Stratégie France : Plaidoyer pour une véritable coopération franco-allemande

« Stratégie France » : Plaidoyer au barreau de Paris d’Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre-Présidente de la Sarre pour dépasser la traditionnelle coopération franco-allemande. Avocate de formation, figure montante de la CDU, « AKK » entend réunir deux régions transfrontalières que l'histoire a tantôt réuni ou séparé. Un projet ambitieux devenu réalité.

 

 

Dix ans après le lancement d’une première coopération franco-allemande « en matière d’intégration et d’égalité des chances » (2006), le 18e conseil des ministres franco-allemands s'est tenu à Paris, le 7 avril dernier, avec, pour objectif, la relance du  projet d’intégration au sein de nos sociétés. Un rapport a été déposé en ce sens avec des propositions novatrices. Coécrit par Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre-Présidente de la Sarre et Jean-Marc Ayrault, ministre français des Affaires étrangères et du Développement international, les rapporteurs suggèrent, notamment, d’associer l’Office franco-allemand pour la jeunesse, l’OFAJ, la société civile, les chercheurs et les administrations des deux pays, afin de « soutenir le développement de projets bilatéraux »  et de « faciliter les échanges de bonnes pratiques entre acteurs français et allemands de l’intégration.»[1] Le coeur de l’Europe palpite toujours aussi régulièrement, malgré le Brexit,[2] comme en témoigne la présentation d’Annegret Kramp-Karrenbauer d’une « Stratégie France », un plaidoyer pour dépasser la traditionnelle coopération franco-allemande par un nouveau projet, concret, visant à réunir deux régions transfrontalières que l'histoire a tantôt réuni ou séparé. Un projet politique ambitieux qui a pour objectif de faire de « la Sarre, en l’espace d’une génération, le premier espace plurilingue en Europe au service du développement social et économique des territoires Invitée par le bâtonnier des avocats de Paris, Me Frédéric Sicard, la Ministre-Présidente de la Sarre, avocate de formation avant de devenir l’une des figures montantes de la CDU, est venue à la Maison du Barreau expliquer son projet auquel la Lorraine a déjà fait écho, l'année dernière, en présentant une « Stratégie Allemagne ». Paris, le 29 juin 2016 – Seul le prononcé fait foi – Sources : Barreau de Paris et RB & Associés.

Madame Annegret Kramp-Karrenbauer arrive à la Maison du barreau de Paris – Photo © Thomas Appert. -

Madame Annegret Kramp-Karrenbauer arrive à la Maison du barreau de Paris

Mesdames et Messieurs,

Grâce à son intensité et sa diversité, la relation franco-allemande était, elle est et elle restera une relation particulière. Et la Sarre en est un bon exemple.

L’amitié franco-allemande

Aujourd’hui, la Sarre se considère comme une passerelle entre l’Allemagne et la France. Mais dans le passé, la Sarre était souvent la pomme de discorde entre les deux nations.

Déjà depuis la guerre de Trente Ans, la Sarre était parfois sous domination française, parfois sous domination allemande. Après la Première Guerre mondiale et avec le Traité de Versailles, le territoire de la Sarre fut placé sous l’autorité de la Société des Nations pour quinze ans à partir de 1920, mais il dépendait économiquement de la France et fut surveillé par des troupes françaises. Après le premier référendum de la Sarre, il appartenait de nouveau à l’Allemagne, plus précisément à l’Empire allemand. Et après la Seconde Guerre Mondiale, la Sarre fut de nouveau économiquement rattachée à la France et reçut une certaine autonomie. La Sarre était "autodéterminée", mais sous l’œil vigilant de la France.

Dans ce contexte, l’idée est née que la Sarre pourrait constituer une passerelle entre la France et l’Allemagne. Depuis 1950 cependant, une opposition claire s’est formée contre l’attachement étroit de la Sarre à la France. La « question de la Sarre » a soulevé des conflits croissants entre l’Allemagne et la France.

