« L’Allemagne a une responsabilité particulière à assumer »

« Nous portons, en tant que l’un des plus grands pays industrialisés au monde, une responsabilité… celle « de ne pas perdre de vue les autres pays »… « A côté de cette guerre brutale se jouera une crise alimentaire, une lutte pour l’alimentation, qui éclatera en pleine crise climatique. Nous devons y faire face ensemble : de manière pragmatique et animés de la responsabilité du rôle de leader qu’assume, entre autres, l’Allemagne

Source : Ministère fédéral des Affaires étrangères, Berlin — Réponses aux questions des députés par Madame Annalena Baerbok concernant les livraisons d’armes à l’Ukraine — Berlin, le 27 Avril 2022 —

Une séance de questions en temps de guerre : je crois qu’il n’est pas simple, et qu’il est même pratiquement impossible, de répondre en une minute aux questions sur ce que nous pouvons faire pour arrêter cette effroyable guerre contraire au droit international. Car la brutale réalité est la suivante : nous ne pouvons pas arrêter cette guerre par des réponses simples. Seul le président russe en est capable.

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Annalena Baerbock devant le Bundestag (Archives European Security)

Je tiens donc, au nom du gouvernement fédéral, à m’abstenir justement de donner des réponses rapides et simplistes mais au contraire, dans la situation complexe où nous nous trouvons, à expliquer les arguments que nous prenons en considération et surtout à être sincère. Car en cette période, nous ne pouvons agir que si nous le faisons avec nos alliés, de manière déterminée et pragmatique. Ainsi, nous pouvons contribuer à atténuer les souffrances, à soutenir l’Ukraine, à l’assister dans son droit de légitime défense et surtout à nous dresser ensemble, unis avec nos partenaires internationaux, contre le régime russe.

C’est pourquoi nous avons adopté conjointement, comme vous le savez, cinq séries de sanctions au cours des dernières semaines. Ces trains de sanctions, s’il le faut, pourront être tenus dans la durée non seulement par l’Union européenne mais aussi au plan international par la communauté de valeurs qui partage cette position.

Nous avons tout fait, ces dernières semaines, pour développer notre aide à l’Ukraine : au plan financier, au plan humanitaire surtout et aussi par des armes.

Comme la question des armes a été l’un des sujets qui ont ému tous les membres de ce parlement, le grand public, le monde entier, j’aimerais d’abord me concentrer sur celle-ci. Il est important de présenter clairement, en particulier dans cette Assemblée, les éléments que nous mettons en balance et, surtout, les mesures que nous prenons et que nous pouvons aussi honorer. Car il est aisé de faire des promesses ; cela procure rapidement des gros titres dans les journaux. Mais ce qui est capital, c’est bien que ces livraisons d’armes arrivent à bon port. L’enjeu n’est pas de nous sentir mieux parce que nous croyons avoir dit ou fait ce qui était juste tel ou tel jour ; ce qui est capital, c’est que nous soutenions l’Ukraine et les personnes courageuses qui luttent sur le terrain pour leur liberté, leur paix et pour notre ordre de sécurité européen, de manière à ce que ces personnes bénéficient réellement de notre soutien.

Je veux le dire avec force : en tant que plus grand pays de l’Union européenne, nous avons une responsabilité particulière à assumer. Beaucoup de pays plus petits demandent légitimement : Comment au juste pouvons-nous faire ? Comment au juste pouvons-nous faire, nous qui n’avons pas les ressources financières, pas la force de frappe, pas les représentations diplomatiques dans le monde entier ? C’est la raison pour laquelle il nous importait tant de nous concerter avec nos partenaires sur ces livraisons d’armes et d’avancer toujours de concert.

Nous avons choisi une certaine voie, au départ ; car dans une guerre qui brise toutes les règles sur lesquelles nous nous sommes mis d’accord, nous ne pouvons pas prévoir l’avenir et dire : raisonnablement, le régime russe devrait faire ceci ou cela. Non, nous ne savons pas ce que sera la prochaine étape. C’est pourquoi, quand nous avons expliqué ici au Bundestag que nous livrions effectivement, nous aussi, des armes, nous avons décidé que nous n’en ferions pas de longs débats. On peut bien sûr se demander avec le recul : était-ce judicieux ? N’était-ce pas judicieux ? C’était notre décision de l’époque, en conscience de la responsabilité qui était la nôtre que ceux qui transportent ces armes ne soient pas attaqués, et que ces armes atteignent tout simplement leur but.

