 destroyers et transports d’hydravions (20), des dragueurs
Une force de 15 sous-marins qui doivent être prépositionnés entre Hawaï et Midway de façon à pouvoir intercepter les porte-avions américains à leur appareillage de Pearl Harbor s’ils se trouvent encore dans ce port.
Un groupe de ravitailleurs sur l’arrière de l’ensemble, doit assurer le soutien logistique de toutes ces forces, mais il n’apparaît pas très clairement comment ces ravitailleurs vont pouvoir facilement assurer le ravitaillement de forces ne cessant de s’éloigner les unes des autres, ce qui est une toute autre question que lors de l’attaque de Pearl Harbor.
Il est en outre prévu de déployer un grand sous marin ravitailleur sur le banc de la “Frégate française” situé au Sud de Midway de façon que les hydravions de reconnaissance embarqués puissent y être complétés en carburant, leur donnant ainsi un rayon d’action accru.
Enfin il sera procédé juste avant l’attaque de Midway et dans un but de diversion à l’attaque par sous-marin des navires britanniques qui se sont installés à Diego Suarez et contre le port de Sydney en Australie.
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Au total, 250 navires dont 11 cuirassés et 8 porte-avions
Servis par 100.000 hommes, une supériorité écrasante, s’avanceront à travers le Pacifique Nord. Les forces destinées à l’attaque des Aléoutiennes gagneront la Haute Mer par le Nord, tandis que l’ensemble des forces d’attaque de Midway sortiront par les passes Sud de la Mer Intérieure. (cf. schéma d’ensemble).
4) Un Kriegspiel indigne
Avant l’appareillage de la flotte japonaise organisée de cette façon a lieu un grand exercice à double action dirigé par l’amiral Ugaki, le père de la manœuvre vers l’Est pour faire le point de la manœuvre et familiariser les exécutants avec l’ensemble des opérations prévues.
Or, au fur et à mesure du déroulement de cet exercice, l’amiral annule toutes les décisions prises par les officiers japonais jouant les officiers américains et contraires au succès de la Flotte Impériale. Ce faisant, par cette faute "criminelle" contre l’esprit, il conforte l’ensemble des amiraux japonais dans une confiance excessive qui leur coûtera cher, tandis qu’il a dû semer de considérables doutes dans l’esprit de l’ensemble des états-majors, particulièrement chez les officiers qui jouaient les forces américaines.
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La conduite de l’amiral Ugaki est indigne dans son esprit et sera tragique par ses conséquences.
Cet officier général aurait du être “viré” sur le champ. Si Yamamoto ne l’a pas fait, cela peut tenir à plusieurs raisons. En premier lieu a-t-il suivi lui-même le déroulement de cet exercice? dans la négative ce serait déjà très regrettable même si cela arrive dans certains pays où les dirigeants comme d’ailleurs souvent les chefs militaires n’aiment pas se remettre en cause, y compris dans des exercices et y délèguent leurs adjoints avec des résultats qui ne répondent pas la plupart du temps à la question la plus importante: “qu’aurait fait et comment aurait commandé le patron”? Ou bien il a fait preuve du même aveuglement ce qui n’est peut-être pas à écarter, quelles que soient ses capacités quand on voit les places relatives qu’il a données à ses porte-avions et ses cuirassés! Ou bien le conformisme des esprits japonais est-il tel à ce moment-là que nul dans les échelons élevés n’a trouvé à y redire? Puisque le plan d’attaque avait été approuvé par Yamamoto, pourquoi en montrer d’éventuelles faiblesses?
Observations
Compte tenu des distances qui ne cesseront de grandir entre ces groupes par un effet d’éventail qui aurait dû inquiéter les responsables, ils ne pourront se soutenir leur situation relative ne cessant de s’aggraver au fur et à mesure du temps, tandis que le groupe de ravitaillement verra ses futurs ravitaillés s’éloigner de plus en plus dans le lointain lui posant de difficiles questions de gestion des ravitaillement, les ravitailleurs allant généralement moins vite que les navires de combat. Cet éventail s’il était peut-être acceptable dans la déferlante vers le Sud-Est asiatique, vu la faiblesse des moyens opposés, est à l’opposé de la concentration des forces, un des cinq piliers de l’amiral Mahan.
La force des Aléoutiennes est totalement disproportionnée à son objectif qui n’est pratiquement pas défendu, ce qui aurait dû apparaître au service de renseignement japonais.
