Les réformes des services de Renseignement dans les pays démocratiques ont en commun de ne pas être dénuées d'arrières pensées politiques et de tenir davantage compte de la culture du pays en la matière que de ses véritables besoins opérationnels. Alors que les professionnels considèrent le modèle britannique comme un modèle d'efficacité.
Les services de Renseignement doivent en permanence s'adapter. On pourrait avancer sans se tromper que les réformes opérées dans la plupart des pays démocratiques ont en commun de ne pas être dénuées d'arrières pensées politiques et de tenir davantage compte de la culture du pays en la matière que de ses véritables besoins opérationnels. Une diversité qui contraste avec l'unanimité que l'on rencontre chez les professionnels pour qui le modèle britannique serait un modèle d'efficacité en matière de renseignement. Les dernières réformes engagées en Italie prouvent à l'évidence que Rome a cherché à s'inspirer à son tour de ce fameux modèle britannique. En France, où la bataille électorale bat son plein, si la réorganisation des services n'est pas à l'ordre du jour, on peut du moins imaginer quelques changements significatifs dans quelques mois. Seule certitude pour le moment, l'idée d'un contrôle parlementaire continue de faire son chemin. Jadis hors de question, aujourd'hui soutenue des deux côtés de l'échiquier politique, on peut imaginer qu'un tel contrôle pourrait devenir une réalité, et ce quelle que soit l'issue de ce prochain scrutin. D'où l'intérêt de voir ce qu'il en est dans les pays où un tel contrôle est réalisé. Cette tribune © a été publiée dans le n° 126 (mars-avril) de la revue Défense.[1] Nous la reproduisons ici avec l'autorisation de son auteur, Joël-François Dumont.(*) Paris, le 10 mars 2007.
Si l’on en croit notre confrère TTU [2] « après des années de gestation, le projet de loi sur la réforme des services de sécurité et de renseignement italiens serait fin prêt, même s’il n’entrera en vigueur qu’au printemps prochain. »
Contrairement au projet précédent, élaboré à la fin des années 90 (projet Jucci) qui prévoyait une fusion des deux principaux services de renseignement italiens, en l’occurrence le SISDE (Servizio per le Informazionie la Sicurezza Democratica) et le SISMI (Servizio per le Informazionie la Sicurezza Militare), la nouvelle proposition maintiendra le caractère pluraliste du système actuel. Les deux services, respectivement rebaptisés ISI (Informazioni e Sicurezza Interna) et ISE (Informazioni e Sicurezza Esterna) seront placés sous l’autorité du président du Conseil et perdront ainsi leurs liens fonctionnels avec leurs ministères de tutelle, en l’occurrence l’Intérieur et la Défense. "
Une telle réforme donne à penser qu’après avoir essayé plusieurs modèles, le gouvernement italien se serait finalement inspiré du modèle britannique en décidant de placer la totalité du système de renseignement et de la sécurité nationale sous la direction et la responsabilité du président du Conseil, comme c’est le cas en Grande-Bretagne où le renseignement relève de l’autorité du Premier ministre.
On pourrait encore trouver d’autres analogies dans ce projet avec le système en vigueur outre-Manche, considéré comme une "référence en matière d’efficacité" par la plupart des anciens chefs des services occidentaux. Pour Tom Ewing, ancien diplomate du Foreign Office, aujourd’hui professeur à Sciences-Po Paris, ce qui compte, c’est « le renseignement en temps réel ». Le « Secrétaire Permanent et Coordinateur pour la Sécurité et le Renseignement » (Permanent Under Secretary du Foreign Office), même s’il n’a pas rang de ministre est le véritable chef d’orchestre du « Joint Intelligence Committee » qui est devenu au fil des ans un rouage incontournable qui inspirera également cette réforme lancée par le gouvernement Prodi.
D’où la création, selon TTU, d’un nouveau « Dipartimento delle Informazioni per la Sicurezza », qui succèderait au Cesis (Comitato Esecutivo per i Servizidi Informazione e Sicurezza), chargé jusqu’ici de la coordination des services extérieur et intérieur pour la gestion globale du renseignement. « Plus centralisé » et doté de « pouvoirs plus étendus que l’actuel CESIS », le DIS serait « confié à un ministre sans portefeuille, appelé ministre pour le Renseignement et la Sécurité », dont le pouvoir s’exercerait également sur le RIS (Reparto Informazioni e Sicurezza), même si ce service interarmées de renseignement et de sécurité militaire pourrait conserver ses prérogatives en matière de recueil et d’exploitation des renseignements à caractères technique et militaire au profit des forces armées. « En tout cas, il sera intéressant de voir si cette réforme diminuera les luttes de pouvoir entre les ministres et la Présidence du Conseil italien qui veut affirmer son autorité en la matière et clarifier le rôle des ministères comme celui des services dont ils relèvent. » C’est à ce niveau que se révèlent la culture et les traditions de chaque pays dans un domaine ô combien sensible ! Qui vivra verra…
En Europe continentale en tout cas, où une certaine tradition de suspicion demeure vivace entre le politique et les services, les mentalités doivent encore évoluer. On n’imagine mal de ce côté-ci de l’Atlantique un « Morning Intelligence Briefing » comme celui qui est réservé chaque matin au président des États-Unis.