Nous le savons, car nous l’avons vécu partout dans le monde, et je le vis comme ministre des Affaires étrangères, de nombreuses questions allaient naturellement se poser. C’est pourquoi je voudrais, maintenant que les armes que nous avons livrées sont arrivées, expliquer au nom du gouvernement fédéral ce que nous avons livré – sans trop entrer dans le détail : des milliers de lance-roquettes, des missiles sol-air de type Stinger, des missiles antiaériens portatifs de type Strela, plus de dix millions de munitions, des lance-roquettes anti-bunkers, des armes automatiques, des mines antichars directionnelles, plus de 100 000 grenades, des charges explosives. De plus, lorsque nous n’avons plus disposé de stocks, nous avons établi une « liste industrielle » prévoyant la livraison de mines antichars et surtout de munitions d’artillerie.

Surtout, alors que la brutalité de la guerre se manifestait une fois encore de manière tout à fait dramatique, nous avons dit le 6 avril : en tant que partenaires de l’OTAN, il nous faut réagir autrement. C’est pourquoi nous avons eu le 6 avril, une date dont nous nous rappelons tous et toutes en raison d’un autre vote dans cette Assemblée, une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN. Forte de mes responsabilités de ministre des Affaires étrangères de ce pays et à la présidence du G7, je me suis mise d’accord avec nos partenaires du G7 pour mieux coordonner nos livraisons car nous l’avons constaté : personne ne dispose de tout. Nos pays ne se sont pas armés de manière aussi massive que la Russie, au cours de ces dernières années, car nous avons cru à un ordre de paix.

Nous avons procédé à partir du 6 avril (non pas en public mais de manière à ce que cela marche) à des échanges croisés avec pour objectif que les matériaux nécessaires, comme les chars de type soviétique qui peuvent être manœuvrés immédiatement, puissent être livrés par nos partenaires. Nous comblons ensuite les lacunes qui pourraient en découler dans d’autres armées. C’est le sens de ces échanges croisés : agir ensemble, ne pas dire qui est le meilleur ou le plus rapide mais accomplir aujourd’hui de concert ce que nous sommes en mesure d’accomplir.

En outre, comme vous l’avez appris hier, la ministre de la Défense a déclaré lors d’une réunion avec les autres ministres de la Défense, et cela n’a pas été fait à la hâte non plus, que nous livrerions en plus des chars antiaériens Gepard. Oui, c’est une nouvelle étape, et c’est l’étape que nous pouvons maintenant franchir ensemble.

Parallèlement, nous préparons avec les Néerlandais, sans que je puisse aller dans le détail, un projet dans lequel nous combinons nos matériaux, nos munitions et notre expertise. Car là aussi, nous le voyons, ce n’est pas un pays qui dispose seul de tout de ce que l’on peut livrer, mais nous tous qui sommes en mesure d’accomplir quelque chose.

En même temps, mon voyage aux Pays baltes l’a souligné, notre grand défi est de protéger le territoire de notre propre Alliance. Ici à Berlin, nous nous sentons bien. Nous pouvons dire : la frontière est à des milliers de kilomètres. Mais lorsqu’on se tient dans les États baltes, que l’on peut littéralement regarder de l’autre côté, que l’on réalise ce que veut dire le « passage de Suwalki », à savoir un corridor très étroit qui permettrait d’isoler les Pays baltes, on ne peut pas se contenter de dire : « Oui, oui, nous serons là au cas où ». Non, nous avons la responsabilité de soutenir nos amis et voisins baltes qui ont déjà dû comme nous mener une lutte pour notre liberté à tous.

Cela aussi est aujourd’hui notre défi commun.

Une dernière phrase, parce que la situation est si complexe. Nous portons, en tant que l’un des plus grands pays industrialisés au monde, une responsabilité. Cette guerre frappe le monde entier, que l’on participe aux sanctions ou non, que l’on croit à un ordre international fondé sur des règles ou non. Mais nous avons la responsabilité, en tant que pays industrialisés, de ne pas perdre de vue les autres pays. Je remercie mes collègues qui se sont rendus avec moi au Sahel. Nous en faisons l’expérience dramatique : à côté de cette guerre brutale se jouera une crise alimentaire, une lutte pour l’alimentation, qui éclatera en pleine crise climatique. Nous devons y faire face ensemble : de manière pragmatique et animés de la responsabilité du rôle de leader qu’assume, entre autres, l’Allemagne.