S’ils s’emparent sans difficulté de leur objectif, cette manœuvre leur coûtera pourtant cher ultérieurement car, outre l’impossibilité d’aller en soutien de la force de Nagumo, ils y perdront un de leurs fameux Zéros tombé intact aux mains des Américains [9] qui en tireront de multiples leçons pour la maniabilité de leurs futurs avions “Hellcat”et pour savoir comment contrer les “Zéros”dans leurs opérations aéronavales.
La disposition des sous marins en barrage entre Hawaï et Midway correspond au fait que Yamamoto est persuadé que les Américains ne réagiront qu’après la prise de Midway et, qu’en retard, leurs porte-avions s’ils sont bien à Pearl Harbor, passeront sur le barrage de sous-marins qui les détruiront, qu’ils passent par le Sud ou par le Nord.
Comptant renouveler la manœuvre de Pearl Harbor, les porte-avions sont envoyés en avant pour attaquer Midway et détruire tout ce qu’ils rencontreront.
Mais alors que deux de ses cuirassés disposent des premiers radars japonais, Yamamoto les refuse à l’amiral Nagumo et les conserve avec lui, laissant ses porte-avions relativement aveugles. En effet, leurs avions et hydravions de reconnaissance embarqués ont un rayon d’action trop faible pour leur assurer une information complète dans la profondeur et surtout elle est limitée à la vue des pilotes et navigateurs, donc difficilement omnidirectionnelle et permanente, ce qui est l’avantage des radars même encore peu performants. De même leur protection antiaérienne est minimale, le corps de bataille impérial étant beaucoup trop loin sur l’arrière pour y apporter le soutien de sa puissante artillerie.
Reprenant une des données de Pearl Harbor, alors que les situations n’ont rien à voir, toutes les forces seront en silence complet jusqu’à la découverte de l’ennemi, ce qui interdit tout suivi de l’information générale pour cet ensemble de forces qui ne cessent de se disperser, avec des conséquences d’autant plus graves que dans un système rigide comme celui du commandement japonais aucune initiative n’est tolérée.
Le CdV Minoru Genda et Mitsuo Fuchida qui ont dirigé l'attaque sur Pearl Harbor
Les deux éminents spécialistes de l’aviation embarquée, les commandants Minoru Genda et Mitsuo Fuchida, qui ont conduit les opérations aériennes de Pearl Harbor seront malades et incapables de voler au moment le plus délicat et donc de commander les raids d’attaque de Midway. Ils sont d’ailleurs très inquiets de la tournure des événements.
Le CdV Mitsuo Fuchida
Si étonnant que cela puisse paraître et s’il est un organisateur de génie comme l’a montré l’offensive générale de décembre 1941 et comme le montrera par la suite l’organisation de la défense désespérée des positions japonaises avant d’être abattu quelques mois plus tard par deux avions américains au cours d’un de ses déplacements, autre chef d’œuvre de l’Intelligence américaine de l’époque, l’amiral Yamamoto n’est pas un “opérationnel” à l’échelle des forces mises en jeu. Il n’aurait jamais dû commander à la mer cette opération, qu’il aurait dû confier à l’un ou l’autre de ses grands subordonnés en lui donnant le but, conquérir Midway, et les moyens, le laissant maître de son idée de manœuvre et du dispositif à donner à ses forces, mais cela ne correspondait absolument pas aux habitudes “prussiennes” des militaires japonais. Il semble bien, en outre, que Yamamoto, malgré sa conviction de l’excellence des porte-avions et en premier lieu des siens, n’ait pu se défaire de sa formation et de son attachement atavique au "canon" et à la puissance dans ce domaine des nouveaux cuirassés qu’il n’a manifestement pas voulu exposer en première ligne, ce qui est d’autant plus surprenant que porte-avions et cuirassés se seraient renforcés les uns les autres.
Lors de la réalisation du film “Midway”, particulièrement intéressant par sa description de l’angoisse montante de l’amiral commandant le groupe d’attaque des porte-avions japonais face à son ignorance sur les positions et déplacements des porte avions US, les rapports nippo-américains étaient devenus excellents et c’est sans doute la raison pour laquelle les réalisateurs n’ont pas souligné cette “faiblesse opérationnelle” de Yamamoto pendant toute cette période en particulier son “amour” excessif de ses cuirassés qui ira jusqu‘à priver Nagumo de l‘outil essentiel du radar!