En vérité, les dirigeants des pays modernes sont confrontés à des choix cruciaux. La plupart d’entre eux sont convaincus que les structures et les moyens dont disposent leurs services officiels, parfois concurrencés par le privé, ne sont pas les mieux adaptés pour faire face à des menaces imprévisibles et « sans frontières ». Comme le suggère Ewen Faudon [3] « il est temps de définir un nouveau paradigme sécuritaire fondé sur la réorganisation des priorités de nos structures de défense, au premier rang desquelles le renseignement. »
Curieusement, c’est dans les pays où s’exerce un contrôle parlementaire en la matière que la réflexion a sans aucun doute été la plus poussée. Les Français seraient-ils donc incapables de « combiner à la fois le respect des exigences démocratiques et celui des intérêts supérieurs de la sécurité nationale? ». [3] L’idée fait son chemin, mais en période électorale, il faut se méfier de propositions hâtives ou de vagues projets de réformes qui ne soient pas le fruit d’une véritable volonté politique consensuelle qui définisse à la fois les menaces, les priorités et les moyens pour y faire face.
L’Ambassadeur Hans-Georg Wieck qui présida le Bundesnachrichtendienst (BND) de 1985 à 1990 m’a confié récemment à Berlin que ce contrôle lui était apparu « très important » et que « les parlementaires de tous les partis s’acquittaient avec beaucoup de sérieux de leur tâche ». Ainsi, en suivant certains dossiers sensibles, ils étaient à même de constater le rôle irremplaçable des services et donc de "témoigner" le cas échéant pour mettre un terme à une polémique injustifiée ou pour mieux cerner les responsabilités en cas de bavure.
Wolbert Smidt, ancien directeur du BND et juriste éminent de formation, qui fut à deux reprises chef de poste à Paris, préside aujourd’hui un groupe de travail très actif en Allemagne, le GNKD [4] dont l’objectif déclaré est de mieux faire connaître le rôle et les missions des services dans des pays démocratiques en organisant sur ce thème des conférences internationales de haut niveau.
Wolbert K. Smidt, ancien 1er directeur du BND
Un premier livre, très riche d’enseignements vient de paraître.[5] On y retrouve les contributions des meilleurs experts de douze pays différents venus comparer leurs expériences sans pour autant utiliser la langue de bois (Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Espagne, Suisse, Russie, Ukraine, République tchèque, Roumanie, États-Unis, Canada et Israël). Douze cultures, autrement dit douze modèles différents! Ce livre, destiné à un large public, pose en fait de vraies questions et pourrait servir de base à une réflexion sur une réforme des services pour tendre vers une harmonisation au niveau européen à défaut d’espérer créer un jour un modèle unique. Ce livre démontre également que le contrôle parlementaire mérite d’être encore développé, car les failles y sont encore nombreuses et si l’on souhaite plus de transparence, il convient d’imaginer de nouveaux rapports avec la presse, ce qui apparaît comme un nouveau défi.
Joël-François Dumont
(*) Auditeur à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) et rédacteur en chef adjoint de la revue Défense.
[1] Défense est la revue bimestrielle de l'Union des Associations des Auditeurs de l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN). Abonnements: BP 41-00445 Armées.
[2] Extrait de TTU N° 614, lettre hebdomadaire d’informations stratégique du 31.1.2007.
[3] in Sécurité intérieure/ Sécurité extérieure : la défense à la recherche de nouveaux repères de Christophe Bédier et Marwan Lahoud, publié par le CEPS aux Éditions Publisud.
[4] Gesprächkreis Nachrichtendienste Deutschland e.V. (GKND).
[5] „Geheimhaltung und Transparenz – Demokratische Kontrolle der Geheimdienste im internationalen Vergleich“ par Wolbert K. Smidt, Ulrike Poppe, Wolfgang Krieger, Helmut Müller-Enbergs („Tenir secret et transparence – le contrôle démocratique des services secrets : une comparaison internationale“) publié aux Éditions LIT-Verlag, Berlin 2007.
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