Tenter de briser l’arrière, faute de pouvoir tenir le front

« Depuis que l’Ukraine a repris le dessus sur le terrain, la Russie, dont les faiblesses au plan militaire ont été exposées au grand jour, a opté pour une stratégie cynique visant à détruire les infrastructures civiles en vue de mettre l’Ukraine à genoux….»

Discours d’Emmanuel Macron, président de la République française, en ouverture de la conférence « Solidaires du peuple ukrainien » — Paris, le 13 décembre 2022 — Source : Service de Presse de l’Élysée.

Monsieur le Président, cher Volodymyr, Chère Olena, Madame la première dame, Monsieur le Premier ministre, merci d’être là, Monsieur le Président,

Madame la Présidente de la Commission européenne, chère Ursula, Mesdames et Messieurs les Premiers ministres,

Mesdames et Messieurs les directeurs et secrétaires généraux d’organisations internationales, Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, Mesdames et Messieurs

Je voudrais avant tout remercier chacun de vous, et à travers vous les États et les organisations que vous représentez, pour votre présence aujourd’hui à Paris pour cette conférence. C’est une preuve tangible que l’Ukraine n’est pas seule.

En effet, 46 pays et 24 organisations internationales ont répondu à l’appel de l’Ukraine et de la France pour ce moment de mobilisation internationale que nous avons choisi d’appeler : « Solidaires avec le peuple ukrainien ». Car la présence en nombre dans cette salle de représentants d’États du monde entier – et j’insiste bien sur ce point, et je remercie la présidence de l’ASEAN et le Premier ministre du Cambodge d’être là aussi tout particulièrement -, largement au-delà de la seule Europe, et d’organisations internationales couvrant des domaines d’une grande diversité, témoigne de la force de l’élan de solidarité de la communauté internationale en soutien à l’Ukraine.

Depuis bientôt dix mois, Ukraine résiste avec bravoure et détermination à l’agression russe déclenchée le 24 février – oserais-je dire cette fois-ci ouvertement ; car rappelons-nous que cette agression avait débuté en 2014, sans tout à fait l’assumer à l’époque. Cela fait en réalité neuf ans que les Ukrainiens ont connu de guerre, sous la violence extrême ou de guerre larvée. Je veux rendre hommage aux forces armées ukrainiennes qui ont repoussé l’offensive russe contre Kiev, et qui sont parvenues à reprendre, grâce à leur courage et leur abnégation, tant de territoires. Et je veux rendre hommage au peuple ukrainien dans son ensemble qui, malgré l’horreur des crimes commis par l’occupant russe, dans des villes comme Marioupol, Boutcha, Irpin, Izium et tant d’autres, qui garderont encore longtemps les stigmates de cette cruauté, continue de se battre avec une détermination admirable pour son pays et pour sa liberté.

La reprise de Kherson à la mi-novembre démontre l’inanité des simulacres de référendums que la Russie avait organisés pour tenter d’annexer quatre régions d’Ukraine et que la communauté internationale a condamnés à une écrasante majorité à l’Assemblée générale des Nations unies. Depuis que l’Ukraine a repris le dessus sur le terrain, la Russie, dont les faiblesses au plan militaire ont été exposées au grand jour, a opté pour une stratégie cynique visant à détruire les infrastructures civiles en vue de mettre l’Ukraine à genoux. À chaque victoire de votre pays sur le terrain, la Russie réagit lâchement par de nouveaux bombardements des infrastructures électriques, gazières ou de distribution de l’eau, nécessaires à la survie de la population pendant l’hiver. Avec un objectif clair : en réponse aux défaites militaires, semer la terreur chez les civils. Tenter de briser l’arrière, faute de pouvoir tenir le front. Ces frappes, qui visent ouvertement les populations et les infrastructures civiles, ces frappes dont la Russie avoue ouvertement qu’elles ne visent qu’à saper la résistance du peuple ukrainien, constituent des crimes de guerre. Elles violent sans aucun doute possible les principes les plus fondamentaux du droit humanitaire. Ces actes sont intolérables et ne resteront pas impunis.

Je veux ici être clair : dans ce contexte, c’est à l’Ukraine, victime de cette agression, de décider des conditions d’une paix juste et durable. A cet égard, cher Volodymyr, le plan de paix en 10 points que tu as exposé constitue une excellente base sur laquelle nous allons bâtir ensemble.

Mais dans l’immédiat, l’urgence consiste à soutenir la capacité du peuple ukrainien à résister.

C’est pour permettre à l’Ukraine de traverser cet hiver le plus long que nous avons souhaité organiser ensemble cette conférence appelée « Solidaires avec le peuple ukrainien », dont nous avons souhaité que les résultats soient très concrets.

Premièrement, il s’agit avant toute chose, de mobiliser nos partenaires, les amis de l’Ukraine, les pays engagés dans le soutien humanitaire et les bailleurs internationaux, afin de fournir une aide concrète en permettant de préserver le fonctionnement des infrastructures critiques que j’évoquais, et permettre à la population de tenir cet hiver : l’énergie, l’eau, l’alimentation, la santé, les transports, les vêtements. J’espère que nos engagements collectifs seront à la hauteur des enjeux et vous aideront à faire face aux besoins les plus urgents de cet hiver.