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Enseignements
Cette “distribution” des forces japonaises [10] est conçue comme un puissant marteau devant écraser tout sur son passage dans une espèce de montée aux extrêmes qui n’avait pas été le cas lors de Pearl Harbor, limité à la destruction des forces navales par l’aviation des porte-avions japonais.
C’est du Clausewitz mal digéré avec le culte de la force, les cuirassés devant finir le travail commencé par l’aviation embarquée et se terminant par un débarquement de vive force. Ce n’est en rien un dispositif qui, en toutes opérations civiles comme militaires, est la clé de la réussite en tant que concrétisation de la stratégie, elle-même inspirée par le Projet.
Un dispositif est un être vivant et pensant où la synergie entre moyens complémentaires doit être constante, présentant pour ce qui est concurrence et/ou affrontement, toutes les ressources de l’Incertitude pour l’Autre avant de le frapper sous quelque forme que ce soit.
Il doit présenter à l’Autre un espace/temps/information virtuel qui le confirme dans ses informations et ses intentions avant de le mettre devant l’évidence de l’espace/temps/information réellement poursuivi, face auquel il ne doit plus avoir le temps de se retourner et de réagir avec efficacité. Le dispositif doit donner à l’Autre une image séduisante de ses propres capacités tandis que l’ensemble des moyens que l’on met en place se manifestera brutalement au “moment décisif”. C’est du Sun Tse et c’est l’Américain qui va le faire vivre. Pour cela, comme on l’a déjà signalé, il faut non seulement connaître l’Autre mais plus encore s’identifier dans les yeux de l’Autre.
C’est dans le dispositif que s’incarnent les deux seuls véritables principes de l’Action en espace concurrentiel et/ou hostile: les principes d’Incertitude et de Foudroyance. Les Japonais l’ont depuis parfaitement compris et intégré dans leurs politiques commerciales avec les notions “d’apparence et d’intention”.
A la tête d’une force de combat sur le terrain comme à la tête d’une entreprise on doit toujours mettre un opérationnel jamais un “technocrate”, mot savant pour administratif, si brillant soit-il.
Les expériences malheureuses de bien des entreprises publiques en France le manifestent à l’évidence. Il en est de même des États mais l’élection dans les pays démocratiques revêt un tel aspect passionnel que l’élu n’est pas nécessairement celui qui serait capable de répondre au mieux aux questions du moment. Si les conséquences ne sont pas dans l’immédiat aussi désastreuses que dans les affaires civiles ou militaires, elles n’en sont pas moins malheureuses pour l’ensemble d’un pays. Les Français devraient y réfléchir quant aux carrières politiques confiées aux administratifs de l’ENA. Attention aux hommes providentiels comme à l’excès d’aura de certains… cela peut conduire à des erreurs catastrophiques.
On ne doit jamais se séparer de cartes majeures quand on veut frapper un coup, de quelque nature qu’il soit, d’autant plus qu’on l’espère décisif et surtout si l’on manque d’information sur ce que l’on va trouver en face de soi, ce qui à l’époque était quand même le plus souvent le cas.
Contrairement à ce qu’ont peut-être cru les Japonais, ne pas réparer en urgence le Shokaku ne relevait pas de la notion d’économie des forces elle aussi trop souvent transformée en principe, mais d’une mauvaise appréciation de situation.
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Économie ne veut pas dire épargne ou limitation des moyens mais mise en oeuvre des moyens nécessaires et ceux-là seulement.
Il en est de même dans l’autre sens de la force d’attaque des Aléoutiennes bien trop puissante même si c’était dans l’espoir de prendre les porte-avions américains [11] entre deux groupes de porte-avions japonais! L’économie des forces est un comportement fonction de la finalité, des circonstances, du renseignement… et les moyens nécessaires peuvent être d’autant plus importants quand manque l’information essentielle car rentrent alors en jeu les notions de sûreté et de contre surprise que la seule technique du silence absolu ne peut couvrir même à cette époque. Dans ce cas précis la véritable économie des forces aurait nécessité une toute autre conduite opérationnelle des forces japonaises avec une véritable mise en dispositif. Il en est de même dans la finance, les OPA hostiles, etc.
Si le porte-avions est une carte majeure, ce n’est pas un bâtiment de combat comme les autres et il ne semble pas que dans la disposition des forces choisie par les Japonais envoyant les PA en avant cela ait été bien pris en compte.