Annegret Kramp-Karrenbauer, Ministre-Présidente de Sarre – Photo © Thomas Appert. -

Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre-Présidente de Sarre

Le 23 octobre 1955, la population sarroise a refusé par une large majorité le dit « statut de la Sarre » et a posé les jalons pour l’intégration de la Sarre à la République fédérale d’Allemagne. Ce combat électoral a même divisé des familles. Il était long et farouche et a laissé durablement son empreinte. Il y a beaucoup de différentes interprétations de la décision prise à l’époque. Ce qui est sûr toutefois, c’est que le vote des Sarrois contre le statut n’était pas un vote contre l’Europe !

Au contraire : Nous, les Sarroises et les Sarrois, avec nos partenaires dans la région "SaarLorLux", nous sommes aujourd’hui les précurseurs de l’unification européenne. Notre histoire mouvementée a marqué et sensibilisé notre conscience. Cette connaissance historique a fait naître une « Europe en miniature ».

Comme région marquée par l’industrie du charbon et de l’acier, la Sarre était également au centre de l’idée européenne : Comme le bassin de la Ruhr, elle était au cœur de la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. La Sarre faisait ainsi partie de la base de l’intégration économique de l’Europe, qui constitue aujourd’hui une évidence pour nous.

« Plus jamais la guerre grâce à l’unification européenne » a postulé Robert Schuman déjà en 1913. Une phrase qui laisse présager de manière très précoce la vision d’une Europe unie. Les plans de Schuman concernant la conception de l’Union européenne renouent avec ce premier fil d’idées après la Seconde Guerre Mondiale. Depuis lors, chaque nouvelle étape pour réaliser une Europe unie est née de cette vision commune de l’Allemagne et la France.

Ce sont ces fils de l’attachement étroit qui ont été repris par le Traité de l’Élysée en 1963 et qui ont été noués de façon à former le tissu solide de l’amitié franco- allemande.

Pour de nombreuses personnes, de part et d’autre de la frontière, ces relations franco- allemandes sont devenues une normalité. Mais la normalité induit le risque d’être prise pour une évidence. Il s’agit donc de cultiver et de préserver ce qui semble normal, mais qui est au fond exceptionnel. Nous devons nous rappeler ce que nous avons réalisé jusqu’à présent, mais nous devons également nous rappeler les nécessités et les défis de l’avenir. Nous devons identifier les domaines où nous devons améliorer l’amitié entre la France et l’Allemagne et où nous devons travailler encore plus intensivement.

En Sarre, nous profitons en particulier des chances de l’amitié franco-allemande. Nous, les Sarrois, nous avons des contacts transfrontaliers au quotidien, parfois par hasard, parfois de manière bien ciblée, avec la politique, l’économie, la culture et la vie quotidienne.

Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre-Présidente de Sarre – Photo © Thomas Appert. -
Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre-Présidente de Sarre

Le Traité d’amitié franco-allemand, notre histoire mouvementée entre les deux nations et l’ouverture des frontières ont créé une conscience européenne en Sarre.

Depuis longtemps, le gouvernement et le parlement du Land de Sarre coopèrent étroitement avec un large réseau bien positionné de différents acteurs régionaux et nationaux en France. À commencer par le Consul général de France, en passant par les acteurs de nos institutions franco-allemandes, comme le Lycée franco-allemand, le Secrétariat franco-allemand, l’Université franco-allemande, l’Union des Français de Sarre ou l’Association franco-allemande, l’Académie européenne à Otzenhausen et le centre d'enseignement et de recherche sur la France à l’Université de la Sarre – jusqu’aux contacts que nous cultivons avec nos partenaires de la Grande Région et avec des représentants nationaux, comme les députés de l’Assemblée Nationale ou du gouvernement national.

Ces relations excellentes sont le fruit d’une coopération et d’un partenariat de confiance de longue date – indépendants de l’affiliation politique – et dans l’intérêt de l’Europe et de ses citoyennes et citoyens.

Comme médiateur efficace entre l’Allemagne et la France, la Sarre porte une responsabilité particulière. Cela signifie également d’avancer courageusement et d’être innovant.

L’amitié franco-allemande ne s’est pas toujours développée de manière linéaire et sans ruptures – il y a toujours eu des hauts et des bas. Curieusement, le moteur franco- allemand a toujours démarré quand il y avait des différends internationaux et des problèmes européens. De cette manière, des initiatives européennes ont été créées qui ont fait avancer l’Europe dans son ensemble. La coopération franco-allemande n’exclut personne, mais s’accompagne d’une association étroite des partenaires européens.

