La France a donc perdu les jeux olympiques de 2012. C’est bien sûr la faute aux autres! Encore une belle occasion perdue. Pierre de Coubertin ne disait-il pas, après tout, que l’essentiel est de participer ?
Introduction
La France a donc perdu les jeux olympiques de 2012. C’est bien sûr la faute aux autres ! Encore une belle occasion perdue. Pour se consoler, on pourra certes rappeler Pierre de Coubertin qui disait, après tout, que l’essentiel est de participer… En tout cas, il nous a paru intéressant de connaître l’avis d’un de nos marins, qui sait aussi tenir la plume. Les gens de mer ont assurément quelques longueurs d’avance dés qu’il s’agit de comprendre « un peuple de marins », qualifié non sans raison de « perfide Albion ». Toutefois, cette réaction nous étant parvenue à chaud, il nous a paru utile d’ajouter une introduction pour rappeler quelques vérités qui pourraient bien expliquer en partie cet échec à la fois politique et commercial et qui tiennent aux travers purement gaulois.
Les Wallons et les Français ont choisi le coq comme emblème national. Certaines mauvaises langues disent que c’est parce que cet oiseau à la fois fier et stupide aurait le mérite d’être « le seul animal encore capable de chanter, même quand il a les deux pieds dans la merde ». Pour ce qui est du coq gaulois, il est évident que cet animal n’entre pas dans la catégorie de l’aigle « le plus emblématique des oiseaux de proie qui étend son royaume au-dessus du sol du poulailler… ». Le coq a un chant bien sympathique et utile le matin, certes, mais ses insuffisances confinent parfois à l’arrogance… Il affirme généralement avec succès son autorité dans les basses-cours, mais ceci limite son champ d’action !
« Le Coq vit dans un espace fermé où son information est restreinte, en deux dimensions seulement, vu son incapacité de voler en dehors de quelques battements d’aile pour se hisser sur un arbre protecteur, s’il s’en trouve un, en cas de danger. » [1]
- Le Whishful thinking
De toutes, le Whishful thinking (prendre ses désirs pour des réalités) semble bien l’une des maladies gauloises la plus inguérissable. « On gagnera parce qu’on est les plus forts » ou « les meilleurs ». Ce n’est pas parce qu’on avait le meilleur dossier à Singapour qu’on a perdu les jeux olympiques, mais parce que nous ne savons pas su mettre en valeur ou vendre nos vrais atouts. Par contre, pour prendre nos désirs pour des réalités, nous restons champions toutes catégories. C’est hélas une triste habitude qui nous fait perdre des marchés tous les jours dans le monde, et donc des emplois. Voir ce pauvre Mimoun, le sportif le plus médaillé de France, pleurer « en direct », que l’on n’avait bien sûr pas invité dans une délégation pléthorique… Ignorer que Juan Antonio Samaranch vivant, l’homme qui a procédé à la désignation de la quasi totalité des membres du Comité Olympique International, la France n’aurait jamais la moindre chance d’avoir de nouveau des jeux sur son territoire, c’était manquer de mémoire à un point qui en dit long sur notre incapacité à refuser d’admettre des faits qui pourtant devraient s’imposer à nous. « La revanche de Dédé la sardine » [2] a été la plus forte. Quant au film de Luc Besson projeté à Singapour avec Charles Trenet et Catherine Deneuve, il aurait mieux valu montrer ce que la France de 2012 avait à offrir. On n’était pas à un gala de bienfaisance dans un pays lointain francophone, mais dans un autre univers qui s’exprime en anglais ou en chinois et dont nous nous obstinons à ignorer les traditions. Les Britanniques eux savent tout cela. Leur dossier était techniquement moins bon, mais ils ont eu envie de gagner. Alors, ils se sont donné tous les moyens de gagner en prenant des battants (des winners, pas des loosers). Ce qui ne veut nullement dire que tous les membres de la délégation française étaient des nuls, bien au contraire, mais certains n’étaient pas les hommes ou les femmes de la situation. Le britannique Sebastian Coe, pour ne prendre que lui, est à la fois l’image même du battant, du bosseur et de celui qui parle avec ses tripes. Et Tony Blair et son équipe se sont donnés trois jours sur place pour convaincre la trentaine de personnes jugées « incertaines »… En France il faudra un jour s’interroger, comme le fait remarquablement sur le net Jean-Claude Rivet,[3] sur la « négation de l’échec »… Pour mémoire, quelques exemples :
– Jospin cherche à nous convaincre de son statut d’Homme d’Etat, il « abandonne » la politique après son premier échec !