En effet, à la différence de tous les autres navires, le porte-avions a d’une part des contraintes de route et de vitesse pour la mise en l’air de ses aéronefs qui peuvent être pénalisantes en cas d’urgence et d’autre part il peut se trouver pendant des heures sans défense quand l’ensemble de ses moyens aériens sont en l’air, même s’il conserve quelques chasseurs pour son autodéfense. Il en est de même au moment de ses mouvements d’aviation où son pont d’envol peut être encombré d’avions, de munitions et d’essence aviation, le rendant indisponible pendant de longues minutes ce qui rend sa protection surface, aérienne, et aujourd’hui sous-marine, indispensable en même temps que l’exigence d’une sécurité intérieure renforcée. Tout cela milite pour la nécessité absolue d’un véritable dispositif autour du ou des porte-avions avec des organisations et des délégations très précises face aux diverses menaces éventuelles, surface, aérienne et sous-marine. A l’heure actuelle, c’est quelque chose de très complexe où la marine des États-Unis est la seule à être capable d’en dominer tous les aspects y compris en mettant en œuvre si nécessaire un dispositif de plusieurs grands porte-avions d’attaque.
Quand c’est l’Autre qui vous laisse dans l’incertitude, on doit manœuvrer pour rompre, le cas échéant en faisant le Hérisson et non l’éventail, et mieux encore en lui offrant du “miel” qui, bien présenté le tentera et bien situé dans un véritable dispositif, permettra de retourner l’incertitude et de le frapper.
Avec leur formation, la force de frappe aéronavale en avant de la puissance des cuirassés sans possibilité pour ces derniers de la soutenir, les Japonais présentent effectivement du “miel” à leurs adversaires. L’inconvénient majeur c’est que faute de dispositif opérationnel global, personne ne pourra venir à l’aide de Nagumo si les choses ne se présentent pas comme imaginé plutôt que comme prévu. Les sentiments passionnels – hypothèses non vérifiées sur l’adversaire et son comportement – doivent être systématiquement écartés à moins qu’ils ne se déclinent en présuppositions à vérifier avant le début de l’action, d‘où l’importance essentielle de l’Information/Intelligence, importance que l’on retrouve à toutes les étapes de l’opération et aujourd’hui dans toutes les activités sur la Planète.
Un procédé, qu’il soit technique comme le silence ou opérationnel comme l’attaque a priori par l’aviation embarquée, ne doit jamais être confondu avec un principe.
C’est souvent la marque de l’incapacité créative conduisant inexorablement à l’échec. C’est un des indices les plus flagrants du bureaucratisme d’une organisation tandis que la marque des grands opérationnels est d’inventer en permanence des procédés ou des combinaisons de procédés toujours nouveaux pour l’adversaire ou le concurrent, et cela à tout niveau depuis le tactique élémentaire jusqu’au “stratégique”, ces procédés étant passés au crible des deux principes de l’Action en milieu concurrentiel et/ou hostile: l’Incertitude et la Foudroyance, deux dimensions, en particulier temporelles, que pas beaucoup de stratèges actuels ne paraissent capables de maîtriser dans la conduite des Nations aujourd'hui.
Guy Labouérie
[1] Tsushima : Voir Midway (4) : La situation immédiate
[2] Voir Midway (7) : Les réactions américaines après Pearl Harbor
[3] La création de l'United States Army Air Forces remonte au 20 juin 1941.
[4] L'Amiral Chester Nimitz, Commandant en Chef du Pacifique.
[5] Voir Midway (7) : Les réactions américaines après Pearl Harbor.
[6] Quatre porte-avions et leurs groupes aériens constitueront le fer de lance japonais dans l'attaque de l'atoll de Midway : l'Akagi, le Kaga, le Soryu et le Hiryu.
Affecté à la 1ère Flotte Aéronavale le 10 avril 1941, le porte-avions Soryu (Dragon bleu) avec l'Akagi, le Hiryu, le Kaga, le Shokaku et le Zuikaku est l'un des six porte-avions japonais qui ont participé à l'attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941. Déplaçant 19.800 tonnes à pleine charge, il mesurait 222 mètres. Lancé en décembre 1937 à Kuré, filant 34 nœuds, le Soryu a été le porte-avions le plus rapide du monde en son temps. Il pouvait emmener jusqu'à 71 avions: à Midway, comme le Hiryu, il embarquait 21 chasseurs-bombardiers Mitshubishi Zeke, 21 Aichi de type 99 Vals et 21 avions-torpilles Nakajima de type 97 Kate.
