Renseignement, histoire & géopolitique

Le renseignement et le contre-espionnage, particulièrement en France, sont victimes d’un double déficit. Déficit moral, depuis le faux pas originel de l’affaire Dreyfus…et déficit intellectuel, tant il a été sollicité par la (mauvaise) littérature d’espionnage et au mythe (trop facile) de l’origine secrète et conspirative des événements. Il y a là un vrai problème culturel.

Cette tribune © a été publiée dans le N° 127 (Mai-juin 2007) de la revue Défense [1]. Nous la reproduisons ici avec l'autorisation de son auteur, Joël-François Dumont (*). Paris, le 3 juin 2007.

1) "L'espionnage : I) l'espionnage au point de vue moral; II) L'espionnage international; III) L'espionnage aux armées de Numa de Chilly, capitaine d'Infanterie breveté, professeur adjoint à l'École Spéciale Militaire, Paris, 1888". -« Le renseignement est trop souvent en France, le parent pauvre de l’histoire ».

Dans notre pays, on ne peut en effet que regretter que cette "culture du Renseignement" n’existe pas comme c’est le cas Outre-manche.

Un tel constat ne pouvait laisser indifférents tous ceux qui estiment que les questions qui touchent à la défense, aux questions stratégiques ou au renseignement.

Convaincus que des questions aussi stratégiques ne devaient en aucun cas être réservées à une petite minorité d’initiés, excluant de fait tout débat et perpétuant une situation dommageable.

La règle « Publish or perish »,[2] vieux dicton anglais, a sans doute inspiré une poignée d’audacieux…

Un coup de chapeau doit être donné à l’éditeur Lavauzelle qui a eu l’excellente idée et pourquoi ne pas le dire, le courage depuis longtemps de vouloir s’attaquer au problème en cherchant à relever un véritable défi culturel, réussissant par là à prouver que les Français étaient capables de s’intéresser eux aussi à de tels sujets.

C’est ainsi qu’est née la collection "Renseignement Histoire & Géopolitique" divisée en deux séries.

Trois exemples de rééditions

 Le plan de guerre commerciale de l'Allemagne" de S. Herzog, Ingénieur Conseil, publié en 1919 chez Payot & Cie, Paris 1919. - 3) "Le deuxième Bureau au travail, 1935-1940", publié par le général Général Gauché (C.R.) aux Archives d'Histoire Contemporaine. -

1) "L'espionnage : I) l'espionnage au point de vue moral; II) L'espionnage international; III) L'espionnage aux armées de Numa de Chilly, capitaine d'Infanterie breveté, professeur adjoint à l'École Spéciale Militaire, Paris, 1888".

2) "Le plan de guerre commerciale de l'Allemagne" de S. Herzog, Ingénieur Conseil, publié en 1919 chez Payot & Cie, Paris 1919.

3) "Le deuxième Bureau au travail, 1935-1940", publié par le général Général Gauché (C.R.) aux Archives d'Histoire Contemporaine.

« Je viens de dépouiller des monceaux de documents et j'en arrive à cette conviction absolue que notre 2ème Bureau et notre S.R. ont fait savoir avant la guerre, à notre commandement et à notre gouvernement, tout ce qu'ils devaient savoir de l'Allemagne, de sa force, et des projets de son Führer. Dès l'ouverture du procès, je demanderai le huit clos pour le proclamer. » déclaration du Procureur général de la Cour de Riom, telle qu'elle est rapportée par le général Rivet dans la revue de défense nationale, 1941.)

La première, "Études", est dédiée aux questions actuelles ou historiques. La seconde, "Documents", est consacrée soit à des rééditions de livres anciens, rares ou épuisés, l’objectif avoué étant de « jeter les bases d’un fonds patrimonial sur les questions de renseignement, de défense, et plus généralement de géopolitique », soit à la publication de textes inédits.