– L’équipe de France échoue en 2002 (football), c’est de la faute de l’entraîneur, des médias, voire des organisateurs…
– Chirac défend le « oui », les français votent « non », c’est qu’ils n’ont rien compris !
– Le chômage grimpe sans faiblir en France depuis 40 ans bientôt : c’est à cause du pétrole, du Maghreb, du Japon, des Américains, des pays de l’Est, des Chinois, à suivre…
– Les Anglais ont les JO de 2012, c’est leur lobbying, la corruption du CIO, l’intervention de Bush, dans tous les cas, la France est « victime », elle ne peut pas avoir été battue tout simplement. (3)
Après avoir dit qu’il fallait aussi perdre l’habitude de s’autoflageller inutilement, dans un pays qui a inventé la désormais célèbre formule « responsable mais pas coupable« , disons, pour conclure, qu’il faut cesser une fois pour toutes de diaboliser l’échec, et essayons au contraire à chaque fois de tirer les enseignements de chacun de ces échecs. Cela fait partie intégrante de ce que les Américains appellent « la mémoire institutionnelle ». « Si cet échec est toujours une injustice contre laquelle on ne peut que se révolter mais qu’on ne peut combattre », faudra t-il pour autant toujours renoncer à l’avenir ? « Si la préoccupation de nos élites est la place qu’occupe la France dans le monde, je pense qu’elles oublient que l’échec ne ternit pas son image, mais que la réaction politique et médiatique de ces dernières 24heures risque de conforter nos « adversaires » dans leur perception de notre arrogance. » … « La France a fait preuve de naïveté et de manque d’agressivité (au sens positif du terme). La défaite de Paris 2012, c’est la victoire du lobbying anglais..» a t-on pu dire par ailleurs, et c’est là qu’il faut chercher toute l’explication.
« Notre pays, tout imbu de son « influence » politique et culturelle ou du prestige dont il croit rayonner, est-il incapable de condescendre aux petites manœuvres chères aux groupes de pression ? Ou notre mentalité jacobine et hiérarchique nous y rend-elle inaptes ?»
Pour tenter de répondre à cette question, au lieu de s’apitoyer comme le fait aujourd’hui le maire de Paris qui a voulu gérer autoritairement ce dossier avec le résultat que l’on sait, il n’est pas inutile de « clarifier la notion de lobbying » comme l’a fait François-Bernard Huyghe.[4] Un texte que l’on devrait enseigner dans les Administrations autant que dans les grandes écoles ! En voici un court extrait…
« Le mot d’abord. On en connaît l’origine anglaise : le lobby est le vestibule, littéralement, l’antichambre du pouvoir, le lieu physique où les représentants des intérêts privés rencontraient les élus à la Chambre des Communes britannique. Vers 1830, le mot renvoie déjà au groupe de pression qui influence les deux chambres britanniques. Depuis lobby est employé par métonymie pour désigner ceux qui agissent dans le couloir, donc comme synonyme de professionnels de défense des intérêts privés cherchant à influer sur la décision du législateur ou d’une organisation. On parle enfin de lobby au sens large pour désigner tout groupe qui cherche à obtenir des décisions favorables à ses objectifs (matériels voire idéologiques) par pression, action indirecte, y compris à travers les médias...»
Imaginer qu’avoir le meilleur dossier technique soit suffisant pour gagner, c’est se mettre un doigt dans l’œil. Surtout quand on se trouve face à des Britanniques qui, eux, aiment et savent relever des défis. Le choix des hommes pour défendre les dossiers demeure donc fondamental. Si les Jean-François Lamour, Jean-Claude Killy et David Douillet étaient parfaitement à leur place à Singapour, quelques autres l’étaient beaucoup moins.