Le Soryu photographié lors d'essais à la mer en 1938
Commandé par le Capitaine de Vaisseau Ryusaku Yanagimoto, il prit part à la capture de Wake Island le 27 décembre 1941, à la campagne contre Port Darwin le 19 en février 1942 et le 25 aux raids contre Java. Le 26 mars, dans l'Océan indien, il aux frappes en avril 1942 contre Ceylan, avant de retourner au Japon. Le 27 mai, le Soryu était l'un des 4 porte-avions composant la 1ère force de porte-avions placée sous les ordres du Vice Amiral Chuichi Nagumo en faisant route d'Hashirajima pour le Pacifique. Attaqué par 13 avions américains du Yorktown, de l'Enterprise et du Hornet à 10H26, trois bombes le touchèrent de plein fouet et en quelques minutes, il fut la proie des flammes. A 10H40, l'ordre d'évacuation du Soryu a été donné. Une partie de l'équipage a été récupérée par l'Isokaze et l'Hamakaze. 718 officiers et membres d'équipage périront, dont le Commandant, qui refusera de quitter son navire. Il coulera par 30°42' Nord, 178°38 Est. Le Hiryu, porte-avions de la même classe (déplacement de 18.800 tonnes) très gravement endommagé par l'Enterprise et le Yorktown sera finalement coulé le lendemain par les destroyers japonais Kazegumo et Yugumo. Voir U.S. Carrier Planes Disable Akagi, Kaga and Soryu, 4 June 1942.
Le porte-avions japonais Akagi en juin 1927 dans sa configuration initiale
Le Kaga réceptionné officiellement par la marine impériale le 30 novembre 1929 avait été conçu comme un cuirassé rapide de la classe Tosa, armé de dix pièces de 410mm. En 1923, lors du tremblement de terre de Kantō, le porte-avions Amagi ayant été endommagé, le Kaga fut désigné pour le remplacer.
Une vue du Kaga depuis le pont d'envol de l' Akagi, baie de Hitokappu, Kuriles, novembre 1941, juste avant l'attaque de Pearl Harbor. Les autres porte-avions en arrière-plan sont donc, de gauche à droite, les : Kaga, Shokaku, Zuikaku, Hiryu, et Soryu.
Le Kaga conduit des operations aériennes en 1930. On aperçoit sur le pont d'envol supérieur des bombardiers Mitsubishi B1M et sur le pont d'envol inférieur des chasseurs Nakajima A1N. (Source : Wikipedia)
Opération aériennes sur le Kaga : sur le pont des Nakajima A2N, Aichi D1A et Mitsubishi B2M
À l'origine, il était doté de deux ponts d'envol superposés, celui de l'avant permettant l'envol direct des appareils à partir du hangar inférieur. Son déplacement était de 33 693 tonnes.
Le Kaga, photographié au mouillage à Ikari au Japon en 1930, dans sa configuration d'origine avec ses deux ponts d'envol superposés (l'un en surplomb du hangar supérieur, l'autre à l'extrême avant permettant l'envol direct à partir du hangar inférieur – la plateforme intermédiaire ne communique pas avec les hangars) et ses deux tourelles doubles de 203 mm visibles.
Le Kaga après sa modernisation (1934-1936) avec sa cheminée tournée vers le bas
Refondu, le pont d'envol inférieur et la plateforme intermédiaire seront supprimés et le pont d'envol supérieur sera alors prolongé jusqu'à l'étrave, de façon à lui donner une longueur de 276,30 m (et une largeur de 30,50 m). Son déplacement passe alors à 42 541 tonnes.
[7] L'Académie de Marine a été fondée en 1752. Dissoute comme toute ses consoeurs pendant la Révolution, elle n'a été réactivée qu'en 1921. Son siège est à Paris.
[8] Construits à Kuré avec le Mushashi, le Yamato seront les plus grands croiseurs de bataille de l'époque, jaugeant 72.800 tonnes à pleine charge et comptant 9 canons de 457 mm, les plus gros canons du monde, tirant des obus de 1600 kg !
Les croiseurs de bataille Yamato et Musashi au large des îles Truk en 1943
Maquette au 1/10e du croiseur Yamato au Musée Yamato de Kure (Hiroshima)
Leur blindage était sans équivalent.
Les canons de 457 mm du Musashi (Août 1942)
Entré en service en décembre 1941, le Musashi portera la marque de l'amiral commandant la Flotte combinée, Isoroku Yamamoto, lors des batailles critiques de 1942.