On constate toujours que dans l’Europe des 28 les progrès peuvent surtout être réalisés quand l’Allemagne et la France tirent dans le même sens. Ceci s’est reflété par exemple dans les efforts diplomatiques communs lors du conflit entre la Russie et l’Ukraine.

La Sarre comme passerelle entre l’Allemagne et la France et la Stratégie France de la Sarre

Mais l’amitié franco-allemande est plus qu’un regard nostalgique vers le passé. L’amitié franco-allemande signifie aussi : développer des perspectives communes pour l’avenir et avancer ensemble, à tous les niveaux. Également en Sarre.

En 2014, le gouvernement sarrois a dès lors pris une décision orientée vers l’avenir : Il a adopté les grands axes d'une Stratégie France pour la Sarre.

Annegret Kramp-Karrenbauer, Ministre-Présidente de Sarre et Me Frédéric Sicard répondent aux questions – Photo © Thomas Appert. -

Annegret Kramp-Karrenbauer et Me Frédéric Sicard répondent aux questions

L'objectif de "la Stratégie France" est de faire de la Sarre, en l'espace d'une génération, un espace plurilingue performant d'empreinte franco-allemande. Le français prendrait place comme langue véhiculaire supplémentaire, aux côtés de l’allemand, langue maternelle et officielle. La Sarre deviendrait ainsi le seul land plurilingue de la République fédérale d'Allemagne.

Comme nouveau principe directeur, la Stratégie France n’est pas limitée à la durée d’une législature, mais elle porte sur le présent et l’avenir d’une génération entière et sur le présent et l’avenir de la Sarre.

Les langues constituent la fenêtre sur le monde

Le plurilinguisme n'est pas une fin en soi. Il est la base pour la construction d'une région européenne de référence, un site fort au cœur de l'Europe suivant la devise : Plus de langues – plus d'opportunités.

La Stratégie France est une stratégie du plurilinguisme. Elle ne promeut pas seulement l’apprentissage de la langue française, mais aussi les compétences interculturelles. Dans une économie toujours plus complexe et mondialisée, la stratégie favorise également l'apprentissage d'autres langues étrangères. Car, les langues constituent la fenêtre sur le monde.

L’écho que la Sarre a connu concernant la Stratégie France, également en France, nous a encouragé de poursuivre dans la voie que nous avons empruntée. C’est une bonne preuve que la coopération franco-allemande est loin d’être dépassée et qu’elle est tout à fait un sujet pour l’avenir sarrois, franco-allemand et également européen.

Nous ne partons pas de zéro. Les compétences françaises, fruit d'une évolution historique et constamment élargies, constituent une opportunité majeure pour l'avenir de notre land, pour l'avenir de notre région frontalière, dans laquelle aujourd'hui déjà jusqu'à un quart de million de personnes traversent quotidiennement la frontière pour des raisons professionnelles. Déjà aujourd’hui, l’économie profite quotidiennement des compétences françaises, car l’expertise transfrontalière dans les entreprises peut être créée et élargie sur la base de jeunes ayant grandi dans un milieu plurilingue. Déjà aujourd’hui, l’économie sarroise est étroitement liée à l’économie française et joue un rôle important comme passerelle pour le marché allemand.

Ainsi un environnement propice à l'installation d'entreprises étrangères du continent européen et au-delà voit le jour. Car avec ce plurilinguisme, la Sarre ne s’ouvre pas seulement à la France, mais de manière consciente et ciblée à la Francophonie entière.

– Photo © Thomas Appert. -

Bien que la Stratégie France soit conçue dans une perspective durable et globale, sa mise en œuvre doit démarrer à court terme. Le gouvernement maintiendra l'approche d'un processus transparent et participatif. Les mesures de la mise en œuvre, et notamment les initiatives transfrontalières au niveau de la politique, de l’économie et de la société civile, sont discutées et développées conjointement avec les acteurs concernés.