C’est ainsi que quelques magnifiques ouvrages, reliés cuir, au lieu de dormir dans des bibliothèques vétustes ont été magnifiquement réédités et sont aujourd’hui disponibles.[3] Citons par exemple un livre fondateur à plus d’un titre : "le plan de guerre commerciale de l’Allemagne" publié à Zurich en 1915 par Stefan Herzog.[4] « Tout commerce est une guerre » écrivait Herzog convaincu d’une victoire allemande proche, pensant que « la guerre a créé des conditions nouvelles qui détermineront dans l’avenir le commerce d’exportation de l’Allemagne ». Et pour contourner les pays hostiles à l’Allemagne, tous les moyens étaient bons pour déjouer les réticences à l’importation de produits allemands : « de la propagande au camouflage des marques en passant par le dumping, la protection des brevets, les fonds de garantie et l’enrôlement des diplomates dans des formes feutrées d’espionnage industriel… » Cet ouvrage traduit en anglais en 1918 a été à l’origine d’une véritable prise de conscience des dirigeants américains, contrairement à ce qui s’est passé en France où la ligne Maginot était là pour nous protéger. Le livre d’Herzog n’était donc pas d’actualité… Et pourtant, on peut se demander si les méthodes prônées alors n’inspirent pas encore aujourd’hui quelques pays "émergents".

 "La Guerre cognitive : l'arme de la connaissance". Ouvrage dirigé par Christian Harbulot et Didier Lucas. -"Irak : Chronique d'un chaos annoncé" de Robert Belot et Jordi Tejel. -

Cette collection est dirigée par Robert Belot, un historien de formation, professeur des Universités, spécialiste des deux Guerres Mondiales et auteur de nombreux ouvrages. On lui doit d’avoir participé à ce qui est devenu la Direction de la mémoire, du patrimoine et des Archives du ministère de la défense, avant de repartir enseigner la géopolitique à l’Université de Technologie de Belfort-Montbéliard.

"Les équipes Jedburgh (juin 1944 - décembre 1944) : Le rôle des services spéciaux alliés dans le contrôle de la Résistance intérieure française" d'Anne-Aurore Inquimbert. -"Services Secrets et Géopolitique" de l'Amiral (c.r.) Pierre Lacoste et François Thual. -

La série "Études" dispose déjà de plus de vingt titres parmi lesquels de véritables ouvrages de référence qu’on ne peut que recommander. La série "Documents" elle aussi est une mine d’ouvrages documentés et écrits par des témoins qui ont souvent été des acteurs privilégiés, souvent dans l’ombre, et qui malgré la modestie qui sied à ceux qui ont été sur le terrain, sans trahir de secret ou même la vérité, ont réussi par leurs témoignages à établir ou à rétablir des faits. Quels qu’ils soient.

Le général Maurice Faivre (2S) -- Photo © Joël-François Dumont. -"Le renseignement dans la guerre d'Algérie" de Maurice Faivre. -
Le général Maurice Faivre (2S)

"Le renseignement dans la guerre d’Algérie" du général Maurice Faivre est un modèle du genre. Spécialiste du renseignement militaire, après avoir commandé le prestigieux 13ème Dragons, cet officier féru d’histoire est connu pour sa recherche scrupuleuse des faits. Docteur en Sciences Politiques et écrivain,[5] le général qui a servi pendant cinq ans en Algérie, également connu pour son combat pour les Harkis, a choisi d’écrire sur un sujet des plus complexes, en reconstituant à la fois l’organisation et le fonctionnement du renseignement civil et militaire pendant la guerre d’Algérie. Jusqu’ici, peu de gens s’y étaient essayé…

Photo du Pod de brouillage d‘autoprotection Barax NG sous Mirage IVP -- Photo © Philippe Wodka-Gallien. -

Photo du Pod de brouillage d‘autoprotection Barax NG sous Mirage IVP

"La Guerre Électronique sur Mirage IV : 40 années de guerre secrète racontées par ses acteurs" (Association Guerrelec). -Autre exemple d’un ouvrage collectif, cette fois, " la guerre électronique sur Mirage IV ", ou 40 années de guerre secrète racontée par ses acteurs.