Dessin du Cuirassé Musashi de la marine impériale japonaise
Après la mort de l'amiral Yamamoto, le 18 avril 1943, le Musashi ramènera ses cendres au Japon. Le 29 mars 1944, le croiseur de bataille Musashi sera torpillé par le submersible USS Tunny et retournera au Japon pour réparer.
L'empereur Hiro Hito pose avec les officiers du Musashi au large de Yokosuka
Le Yamato sera coulé le 7 avril 1945 lors d'une attaque massive de porte-avions américains à 200 nautiques au nord d'Okinawa. Le Mushashi le précédera le 24 octobre 1944, attaqué par des avions de la Task-Force 38 de la 3e flotte. Touché par 19 torpilles et 17 bombes, il coulera en mer de Sibuyan en 4 heures, emportant avec lui plus de 1 000 de ses 2 900 hommes d'équipage. Source : Wikipedia.
Le Musashi à la bataille de Sibuyan
[9] Le 3 juin 1942, un pilote japonais embarqué sur le porte-avions Ryujo avec un Mitsubishi A6M2 Model 21, sorti d'usine, s'est écrasé après que son réservoir de carburant ait été touché. Au lieu de se poser sur l'île d'Akuta prévue comme terrain de secours, il a fait un atterrissage de fortune en se rompant la nuque. Son avion a été repéré 5 semaines plus tard par un Catalina en patrouille. Ramené aux États-Unis, il sera entièrement analysé et entraînera des modifications sur les F4F Hellcat de Grumman, du moteur qui sera renforcé notamment, donnant naissance au F6F Hellcat. Voir Midway (7) : Les réactions américaines après Pearl Harbor, note n°19.
[10] Les forces en présence à Midway: côté japonais: la flotte combinée commandée par l'Amiral Isoroku Yamamoto.
[11] Les forces en présence à Midway: côté américain: la flotte du Pacifique commandée par l'Amiral Chester W. Nimitz.
Lire également du même auteur : dans la série "les leçons de la bataille de Midway"
Penser l'Océan avec Midway : Relire l’amiral Nimitz
Midway (13) : Commentaires généraux
Midway (12) : La bataille du 4 juin 1942
Midway (11) : Appareillages et transits des forces
Midway (10) : Le dispositif américain
Midway (9) : Le plan d’opération japonais
Midway (8) : Projets japonais après Pearl Harbor
Midway (7) : Les réactions américaines après Pearl Harbor
Midway (6) : Lacunes mises en évidence par Pearl Harbor et conséquences
Midway (5) : La montée vers la guerre
Midway (4) : La situation immédiate
Midway (3) : Le terrain
Midway (2) : Retour sur le passé: effet mémoire
Midway (1) : Une OPA hostile ratée
Dans la série "les leçons de l'Océan"
- Les leçons de l’Océan: (10) Lawrence et l’océan des sables
- Les leçons de l’Océan: (9) Mahan, l’anti-Clausewitz
- Les leçons de l’Océan: (8) l’ignorance: Clausewitz
- Les leçons de l’Océan: (7) l’amiral “Satan”
- Les leçons de l’Océan: (6) Jacques Cœur
- Les leçons de l'Océan: (5) Sun Tse et les leçons de l'Immense hétérogène
- Les leçons de l’Océan: (4) L’empire maritime des Grecs
- Les leçons de l’Océan: (3) la navigation
- Les leçons de l’Océan: (2) le Temps
- Les leçons de l’Océan: (1) le Projet
Dans la série "analyse stratégique"
- Océan et Démographie : le décalage avec les réalités
- Planète et Océan mondial : une dimension oubliée
- Violence du monde : de la sécurité par la terreur à la terreur de l’insécurité
- Mouvement et dispositif
- Flux et mouvement
- La pensée et l’action
- A propos de "Stratégie"
- "Défense"
- Une autre Géopolitique
- Culture : savoir se situer
- Commémoration : mémoire morte ou mémoire vivante ?
- Démographie : l'exemple de l'Europe (1)
- Démographie : l'exemple de l'Asie (2)
- Société de l'information ou de l'ignorance ?
- Lettre de Nicolas Polystratu à John Smith à propos de terrorisme
- Réflexion sur la Guerre en général et celle d'Irak en particulier
- Lettre d'un ami américain à Nicolas Polystratu à propos de l'Irak et autres lieux