Nous avons fixé ce processus progressif dans une « feuille de route ». Nous sommes conscients de la nécessité d'investir en particulier dans l'apprentissage des langues pour atteindre notre objectif. Tout d'abord, nous souhaitons surtout investir dans le domaine préscolaire.

Un processus de changement tellement fondamental d'un land et d'une région ne peut pas être prescrit. Il doit être conçu prudemment et conjointement avec tous les acteurs concernés, également avec les Françaises et les Français vivant en Sarre et avec les institutions françaises et franco-allemandes dans notre land.

Notre initiative du plurilinguisme a été très bien accueillie par nos voisins et amis. Plusieurs voyages de délégation dans des régions françaises et l’intensification des contacts au gouvernement et à l’économie françaises ont été réalisés en conséquence. Mais également des contacts excellents avec nos régions voisines françaises, la Lorraine et l’Alsace, et maintenant aussi la Champagne-Ardenne.

Ainsi, nous avons par exemple accepté l’invitation de nos amis et partenaires alsaciens à coopérer avec la nouvelle représentation de la grande région française Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne sous le même toit.

Une «Stratégie Allemagne » 

Une « Stratégie Allemagne » comme réponse et complément de bon voisinage à la « Stratégie France » de la Sarre. Dans cette stratégie également, un accent majeur est mis sur le sujet de la langue du voisin, notamment dans l’éducation précoce. Cela est la complémentarité dont le moteur franco-allemand en Europe a besoin.

Annegret Kramp-Karrenbauer accueillie par Dominique Attias, vice-bâtonnière du barreau de Paris – Photo © Thomas Appert. -
Annegret Kramp-Karrenbauer accueillie par Dominique Attias, vice-bâtonnière du barreau de Paris

Avec le bureau de la Sarre à Paris, inauguré en mars de cette année, nous souhaitons nous présenter comme centre de compétences franco-allemand. Le bureau est une représentation des intérêts de la Sarre au cœur de la France. Ainsi nous misons sur un dialogue animé avec les décideurs politiques, économiques et culturels.

Mais le bureau à Paris est en même temps une vitrine de la Sarre à Paris – nous souhaitons présenter notre land comme une région avec une économie et une science performantes et fortement axées sur la France, comme une porte sur l’Allemagne, comme une région avec une qualité élevée de vie et une hospitalité exceptionnelle, comme un endroit, où le franco-allemand est vécu au quotidien et comme une région du plurilinguisme européen.

À part des entretiens techniques sur la coordination, la mise en œuvre et le suivi de la Stratégie France, nous avons prévu des évènements permettant de faire connaître la Sarre, ses habitants, ses produits et son savoir vivre.

Le bureau se veut notamment un lieu de l’amitié franco-allemande. Une amitié qui est exceptionnelle en Europe. Une amitié que nous souhaitons développer conjointement avec nos partenaires.

Conclusion

La vision européenne précoce tracée par Robert Schuman est devenue aujourd’hui une réalité. Elle détermine notre quotidien, elle s’empare de chacun de nos pas que nous faisons chaque jour dans notre région.

Annegret Kramp-Karrenbauer, Frédéric Sicard et Patrick Wajman – Photo © Thomas Appert. -
Annegret Kramp-Karrenbauer, Frédéric Sicard et Patrick Wajman

Au début de mon intervention, j’ai dit que l’intensité et la diversité de la coopération franco-allemande sont exceptionnelles et qu’elles constituent un accord parfait du passé, du présent et notamment de l’avenir. Cet accord est important, car il montre que les relations franco-allemandes n’ont pas leur place dans les musées, mais que les relations franco-allemandes et l’amitié franco-allemande façonnent notre vie.

Dans l’histoire, il n’y a rien qui soit évident. Nous devons nous rappeler ce que nous avons réalisé jusqu’à présent, mais nous devons également nous rappeler les besoins et les défis de l’avenir. Nous devons identifier les domaines où nous devons améliorer cette amitié entre la France et l’Allemagne et où nous devons travailler encore plus intensivement.

[1] "Rapport de M. Jean-Marc Ayrault et de Mme Annegret Kramp-Karrenbauer pour promouvoir l’intégration au sein de nos sociétés"
[2] Voir "La lumière du Droit rayonne"