Un livre écrit par les membres du Comité historique de l’Association Guerrelec [6] et « dédié aux 28 membres d’équipage des Forces Aériennes Stratégiques disparus en service aérien commandé ».

Après ses exploits dans l’ex-Yougoslavie dans la guerre électronique, les Américains nous ont demandé de "prolonger" le Mirage IV pour l’employer en Afghanistan. Au cours de 77 missions, jusqu’en février 2002, deux Mirage IVP ont encore apporté la preuve que dans sa catégorie, aucun autre avion ne l’a jamais égalé pour certains types de missions.

Le voile se lève donc enfin sur un avion de légende, sur des hommes et sur technologies de pointe qui ont participé dans l’ombre à tous les conflits depuis 40 ans sans que jamais on ne parle d’eux puisque le domaine des FAS relève du secret défense.

  • Avec cette collection, Robert Belot poursuit deux grands objectifs.

"Portrait du colonialisme triomphant" (1850 - 1932) de Louis Archinard et Martine Cuttier. -  "L'empreinte de la guerre : De la Grèce classique à la Tchétchénie". Sous la direction de Philippe Martin et Stefano Simiz. -    

  • Le premier est de  « répondre à un besoin du monde actuel en mariant les analyses historiques et contemporaines ».

  • Le deuxième objectif « entend mettre en perspective critique la question du renseignement, du contre-espionnage et du secret.

Le renseignement et le contre-espionnage, particulièrement en France, sont victimes d’un double déficit. Déficit moral, depuis le faux pas originel de l’affaire Dreyfus…et déficit intellectuel, tant il a été sollicité par la (mauvaise) littérature d’espionnage et au mythe (trop facile) de l’origine secrète et conspirative des événements. Depuis la fin de la guerre froide et l’apparition de la mondialisation, il semble admis que la question du renseignement ne relève pas de la seule sphère étatico-militaire et du "secret" mais concerne tout autant le monde économique à travers le phénomène d’intelligence technologique ou de guerre cognitive, l’intelligence apparaissant autant comme une arme que comme un outil d’intelligibilité. C’est donc, conclut Robert Belot, aussi à une histoire culturelle du renseignement et de l’avènement de l’intelligence informationnelle que cette collection souhaiterait œuvrer. » 

Joël-François Dumont

(*) Auditeur à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) et rédacteur en chef adjoint de la revue Défense.

[1] Défense est la revue bimestrielle de l'Union des Associations des Auditeurs de l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN). Abonnements: BP 41-00445 Armées. 
[2] L'expression est peu répandue en français, mais la traduction la plus courante en est « Publier ou périr », ou encore par « Publier pour exister ». La variante Publish or pourrish, c'est-à-dire « publier ou pourrir », est une transposition du Publish or perish, parfois employée dans le contexte de la recherche académique française, où les chercheurs permanents sont des fonctionnaires d'État dont la carrière risque de stagner s'ils ne justifient pas d'un assez grand nombre de publications… 
[3] Voir la liste sur www.lavauzelle.com 
[4] Voir le Site Infoguerre
[5] Le général Maurice Faivre a publié de très nombreux articles dans des revues spécialisées et écrit plusieurs livres. Citons quelques livres de référence : « Les nations armées : de la guerre des peuples à la guerre des étoiles » (Economica, 1984), « Un village de harkis, des Babors au pays drouais », 259 pages, (l'Harmattan, 1994); « Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie, des soldats sacrifiés », 270 pages, (l'Harmattan, 1995), coauteur du « Livre blanc de l'armée française en Algérie », publié aux Éditions Contretemps (2002) et en 2005, « Le renseignement dans la guerre d'Algérie » aux Éditions Lavauzelle). 
[6] Site de Guerrelec.

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