On aurait bien sûr reproché à Jacques Chirac de ne pas avoir appuyé cette candidature s’il ne l’avait pas fait. On peut difficilement lui en vouloir de l’avoir fait et d’être responsable de cet échec. Au lieu de rechercher des coupables, « de faire tomber des têtes », cherchons plutôt les failles de notre système qui n’est pas adapté aux réalités et au monde d’aujourd’hui, surtout quand les dés sont pipés, ce qui est trop souvent le cas. Et pour ceux qui n’auraient pas encore bien compris, qu’ils lisent utilement, relisent et méditent l’analyse prémonitoire de Sorbas von Coester [5] : « Penser au-delà de la Convention OCDE« . Sans oublier, comme le rappelle Alain Juillet, Haut Responsable Chargé de l’Intelligence Économique, que « cette approche anglo-saxonne et asiatique n’est pas dans notre culture ».
Il est donc grand temps que l’Europe sorte de sa léthargie et que les Gaulois acceptent une fois pour toutes les réalités telles qu’elles sont et non pas comme ils aimeraient qu’elles fussent. Ce n’est pas en menant un combat à armes inégales qu’ils auront des chances d’imposer leurs vues ou leurs produits, si bons soient-ils.
Honni soit donc qui mal y pense!
Joël-François Dumont
Et le Coq de chanter.
Et Dédé de pleurer.
Et les Chinois de rire.
On peut toujours rêver…
Sacrés British !
Par l’Amiral Guy Labouérie, membre de l’Académie de Marine.[6] Brest, le 9 juillet 2005 (©).
Lorsque le président de la République déclara à son arrivée à Singapour que ce qui comptait c’était le fair play, ou bien il savait – mais comment? – que Paris n’aurait pas les jeux ou bien, ce qui est malheureusement bien plus probable, il manifestait une lacune incroyable sur les rapports de quelque nature que ce soit avec les Britanniques.
Le fair-play qu’ils ont inventé et dont ils ne cessent de nous rebattre les oreilles n’a absolument rien à voir avec un comportement réciproque. Le fair-play c’est la façon dont doivent se conduire les opposants, concurrents, adversaires… des Britanniques, ces derniers étant toujours libres d’employer tous les coups fourrés nécessaires pour le succès de sa Majesté.
La morale politique ou autre n’a rien à voir là-dedans! Bien des matches de rugby l’ont illustré et sans être anglophobes, au contraire, car nous avons beaucoup à prendre et apprendre chez eux, bien des marins n’ont jamais oublié ni Mers el-Kébir ni la prise des bâtiments français en Grande Bretagne, ni de nombreuses autres expériences ici et là à travers le monde!
Amiral Guy Labouérie – Photo © Joël-François Dumont
Le fair-play qu’ils ont inventé et dont ils ne cessent de nous rebattre les oreilles n’a absolument rien à voir avec un comportement réciproque. Le fair-play c’est la façon dont doivent se conduire les opposants, concurrents, adversaires… des Britanniques, ces derniers étant toujours libres d’employer tous les coups fourrés nécessaires pour le succès de sa Majesté. La morale politique ou autre n’a rien à voir là-dedans! Bien des matches de rugby l’ont illustré et sans être anglophobes, au contraire, car nous avons beaucoup à prendre et apprendre chez eux, bien des marins n’ont jamais oublié ni Mers el-Kébir ni la prise des bâtiments français en Grande Bretagne, ni de nombreuses autres expériences ici et là à travers le monde! Mais nos hommes politiques ont d’incroyables ignorances sur l’histoire réelle. L’illusion est tellement plus confortable!