Nous apporterons une aide humanitaire exceptionnelle pour ce qui est de la France. Nous avons d’ores et déjà déboursé 151,5 millions d’euros depuis le début de l’année, nous rajoutons 48,5 millions d’euros ces jours-ci pour les priorités identifiées dans le cadre de la conférence : 27 millions sur l’urgence hivernale, et le reste réparti entre les personnes déplacées, les violences sexuelles, les enfants, l’aide alimentaire, la santé mentale. Et nous allons en plus de cela ajouter une contribution exceptionnelle de 76,5 millions d’euros dans le domaine de l’énergie et l’électricité, pour l’acquisition de LED dans le cadre de l’initiative coordonnée avec la Commission européenne dont Madame la Présidente reparlera dans un instant, 63 nouveaux générateurs électriques de haute puissance et plusieurs transformateurs en complément des 100 déjà livrés au mois de novembre ; mais également des financements pour l’eau, l’aide alimentaire, la santé, ce qui portera un effort total en plus de ce qui a déjà été fait à 125 millions d’euros d’aide d’urgence.

Ce soutien est essentiel, je remercie aussi tous les pays pour leurs contributions annoncées à l’occasion de cette conférence.

Deuxièmement, nous avons fait ensemble, cher Volodymyr, le constat que la coordination de l’aide d’urgence devait encore être perfectionnée et améliorée, pour répondre de manière très opérationnelle aux besoins de l’Ukraine. Nous l’évoquions hier avec le Premier ministre de Norvège, je l’ai aussi évoqué avec le Premier ministre du Luxembourg : nous avons besoin que les choses arrivent concrètement sur le terrain et nous avons appris des conflits passés. Et donc au-delà des conférences où on annonce des montants, il nous faut une coordination très étroite avec des points de contact dans tous les pays pour que l’aide arrive en temps réel sur le terrain. A l’issue d’un dialogue étroit avec l’Ukraine et les services de la Commission européenne, que je remercie vivement pour cela, au cours des dernières semaines, nous pouvons annoncer aujourd’hui la mise en place d’un mécanisme renforcé de coordination de l’aide internationale. Ce que tu as qualifié dimanche, cher Volodymyr, de « mécanisme de Paris », s’appuiera sur le mécanisme de protection civile de l’Union européenne qui joue déjà aujourd’hui un rôle précieux, et sera étendu aux États volontaires désireux de prendre part à l’effort de soutien. Plusieurs États non-européens présents aujourd’hui parmi nous ont ainsi désigné des points de contact en vue de s’intégrer à ce mécanisme. Je salue particulièrement ces pays qui démontrent qu’il n’est pas besoin d’être un pays occidental pour être convaincu de la nécessité de soutenir l’Ukraine dans la durée.

Ce mécanisme, centré sur l’aide d’urgence, s’inscrit ainsi en complémentarité avec la coordination de l’aide en matière d’énergie impulsée par les États-Unis dans le cadre du G7, et le mécanisme pour la reconstruction que nous avons clarifié sous présidence allemande du G7.

Ces initiatives, cette conférence aujourd’hui vient compléter, accompagner une série d’événements internationaux majeurs qui ont marqué ces derniers mois. Je pense bien sûr à la conférence de Lugano, que vous avez accueillie en juillet dernier, Monsieur le président de la Confédération, cher Ignazio, et qui a permis à l’Ukraine de présenter son plan de reconstruction et qui a posé les principes fondamentaux de la reconstruction de l’Ukraine. Je pense à la conférence de Berlin, co-organisée fin octobre par l’Allemagne et la Commission européenne, chère Ursula, chère Annalena, qui a donné lieu à des discussions fructueuses entre experts sur la coordination de la reconstruction de long terme de l’Ukraine. Nous nous réunirons l’année prochaine à Londres pour poursuivre cet engagement dans la durée aux côtés de l’Ukraine.

Car nous serons, aussi, aux côtés de l’Ukraine quand elle aura enfin mené à son terme sa lutte pour la liberté.

La France entend dès aujourd’hui aussi jouer son rôle en termes de reconstruction. J’ouvrirai cet après-midi, avec vous Monsieur le Premier ministre, un forum économique en présence de 700 entreprises, qui permettra de mobiliser celles-ci sur l’aide d’urgence et d’accompagner les investissements à plus long terme en Ukraine.

Enfin, au-delà de l’Etat et de nos entreprises, permettez-moi de saluer la mobilisation de l’ensemble de la société française au service de l’Ukraine. Nous avons réuni le 8 décembre autour de la Ministre COLONNA des acteurs non-étatiques et notamment nos collectivités territoriales. En plus de leur accueil de réfugiés ukrainiens, 1800 collectivités ont contribué à hauteur de 9,5 millions d’euros à un fonds d’aide à l’Ukraine, et nous les avons incitées à se

faire de nouvelles contributions en faveur de l’aide hivernale d’urgence. Les plus hauts représentants de l’Assemblée nationale, du Sénat et des collectivités territoriales, et des ONG françaises, sont aujourd’hui avec nous dans cette salle ; et je les en remercie. C’est l’« équipe France » qui est ce faisant mobilisée, et je sais que plusieurs pays présents autour de la table fonctionnent de la même manière : au-delà des engagements du jour, apportent au quotidien un soutien extrêmement concret, et je veux les en remercier.

Voilà ce que je voulais dire en ouverture de cette conférence, cher Volodymyr. Et je veux ici te dire que tu as à Paris des chefs d’Etat et de gouvernement, aux-côtés de ton épouse ; du Premier ministre et de plusieurs de tes ministres, qui sont pleinement mobilisés, qui ont la volonté de sa battre, d’être aux-côtés du peuple ukrainien, et jusqu’au dernier jour et à la dernière minute, de ne rien lâcher de ce soutien. Car le combat que vous menez est un combat pour votre liberté, votre souveraineté, mais c’est aussi un combat pour l’ordre international et pour notre stabilité à tous.

Cher Volodymyr, j’ai l’honneur maintenant de te passer la parole, et te remercie d’être avec nous.