De Gaulle l’avait compris: la Grande-Bretagne est le baromètre. Elle sera toujours contre une Europe non britannique, mais si elle rejoint tel ou tel aspect, c’est que nous serons sur la bonne voie et que notre projet est bon. Pompidou ne l’a pas compris ou plutôt n’a pas pu manœuvrer comme cela aurait été souhaitable… Le résultat, ce qui est frappant aujourd’hui, c’est le comportement de l’ensemble de la classe politique européenne continentale face aux Britanniques. C’est, à peu de chose près, que ses membres soient pour ou contre les projets britanniques, celui des singes de Kipling dans la jungle hypnotisés par Kaa le serpent. Si les singes ont eu la chance de pouvoir s’en sortir grâce à une intervention bénéfique, peut-il y avoir une intervention analogue en Europe où nous avons perdu le vague projet que nous soutenions depuis soixante ans pour tomber dans l’escarcelle de la zone de libre échange recherchée impavidement par la diplomatie britannique?
Au lieu de pleurer ou de critiquer de façon généralement stupide les rares responsables français qui veulent changer les choses et reprendre en mains le destin national et européen nous ferions mieux de réfléchir puis d’informer le peuple français des raisons pour lesquelles 14 ans de Mitterrand et 10 ans de Chirac nous ont fait passer d’une avance de 30% sur les Britanniques à un retard en augmentation de 15% aujourd’hui. C’est la vraie question… tout le reste est littérature et bons sentiments ou mensonges aggravés d’irresponsabilité. Au moment où Blair préside l’Union il serait temps de réfléchir puis d’agir… Qui aura le courage?
A propos merci à la CGT qui a bien aidé les Britanniques par ses grèves au moment de la visite du CIO à Paris. Imaginer que le Comité olympique allait prendre le risque de se retrouver au moment des jeux face à un chantage de nos syndicats d’un autre âge, c’était les considérer irresponsables, comme les dits syndicats!
Et les Britanniques de rire !
On peut toujours rêver…
Guy Labouérie
- [1] Le Coq, la Chauve-souris et l’Aigle : Chronique de l’Amiral Guy Labouérie du 18 juin 2005.
- [2] La revanche de Dédé-la-sardine, éditorial de RFI du 7 juillet 2005.
- [3] Jean-Claude Rivet (http://www.net-stratege.com)
- [4] François-Bernard Huyghe fondateur de l’Observatoire d’infostratégie in « Du lobbying », Paris, juillet 2005.
- [5] Sorbas von Coester, Ancien élève de l’École polytechnique, PhD (Econ) London School of Economics, est Managing Partner de Gheran (Paris).
- [6] L’Académie de Marine a été fondée en 1752. Dissoute comme toute ses consoeurs pendant la Révolution, elle n’a été réactivée qu’en 1921. Son siège est à Paris.
Lire également du même auteur, dans la série « les leçons de l’Océan »:
- Les leçons de l’Océan: (10) Lawrence et l’océan des sables
- Les leçons de l’Océan: (9) Mahan, l’anti-Clausewitz
- Les leçons de l’Océan: (8) l’ignorance: Clausewitz
- Les leçons de l’Océan: (7) l’amiral “Satan”
- Les leçons de l’Océan: (6) Jacques Cœur
- Les leçons de l’Océan: (5) Sun Tse et les leçons de l’Immense hétérogène
- Les leçons de l’Océan: (4) L’empire maritime des Grecs
- Les leçons de l’Océan: (3) la navigation
- Les leçons de l’Océan: (2) le Temps
- Les leçons de l’Océan: (1) le Projet
Dans la série « analyse stratégique »:
- Le Coq, la Chauve-souris et l’Aigle
- Océan et Démographie : le décalage avec les réalités
- Planète et Océan mondial : une dimension oubliée
- Violence du monde : de la sécurité par la terreur à la terreur de l’insécurité
- Mouvement et dispositif
- Flux et mouvement
- La pensée et l’action
- A propos de « Stratégie »
- « Défense »
- Une autre Géopolitique
- Culture : savoir se situer
- Commémoration : mémoire morte ou mémoire vivante ?
- Démographie : l’exemple de l’Europe (1)
- Démographie : l’exemple de l’Asie (2)
- Société de l’information ou de l’ignorance ?
- Lettre de Nicolas Polystratu à John Smith à propos de terrorisme
- Réflexion sur la Guerre en général et celle d’Irak en particulier
- Lettre d’un ami américain à Nicolas Polystratu à propos de l’Irak et autres lieux